ARRÊT DU
30 Juin 2023
N° 892/23
N° RG 21/00525 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TR4H
MLBR/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lens
en date du
11 Mars 2021
(RG F19/00236 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 30 Juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Association APREVA REALISATIONS MEDICO SOCIALES
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Nathalie THIEFFINE, avocat au barreau d'AMIENS
INTIMÉ :
M. [I] [N]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par M. [G] [F] (Défenseur syndical)
DÉBATS : à l'audience publique du 09 Mai 2023
Tenue par Marie LE BRAS
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11 avril 2023
EXPOSÉ DU LITIGE':
L'association Apreva Realisations Medico Sociales (ci-après dénommée l'association Apreva RMS) est spécialisée dans le secteur d'activité de l'hébergement médicalisé pour personnes âgées.
M. [N] [I] a été embauché par l'association Apreva RMS à compter du 27 mars 2017 en qualité d'aide soignant.
La convention collective de l'hospitalisation privée à but non lucratif est applicable à la relation de travail.
Le 8 octobre 2018, M. [I] a été convoqué à un entretien fixé au 19 octobre 2018, préalable à un éventuel licenciement et a été mis à pied à titre conservatoire.
Le 6 novembre 2018, l'association Apreva RMS lui a notifié son licenciement pour faute grave lui reprochant notamment une volonté délibérée de ne pas respecter les procédures de soins en place et un comportement irrespectueux vis-à-vis de ses collègues de travail.
Par requête du 25 juin 2019, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Lens afin de contester son licenciement et d'obtenir diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail.
Par jugement contradictoire du 11 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Lens a':
- dit le licenciement de M. [I] abusif,
- condamné l'association Apreva RMS à payer à M. [I] les sommes suivantes':
*1 800 euros net au titre des dommages-intérêts pour licenciement abusif,
*1 731,40 euros brut au titre de l'indemnité de préavis, outre 173,14 euros net au titre des congés payés sur préavis,
*950 euros net au titre de l'indemnité de licenciement,
*500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [I] du surplus de ses demandes,
- ordonné l'exécution provisoire au titre de l'article 515 du code de procédure civile,
- précisé que conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal, à compter de la demande pour toutes les sommes de nature salariale, et à compter du prononcé du présent jugement pour tout autre somme,
- débouté l'association Apreva RMS de sa demande reconventionnelle,
- condamné l'association Apreva RMS aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 19 avril 2021, l'association Apreva RMS a interjeté appel du jugement rendu en toutes ses dispositions.
Par ordonnance du 16 décembre 2022, le conseiller de la mise en état a':
- rejeté le moyen de caducité soulevé par M. [I],
- déclaré irrecevables les conclusions de M. [I] envoyées le 15 octobre 2021 ainsi que les pièces déposées au soutien desdites conclusions,
- débouté les parties de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées le 7 avril 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, l'association Apreva RMS demande à la cour d'infirmer le jugement rendu en ses dispositions critiquées, et statuant à nouveau de':
à titre principal,
- juger que le licenciement pour faute grave du salarié est fondé,
- juger la procédure de licenciement respectée et conforme au code du travail,
- débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes,
à titre subsidiaire,
- débouter le salarié de sa demande indemnitaire relative au licenciement abusif,
- se reporter au barème macron et appliquer le minima pour moins de 2 années d'ancienneté à savoir un mois de salaire compte tenu de l'absence de démonstration du préjudice,
en toute hypothèse,
- débouter M. [I] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [I] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION':
Du fait de l'irrecevabilité prononcée par le conseiller de la mise en état, M. [I] est réputé s'être approprié les motifs du jugement. Il conviendra donc d'examiner la recevabilité et le bien fondé des prétentions de l'association Apreva RMS au vu d'une part de la motivation retenue par les premiers juges et des éléments présentés par l'appelante au soutien de ses demandes.
- sur le licenciement de M. [I] :
La faute grave privative du préavis prévu à l'article L1234-1 du même code est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.
II appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si les faits reprochés sont constitutifs d'une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.
Aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave qui fixe les limites de l'objet du litige, l'association Apreva RMS reproche à M. [I] les fautes suivantes :
- le non-respect des protocoles de soins et des directives de ravitaillement, plus précisément du protocole de changes pour chaque résident qui précise l'heure et le type de change, dénonçant la persistance de M. [I] à ouvertement refuser de le respecter, notamment les 5,6 et 25 septembre 2018, 'les produits posés ne correspondant pas au protocole validé',
- la tenue de propos agressifs et irrespectueux vis-à-vis des équipes de travail :
*le 28 août 2018, en ayant reproché à ses collègues de l'équipe de jour de ne pas avoir couché 4 résidents, en ces termes 'c'est le carnaval ici', 'je ne vais pas t'apprendre à faire ton travail', 'c'est toujours la même équipe', contraignant ainsi ces derniers à 'coucher de force les résidents restés debout', contrairement aux bonnes pratiques,
* les 5 et 6 septembre 2018, alors qu'il lui était fait le reproche de se servir dans les réserves contrairement au protocole de change, perturbant la gestion des stocks, d'avoir déclaré devant l'équipe: 'je m'en bats les couilles' et que Mme [E] 'se démerde',
- des manquements aux procédures de suivi d'activité : d'une part, en se dispensant de badger régulièrement au moment des soins en chambre, ce qui ne permet pas de s'assurer qu'ils ont été effectivement réalisés en l'absence de trace de passage et de se justifier en cas de plainte des résident et leur famille, d'autre part, en badgeant alors que les soins sont réalisés par une autre personne, ces constats ayant été faits sur les nuits des 15, 16 et 25 septembre 2018 concernant 5 résidents,
- une insubordination manifeste et assumée face aux directives de la hierarchie : par ses propos susvisés concernant le protocole de changes, le refus affirmé de respecter ces derniers, ainsi que par son absence à la réunion d'équipe du 4 octobre 2018 à laquelle il avait été convoqué le 19 septembre.
L'employeur résume ces griefs en ces termes : 'votre insubordination injustifiée et votre comportement irrespectueux à l'égard de vos collègues et des règles d'hygiène et de confort dont sont en droit d'attendre nos résidents ne permettent pas d'assurer des soins conformes à nos attentes mettant en plus de cela la réputation de notre établissement à mal.'
L'association Apreva RMS fait grief au jugement d'avoir considéré le licenciement de M. [I] comme étant abusif, alors que selon elle, ces manquements sont établis par de nombreux éléments qu'elle détaille, et ont été en partie reconnus par le salarié même s'il a tenté de les expliquer par des arguments qu'elle juge maladroits.
Aux termes du jugement, les premiers juges ont qualifié le licenciement de M. [I] d'abusif pour les motifs suivants : 'en l'espèce, les faits sont certes avérés mais ne sont pas constitutifs de la faute grave(...)', après avoir relevé que dans son courrier de contestation fait le 28 décembre 2018, M. [I] avait reconnu en partie les griefs 'tout en justifiant à chaque fois sa position selon lesdits griefs'.
L'intimé étant réputé s'approprier les motifs du jugement, il en résulte que la matérialité des fautes visées dans la lettre de licenciement est acquise aux débats. Elles sont en tout état de cause établies à travers notamment :
- les fiches de déclaration d'évenement indésirable des 29 août et 11 septembre 2018 concernant l'altercation du 28 août 2018 et le non respect du protocole des changes, un entretien ayant été organisé le 11 septembre à ce sujet,
- l'historique des badgeages des nuits des 15 et 16 septembre 2018 en comparaison avec le tableau des incohérences relevées sur lesquelles M. [I] ne s'explique pas dans son courrier du 29 décembre 2018 sauf à dire qu'il a pu y avoir des oublis de badgeage dans la chambre de Mme [K] et à admettre qu'avec son collègue, ils badgeaient à tour de rôle et se répartissaient les transmissions, ce en violation des procédures pourtant connues de suivi des activités et soins,
- le courriel de signalement du 16 septembre 2018 émanant de Mme [O], infirmière, évoquant à la fois les incohérences de badgeage du week-end mais également les dysfonctionnements constatés après les nuits de garde de M. [I] et de son collègue, (protection de résident saturée d'urine, plainte d'une résidente de l'absence de passage des 2 aides soignants dans sa chambre, installation d'alèse contraire au protocole des changes),
- des attestations de plusieurs salariés concernant d'une part, les propos tenus par M. [I] les 5 et 6 septembre concernant le refus de suivre le protocole des changes et la hierarchie, d'autre part, ceux visant ses collègues le 28 août 2018.
Il sera aussi observé qu'il n'est pas fait état dans la lettre de contestation de M. [I] du 29 décembre 2018 et dans le jugement du fait que le salarié aurait avant son licenciement dénoncé à son employeur l'impossibilité de mener à bien sa mission en raison de l'insuffisance des moyens mis à sa disposition.
Eu égard à la faible ancienneté de M. [I] dans l'entreprise, au cumul en à peine un mois des fautes visées dans la lettre de licenciement, et à la nature de celles-ci, à savoir le non respect délibéré des directives concernant la prise en charge des résidents et de la procédure de suivi des activités, caractéristiques d'actes d'insubordination, ainsi que la tenue de propos irrespectueux à l'égard de sa hierarchie directe et excessifs à l'égard de ses collègues de l'équipe de jour, lesdits manquements, pris dans leur ensemble, sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de la relation de travail, même pendant la durée limitée du préavis, compte tenu plus particulièrement de leur incidence directe sur les conditions de vie et d'hygiène des résidents et de l'atteinte portée au bon déroulement de leur prise en charge au titre de laquelle l'association Apreva RMS est susceptible d'engager sa responsabilité.
Pour l'ensemble de ces raisons, il convient, par voie d'infirmation, de retenir que le licenciement pour faute grave de M. [I] est fondé et de débouter l'intéressé de l'ensemble de ses demandes.
- sur les demandes accessoires :
Au vu de ce qui précède, le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, M. [I] devra supporter les dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande en revanche de débouter l'association Apreva RMS de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris en date du 11 mars 2021 en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
DIT que le licenciement pour faute grave de M. [N] [I] est fondé ;
DÉBOUTE M. [N] [I] de l'ensemble de ses demandes ;
DÉBOUTE l'association Apreva Realisations Medico Sociales de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que M. [N] [I] supportera les dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS