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07/07/2023 | FRANCE | N°21/01080

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 1, 07 juillet 2023, 21/01080


ARRÊT DU

07 Juillet 2023







N° 1053/23



N° RG 21/01080 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TV3K



OB/NB

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

17 Juin 2021

(RG 20/00041)







































GROSSE : >


aux avocats



le 07 Juillet 2023





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



S.A.S. AUCHAN HYPERMARCHE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Anthony BRICE, avocat au barreau de LILLE,



INT...

ARRÊT DU

07 Juillet 2023

N° 1053/23

N° RG 21/01080 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TV3K

OB/NB

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

17 Juin 2021

(RG 20/00041)

GROSSE :

aux avocats

le 07 Juillet 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

S.A.S. AUCHAN HYPERMARCHE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Anthony BRICE, avocat au barreau de LILLE,

INTIMÉE :

Mme [W] [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Florent MEREAU, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Sly CROQUELOIS-AMRI, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 06 Juin 2023

Tenue par Olivier BECUWE

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 07 Juillet 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 23 mai 2023

EXPOSE DU LITIGE :

Recrutée le 30 avril 1987 par la société Auchan Hypermarché (la société), Mme [I] a été engagée à durée indéterminée par celle-ci le 16 décembre 1989.

Elle occupait, en dernier lieu, les fonctions de manager de caisse, statut agent de maîtrise.

La convention collective applicable était celle, nationale, du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.

Mise à pied à titre conservatoire le 20 janvier 2020 et convoquée à un entretien préalable qui s'est déroulé le 30 janvier suivant, elle a été licenciée pour faute grave le 5 février 2020.

Il lui est, pour l'essentiel, reproché des propos tenus à l'encontre de son chef de secteur, une attitude d'opposition ainsi que son comportement lors de la notification de la mise à pied.

Contestant la rupture du contrat de travail, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Lannoy de demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse tout en remettant en cause, par ailleurs, la conventionnalité de l'article L.1235-3 du code du travail.

Par un jugement du 17 juin 2021, la juridiction prud'homale, estimant en substance que les faits n'étaient pas établis, a jugé que le licenciement n'était pas fondé et a condamné de ce chef l'employeur à lui payer notamment des dommages-intérêts à hauteur de 20 mois de salaire, soit le maximum prévu par l'article L.1235-3.

Par déclaration du 22 juin 2021, la société a fait appel.

Par des conclusions récapitulatives notifiées le 14 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société sollicite l'infirmation du jugement, le rejet, à titre principal, des prétentions adverses ainsi qu'une indemnité de frais irrépétibles et, à titre subsidiaire, la minoration des sommes accordées.

Par des conclusions d'intimée notifiées le 15 novembre 2011, auxquelles il est référé pour l'exposé des moyens, Mme [I] réclame la confirmation du jugement, sauf à l'infirmer sur le montant des dommages-intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse pour lesquels elle sollicite la somme de 70 000 euros.

MOTIVATION :

1°/ Sur la justification du licenciement :

Le litige est profondément factuel et repose sur l'appréciation de la valeur et de la portée des attestations produites de part et d'autre quant à la réalité des faits invoqués à l'appui du licenciement ainsi que l'examen de leur éventuelle gravité.

Il est plus particulièrement reproché à Mme [I], selon la lettre de licenciement que le conseil de prud'hommes a reproduite, d'avoir :

A - en premier lieu, tenu des propos insultants et dénigrants à l'égard de son supérieur hiérarchique (par exemple : 'attention, il y a l'autre con', ou encore en public : 'il ne sert à rien, il ne comprend rien, il ne connaît rien') ;

B - en deuxième lieu, manifesté une attitude d'opposition systématique en 'prenant une position contraire à une décision collective en vous positionnant comme porte-parole de vos collègues, sans que celles-ci aient été consultées, le tout avec une posture hautaine voire méprisante',

C - en troisième lieu, adopté un comportement irrespectueux le jour de la mise à pied en menaçant le supérieur hiérarchique (par exemple, 'vous allez me le payer').

S'agissant des griefs A, leur matérialité apparaît établie, dans une certaine mesure, par les attestations de la société, pièces 6, 8 et 9 qui émanent de collègues.

Toutefois, comme l'observe la salariée, alors qu'il lui est reproché un comportement récurrent en public devant le personnel, les hôtesses de caisse ou encore des clients, il n'y a que trois attestations qui sont produites.

En outre, l'une des personnes qui a attesté est représentante du personnel et expose que l'attitude de Mme [I] aurait débuté en 2018.

La cour s'interroge dès lors légitimement sur la connaissance qu'en avait déjà l'employeur bien avant d'engager la procédure de licenciement.

Par ailleurs, l'intimée verse de son côté plusieurs attestations de collègues qui témoignent de ses grandes qualités humaines et de l'absence de tout incident.

S'agissant des griefs B, la société produit deux attestations.

La première émane du supérieur hiérarchique et fait état d'une divergence de vue, et même d'un conflit, concernant les attributions des managers.

L'incident n'apparaît pas particulièrement grave et fait partie des désaccords inhérents au monde professionnel.

La seconde vient de la même représentante du personnel et fait état du refus de respecter une décision prise par la hiérarchie en matière de changements d'horaires des hôtes de caisse.

Cette attestation indique que Mme [I] n'aurait pas respecté les attributions de deux autres managers.

Mais ces derniers n'apparaissent pas avoir témoigné de façon circonstanciée.

S'agissant des griefs C -, la cour observe qu'il est difficile d'exiger d'une salariée, qui reçoit notification d'une mise à pied conservatoire, elle-même préalable à un éventuel licenciement disciplinaire, qu'elle estime injustifiée, et cela pour la première fois en plus de 30 ans de carrière, de garder la plus grande politesse et maîtrise de soi au regard du contexte.

En définitive, la cour souligne que Mme [I], au terme de quasiment 33 ans de service auprès de la société, n'a jamais été sanctionnée et était appréciée de son équipe, l'employeur ne rapportant d'ailleurs aucun antécédent disciplinaire.

Les griefs s'inscrivent en grande partie dans sa relation avec son supérieur hiérarchique arrivé au magasin voilà quelques années.

Il est difficile de penser, alors que les attestations de l'employeur insistent à loisir sur ce conflit, qu'il n'était pas connu de la direction depuis un certain temps, étant précisé qu'une procédure disciplinaire doit être mise en oeuvre dans des délais courts et contraints à compter de la connaissance des faits.

C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a décidé que le licenciement pour faute grave, ni même pour cause réelle et sérieuse, n'était pas fondé.

2°/ Sur la mise à pied à titre conservatoire :

Il résulte des bulletins de paie que le montant de la retenue effectivement opérée au titre de la mise à pied conservatoire s'élève à la somme de 1 692,41 euros en brut (794,57 + 97,6 + 800,24), et non à celle de 1 980 euros en brut calculée par le conseil de prud'hommes.

Le jugement sera infirmé.

3°/ Sur le préavis :

S'il apparaît que Mme [I] percevait, en dernier lieu, un forfait mensuel d'un montant de 2 167 euros en brut, ce dont se prévaut l'employeur pour limiter le préavis de deux mois au doublement de la somme, soit 4 334 euros, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a ajouté la prime annuelle équivalente à un treizième mois.

Dès lors qu'en effet le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [I] avait vocation à percevoir cette prime dont elle a été à tort privée par l'employeur.

La rémunération s'élève donc à la somme de 2 347,58 euros, soit un préavis pour la somme de 4 695,16 euros à juste titre retenue par le jugement attaqué.

4°/ Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :

Le salaire de référence repose également, et pour la même raison, sur la somme de 2 347,58 euros.

C'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a calculé cette indemnité sur la base de l'avenant n° 74 à la convention collective, et notamment ses articles 7 et 8.

Et c'est à juste titre qu'il en déduit la somme de 23 862,61 euros.

5°/ Sur les dommages-intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

A - Sur la conventionnalité de l'article L.1235-3 du code du travail :

L'intimée remet en cause la conventionnalité de l'article L.1235-3 du code du travail.

Mais les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, comme la Cour de cassation l'a d'ailleurs déjà dit (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490).

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Et il est indifférent d'invoquer la décision postérieure du Comité européen des droits sociaux dès lors que les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, comme la Cour de cassation l'a d'ailleurs déjà jugé (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-15.247).

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

B - Sur l'indemnisation :

Il s'ensuit que, compte tenu de son ancienneté, Mme [I] peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire brut telle que prévue par l'article L.1235-3.

Compte tenu précisément de son ancienneté, de son âge, comme étant née en 1966, de sa qualification, de sa rémunération et des difficultés dont elle atteste pour retrouver un travail, il lui sera accordé la somme de 46 951,60 euros.

Le jugement sera confirmé.

6°/ Sur les frais irrépétibles d'appel :

Il sera équitable de condamner la société, qui sera déboutée de ce chef ayant succombé en son appel, à payer à l'intimée la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La cour d'appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :

- confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il condamne la société Auchan Hypermarché à payer à Mme [I] la somme de 1 980 euros en brut à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre les congés payés afférents ;

- l'infirme sur ce seul point et, statuant à nouveau, condamne la société Auchan Hypermarché à payer à Mme [I] la somme de 1 692,41 euros en brut à titre de rappel de salaire sur mise à pied, outre les congés payés afférents d'un montant de 169,24 euros ;

- y ajoutant, précise que les condamnations au titre de la mise à pied conservatoire, du préavis, de l'indemnité de licenciement et des dommages-intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse s'entendent déduction à faire des cotisations applicables ;

- condamne la société Auchan Hypermarché à payer, au titre des frais irrépétibles d'appel, à Mme [I] la somme de 2 000 euros ;

- rejette le surplus des prétentions ;

- condamne la société Auchan Hypermarché aux dépens d'appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 1
Numéro d'arrêt : 21/01080
Date de la décision : 07/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-07;21.01080 ?
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