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12/04/2023 | FRANCE | N°22/00022

France | France, Cour d'appel de Douai, Jrdp, 12 avril 2023, 22/00022


AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



COUR D'APPEL DE DOUAI







JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE

DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES









minute n° 14/23



n° RG : 22/0022





A l'audience publique du 12 avril 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :







Sur la requête de :



M. [C] [U], né le [Date naissance 2] 199

6 à [Localité 7] (Seine-Maritime)

élisant domicile au cabinet de son avocat



ayant pour avocat Me Steeve RUBEN, avocat au barreau de Paris, demeurant [Adresse 1]













Les débats ayant eu li...

AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

COUR D'APPEL DE DOUAI

JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE

DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

minute n° 14/23

n° RG : 22/0022

A l'audience publique du 12 avril 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :

Sur la requête de :

M. [C] [U], né le [Date naissance 2] 1996 à [Localité 7] (Seine-Maritime)

élisant domicile au cabinet de son avocat

ayant pour avocat Me Steeve RUBEN, avocat au barreau de Paris, demeurant [Adresse 1]

Les débats ayant eu lieu à l'audience du 22 mars 2023, à 10 heures

L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;

En présence de :

MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,

représenté par M. Michel REGNIER, avocat général

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des affaires juridiques

dont le siège est situé [Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

ayant pour avocat Me Dimitri DEREGNAUCOURT, avocat au barreau de Douai

JRDP - 22/22 - 2ème page

Exposé de la cause

Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 25 juillet 2022, M. [C] [U] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.

Par ordonnance en date du 8 juin 2018, M. [U] a été mis en examen et placé en détention provisoire pour :

- importation de produits stupéfiants en bande organisée ;

- acquisition, transport, détention, offre ou cession de produits stupéfiants ;

- participation à une association de malfaiteurs.

Par ordonnance en date du 25 janvier 2019, M. [U] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.

Par ordonnance en date du 26 janvier 2021, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lille a renvoyé M. [U] devant le tribunal correctionnel après requalification des faits.

Par jugement en date du 19 janvier 2022, M. [U] a été relaxé des fins de la poursuite.

La détention provisoire de M. [U] a donc duré du 8 juin 2018 (date du placement en détention provisoire) au 25 janvier 2019 (date de libération et de placement sous contrôle judiciaire), soit pendant 232 jours.

Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :

- 35.000 € en réparation de son préjudice moral ;

- 105.200 € en réparation de son préjudice matériel, se décomposant en :

- 95.000 € au titre du préjudice professionnel ;

- 10.200 € au titre des frais de défense.

- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions reçues au greffe de la cour d'appel le 5 octobre 2022, l'agent judiciaire de l'Etat propose que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 16.000 €, que son préjudice matériel au titre de la perte de revenus le soit à hauteur de 10.000 €, que ses frais de défense soient indemnisés à hauteur de 6.840 € et qu'il soit débouté de sa demande au titre de la perte de revenus après sa remise en liberté. Par ailleurs, il conclut à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions en date du 19 octobre 2022, le ministère public requiert que le préjudice moral de M. [U] soit indemnisé à hauteur de 18.000 € et indique s'en rapporter aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat s'agissant des autres demandes.

Au terme des débats tenus le 22 mars 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 12 avril 2023.

Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,

vidant son délibéré à l'audience de ce jour,

SUR CE,

Sur la recevabilité :

Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.

JRDP - 22/22 - 3ème page

En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision,la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure civile.

En l'espèce, le jugement de relaxe a été rendu le 19 janvier 2022. Cette décision est devenue définitive au terme du délai d'appel de 10 jours, le samedi 29 janvier 2022. Le délai d'appel a donc été prorogé jusqu'au lundi 31 janvier 2022 conformément à l'article 801 du code de procédure pénale. La requête en indemnisation a été déposée le 28 juillet 2022, soit dans le délai de 6 mois suivant la décision définitive.

Figure au dossier un certificat en date du 11 février 2022 établi par le greffier du tribunal judiciaire de Lille attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de la décision précitée.

En conséquence la requête est recevable.

Sur le préjudice moral :

Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.

La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.

En l'espèce, il y a lieu de tenir compte de l'âge de M. [U] (22 ans) au moment de son incarcération. Il convient, également, de relever que le bulletin n° 1 de son casier judiciaire ne portait mention d'aucune condamnation au moment de son incarcération de sorte qu'il s'agissait effectivement d'une première détention en France. Cette absence d'antécédent carcéral majore nécessairement le choc ressenti.

Le requérant invoque également, au titre d'une aggravation de son préjudice, la lourdeur de la peine encourue. Il convient cependant de rappeler que le juge d'instruction a procédé à une requalification des faits pour renvoyer M. [U] devant le tribunal correctionnel et non devant la cour d'assises. Néanmoins, cette ordonnance date du 26 janvier 2021, soit plus d'un an et demi après l'incarcération de M. [U]. Le requérant a donc légitimement pu craindre une lourde peine durant l'intégralité de sa détention. Cette crainte est bien de nature à aggraver le préjudice subi.

Le requérant fait aussi valoir que son préjudice s'est trouvé aggravé par la privation de vie privée et l'éloignement familial. Sa famille résidait à plus de 300 kilomètres de son lieu d'incarcération. Cet éloignement familial est effectivement de nature à aggraver le préjudice moral.

M. [U] soulève également avoir subi des séquelles psychologiques en lien avec sa détention.

Cependant, il ne produit aucun certificat médical de nature à prouver ses allégations.

Enfin, le requérant soutient avoir souffert de conditions de détention difficiles au sein de la maison d'arrêt de [Localité 6]-[Localité 9]. Il invoque un extrait du rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté couvrant la période du 1er au 10 février 2021. Cependant, ce rapport ne figure pas parmi les 21 pièces produites à l'appui de la requête et figurant sur le bordereau joint à la requête. De surcroit, ce rapport, postérieur de près de 2 ans à la période au cours de laquelle M. [U] se trouvait détenu au sein de

cette maison d'arrêt, ne pourrait, dans ces conditions, utilement démontrer le caractère difficile de ses conditions de détention.

De plus, bien que soulevant le fait de ne pas avoir pu bénéficier de travail ou d'activité en détention, le requérant ne justifie pas en avoir sollicité.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [U] la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral.

JRDP - 22/22 - 4ème page

Sur le préjudice matériel :

Sur les frais de défense :

Les honoraires et frais annexes de l'avocat, au titre du préjudice causé par une détention injustifiée, peuvent être indemnisés pour autant qu'ils rémunèrent ou défraient des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin.

En l'espèce, quatre factures sont versées aux débats :

- la facture n° 2018051 de Me [K] [R] en date du 14 juin 2018 d'un montant de 1.170 euros TTC faisant état d'une « étude du dossier », d'un « entretien client x3 », d'une « audience JIPC », d'une « audience JLD » et d'un « acte d'appel  ;

- la facture n° 18277 de Me [B] [S] en date du 20 juin 2018 d'un montant de 2.000 euros TTC sans détails ;

- la facture n° 18282 de Me [B] [S] en date du 22 juin 2018 d'un montant de 1.000 euros TTC sans détails ;

- la facture n° 2022/01/85 de Me Steeve RUBEN en date du 31 janvier 2022 d'un montant de 36.240 euros TTC faisant état de « démarches relatives à l'obtention d'un permis de communiquer en date du 28 juin 2018 », « visite à la maison d'arrêt le 23 août 2018 afin d'évoquer la stratégie liée à la liberté », « visite à la maison d'arrêt le 3 octobre 2018 afin de préparer un projet de sortie en vue d'une demande ARSE », « interrogatoire du 4 octobre 2018 devant un juge d'instruction au tribunal judiciaire de Lille », « rédaction, dépôt et suivi d'une demande de vérification de faisabilité d'une assignation à résidence avec surveillance électronique », « rédaction et suivi d'une demande de transfert vers une autre maison d'arrêt », « rédaction et dépôt d'une demande de mise en liberté en date du 23 janvier 2019 », « audience sur le fond devant le tribunal correctionnel de Lille du 22 au26 novembre 2021 ».

Il apparaît que la première facture n° 2018051 émise par Me [R] ne détaille pas les diligences effectuées de sorte qu'il est impossible d'identifier les prestations directement liées à la privation de liberté.

S'agissant des factures n° 18282 et 18277 émises par Me [S], celles-ci ne mentionnent pas non plus les diligences accomplies, de sorte qu'il n'est pas davantage possible de déterminer celles effectuées au titre

du contentieux de la privation de liberté.

Enfin, la facture n° 2022/01/85 émise par Me RUBEN mentionne plusieurs diligences pouvant effectivement

donner lieu à indemnisation :

- visite à la maison d'arrêt le 23 août 2018 afin d'évoquer la stratégie liée à la liberté (1.000 €) ;

- visite à la maison d'arrêt le 3 octobre 2018 afin de préparer un projet de sortie en vue d'une demande ARSE (1.000 €) ;

- rédaction, dépôt et suivi d'une demande de vérification de faisabilité d'une assignation à résidence avec surveillance électronique (1.200 €) ;

- rédaction et suivi d'une demande de transfert vers une autre maison d'arrêt (1.000 €) ;

- rédaction et dépôt d'une demande de mise en liberté en date du 23 janvier 2019 (1.500 €).

En conséquence, il y a lieu d'allouer au requérant la somme de 6.840 € (5.700 € HT) au titre de ses frais de défense.

Sur la perte de revenus :

M. [U] sollicite la somme de 95.000 € au titre de son préjudice professionnel soit :

- 15.000 € au titre de la perte de salaire pendant son incarcération ;

- 80.000 € au titre de la perte de salaire après sa remise en liberté.

Il fait valoir que lorsqu'il a été incarcéré, il travaillait, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, en qualité de docker. Il produit aux débats cinq bulletins de salaire couvrant les mois précédant sa détention ainsi que la preuve de démarches actives de recherche d'emploi après sa libération.

Il ressort également des débats que la mesure de contrôle judiciaire portait interdiction pour M. [U] d'exercer l'activité de docker. Il n'a pu reprendre cette activité qu'au mois de mai 2022.

JRDP - 22/22 - 5ème page

Concernant la perte de salaire durant sa détention, il ressort des différents bulletins de salaire figurant au dossier que le requérant :

- a une ancienneté professionnelle datant du 22 avril 2014 ;

- a été de nouveau embauché en 2022 par les entreprises pour lesquelles il travaillait avant son incarcération, à savoir la SARL [10], la SAS [5] et [8].

Il en résulte que M. [U] a bien subi une perte de revenus du fait de son incarcération et est donc bien fondé à se prévaloir d'un préjudice à ce titre.

Néanmoins, peuvent être constatées, d'un mois sur l'autre, d'importantes variations de salaire :

- au titre du mois de janvier 2018, son revenu s'élevait à la somme de 2.993,20 € ;

- au titre du mois de février 2018, son revenu s'élevait à la somme de 2.177,79 € ;

- au titre du mois de mars 2018, son revenu s'élevait à la somme de 1.253,46 € ;

- au titre du mois d'avril 2018, son revenu s'élevait à la somme de 2.349,07 € ;

- au titre du mois de mai 2018, son revenu s'élevait à la somme de 1.686,91 €.

Le salaire du requérant oscille donc entre 1.253,46 € et 2.993,20 € net par mois.

En l'absence d'éléments plus précis, seule la moyenne des sommes indiquées sur les bulletins de salaire antérieurs à l'incarcération de M. [U] permet de déterminer le montant de l'indemnisation.

M. [U] se verra donc allouer la somme de 15.000 € au titre de la perte de revenus pendant la détention.

S'agissant de la réparation demandée au titre la perte de salaires après la remise en liberté, il ressort des pièces produites aux débats que M. [U] n'était pas bénéficiaire de l'aide au retour à l'emploi. Néanmoins, il s'est inscrit à Pôle emploi en janvier 2019, puis en janvier 2020, ce qui crée une incertitude sur sa situation professionnelle durant l'année 2019. De plus, le requérant ne produit pas aux débats les justificatifs de paiement de Pôle Emploi ou de la CAF au titre du RSA pendant les six mois suivant la fin de sa détention, de sorte qu'il n'est pas possible de déterminer le montant de son préjudice au titre de la perte de salaire.

En conséquence, le requérant sera débouté de sa demande au titre de la perte de salaire après sa remise en liberté.

M. [U] se verra allouer la somme de 21.840 € au titre du préjudice matériel, soit 6.840 € au titre de ses frais de défense et 15.000 € au titre de sa perte de revenus pendant son incarcération.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il sera alloué à M. [U] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.

Sur les dépens :

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS,

Après débats en audience publique,

statuant publiquement et contradictoirement,

DECLARONS recevable la requête de M. [C] [U];

ALLOUONS à M. [C] [U] la somme de vingt mille euros (20.000 €) au titre de son préjudice moral ;

JRDP - 22/22 - 6ème page

ALLOUONS à M. [C] [U] la somme de six mille huit cent quarante euros (6.840 €) au titre des frais de défense ;

ALLOUONS à M. [C] [U] la somme de quinze mille euros (15.000 €) au titre de la perte de revenus pendant l'incarcération;

DEBOUTTONS M. [C] [U] de sa demande présentée au titre de la perte de salaires après sa remise en liberté ;

ALLOUONS à M. [C] [U] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.

Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 12 avril 2023,

en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,

assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.

le greffier Le premier président

C. BERQUET J. SEITHER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Jrdp
Numéro d'arrêt : 22/00022
Date de la décision : 12/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-12;22.00022 ?
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