République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 08/06/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/03104 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TEOJ
Jugement (N° 19-000874)
rendu le 22 juin 2020 par le tribunal de proximité de Tourcoing
APPELANT
Le syndicat des copropriétaires Jardins de l'Enclos représenté par son syndic la SARL Ledoux
pris en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Nicolas Lebon, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉE
La SCI Le 437
prise en la personne de son gérant Monsieur [Z] [K]
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 02 janvier 2023 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 juin 2023 après prorogation du délibéré en date du 23 mars 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 janvier 2023
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La SCI Le 437 (ci-après « la SCI'») est propriétaire depuis 2014 de divers lots dans la résidence Les Jardins de l'Enclos, dont le lot 57 consistant en une place de stationnement extérieure.
Faisant état de l'impossibilité d'utiliser cette place telle qu'elle est figurée sur le plan d'architecte annexé au règlement de copropriété en raison de la présence, sur celle-ci, du local poubelle, d'un muret et de haies, elle a fait assigner le syndicat des copropriétaires (ci-après «'le syndicat'») devant le tribunal de proximité de Tourcoing afin principalement de le voir déclaré responsable de son préjudice et condamné à remettre en état l'emplacement en question ou à en créer un identique ainsi qu'à lui verser des dommages et intérêts.
Par jugement du 22 juin 2020, le tribunal a :
- déclaré son action recevable,
- déclaré le syndicat responsable des préjudices subis par elle du fait de l'atteinte portée au droit de propriété dont elle dispose sur les parties privatives du lot n° 57,
- condamné ledit syndicat à procéder, dans le délai de six mois à compter de la signification de la décision, à des travaux de remise en état du lot n°57 afin que la destination, la contenance et l'implantation de ce lot soient conformes au règlement de copropriété et au plan masse d'aménagement des parkings et garages référence DCE 001 B dressé par M.'[M],
- précisé que dans le cadre de ces travaux, il appartiendrait au syndicat de prévoir la délimitation du lot n°57 au moyen d'une bordure de type pavés,
- dit que le syndicat devrait, si besoin, procéder à ses frais à la modification et la publication du règlement de copropriété et l'y a condamné en tant que de besoin,
- exonéré la SCI Le 437 des charges de copropriété qui pourraient être appelées par le syndicat au titre de l'exécution de ladite décision,
- rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la SCI au titre de son préjudice financier,
- condamné le syndicat aux dépens de l'instance, rejeté sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles et condamné celui-ci à payer à la SCI la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le syndicat a interjeté appel de ce jugement et, par ses dernières conclusions remises le 1er décembre 2022, demande à la cour de l'infirmer et de :
- déclarer irrecevables les demandes de la SCI pour cause de prescription,
- déclarer irrecevables les conclusions «'des intimés et appelant incident'» en application de l'article 954 du code de procédure civile,
- débouter la SCI de ses demandes nouvelles en cause d'appel et de toutes ses demandes,
- le décharger des condamnations prononcées contre lui en principal, intérêts, frais et accessoires,
- subsidiairement, débouter la SCI de ses demandes indemnitaires,
- la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions remises le 15 décembre 2022, la SCI demande à la cour de':
premièrement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le syndicat responsable du préjudice subi par elle sur le fondement de l'article 1240 du code civil et, subsidiairement, retenir la responsabilité du syndicat sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage,
- condamner le syndicat à la remise en état du parking emplacement 57 à l'identique des 8 autres parkings privatifs avec marquage et stabilisation du sol selon le plan masse de l'architecte pour un montant de 5 250 euros (pièce 16),
- à défaut, condamner celui-ci à la création, dans le même délai, d'un parking à l'identique des 8 autres parkings et orienté selon l'hypothèse conditionnelle avancée par la partie adverse (pièce 17) avec toutefois les marquage et stabilisation du sol pour un montant de 2 639 euros (pièce 18) majorés des frais de géomètre pour l'édition de la modification du règlement de copropriété et son enregistrement au fichier immobilier,
- quelles que soient les modalités retenues, fixer un délai de réalisation de 3 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et, au-delà de cette date, une astreinte provisoire de 30 euros par jour pendant 6 mois, se réserver la liquidation de l'astreinte,
- confirmer le jugement en ce qu'il a dispensé la SCI des charges supplémentaires liées aux condamnations,
deuxièmement,
- faisant droit à son appel incident et infirmant le jugement, condamner le syndicat à lui payer la somme de 7 350 euros pour la perte de loyers arrêtée au 20 Septembre 2022 sous réserve de parfaire,
troisièmement,
- condamner le syndicat à lui verser une somme complémentaire de 5 000'euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel,
- dire que la SCI sera exonérée des dépens et frais irrépétibles mis à la charge de la copropriété, conformément à l'article 10-1 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La description de la configuration des lieux est nécessaire à la compréhension du litige et à sa résolution, y compris en ce qui concerne la recevabilité, contestée, des demandes de la SCI.
La résidence des Jardins de l'Enclos, copropriété créée en 1982, comprend un terrain sur lequel sont érigés une ancienne «'maison de maître'» divisée en appartements (bâtiment A) et deux bâtiments (B et C) abritant des garages, ces deux bâtiments étant alignés mais séparés par un espace plus ou moins végétalisé.
L'état descriptif de division figurant dans le règlement de copropriété mentionne que le lot n° 57, situé entre les bâtiments B et C, comprend une place de parking et les 21/10 000è des parties communes de la propriété.
Il précise que « l'ensemble de la propriété a été étudiée et rédigée'» en fonction de trois plans, à savoir :
- un plan masse dressé par le cabinet [O] [V] et [N], géomètres experts,
- un plan d'aménagement du bâtiment A par niveaux, du 18 février 1982, dressé par M.'JP'[M], architecte,
- un plan masse d'aménagement des parkings et garages, du 16 avril 1982, dressé par M.'[M].
Lorsque l'on est face aux façades des bâtiments B et C comportant les portes des garages, le bâtiment B est celui de droite.
Le litige s'explique de la façon suivante :
- sur les deux plans de l'ensemble de la propriété, le lot n° 57 se trouve bien entre le bâtiment B et le bâtiment C ;
- cependant, sur le plan d'aménagement des parkings et garages de l'architecte, il est représenté comme un rectangle, contigu sur environ un tiers de sa longueur au mur extérieur gauche du bâtiment B, le surplus se dirigeant vers la voie de circulation. Or, sur la partie contiguë à ce mur, se trouve un appentis servant de local poubelle, un muret et une haie qui rendent inutilisable comme tel l'emplacement de stationnement ainsi défini ;
- sur le plan du géomètre, ce rectangle est également à gauche du bâtiment B mais un peu en avant, devant le local poubelle. Toutefois, selon la SCI, sa longueur entre ce local et la voie de circulation est insuffisante pour garer un véhicule de taille moyenne.
Il n'est pas contesté que cette configuration est d'origine. Cependant, comme le fait remarquer le syndicat au vu des dates figurant sur les plans, le plan du géomètre est postérieur au plan de l'architecte, ce qui conduit à penser qu'il a tenu compte de la présence de l'appentis, rendant nécessaire d'avancer l'emplacement de stationnement.
SUR CE, il convient d'examiner la fin de non recevoir tirée de la prescription.
Le syndicat fait d'abord valoir que, sous couvert d'une action en responsabilité, la SCI exerce en fait une action en revendication du lot 57 tel qu'il aurait dû être livré, action réelle soumise à une prescription trentenaire dont le point de départ se situe au moment de la livraison au premier propriétaire, soit 1982, les ventes successives étant sans influence sur la prescription, que celle-ci était donc acquise en 2012 et que l'action engagée en 2019 est irrecevable.
Toutefois, la cour est expressément saisie d'une action en responsabilité, fondée sur l'article 1240 du code civil et subsidiairement sur le trouble anormal de voisinage, avec une demande de réparation en nature, de sorte qu'il convient de l'examiner en premier lieu sous cet angle.
Le syndicat se prévaut, dans ce cadre, de l'article 2224 du code civil aux termes duquel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'» et fait valoir que, la SCI ayant acquis ses lots le 15 juillet 2014 et son gérant connaissant la difficulté dès l'origine, la prescription a couru à compter de cette date et était acquise le 15 juillet 2019, avant l'introduction de la procédure par acte du 27 septembre 2019.
Il est exact que l'action en responsabilité engagée par la SCI est soumise à la prescription quinquennale instaurée par cet article.
L'acte d'achat de son bien par la SCI est effectivement du 15 juillet 2014, il précise qu'elle en est propriétaire et en a la jouissance par la prise de possession réelle dès ce jour, de sorte que, indépendamment de ce qu'elle est censée avoir visité attentivement les lieux auparavant, elle a été en mesure au plus tard à cette date de découvrir la situation qu'elle dénonce et le préjudice en résultant.
Qui plus est, les pièces versées aux débats révèlent qu'en réalité, elle avait déjà connaissance de cette situation. D'une part, il n'est pas contesté que M. [U] [K], associé et locataire de la SCI depuis 2014, avait été copropriétaire dans cette petite résidence de 1982, date de sa création, à 1996 et a pu être au fait de la difficulté. D'autre part et surtout, si l'acte d'achat de la SCI, qui a été précédé d'un pré-contrat conclu par les vendeurs avec M.'[U] [K] personnellement auquel s'est substituée la SCI pour la régularisation de la vente, désigne les lots, y compris le 57, tels qu'ils sont décrits par le règlement de copropriété, il ajoute après cette description (page 4) « Les parties précisent que la place de parking (lot 57) se situe entre le lot 58 et le lot 76'», c'est-à-dire à un tout autre endroit, de l'autre côté du bâtiment C, puis que l'acquéreur prend les biens « tels que lesdits biens existent, se poursuivent et se comportent'» et enfin « précision est ici faite qu'il s'agit des plans extraits de l'état descriptif de division qui ne correspondent plus à la situation actuelle'». Ainsi, M.'[K] et la SCI ont accepté en toute connaissance de cause un emplacement de stationnement, désigné comme le lot n° 57, différent de l'emplacement que lui attribuait l'état descriptif de division, quoique ledit emplacement, partie commune, n'appartînt pas aux vendeurs.
Ce qui ressort de l'ensemble des titres, courriers échangés et conclusions, c'est qu'il a été admis pendant un certain temps que les propriétaires ou locataires du lot 57, dont M.'[K], peut-être en raison de la configuration de ce lot, stationnent leur véhicule sur des places dépendant des parties communes, telles que la place visée par l'acte de vente, entre le lot 58 et le lot 76, ou une place située perpendiculairement au lot 57, destinées à l'usage commun et aux visiteurs, jusqu'à ce que cela soit contesté, d'où le litige dont la réalité et la nature auraient dû raisonnablement conduire les parties à lui trouver une solution négociée.
Quoi qu'il en soit, l'action en responsabilité engagée plus de cinq ans après le moment où la SCI a eu connaissance des faits lui permettant de l'exercer est prescrite, quel qu'en soit le fondement..
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la SCI pour préjudice financier, de déclarer irrecevables ses demandes relatives à la remise en état du lot 57 ou à la création d'une place de stationnement standard et de la débouter de ses autres demandes.
Il appartient à la SCI, partie perdante, de supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Il est en outre équitable qu'elle indemnise l'intimé, en application de l'article 700 du même code, des autres frais qu'il a été contraint d'exposer pour assurer la défense de ses intérêts.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la SCI Le 437 pour préjudice financier, et, statuant à nouveau,
déclare irrecevables les demandes de la SCI Le 437 relatives à la remise en état du lot 57 ou à la création d'une place de stationnement,
la déboute de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles,
la condamne aux dépens de première instance et d'appel et au paiement au syndicat des copropriétaires de la résidence Les Jardins de l'Enclos d'une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet