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26/05/2023 | FRANCE | N°19/02437

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale d salle 3, 26 mai 2023, 19/02437


ARRÊT DU

26 Mai 2023







N° 740/23



N° RG 19/02437 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SYRQ



VCL/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CALAIS

en date du

05 Décembre 2019

(RG F19/00070 -section 4)






































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GROSSE :



aux avocats



le 26 Mai 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [T] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Eric LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI





INTIMÉE :



SA SOCIETE D'EXPLOITATION DES PORTS DU DETROIT (S.E.P.D....

ARRÊT DU

26 Mai 2023

N° 740/23

N° RG 19/02437 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SYRQ

VCL/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CALAIS

en date du

05 Décembre 2019

(RG F19/00070 -section 4)

GROSSE :

aux avocats

le 26 Mai 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [T] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Eric LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI

INTIMÉE :

SA SOCIETE D'EXPLOITATION DES PORTS DU DETROIT (S.E.P.D.)

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représentée par Me Paule WELTER avocat au barreau de LILLE substituée par Me MAYEUX

DÉBATS : à l'audience publique du 09 Mars 2023

Tenue par Virginie CLAVERT

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Cindy LEPERRE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Virginie CLAVERT

: CONSEILLER

Laure BERNARD

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 Mars 2023

EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :

La Chambre de commerce et d'industrie Côte d'opale a engagé M. [T] [N] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 23 août 2010 en qualité de responsable des moyens communs, coefficient 550, cadre supérieur S 1, échelon 5 de la Convention Collective Nationale des Personnels des Ports Autonomes Maritimes et des CCI concessionnaires dans les ports maritimes de commerce et de pêche.

A compter d'octobre 2014, le salarié a été promu en qualité de directeur assurance qualité.

A compter du 22 juillet 2015, le contrat de travail de M. [T] [N] a été transféré à la Société d'Exploitation des Ports du Détroit, nouveau concessionnaire désigné par la région [Localité 4] pour exploiter les ports de [Localité 3] et de [Localité 2].

M. [T] [N] a été convoqué le 11 décembre 2015 à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement avec signification d'une mise à pied conservatoire.

Le 28 décembre 2015, l'intéressé a été licencié pour avoir tenu des propos dénigrant la direction et la politique de l'entreprise devant ses collaborateurs.

La lettre de licenciement se trouvait, ainsi, rédigée :

"Votre comportement de dénigrement, depuis plusieurs semaines à l'encontre de la Direction et de la politique de l'entreprise devant vos collaborateurs alors même que votre poste de Responsable est de promouvoir cette politique. Vos collaborateurs se sont rapprochés de nous afin de dénoncer votre comportement déloyal vis-vis de la Direction ainsi qu'afin de nous informer de leurs inquiétudes sur votre positionnement vis-à-vis de la hiérarchie.

Les termes employés sont notamment à titre d'exemple :

- "[O] à la Gestion Immobilière ! C'est n'importe qui comme décision du Président ! [O] ne s'occupe que des contrats. Je n'ai plus d'assistante et je suis rattachée au Président un mec que je n'ai pas vu depuis 3 mois. C'est excellent ! C'est absolument n'importe quoi !"

- "J'ai montré le document de [U] [A]. R a eu des remarques sur le document; Tu fais des modifications. Si un handicapé comprend le document le Président devrait réussir également".

- "Si le FN passe, tu penses que ça va continuer comme ça ' Le FN ils vont faire cracher la bête ! les FONTAINE emplois fictifs du PS, tu crois que le FN va l'accepter encore longtemps '"

"On a un cap au jour le jour voire qui change plusieurs fois par jour. Que le Président a une vision à la journée voire à l'heure ! J'ai jamais vu ça dans une entreprise !" .

Contestant la légitimité de son licenciement pour faute grave et réclamant divers rappels de salaire et indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, M. [T] [N] a saisi le 17 mai 2019 le conseil de prud'hommes de Calais qui, par jugement du 5 décembre 2019, a rendu la décision suivante :

- Dit que le licenciement de M. [N] ne repose pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse,

- Condamné en conséquence la société au paiement des sommes suivantes :

-19.998 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

-1.999 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférent ;

-3.775 € au titre du rappel de salaire pour la période du 12 au 19 décembre 2015 ;

- 375,50 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférent ;

-750 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- Dit que les sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de mise à disposition de la décision,

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision,

- Laissé aux parties la charge de leurs propres dépens.

M. [T] [N] a relevé appel de ce jugement le 27 décembre 2019.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 25 janvier 2023 au terme desquelles M. [T] [N] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :

-Dire et juger recevable et bien fondé le requérant en son appel et ses différentes prétentions,

En conséquence,

-Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Calais le 5 décembre 2019,

Statuant à nouveau,

-Dire et juger le licenciement pour motif personnel intervenu sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence

-Condamner la Société d'Exploitation des Ports du Détroit à lui payer les sommes et indemnités suivantes :

- 160.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 19.998,00 € au titre de l'indemnité indemnité compensatrice de préavis

- 1.999,80 € pour l'indemnité compensatrice de congés payés y afférent,

- 3.775,00 € pour le salaire dû pour la période du 12 au 29 décembre 2015

- 375,50 € pour l'indemnité compensatrice de congés payés y afférent,

-Débouter la Société d'Exploitation des Ports du Détroit de toutes ses demandes, fins et conclusions,

-Condamner la société d'Exploitation des Ports du Détroit à payer à M. [T] [N] la somme de 3.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens

Au soutien de ses prétentions, M. [T] [N] expose que :

- L'employeur ne rapporte pas la preuve de la faute grave qui lui est imputée, laquelle repose sur deux uniques attestations, l'une ne précisant pas les propos négatifs reprochés et l'autre émanant de celui qui a repris une partie des attributions du salarié, une fois licencié, ce alors qu'aucun de ses collègues de travail, prétendument témoins, n'atteste des propos allégués.

- Les attestations produites doivent, ainsi, être écartées.

- Il n'a jamais adopté de comportement déloyal vis à vis de son employeur, ayant toujours collaboré à la bonne marche du port et se trouvant même associé à des réflexions ne relevant pas de son champs d'action.

- Aucun des griefs invoqués ne se trouve justifié, ce d'autant que les propos imputés sont sortis de leur contexte et que son licenciement était envisagé à la suite du congédiement du directeur général, ayant, en outre, vu ses attributions amoindries et ayant été évincé du comité de direction.

- En outre, la société n'a pas respecté la procédure conventionnelle de licenciement en ne consultant pas les délégués du personnel.

- Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences financières, outre des dommages et intérêts pour licenciement abusif de l'ordre de 24 mois de salaire.

Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 2 février 2023, dans lesquelles la société d'exploitation des ports du détroit (ci après SEPD), intimée et appelante incidente demande à la cour de :

A titre principal :

- INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'homme de Calais le 5 décembre 2019 en ce qu'il a : - Dit que le licenciement de M. [N] ne repose pas sur une faute grave;

- Condamné en conséquence la société au paiement des sommes suivantes :

- 19.998 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1.999 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférent ;

-3.775 € au titre du rappel de salaire pour la période du 12 au 19 décembre 2015 ;

-375 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférent ;

-750 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Statuant à nouveau,

- DECLARER que le licenciement de M. [N] repose sur une faute grave ;

- DECLARER que la procédure conventionnelle de licenciement est régulière ;

En conséquence,

- ORDONNER le remboursement par M. [N] des sommes versées par la SEPD à l'appelant au titre de l'exécution provisoire, soit 21.999,88 euros ;

- DEBOUTER M. [N] de l'ensemble de ses demandes

A titre subsidiaire :

- CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Calais le 5 décembre 2019 en ce qui a dit que le licenciement de M. [N] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- DEBOUTER M. [N] de ses demandes relatives aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible, la Cour d'appel venait à considérer que le licenciement de M. [N] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, il est demandé à la Cour, en l'absence de démonstration d'un quelconque préjudice, de limiter la condamnation de la SEPD au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum légal, soit 6 mois de salaire.

En tout état de cause,

- CONDAMNER M. [N] à verser à la SEPD la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- CONDAMNER M. [N] aux entiers dépens et frais de l'instance.

A l'appui de ses prétentions, la société SEPD soutient que :

- Suite au transfert de l'exploitation des ports et de son contrat de travail à la société SEPD, M. [T] [N] a adopté un comportement visant à dénigrer son président, à en critiquer les décisions devant des salariés placés sous son autorité, voire à l'insulter.

- Dans ce contexte, le licenciement de l'intéressé repose sur des faits réels qui justifiaient un licenciement pour faute grave, compte tenu de la gravité des faits reprochés en lien avec le fait de dénigrer la politique de gestion de l'entreprise et le président lui-même devant ses autres collègues et notamment les personnes qu'il avait à manager, ce de façon systématique et pendant plusieurs semaines ayant précédé son licenciement et alors qu'il disposait d'un statut de cadre supérieur et assumait d'importantes responsabilités.

- Les propos malveillants tenus et l'attitude d'insubordination de l'intéressé caractérisent une faute grave laquelle a été nuisible à la bonne marche de l'entreprise.

- M. [T] [N] doit, par conséquent, être condamné à rembourser à la société SEPD les sommes versées par elle au titre de l'exécution provisoire du jugement de première instance.

- Le salarié n'a pas été évincé arbitrairement du comité de direction lequel a été restreint aux membres occupant les plus hautes fonctions au sein de la société. Il n'a pas non plus été licencié des suites du licenciement de M. [I] [D], directeur général, dont le contrat à durée déterminée est arrivé à son terme.

- Le fait pour la société SEPD d'avoir payé une indemnité de licenciement à M. [N] ne constitue pas un aveu d'un licenciement pour faute grave non fondé mais résulte de l'application de la convention collective Ports et Manutention qui prévoit le paiement de ladite indemnité y compris en cas de faute grave.

- Il n'y a pas lieu d'écarter les attestations produites aux débats par l'employeur, au seul motif qu'elles émanent de salariés de l'entreprise, lesquels relatent des faits auxquels ils ont personnellement assisté.

- Aucune irrégularité dans la procédure de licenciement n'est, en outre, établie, dès lors que si les délégués du personnel n'ont pas été consultés dans le cadre du licenciement du 28 décembre 2015, ce défaut de consultation trouve son fondement dans l'annulation des élections professionnelles le 14 décembre 2015 intervenue quelques jours avant l'entretien préalable prévu le 20 décembre suivant.

- Subsidiairement, une telle irrégularité ne rend pas le licenciement de M. [N] abusif mais ouvre uniquement droit à une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

- M. [N] doit être débouté de l'ensemble de ses demandes financières. A titre infiniment subsidiaire, s'il devait être retenu un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le montant des dommages et intérêts doit être revu à la baisse, faute de preuve d'un préjudice avéré.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 8 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la procédure conventionnelle de licenciement et l'absence de consultation des délégués du personnel :

Conformément aux dispositions de l'article 6A 3° 1 b) de la convention collective nationale applicable, «'en cas de licenciement individuel, l'employeur sera tenu de réunir les délégués du personnel pour les informer'».

Il résulte de cette disposition l'obligation pour la société SEPD d'informer les délégués du personnel du licenciement.

Il n'est pas contesté que l'employeur n'a pas informé les délégués du personnel, la lettre de licenciement faisant, ainsi, état de l'impossibilité d'organiser une telle information, du fait de l'annulation des élections.

La société SEPD démontre, en effet, avoir organisé les élections professionnelles en son sein lesquelles se sont déroulées le 12 novembre 2015 et ont conduit à l'élection de plusieurs délégués du personnel.

Néanmoins, suivant jugement du tribunal d'instance de Calais du 14 décembre 2015, ces élections ont été annulées, soit 6 jours avant la date de l'entretien préalable prévu avec M. [T] [N] qui aurait dû conduire la société SEPD, persistant alors dans son intention de licencier après avoir entendu le salarié, à informer les délégués du personnel du licenciement, étant précisé que cette obligation d'information ne pouvait naître qu'après le déroulement de l'entretien préalable.

Ainsi, la société SEPD qui avait engagé la procédure de sanction pouvant conduire à un licenciement 3 jours avant l'annulation des élections des délégués du personnel et se trouvait contrainte par les délais de la procédure de licenciement était dans l'impossibilité absolue de procéder à l'information conventionnelle des délégués du personnel puisqu'elle n'en disposait alors plus jusqu'à ce que de nouvelles élections soient organisées, ce qu'elle a mis en oeuvre rapidement.

Il en résulte que le licenciement de M. [T] [N] n'est pas entaché d'une irrégularité liée au défaut d'information des délégués du personnel, formalité alors impossible à remplir du fait de l'annulation des élections professionnelle concomitante à la procédure de licenciement.

M. [T] [N] est, par conséquent, débouté de sa demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse fondée sur une irrégularité de la procédure.

Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.

Sur la faute grave :

Il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur. Il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

La faute grave est, par ailleurs, entendue comme la faute résultant d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Les juges du fond, pour retenir la faute grave, doivent, ainsi, caractériser en quoi le ou les faits reprochés au salarié rendent impossible son maintien dans l'entreprise. Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre des parties, il revient en revanche à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il reproche au salarié ; en cas de doute il profite au salarié.

En l'espèce, il résulte de la lettre de licenciement du 28 décembre 2015 que M. [T] [N] a été licencié pour avoir dénigré la politique de gestion de l'entreprise et le président lui-même devant ses autres collègues et notamment les personnes qu'il avait à manager, ce pendant plusieurs semaines et alors qu'en sa qualité de responsable, il devait, à l'inverse, en promouvoir la politique.

En premier lieu, concernant la force probante des attestations produites par la société SEPD, celles-ci ne sauraient être écartées, au seul motif qu'elles émanent de salariés placés sous la subordination de l'employeur dès lors qu'elles comportent la relation de faits précis et de propos détaillés dont la plupart sont, en outre, datés précisément. Aucun élément ne permet, par ailleurs, de remettre en cause leur objectivité, étant précisé qu'elles émanent de collaborateurs directs de l'appelant.

Il y a donc lieu de dire que les attestations produites sont précises et détaillées et n'ont pas à être écartées des débats.

Concernant les griefs invoqués dans la lettre de licenciement, il résulte des pièces produites que différents propos tenus par M. [T] [N] ont conduit certains de ses collaborateurs placés sous sa responsabilité à faire part de leurs inquiétudes concernant cette situation, la capacité de l'intéressé à poursuivre les projets qui lui avaient été confiés ainsi que les divergences de priorité (courrier du 24 novembre 2015 de M. [S] [Y] adressé au secrétaire général du CODIR).

Surtout, trois d'entre eux attestent de propos tenus de façon répétée mettant en cause la politique menée par la direction au sein de la société et dénigrant également son dirigeant.

Ainsi, Mme [K] [R] témoigne de ce que M. [T] [N] qui était son supérieur hiérarchique tenait des propos négatifs envers la direction de l'entreprise.

Surtout, l'assistante du salarié depuis avril 2011, Mme [H] [B], décrit de façon précise et datée les positions adoptées par l'intéressé mais surtout les propos dénigrants tenus par celui-ci de façon très régulière dirigés contre la société et son dirigeant et qu'elle indique être montés en intensité sur nombre de décisions ou prise de position de la SEPD tels que :

- le 8 octobre 2015 : «'fais relire le document aux filles, si les filles comprennent vu que c'est des filles, le président devrait comprendre'»

- le 9 octobre 2015 : «'J'ai montré le document à [U] [A]. Si un handicapé comprend le document, le président devrait réussir également'» (') «' comment le président peut justifier 50 embauches depuis le début de l'année alors qu'il n'y a pas l'activité qui le justifie'»,

- le 20 octobre 2015 : «'le président manage plus TRESCO que la SEPD parce qu'il a des intérêts financiers directs dans son entreprise pas chez nous'»,

- le 26 octobre 2015 : «'le président n'a plus aucune autorité'», «'le président est un gros nul'»

- le 19 novembre 2015 : «'dans notre organisation on ne recherche pas la performance. On fait du maquillage de chiffres on maquille les comptes'».

De la même façon, M. [S] [Y] atteste pour sa part avoir constaté que, dans le cadre du transfert des activités des ports de [Localité 2] et [Localité 3] à la SEPD et de la nouvelle organisation avec notamment la mise en place d'un CODIR restreint dont s'est trouvé exclu M. [N] ainsi que deux autres salariés et le transfert de services auparavant rattachés à l'intéressé, celui-ci a tenu des propos dénigrants vis à vis de la direction et de la politique de l'entreprise, ce de façon «'récurrente jusqu'à devenir quotidienne'» à l'occasion de réunions de service avec des collègues ou lors de réunions de travail sur des thématiques ou lors de transmission d'informations.

Le témoin rapporte, ainsi, des propos tels que «'Le président est un manager autoritaire. Il prend ses décisions de manière arbitraire et change d'avis comme le sens du vent. Mais qu'il nous fasse pas chier ! Il désorganise l'entreprise. Il ne diffuse pas la politique de développement durable. Il ne fait pas son travail'» ou encore «'[O] à la gestion immobilière, c'est n'importe quoi comme décision du président ! Je n'ai plus d'assistante et je suis rattaché au président un mec que je n'ai pas vu depuis trois mois, c'est excellent : C'est absolument n'importe quoi. (8 octobre 2015).

M. [Y] fait également état de ce que M. [T] [N] s'est exprimé de la façon suivante, le 13 novembre 2015 «'c'est complètement n'importe quoi cette organisation'» mais également le 18 novembre suivant «'le président est un débile mental'» ou encore le 7 décembre:

«'La dernière fois j'ai bien vu qu'ils magouillaient les comptes de la SEPD pour cacher leur connerie'», «'Si le FN passe tu penses que çà va continuer comme çà! Le FN ils vont faire cracher la bête ! Les FONTAINE, emplois fictifs du PS, tu crois que le FN va l'accepter encore longtemps'» menaçant également de tout faire pour «'saborder'» le projet de charte de développement durable.

Il résulte, par conséquent, de l'ensemble de ces éléments que les propos dénigrants et injurieux, tenus par M. [T] [N] excédaient les limites de sa liberté d'expression et sont constitutifs d'une faute légitimant son licenciement.

Néanmoins, au regard de l'ancienneté du salarié sans aucune sanction disciplinaire mais surtout du contexte dans lequel évoluait M. [T] [N] lié à la perte d'une partie de ses attributions antérieures (incendie. Immobilier. Prestataire nettoyage. Standard) d'ailleurs confirmée par un témoin de la société SEPD, ainsi qu'à son éviction (avec deux autres salariés) du comité de direction auquel il participait depuis des années, dans un contexte difficile de réorganisation générale, les manquements relevés ne caractérisent pas une faute grave, en ce que les faits reprochés n'ont pas, dans ces circonstances, rendu impossible le maintien de M. [N] dans l'entreprise, notamment pendant la durée du préavis.

Le licenciement pour faute grave est, ainsi, requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse et la mise à pied conservatoire est jugée infondée.

Le jugement entrepris est, par suite, confirmé en ce qu'il a dit le licenciement de M. [N] fondé sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement pour cause réelle et sérieuse :

Lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit a une indemnité de préavis, aux congés payés y afférents, au paiement d'un rappel de salaire lié à la mise à pied conservatoire infondée et à une indemnité de licenciement, étant précisé qu'en l'espèce, M. [T] [N] a perçu celle-ci dans le cadre de son solde de tout compte, conformément à la convention collective applicable qui en maintient le paiement y compris en cas de faute grave.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié, des dispositions de la convention collective applicable et de son salaire brut mensuel, M. [T] [N] est, par suite, fondé à obtenir le paiement des sommes suivantes dont le montant n'est pas contesté par la société SEPD :

- 19 998 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1999,80 euros au titre des congés payés y afférents,

- 3775 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire du 12 au 29 décembre 2015,

- 375,50 euros au titre des congés payés y afférents.

Le jugement entrepris est confirmé à cet égard.

Sur la demande de remboursement des sommes versées par la société SEPD au titre de l'exécution provisoire :

L'issue du litige conduit à ne pas faire droit à cette demande.

Sur les autres demandes :

Les dispositions afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles exposés en première instance sont infirmées.

Succombant à l'instance, la société SEPD est condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à M. [T] [N] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Calais le 5 décembre 2019, sauf en ce qu'il a condamné la société SEPD à payer à M. [T] [N] 750 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en ce qu'il a laissé aux parties la charge de leurs propres

dépens ;

STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT :

DEBOUTE la SOCIETE D' EXPLOITATION DES PORTS DU DETROIT (dite SEPD) de sa demande de restitution des sommes versées à M. [T] [N] au titre de l'exécution provisoire ;

CONDAMNE la SOCIETE D' EXPLOITATION DES PORTS DU DETROIT (dite SEPD) aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à M. [T] [N] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

LE GREFFIER

Cindy LEPERRE

LE PRESIDENT

Pierre NOUBEL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale d salle 3
Numéro d'arrêt : 19/02437
Date de la décision : 26/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-26;19.02437 ?
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