AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COUR D'APPEL DE DOUAI
JURIDICTION CIVILE DU PREMIER PRÉSIDENT EN MATIÈRE
DE RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
minute n° 25/23
n° RG : 22/00033
A l'audience publique du 5 juillet 2023 tenue par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier, a été prononcée l'ordonnance suivante :
Sur la requête de :
M. [P] [Y], né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 7]
demeurant chez [W] [Y], [Adresse 3], [Localité 7]
Ayant élu domicile au cabinet de son avocat Me [B] [C], [Adresse 2] [Localité 4]
ayant pour conseil Stéphane BULTEAU, avocat au barreau de Lille
Les débats ayant eu lieu à l'audience du 7 juin 2023 à 10 heures
L'audience était présidée par M. Jean SEITHER, premier président, assisté de M. Christian BERQUET, greffier ;
En présence de :
MONSIEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL PRES LA COUR D'APPEL DE DOUAI,
représenté par M. Michel REGNIER, avocat général
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Direction des affaires juridiques
dont le siège est situé Sous Direction du Droit Privé
[Adresse 6]
[Localité 5]
ayant pour avocat Me Maxime DESEURE, avocat au barreau de Béthune
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Exposé de la cause
Par requête en date du 5 décembre 2022, reçue au greffe de la cour d'appel le 13 décembre suivant, M. [P] [Y] a présenté une demande en indemnisation en raison d'une détention provisoire injustifiée.
Par ordonnance en date du 5 février 2016, M. [Y] a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lille à la suite de sa mise en examen des chefs d'assassinat et d'association de malfaiteurs.
Par ordonnance du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lille en date du 8 juillet 2016, M. [Y] a été remis en liberté sous contrôle judiciaire.
Par arrêt en date du 8 juin 2022, la cour d'assises du Nord a acquitté M. [Y].
La détention de M. [Y] a donc duré du 5 février 2016 (date de son placement en détention provisoire) au 8 juillet suivant (date de sa remise en liberté et de son placement sous contrôle judiciaire), soit pendant 155 jours.
Pour cette détention injustifiée, il sollicite que lui soient allouées les sommes de :
- 50.000 € en réparation de son préjudice moral ;
- 2.400 € en réparation de son préjudice matériel ;
- 2.400 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en date du 27 février 2023, l'agent judiciaire de l'Etat soutient l'irrecevabilité de la requête au motif de sa forclusion.
A l'audience l'agent judiciaire de l'Etat a déclaré ne pas maintenir cette fin de non-recevoir.
Il demande que le préjudice moral du requérant soit indemnisé à hauteur de 12.000 € et que ce dernier soit débouté de sa demande en réparation de son préjudice matériel. Il conclut enfin à la minoration de l'indemnisation sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures en date du 28 février 2023, le ministère public requiert qu'en l'état, et à défaut de la démonstration de la saisine de la juridiction dans le délai de 6 mois, la requête soit déclarée irrecevable en la forme.
Il a déclaré à l'audience abandonner ce moyen.
Il propose que le préjudice moral de M. [Y] soit indemnisé à hauteur de 12.000 € et s'en rapporte aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat s'agissant des autres demandes.
Au terme des débats tenus le 7 juin 2023, le premier président a indiqué qu'il mettait l'affaire en délibéré au 5 juillet 2023.
Et, après en avoir délibéré conformément à la loi,
vidant son délibéré à l'audience de ce jour,
SUR CE,
Sur la recevabilité :
Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Cet article précise, toutefois, qu'aucune réparation n'est due lorsque la personne était, dans le même temps, détenue pour autre cause.
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En application de l'article R. 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R. 27 du code de procédure pénale, doit contenir le montant de l'indemnité demandée, doit être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.
En l'espèce, la requête a été déposée le 13 décembre 2022, soit dans le délai de six mois suivant la décision d'acquittement rendue par la cour d'assises du Nord le 8 juin 2022, devenue définitive le 18 juin suivant.
Figure au dossier un certificat en date du 2 août 2022 établi par le greffier de la cour d'assises du Nord attestant qu'aucun appel n'a été formé à l'encontre de cette décision.
En conséquence, la décision est définitive et la requête ayant été présentée dans le délai légal, il y a lieu de la déclarer recevable.
Sur le préjudice moral :
Le préjudice moral résultant d'une incarcération injustifiée constitue une évidence de principe.
La preuve de conditions exceptionnelles ou ayant entraîné des conséquences personnelles excédant les conséquences liées à toute privation de liberté en milieu carcéral peut justifier une indemnisation proportionnellement plus élevée. Par contre, la souffrance morale résultant du choc de l'incarcération se trouve minorée par le passé carcéral de la personne détenue.
Il convient tout d'abord de relever que le bulletin n° 1 du casier judiciaire de M. [Y] porte mention de quatre condamnations antérieures à son incarcération :
- le 28 février 2008, par le tribunal pour enfants de Lille, à une admonestation pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis ;
- le 24 septembre 2010, par la même juridiction, à une admonestation pour des faits de contrefaçon ou de falsification de chèque et usage de chèque contrefait ou falsifié ;
- le 22 octobre 2010, par le tribunal correctionnel de Lille, à 1.000€ d'amende pour des faits de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants et conduite d'un véhicule sans permis ;
- le 19 mars 2013, par la même juridiction, à 3 mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique et usage illicite de stupéfiants.
Il en résulte qu'aucune de ces condamnations n'a donné lieu à une peine d'emprisonnement ferme mise à exécution, de sorte que lorsque M. [Y] a été placé en détention le 5 février 2016, il s'agissait d'une première incarcération. Cette absence d'antécédents carcéraux majore nécessairement le choc ressenti.
Le requérant fait également valoir que son préjudice s'est trouvé aggravé par la privation de vie privée et l'éloignement familial sans cependant produire aux débats les éléments justificatifs de sa demande.
De la même manière, il prétend souffrir de conséquences psychologiques en raison de son incarcération sans produire les pièces et documents susceptibles de démontrer la réalité du dommage psychologique allégué et son lien de causalité avec son incarcération injustifiée.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il sera alloué à M. [Y] la somme de 14.500 € en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel :
Au titre du préjudice matériel, M. [Y] demande l'indemnisation de ses frais de défense.
M. [Y] produit aux débats une facture d'un montant de 2.400 € en date du 13 mai 2016 intitulée « provision sur contentieux de la détention provisoire » sans distinction des prestations.
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Il convient de relever que la nature provisionnelle de la facture et l'absence de précisions quant aux prestations s'y rapportant ne permettent pas de faire droit à l'indemnisation sollicitée.
En conséquence, M. [Y] sera débouté de sa demande présentée au titre de ses frais de défense.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il sera alloué à M. [Y] la somme de huit cents euros (1.000 €) au titre des frais engagés pour la présente procédure.
Sur les dépens :
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS,
Après débats en audience publique,
statuant publiquement et contradictoirement,
DECLARONS recevable la requête de M. [P] [Y] ;
ALLOUONS à M. [P] [Y] la somme de quatorze mille cinq-cents euros (14.500 €) au titre
de son préjudice moral ;
ALLOUONS à M. [P] [Y] la somme de mille euros (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LAISSONS les dépens à la charge du Trésor Public.
Ainsi fait, jugé et prononcé par M. Jean SEITHER, premier président de la cour d'appel de DOUAI, le 5 juillet 2023,
en présence de M. Michel REGNIER, avocat général,
assisté de M. Christian BERQUET, greffier qui a signé la minute avec le premier président.
Le greffier Le premier président
C. BERQUET J. SEITHER