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26/05/2023 | FRANCE | N°19/01369

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 1, 26 mai 2023, 19/01369


ARRÊT DU

26 Mai 2023







N° 680/23



N° RG 19/01369 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SM67



OB/CH









AJ



















Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

02 Mai 2019

(RG 18/00168 -section )



































GROSSE :



Aux av

ocats



le 26 Mai 2023



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [Z] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Delphine MALAQUIN, avocat au barreau de VALENCIENNES

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/013486 du...

ARRÊT DU

26 Mai 2023

N° 680/23

N° RG 19/01369 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SM67

OB/CH

AJ

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

02 Mai 2019

(RG 18/00168 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 26 Mai 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [Z] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Delphine MALAQUIN, avocat au barreau de VALENCIENNES

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/013486 du 06/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)

INTIMÉE :

S.A.R.L. IERA

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Manuel DE ABREU, avocat au barreau de VALENCIENNES, substitué par Me Corinne PHILIPPE, avocat au barreau de VALENCIENNES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Cindy LEPERRE

DÉBATS : à l'audience publique du 11 Avril 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 mars 2023

EXPOSE DU LITIGE :

M. [T], né en 1960, a été engagé en qualité de peintre par l'entreprise Iera, aux droits duquel vient la société Iera (la société) depuis le 2 janvier 1995, d'abord selon contrats à durée déterminée entre 1980 et 1987 puis selon contrat conclu ultérieurement à durée indéterminée et à temps complet.

Le salarié a bénéficié d'une reprise d'ancienneté.

La convention collective applicable était celle, nationale, des ouvriers employés par le entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962.

Il a été placé en arrêt de travail, en vue d'une opération d'une hernie discale, du 12 juillet 2013 au 1er avril 2014, date de la visite de reprise.

A la suite de cette visite, le médecin du travail a énoncé : 'apte, accord de la Sécurité sociale pour invalidité de 1ère catégorie, travail à temps partiel'.

Par une lettre du 13 mai 2014 adressée à l'employeur, le médecin du travail a indiqué :

'M. [T] bénéficie d'une mise en invalidité 1ère catégorie au 1er avril 2014.

Ce statut accordé par la Sécurité sociale tient compte de l'état de santé de M. [T] et a pour but de le maintenir en activité lui permettant d'alléger la fatigue par un travail à temps partiel et de lui garder des revenus satisfaisants.

Dans le cadre de votre société et des impératifs professionnels liés à votre métier, il convient de réaliser des aménagements, soit sur la durée de la semaine (2 jours alternés avec une semaine de 3 jours pour les chantiers à proximité du domicile), soit en demi-journées sur des chantiers à longue distance du domicile avec logements sur place.

Pourriez-vous m'informer de la nature des aménagements que vous avez prévus concernant M. [T] ''.

Lors de la deuxième visite médicale du 1er juillet 2014, le médecin du travail a conclu à une 'inaptitude à prévoir' laquelle a été confirmée par l'ultime visite du 15 juillet 2014 au terme de laquelle le médecin du travail a précisé : 'inaptitude définitive au poste de peintre industriel et bâtiment. Aptitudes restantes : poste assis, sans manutention, application de l'article R.4624-31 du code du travail'.

M. [T] a été licencié, selon lettre du 11 août 2014, pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Il a saisi en octobre 2014 le conseil de prud'hommes de Valenciennes de demandes indemnitaires et salariales dont il a été intégralement débouté par un jugement du 2 mai 2019 rendu après radiations.

Par déclaration du 13 juin 2019, il a fait appel.

Son avocate a été placée en liquidation de sorte qu'il a été contraint de constituer un nouvel avocat.

Par une ordonnance rendue le 21 octobre 2022, le conseiller de la mise en état, saisi par l'employeur, a déclaré irrecevables plusieurs demandes de l'appelant.

M. [T] a notifié ses conclusions récapitulatives le 17 février 2023 auxquelles il est référé pour l'exposé des moyens, l'appelant y sollicitant l'infirmation du jugement et y réitérant la plupart de ses prétentions initiales.

Réclamant la confirmation du jugement outre une indemnité de frais irrépétibles, la société s'y oppose par ses dernières conclusions auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens.

MOTIVATION :

Le salarié ne reprend pas, dans le dispositif ainsi d'ailleurs que dans les motifs de ses conclusions d'appel, des demandes et moyens soutenus devant le premier juge, et notamment ce qui a trait aux indemnités de repas et aux primes de trajet.

Il y a donc lieu, en application de l'article 954 du code de procédure civile, de s'en tenir à ses dernières conclusions qui réduisent le périmètre des contestations.

Par ailleurs, la société intimée a soulevé, dans le cadre d'un incident, l'irrecevabilité de certaines prétentions soulevées en appel sur le fondement de l'article 910-4 du code de procédure civile.

Il a été partiellement été fait droit à ces demandes par une ordonnance du 21 octobre 2022 susceptible de recours avec le présent arrêt.

Les demandes arguées de nouveauté seront rappelées au fur et à mesure, étant souligné que les parties n'avaient pas sollicité, devant le conseiller de la mise en état, qu'il soit fait application de l'avis rendu par la Cour de cassation et portant sur le partage de compétence entre celui-ci et la cour d'appel (Civ. 2ème, 11 octobre 2022, n° 22-70.010).

1°/ Sur l'ancienneté :

Il est notamment versé des relevés de carrière, de nombreux bulletins de paie, des registres d'entrée et de sortie du personnel.

Aucun contrat de travail écrit n'est produit.

Il résulte de l'ensemble de ces documents que le salarié a travaillé selon contrats de travail à durée déterminée pour l'entreprise Iera à compter de 1980 mais de façon morcelée, ces contrats s'étant succédé avec des périodes d'interruption de plusieurs mois.

M. [T] apparaît avoir finalement été engagé à durée indéterminée le 2 janvier 1995 avec reprise d'ancienneté au 26 avril 1993.

Il n'est pas soutenu que les contrats conclus à durée déterminée devaient être requalifiés en un contrat à durée indéterminée avec conservation de l'ancienneté alors acquise au terme de la relation à durée déterminée.

Lorsque des contrats successifs sont séparés, comme en l'espèce, par des périodes d'interruption, la durée des contrats antérieurs n'est pas prise en compte, comme l'a d'ailleurs déjà jugé la Cour de cassation (Soc., 16 octobre 1996, n° 93-41.449).

Il s'ensuit que l'ancienneté doit remonter au 26 avril 1993.

2°/ Sur le rappel de salaire au titre de la qualification professionnelle de chef d'équipe, niveau IV, coefficient 250 outre congés payés afférents, sur la période de prescription triennale d'août 2011 à août 2014 :

Ayant exactement rappelé les dispositions conventionnelles concernant le classement de chef d'équipe de niveau IV, coefficient 250, c'est à juste titre que, sur la base de nombreuses attestations, convaincantes et circonstanciées, et en l'absence de tout engagement de sa part à reconnaître au salarié une qualification supérieure à celle de compagnon professionnel de niveau III, l'employeur en a déduit que M. [T] n'avait occupé que des fonctions de peintre correspondant à ce niveau et au coefficient dédié.

C'est donc à bon droit que le jugement décide que le salarié n'a pas droit à la reclassification sollicitée.

Le jugement sera confirmé.

3°/ Sur le rappel d'indemnités de congés payés au titre d'une ancienneté remontant au 8 octobre 1980 :

Cette demande a été déclarée irrecevable par l'ordonnance précitée du 21 octobre 2022.

4°/ Sur la nullité du licenciement sur le fondement de la discrimination :

L'appelant n'invoque plus un harcèlement moral au titre de la nullité du licenciement.

Il se prévaut uniquement d'une discrimination en ce qu'ayant refusé d'aménager le poste de travail à la suite de la visite de reprise du 1er avril 2014, l'employeur aurait persisté dans son abstention, en dépit de la réitération des préconisations du médecin du travail selon lettre du 13 mai 2014, et donc cherché à se séparer de lui en raison de son état de santé.

La discrimination inclut les faits de harcèlement moral en application de l'article L.1152-2 du code du travail.

En d'autres termes, un salarié victime de discrimination subit nécessairement une situation de harcèlement moral.

Si l'inverse n'est pas toujours vrai, la victime d'un harcèlement moral ne subissant pas, en soi, une discrimination, il peut néanmoins l'être : la victime d'un harcèlement moral à raison de son état de santé subit nécessairement une discrimination.

En l'espèce, et contrairement à ce qu'elle soutient et à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, la société, à qui incombe la charge de la preuve du respect de ses obligations, ne démontre pas s'être conformée aux avis et préconisations du médecin du travail.

Elle n'apporte pas davantage d'éléments sur les conditions dans lesquelles le salarié a été, ou non, employé entre avril et juillet 2014.

Or, le non-respect des avis et préconisations du médecin du travail peut être constitutif de harcèlement moral dès lors que l'attitude réitérée de l'employeur a entraîné la dégradation des conditions de travail du salarié par le refus d'adapter son poste de travail et le fait de lui confier de manière habituelle une tâche dépassant ses capacités, comme la Cour de cassation l'a d'ailleurs déjà jugé (Soc., 7 janvier 2015, n° 13-17.602).

C'est la situation en l'espèce : M. [T] apparaît avoir été victime de harcèlement moral dès lors que la société n'a pas pris en compte l'invalidité et la nécessité d'un travail devant désormais s'exécuter à temps partiel entre le 1er avril et le 1er juillet 2014, date de l'avis d'inaptitude temporaire lequel a été suivi de l'avis d'inaptitude définitive le 15 juillet.

Et c'est à juste titre qu'en conformité avec les règles de preuve posées à l'article L.1134-1 du code du travail, le salarié présente ainsi des éléments de fait laissant supposer que cet harcèlement moral procède d'une discrimination.

Le fait que l'employeur n'ait pas cru bon se conformer aux avis et préconisations médicales laisse supposer que ce comportement était dicté par l'état de santé, ou même l'âge de M. [T], né en 1960, la société apparaissant comme n'ayant finalement pas voulu se préoccuper du sort d'un salarié diminué et qui n'était plus apte à continuer à occuper pleinement son poste précédent.

L'employeur n'apporte aucun élément de nature à réfuter de tels éléments c'est-à-dire à faire apparaître que sa décision, ou plus précisément son abstention, était justifiée par des éléments objectifs la justifiant.

Il s'ensuit que le licenciement, prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement, est la conséquence d'une discrimination et, partant, frappé de nullité, en ce que le non-respect de l'obligation de sécurité n'a pu que revêtir une réelle incidence sur l'état de santé de M. [T], devenu en l'espace de quelques mois inapte à son poste de travail.

5°/ Sur l'indemnisation au titre de la rupture :

A la suite du rejet des demandes au titre de la reclassification et de l'ancienneté laquelle ne peut remonter qu'au 26 avril 1993, il y a lieu de prendre en compte le salaire brut effectivement perçu par M. [T] du fait de l'emploi occupé soit la somme de 1 759,37 euros, niveau III, coefficient 210, laquelle a été portée par l'employeur, ainsi qu'il l'indique dans ses conclusions, à la somme de 1 876 euros comme base de salaire moyen pour la liquidation de ses droits.

Compte tenu de la nullité encourue, et indépendamment de l'entrée en vigueur postérieure du nouvel article L.1235-3-1 du code du travail, M. [T] a droit à une indemnité d'un montant au moins égal à six mois de salaire.

Au regard de l'âge de M. [T], de sa qualification, de la durée d'emploi, de l'impact sur les droits à retraite, de sa situation personnelle mais en considération également de l'ancienneté du licenciement, prononcé en 2014 et qui n'a pu être jugé plus tôt par le conseil de prud'hommes du fait des multiples radiations imputables aux parties, il lui sera accordé la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement sera infirmé.

6°/ Sur le préavis :

Le préavis étant dû puisqu'il n'a pu être exécuté du fait de l'employeur, il sera accordé au salarié la somme de 3 752 euros correspondant aux deux mois sollicités tant en vertu de la loi que de la convention collective, sans congés payés toutefois, le préavis revêtant une nature indemnitaire dans ce cas.

Le jugement sera infirmé.

7°/ Sur l'indemnité de licenciement au titre de la reclassification professionnelle et de l'ancienneté :

La qualification professionnelle et l'ancienneté revendiquées n'étant pas retenues et constituant le fondement de cette demande, celle-ci sera rejetée de sorte que le jugement sera confirmé.

8°/ Sur la rectification des bulletins de paie et des documents de fin de contrat :

L'employeur sera condamné à délivrer au salarié l'attestation destinée à Pôle emploi ainsi qu'un seul bulletin de paie, le tout rectifié conformément au présent dispositif.

La demande de prononcé d'une astreinte n'apparaît pas nécessaire.

9°/ Sur les intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes :

Cette demande a été déclarée irrecevable par l'ordonnance précitée du 21 octobre 2022.

10°/ Sur la sanction de l'article L.1235-4 du code du travail en sa version alors applicable :

Le licenciement date du 11 août 2014, soit antérieurement au nouvel article L.1235-4 du code du travail qui prévoit désormais la condamnation de l'employeur envers Pôle emploi au titre de la nullité du licenciement.

L'article L.1235-4, en sa version alors applicable, ne permettant pas une telle condamnation, il s'ensuit que la sanction ne peut être rétroactivement prononcée.

11°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il sera équitable d'accorder à Mme Malaquin, avocate au barreau de Valenciennes, la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel si elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat pour l'aide juridictionnelle totale de M. [T].

En revanche, la demande au titre des frais irrépétibles de première instance a été déclarée irrecevable par l'ordonnance précitée du 21 octobre 2022.

PAR CES MOTIFS :

La cour d'appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :

- confirme le jugement rendu le 2 mai 2019, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Valenciennes, mais sauf en ce qu'il 'dit et juge que le licenciement de M. [T] pour inaptitude et impossibilité de reclassement est régulier et fondé sur une cause réelle et sérieuse', le déboute de ses demandes au titre de la nullité du licenciement, en paiement de dommages-intérêts de ce chef, du préavis et en délivrance des bulletins de paie et des documents de fin de contrat ;

- l'infirme sur ces points et statuant à nouveau :

* fixe l'ancienneté de M. [T] au 26 avril 1993 ;

* dit que le licenciement de M. [T] est nul ;

* condamne la société Iera à payer à M. [T] la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef ainsi que celle de 3 752 euros au titre du préavis ;

* précise que ces condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations applicables ;

* ordonne à la société Iera de délivrer à M. [T] un bulletin de paie et l'attestation Pôle emploi, rectifiés conformément au présent arrêt ;

- y ajoutant, condamne la société Iera à payer à Mme Malaquin, avocate au barreau de Valenciennes, la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel si elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat pour l'aide juridictionnelle totale de M. [T] ;

- rejette le surplus des prétentions n'ayant pas été déclarées irrecevables par l'ordonnance précitée du 21 octobre 2022 ;

- met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Iera qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridique.

LE GREFFIER

Cindy LEPERRE

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 1
Numéro d'arrêt : 19/01369
Date de la décision : 26/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-26;19.01369 ?
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