AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE
DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 23/23
n° RG : 22/00029
A l'audience publique du 5 juillet 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [E] [D], né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 5]
Ayant élu domicile au cabinet de son avocat Me Julien BENSOUSSAN, [Adresse 2]
ayant pour conseil Me Julien BENSOUSSAN, avocat au barreau de Lille
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 7 juin 2023 à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Michel REGNIER, avocat général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 4]
[Localité 3]
ayant pour avocat Me Dimitri DEREGNAUCOURT, avocat au barreau de Douai
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Exposé de la cause
Par requête en date du 11 octobre 2022, reçue au greffe de la cour d'appel le 25 octobre suivant, M. [E] [D] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
Le 11 mars 2022, M. [D] a été déféré devant le procureur de la République dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate pour des faits de détention de stupéfiants en état de récidive légale.
M. [D] ayant sollicité un délai pour préparer sa défense, le tribunal correctionnel de Lille a, par jugement du même jour, renvoyé l'affaire à l'audience du 21 avril 2022 et placé le requérant en détention provisoire.
Par jugement en date du 21 avril 2022, le tribunal correctionnel de Lille a renvoyé M. [D] des fins de la poursuite après avoir fait droit à une exception de nullité soulevée par son conseil.
La détention provisoire de M. [D] a donc duré du 11 mars 2022 (date de son placement en détention provisoire) au 21 avril 2022 (date du jugement de relaxe), soit pendant 42 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 10.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- 1.800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil de M. [D] renonce à l'audience à la demande présentée au titre de son préjudice matériel lié à ses frais de défense.
Dans ses conclusions reçues au greffe de la cour d'appel le 13 février 2023, l'agent judiciaire de l'Etat conclut à l'irrecevabilité de la requête faute de production du certificat de non appel.
Après la production du certificat de non appel à l'audience, il conclut à la recevabilité de la requête, propose de réparer le préjudice moral à hauteur de 6.000 € et sollicite le débouté de la demande portant sur le préjudice matériel. Par ailleurs, il conclut à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures en date du 15 février 2023, le ministère public requiert qu'en l'état, et à défaut de production d'un certificat de non-appel, la requête soit déclarée irrecevable en la forme.
Après la production du certificat de non appel à l'audience, il demande que la requête soit déclarée recevable, que le préjudice moral de M. [D] soit indemnisé à hauteur de 4.000 € et indique s'en rapporter aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat s'agissant des autres demandes.
Au terme des débats tenus le 7 juin 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 5 juillet 2023.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
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En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
En l'espèce, la requête a été déposée le 25 octobre 2022, soit dans le délai de six mois suivant le jugement de relaxe rendu par le tribunal judiciaire de Lille le 21 avril 2022.
Figure au dossier un certificat en date du 24 mars 2023 établi par le greffier du tribunal judiciaire de Lille attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de ce jugement.
En conséquence, la décision est définitive et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
Il convient tout d'abord de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [D] porte mention de sept condamnations antérieures à son incarcération :
- le 1er avril 2014, par le tribunal correctionnel de Lille, à 200 € d'amende de composition pour des faits de conduite sous l'empire d'un état alcoolique ;
- le 12 octobre 2016, par la même juridiction, à 11 mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une mise à l'épreuve pendant 1 an et 6 mois pour des faits de refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, conduite sans permis, usage illicite de stupéfiants, conduite de véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, circulation avec un véhicule terrestre à moteur sans assurance et conduite d'un véhicule en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ;
- le 4 septembre 2019, par le président du tribunal de grande instance de Dunkerque, à 300 € d'amende pour des faits de port sans motif légitime d'une arme blanche ou incapacitante de catégorie D ;
- le 10 mars 2020, par le président du tribunal judiciaire de Lille, à une obligation d'accomplir un stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants et 150 € d'amende pour des faits d'usage de stupéfiants et port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D ;
- le 28 avril 2020, par la même juridiction, à 600 € d'amende pour des faits d'usage illicite de stupéfiants et rébellion ;
- le 7 juillet 2020, par la même juridiction, à 500 € d'amende pour des faits d'usage illicite de stupéfiants ;
- le 17 mars 2021, par le tribunal correctionnel de Lille, à 8 mois d'emprisonnement avec sursis probatoire pendant 2 ans pour des faits de détention non autorisée de stupéfiants, acquisition non autorisée de stupéfiants, transport non autorisé de stupéfiants et usage illicite de stupéfiants.
Il en résulte qu'aucune de ces condamnations n'a donné lieu à une peine d'emprisonnement ferme mise à exécution, de sorte que lorsque M. [D] a été placé en détention le 11 mars 2022, il s'agissait d'une première incarcération. Cette absence d'antécédents carcéraux majore nécessairement le choc ressenti.
Le requérant invoque également, au titre d'une aggravation de son préjudice, la lourdeur de la peine encourue, M. [D] ayant été mis en examen et placé en détention provisoire pour des faits de détention non autorisée de stupéfiants en état de récidive légale. La lourdeur de la peine invoquée, par le requérant, à savoir 20 ans de réclusion criminelle, au titre d'une aggravation de son préjudice doit être retenue au regard de la nature criminelle des faits reprochés.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [D] la somme de 8.000 euros en réparation de son préjudice moral.
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Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué à M. [D] la somme de mille euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [E] [D];
ALLOUONS à M. [E] [D] la somme de huit mille euros (8.000 €) au titre de son préjudice moral;
ALLOUONS à M. [E] [D] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 5 juillet 2023,
en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER