ARRÊT DU
26 Mai 2023
N° 761/23
N° RG 20/00052 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S2ZC
AM/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
20 Décembre 2019
(RG 19/00337 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 26 Mai 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTES :
EURL ETDC en liquidation judiciaire
S.E.L.A.R.L. MIQUEL & ARAS,
es qualités de liquidateur judiciaire de l'EURL ETDC
[Adresse 3]
représentée par Me David-Franck PAWLETTA, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉS :
M. [M] [R]
[Adresse 2]
représenté par Me Brigitte VAN-ROMPU, avocat au barreau de BETHUNE
Société CGEA,
assignée en intervention forcée par remise à personne morale le 03/05/2022
[Adresse 1]
n'ayant pas constitué avocat
DÉBATS : à l'audience publique du 04 Avril 2023
Tenue par Alain MOUYSSET
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Anne STEENKISTE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Réputé contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Mai 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 14 mars 2023
FAITS ET PROCEDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée M. [M] [R] a été embauché le 2 septembre 2013 par la société ETDC en qualité de tireur de câbles , niveau 3, position 1 , coefficient 210 de la convention collective du bâtiment occupant plus de 10 salariés.
Le 12 juillet 2019 le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur.
Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Lens, lequel par jugement en date du 29 décembre 2019 a :
Requalifié la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamné la société à payer au salarié les sommes suivantes :
-2623,50 euros nets au titre de l'indemnité légale de licenciement
-3600 euros à titre d'indemnité de préavis outre la somme de 360 euros pour les congés payés afférents
-10 800 euros net de CSG et de RDS à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-7116 euros à titre de rappel de salaire pour les temps de trajet outre la somme de 711,60 euros pour les congés payés afférents
-450 euros à titre de rappel de salaire pour retenue injustifiée outre la somme de 45 euros pour les congés payés afférents
-1411,34 euros à titre de rappel de congés payés
-2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Ordonné sous astreinte la remise des documents de fin de contrat rectifiés conformément au jugement, en se réservant le pouvoir de liquider ladite astreinte,
Débouté la société du surplus de ses demandes,
Rappelé les dispositions applicables en matière d'intérêts,
Ordonné l'exécution provisoire,
Condamné la société aux dépens.
Le 13 janvier 2020 la société a interjeté appel de ce jugement.
Après avoir été placée en redressement judiciaire, la société a été l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, et la Selarl Miquel § Aras a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Le salarié a assigné en intervention forcée cette dernière société en sa qualité de mandataire liquidateur ainsi que l'AGS CGEA.
Vu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 9 décembre 2022 par la Selarl Miquel § Aras en sa qualité de mandataire liquidateur de la société.
Vu les conclusions déposées le 16 novembre 2022 par le salarié.
Vu l'absence de constitution d'avocat par l'AGS CGEA bien que régulièrement assignée.
Vu la clôture de la procédure au 14 mars 2023.
SUR CE
De la rupture du contrat de travail
La prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse quand les griefs invoqués par le salarié à l'appui de celle-ci sont fondés, en revanche ladite prise d'acte doit produire les effets d'une démission quand aucun manquement grave à ses obligations ne peut être imputé à l'employeur.
Il appartient à ce titre au salarié de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Les moyens invoqués par la Selarl Miquel § Aras en sa qualité de mandataire liquidateur au soutien de l'appel formé par la société de ce chef ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la Cour adopte sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
Il convient d'ajouter tout d'abord que la société ne conteste pas ne pas avoir respecté les modalités de décompte du temps de travail effectif, avoir délivré tardivement des fiches de paie, avoir connu des problèmes au niveau du télépéage et de la carte de carburant du fait de la suspension des contrats afférents à la suite de la résiliation du contrat d'affacturage.
Elle conteste en revanche l'existence de manquements en matière d'obligation de sécurité et de déclaration des congés payés, fournissant par ailleurs des explications pour l'intégralité des griefs formulés à son encontre.
La société soutient ainsi que le non-respect des modalités de décompte du temps de travail effectif, par l'absence de prise en compte des trajets effectués entre le siège social de l'entreprise où le salarié devait se présenter avant de se rendre sur les chantiers, ou encore des trajets entre deux chantiers, était compensé par une arrivée tardive sur le lieu d'exécution de la prestation de travail.
Toutefois la société procède par voie d'affirmation ne fournissant aucun élément de nature à justifier de la réalité d'une compensation à un défaut de prise en compte des temps de trajet effectués dans les conditions précitées.
Par voie de conséquence ce grief est fondé, étant précisé que la société reconnait à titre subsidiaire être redevable d'une somme de plus de 6000 euros.
En ce qui concerne le reproche relatif à la délivrance tardive des bulletins de salaire et le paiement de la rémunération avec le même retard, la société fait valoir à juste de titre, au regard du caractère limité de ce type d'incidents, que ce grief n'est pas suffisamment grave pour fonder une prise d'acte mais ne prend pas en compte qu'en présence d'autres manquements il participe de l'existence d'un fondement et d'une impossibilité de maintien du contrat de travail.
Par ailleurs si les difficultés rencontrées par la société à la suite de la maladie d'une secrétaire, et du décès du dirigeant, étant pour partie à l'origine de l'ouverture d'une procédure collective, peuvent être prises en compte dans le cadre de l'appréciation de la cour, pour autant il ne peut pas être exigé d'un salarié de supporter les manquements de son employeur inhérents à des difficultés, alors que lui-même doit faire face au paiement des charges liées à l'entretien de sa famille.
Il importe de souligner à ce titre que les accusations de la société, selon lesquelles le salarié aurait profité de la situation pour organiser son départ en vue de la création de sa propre entreprise, ne reposent sur aucun élément objectif, si ce n'est la réalité de ladite création, alors même que l'existence de manquements n'est pas contestable et qu'il ont perduré dans le temps malgré les multiples demandes de régularisation du salarié.
Relativement au manquement ayant trait aux frais de péage et de carburant, la société, après avoir fait valoir que le salarié bénéficie d'une avance à hauteur de 100 euros, soutient que ce manquement n'est pas suffisant pour justifier une prise d'acte.
Toutefois il convient de constater l'insuffisance de l'avance, comme cela ressort notamment d'échange de SMS à travers lesquels il apparait que lors d'un chantier le salarié a été amené à avancer les frais de péage mais ne disposait pas des liquidités nécessaires pour le carburant, rappelant à ce titre à l'employeur le défaut de paiement de l'intégralité de sa rémunération.
Il y a lieu par ailleurs de rappeler que la conjonction de plusieurs manquements n'étant pas en eux même de nature à fonder une prise d'acte peut constituer un tel fondement.
En ce qui concerne la non-déclaration des dates de congés payés, un tel manquement est établi au regard notamment de la lettre émanant de la caisse de congés payés, étant précisé que ladite déclaration devait intervenir avant la rupture du contrat de travail.
Toutefois contrairement à ce que soutient le salarié, il résulte d'un décompte de cette même caisse postérieur au précédent courrier que le salarié a bénéficié ensuite du paiement d'indemnités de congés, de sorte que le préjudice du salarié se limite à l'important retard pris dans le cadre du règlement des sommes dues.
S'agissant de la violation de l'obligation de sécurité, la société affirme que le dysfonctionnement du véhicule mis à la disposition du salarié se limitait à la présence d'un fusible grillé, que le salarié n'aurait pas changé malgré l'obligation lui en étant faite aux termes du règlement intérieur.
Toutefois la société ne fournit aucun élément de nature à justifier de la réalité de l'origine du dysfonctionnement du véhicule, étant observé que le salarié a fait part par dans un message des difficultés rencontrées dans l'utilisation de ce moyen de transport et des risques encourus à ce titre.
Il apparaît que ce grief à l'image de l'ensemble des autres manquements imputés à l'employeur est fondé.
Par ailleurs tant leur accumulation que l'importance de certains, comme l'absence de prise en compte d'une partie du travail effectif et la fourniture d'un camion défectueux, leur confèrent la gravité suffisante pour justifier la prise d'acte, étant observé que contrairement à ce que soutient la société, le salarié a formulé à plusieurs reprises des revendications, manifestant par là même qu'il ne considérait pas lesdits lanquements comme ne faisant pas obstacle à la poursuite du contrat de travail.
La multiplication des manquements, le placement du salarié dans des situations inextricables pouvant mettre parfois en cause sa sécurité, l'absence de réponse à ses revendications et l'alerte effectuée, suffisent à établir l'impossibilité du maintien des relations contractuelles, de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a dit que la prise d'acte doit reproduire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et quant au rejet de la demande reconventionnelle de la société en paiement d'une indemnité au titre du préavis non exécuté.
Le jugement entrepris doit également être confirmé relativement à l'octroi et aux montants des indemnités de licenciement et de préavis et congés payés afférents, dans la mesure où le conseil de prud'hommes a fait une juste appréciation des sommes dues au regard des rextes applicables.
En ce qui concerne les dommages et intérêts alloués pour absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, il convient de constater que le salarié ne fournit pas assez d'éléments relativement à sa situation au monent du licenciement, reconnaissant la création de sa propre entreprise en la présentant comme une obligation au regard des circonstances.
Compte tenu de cette carence partielle, de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, de l'effectif de cette dernière, de la qualification du salarié lui ayant permis de créer sa propre société, des circonstances de la rupture, il y a lieu de limiter à la somme de 8000 euros sur laquelle devront être déduits les montant de la CSG et du RDS, de sorte que le jugement entrepris doit être infirmé sur ce point.
Il y a lieu de préciser que le jugement entrepris doit être infirmé relativement à l'ensemble des demandes indemnitaires du salarié, dans la mesure où le conseil de prud'hommes a procédé par voie de condamnation, et que la société a été par la suite l'objet d'une liquidation judiciaire.
De la demande en rappel de salaire au titre des temps de trajet
La société est redevable d'un rappel de salaire dans la mesure où elle n'a pas payé l'intégralité du temps de travail effectif, et où elle ne justifie pas de la réalité de la compensation allouée.
Il y a lieu néanmoins de limiter à la somme de 6139,66 euros le montant du rappel de salaire comme le demande la société, dans la mesure où elle se prévaut à juste titre de la prise en compte d'un taux horaire de travail n'étant pas celui-ci correspondant à l'intégralité de la période de revendication et d'un nombre excessif de kilomètres retenu pour les trajets effectués.
De la demande en rappel de salaire au titre de la retenue opérée
Il convient de confirmer le jugement entrepris dès lors qu'il appartient à l'employeur qui opère une retenue sur salaire de justifier de son fondement, et qu'en l'espèce le salarié a fait part de son impossibilité d'exécuter sa prestation de travail en raison de dysfonctionnements du véhicule de la société et les risques encourus au niveau de la sécurité.
Or non seulement la réalité de dysfonctionnement n'est pas contestable, mais il apparait que les allégations de la société quant à la possibilité pour le salarié d'y remédier sont totalement infondées.
De la demande titre des congés payés
Il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en qu'il ressort de la procédure que le salarié a finalement été destinataire d'une indemnité au titre des congés payés, comme cela relève d'un relevé concernant les indemnités pour congés payés réglées par la caisse concernée.
De la remise des documents de fin de contrat
S'il convient d'ordonner la remise d'une attestation pôle emploi, d'un certificat de travail et d'un solde de tout compte rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt, pour autant il n'y a pas lieu de recourir au mécanisme de l'astreinte pour garantir la remise de ces documents.
De la demande en paiement des frais d'exécution de la décision de première instance
Il convient de débouter le salarié de sa demande en condamnation au paiement des frais d'exécution de la décision de première instance dans la mesure où le salarié dispose déjà d'un titre exécutoire pour obtenir le règlement de frais liés à l'exécution de cette décision, et que contrairement à ce que ce dernier soutient lesdits frais ne concernent qu'en partie les honoraires de l'huissier de justice, comme cela ressort d'un courrier émanant de ce dernier.
De l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Des dépens
En sa qualité de mandataire liquidateur de la société la Selarl Miquel § Aras doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de M. [M] [R] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et l'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,
Fixe la créance de M. [M] [R] dans la procédure collective de la société ETDC aux sommes suivantes qui seront inscrites sur l'état des créances déposées au greffe du commerce conformément aux dispositions de l'article L. 621-129 du code de commerce:
-8000 euros euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-6139,66 euros à titre de rappel de salaire outre la somme de 613,96 euros pour les congés payés afférents
-3600 euros à titre d'indemnité de préavis outre celle de 360 euros pour les congés payés afférents
-2623,50 euros à titre d'indemnité de licenciement
-450 euros à titre de rappel de salaire pour la retenue injustifiée outre la somme de 45 euros pour les congés payés afférents,
Précise que le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous intérêts de retard et majoration,
Dit la présente décision opposable à l'AGS CGEA de [Localité 4] dans les limites prévues aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,
Dit que l'obligation de l'AGS CGEA de [Localité 4] de faire l'avance les sommes ci-dessus énoncées ne pourra s'exécuter que sur présentation d' un relevé par le mandataire judiciaire,
Déboute M. [M] [R] de sa demande au titre d'un rappel d'indemnité de congés payés,
Déboute M. [M] [R] de sa demande au titre des frais d'exécution du jugement du conseil de prud'hommes,
Ordonne à la Selarl Miquel § Aras en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ETDC de remettre à M. [M] [R] une attestation pôle emploi, un certificat de travail, un solde de tout compte rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt,
Dit n'y avoir lieu à recourir à une astreinte pour garantir la remise de ces documents,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Selarl Miquel § Aras en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ETDC aux dépens.
LE GREFFIER
Cindy LEPERRE
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS