ARRÊT DU
07 Juillet 2023
N° 1071/23
N° RG 21/01115 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TWKK
FB/AA
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
28 Mai 2021
(RG F19/00049 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 07 Juillet 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT E :
S.A.S.U. SMRC AUTOMOTIVE MODULES FRANCE SAS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI
assistée de Me Caroline HENOTavocat au barreau de LILLE,substitué par Me Regis DEGROISE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE:
Mme [N] [O] ÉPOUSE [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BETHUNE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Angelique AZZOLINI
DÉBATS : à l'audience publique du 30 Mai 2023
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 07 Juillet 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 09/05/2023
EXPOSÉ DU LITIGE
Après y avoir accompli des prestations dans le cadre de contrats à durée déterminée du 10 au 21 janvier 1983 puis du 3 au 28 octobre 1983, Madame [N] [O] épouse [U] a été engagée par la société SMRC Automotive Modules France, pour une durée indéterminée à compter du 5 janvier 1984, en qualité d'aide monteuse.
Madame [U] a obtenu une reconnaissance de la qualité de travail handicapé du 1er octobre 2005 au 1er octobre 2010, puis du 1er juin 2017 au 31 mai 2022.
Elle a souffert d'une lésion de l'épaule droite en juillet 2012, reconnue comme maladie professionnelle par décision du 25 février 2013.
Elle a également été atteinte d'une lésion de l'épaule gauche à compter du mois d'octobre 2015. Par décision du 14 mars 2016, la CPAM a refusé de prendre en charge cette affection au titre d'une maladie professionnelle.
Selon avis du médecin du travail du 17 septembre 2018, Madame [U] a été déclarée inapte à son poste.
Après lui avoir notifié le 24 octobre 2018 les motifs rendant impossible son reclassement, la société SMRC a, le 26 octobre 2018, convoqué Madame [U] pour le 7 novembre suivant, à un entretien préalable à son licenciement.
Par lettre du 13 novembre 2018, la société SMRC a notifié à Madame [U] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 1er février 2019, Madame [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Lens et formé des demandes afférentes à un licenciement nul, ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 28 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Lens a:
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société SMRC Automotive Modules France;
- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- condamné la société SMRC Automotive Modules France à payer à Madame [U] les sommes suivantes:
- 15 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité;
- 6 019,56 euros à titre d'indemnité de préavis;
- 20 341,82 euros au titre du doublement de l'indemnité de licenciement;
- 40 130,40 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 1 000,00 euros au titre des frais irrépétibles;
- débouté Madame [U] du surplus de ses demandes;
- condamné la société SMRC Automotive Modules France aux dépens.
La société SMRC Automotive Modules France a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 juin 2021, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 mai 2023, la société SMRC Automotive Modules France demande à la cour d'infirmer le jugement, excepté en ce qu'il a débouté Madame [U] de certaines de ses demandes, et statuant de nouveau, de:
- déclarer recevable l'exception d'incompétence soulevée au profit du tribunal judiciaire de Béthune;
- débouter Madame [U] de l'intégralité de ses demandes;
- condamner Madame [U] au paiement d'une indemnité de 3 000 euros pour frais de procédure.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 janvier 2022, Madame [N] [O] épouse [U], qui a formé appel incident, demande à la cour de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence, condamné la société SMRC au paiement d'une indemnité de préavis, d'un complément d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et d'une indemnité pour frais de procédure;
- d'infirmer le jugement pour le surplus et, statuant de nouveau, de:
- dire le licenciement nul;
- condamner la société SMRC au paiement des sommes de:
- 20 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination;
- 6 357,15 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis;
- 6 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation;
- 84 762,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
A titre subsidiaire, si la cour retenait que le licenciement n'était pas nul mais dénué de cause réelle et sérieuse, elle demande que son ancienneté soit prise en compte à compter du 10 janvier 1983, qu'il ne soit pas fait application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail et qu'il lui soit alloué la somme de 84 762 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si la cour ne faisait pas droit à cette demande, elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il lui a octroyé la somme de 42 381 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre la condamnation de la société au paiement d'une indemnité de 15 000 euros en application de l'article 1240 du code civil.
Enfin, elle demande la remise d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la notification de la décision à venir, ainsi que la condamnation de la société SMRC au paiement d'une indemnité de 3 000 euros pour frais de procédure.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mai 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'exception d'incompétence
La société SMRC soulève in limine litis l'incompétence des juridictions de l'ordre prud'homal pour connaître de la demande de Madame [U] aux fins de dommages et intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de sécurité.
Il est constant qu'il résulte des articles L.451-1 et L.142-1 du code de la sécurité sociale que si la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du tribunal judiciaire spécialement désigné pour connaître des litiges relevant du contentieux de la sécurité sociale l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail , qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
En l'espèce, Madame [U] fait grief à l'employeur de ne pas avoir pris l'ensemble des mesures de prévention propres à empêcher la survenance des lésions aux épaules droite et gauche qui se sont respectivement manifestées à compter du 17 juillet 2012 et du 31 octobre 2015.
L'intimée ne caractérise pas explicitement le préjudice dont elle demande réparation dans le cadre de cette demande. Il ressort de ses écritures que les seuls préjudices évoqués sont causés par la survenance de ces deux maladies.
La lésion de l'épaule droite apparue le 17 juillet 2012 a été reconnue comme maladie professionnelle par décision de la CPAM en date du 26 février 2013.
Madame [U] ne peut, sous couvert d'une action en responsabilité contre l'employeur pour manquement à son obligation de sécurité, demander la réparation d'un préjudice né de cette maladie professionnelle.
La juridiction prud'homale était incompétente pour en connaître.
En revanche, par décision du 14 mars 2016, la CPAM a refusé de reconnaître le caractère professionnel de la lésion de l'épaule gauche apparue le 31 octobre 2015.
L'employeur souligne que la salariée n'a pas contesté cette décision, laquelle est donc devenue définitive. Il s'ensuit que les préjudices nés de cette maladie ne sauraient être pris en charge au titre de la législation relative aux maladies professionnelles.
Dès lors, rien ne s'oppose à ce que la salariée soutienne, devant les juridictions de l'ordre prud'homal, que cette maladie trouve son origine dans un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et demande réparation des préjudices en résultant.
Il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence visant la demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, excepté en ce qui concerne la réparation de préjudices nés de la maladie professionnelle déclarée le 17 juillet 2012.
Concernant la réparation des préjudices nés de la maladie professionnelle déclarée le 17 juillet 2012, il y a lieu, en application des dispositions de l'article 90 du code de procédure civile, de renvoyer l'examen de cette demande devant la cour d'appel d'Amiens.
Sur le pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité
Il résulte des articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ces mesures comprennent des actions de préventions des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés dans l'optique d'éviter les risques, d'évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, de combattre les risques à la source, d'adapter le travail, de tenir compte de l'état d'évolution de la technique, de remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l'est pas ou ce qui l'est moins, de planifier la prévention, de prendre des mesures de protection collective et de donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Il est constant que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.
En l'espèce, il ressort des pièces versées au dossier que Madame [U] a occupé au sein de la société SMRC des postes d'agent de fabrication marqués par l'accomplissement de gestes répétitifs, avec port de charges et bras en élévation. Ces conditions de travail l'ont exposée à un risque pour sa santé, notamment pour ses articulations.
Ce risque s'est réalisé avec la survenance de lésions à l'épaule droite, constatées en juillet 2012 et reconnues comme maladie professionnelle.
Madame [U] est, par ailleurs, atteinte d'une lésion de la coiffe des rotateurs de l'épaule gauche depuis le 31 octobre 2015.
Le Docteur [F], chirurgien ayant opéré l'intéressée de l'épaule gauche en janvier 2016, indique, concernant les lésions constatées à cette épaule: 'une rupture de coiffe à moins de 50 ans est souvent due à des gestes répétitifs', et d'ajouter : 'ayant été opérée du côté droit je pense qu'elle a dû compenser par ce côté pendant plusieurs mois'.
Nonobstant la décision de la CPAM qui ne lie pas les juridictions de l'ordre prud'homal, la cour retient qu'il résulte suffisamment de l'ensemble de ces éléments que les conditions de travail de Madame [U] ont contribué, au moins pour partie, à l'apparition de lésions à l'épaule gauche, directement, par l'accomplissement de gestes répétitifs et, incidemment, par répercussion des lésions provoquées à l'épaule droite.
Il ressort des documents communiqués par la société SMRC, notamment le document d'évaluation des risques et les rapports remis annuellement au CHSCT, que l'entreprise a identifié l'existence de risques de troubles musculo-squelettiques (TMS) et a pu mettre en oeuvre des actions de prévention de ces risques (notamment de formation).
Toutefois, l'appelante se borne à évoquer sa politique générale en matière d'hygiène, de sécurité et de santé au travail.
Elle ne démontre nullement que des actions concrètes ont été effectivement menées pour réduire les risques de TMS sur les postes occupés par Madame [U]. Elle n'établit pas que celle-ci a bénéficié des formations dispensées en matière de prévention des TMS.
Il s'ensuit que l'employeur ne justifie pas avoir mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé physique de Madame [U].
La cour retient donc que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité.
Il n'y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, évoquée par l'appelante mais qui ne figure pas dans le dispositif de ses conclusions.
Dès lors, il convient d'évaluer le préjudice de Madame [U], né de la seule survenance de lésions de l'épaule gauche, et résultant d'un manquement par l'employeur à son obligation de sécurité, à la somme de 5 000 euros.
Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude
Il ressort des pièces versées au dossier que les lésions de l'épaule droite de Madame [U], constatées le 17 juillet 2012, ont été reconnues comme relevant d'une maladie professionnelle par décision de la CPAM du 25 février 2013.
Cette reconnaissance de maladie professionnelle n'a pas été contestée par l'employeur devant les juridictions de sécurité sociale et n'est pas remise en question dans le cadre de la présente instance.
Un rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité permanente daté du 1er juin 2015 indique qu'à cette date l'intéressée ressentait toujours des douleurs à l'épaule droite.
La consolidation de l'état de santé de la salariée, fixée au 11 avril 2015, révèle que celui-ci n'est plus susceptible d'évoluer. Elle ne signifie pas une guérison totale et définitive.
L'employeur n'ignorait pas que Madame [U] conservait des séquelles de cette maladie professionnelle puisqu'il a contesté le taux d'incapacité permanente partielle alors fixé à 14% par la CPAM.
Le rapport susvisé décrit les séquelles après consolidation : douleurs justifiant un traitement de palier 2 (douleurs modérées à intenses), limitation des mobilités en actif et diminution de la force de préhension.
Les parties ne font aucunement état d'une évolution favorable ou d'une disparition de ces séquelles.
Il ressort du rapport susvisé que Madame [U] aurait repris un emploi à mi-temps le 25 février 2015 puis à temps complet à compter du 1er juin 2015. Il ressort par ailleurs de l'attestation destinée à Pôle emploi délivrée au moment du licenciement que le dernier jour travaillé par l'intéressée est le 15 septembre 2015.
Les parties n'apportent aucun élément concernant cette période.
L'employeur ne démontre pas que la salariée aurait alors été déclarée apte, sans réserve, à reprendre son emploi alors que celle-ci produit un avis du médecin du travail adressé au médecin conseil de la CPAM, daté du 19 novembre 2013, indiquant que la salariée occupait un poste soumis à cadences avec des gestes répétés et des charges et préconisant une reprise à mi-temps sur un poste 'le plus léger possible'.
Enfin, Madame [U] a rencontré, le 23 février 2018, le Docteur [G], rhumatologue, à la demande du service de santé au travail. Celui-ci a examiné les deux épaules avant de conclure que la salariée pouvait reprendre son travail, tout d'abord dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, sur un poste qui ne comprend pas d'activité les bras en élévation et de port de charges lourdes excessives.
Le 9 avril 2018, le médecin du travail a autorisé une reprise à temps partiel thérapeutique à 50% pour une durée limitée, en préconisant : ' pas de port de charges lourdes, pas travail les bras en élévation'.
Des échanges de courriers montrent que la société SMRC a alors dispensé la salariée d'activité, faute d'être en mesure de lui fournir un emploi répondant à ces préconisations.
C'est dans ce contexte que, par avis du 17 septembre 2018, le médecin du travail a déclaré Madame [U] inapte à son poste de travail en décrivant 'les capacités résiduelles à occuper un poste sans bras en élévation et sans port de charges'.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'inaptitude trouve, pour partie, son origine dans les lésions de l'épaule droite qui ont été reconnues comme maladie professionnelle et dont la salariée a conservé des séquelles justifiant une incapacité permanente partielle.
A titre surabondant, la cour relève que l'inaptitude trouve également son origine dans les lésions de l'épaule gauche qui ont été provoquées, au moins pour partie, par les conditions de travail de l'intéressée.
Enfin, la cour a retenu que la survenance des affections tant de l'épaule droite que de l'épaule gauche résulte, au moins pour partie, de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité. Il s'ensuit que l'inaptitude trouve son origine dans ces manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.
C'est donc par une juste appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu que Madame [U] devait bénéficier des règles protectrices en faveur des salariés victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles, et notamment des indemnités prévues à l'article L.1226-14 du code du travail : une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis et une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité légale de licenciement.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a alloué à Madame [U] la somme de 20 341,82 euros à titre de complément de l'indemnité spéciale de licenciement.
Madame [U] ne pouvant prétendre au bénéfice des dispositions de l'article L.5213-9 du code du travail, qui ne sont pas applicables à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L.1226-14, il convient de lui allouer, par réformation du jugement entrepris, la somme de 4 013,04 euros au titre de cette indemnité compensatrice.
Sur la nullité du licenciement
Madame [U] soutient que l'employeur, en ne prenant pas l'ensemble des mesures appropriées pour lui permettre de conserver son emploi, a commis une discrimination en raison de son handicap conformément aux dispositions de l'article L.5213-6 du code du travail. Elle en déduit que son licenciement encourt la nullité.
Selon l'article L.5213-6 du code du travail, afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour leur permettre, notamment, de conserver un emploi correspondant à leur qualification. Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en oeuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L.5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. Le refus de prendre ces mesures peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L.1133-3 du même code.
Par décision notifiée le 18 septembre 2018, la CDAPH a accordé à Madame [U] la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour une durée de 5 ans, du 1er juin 2017 au 31 mai 2022, après avoir retenu que ses possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi étaient effectivement réduites en raison de son handicap.
L'employeur ne soutient aucunement ne pas avoir eu connaissance de cette décision intervenue concomitamment à la délivrance de l'avis d'inaptitude et à l'engagement de la procédure de reclassement. Il produit cette décision au nombre de ses pièces.
Dans ses écritures, la société SMRC évoque les démarches entreprises pour tenter de reclasser Madame [U] suite à l'avis d'inaptitude délivré le 17 septembre 2018, sans toutefois chercher à démontrer qu'elle a répondu aux obligations renforcées découlant des dispositions de l'article L.5213-6 susvisé.
Il ressort de ces écritures et des pièces versées au dossier que la recherche de solutions de reclassement en interne s'est principalement attachée à l'identification de postes disponibles.
Il n'est nullement fait état des conclusions de l'étude de poste réalisée le 24 mai 2018 avec le médecin du travail.
L'employeur n'indique pas avoir cherché à aménager ou adapter ce poste pour le rendre compatible avec les capacités restantes de l'intéressé, telles que déterminées par le médecin du travail: pas de travail les bras en élévation, pas de port de charges.
Il ne prouve pas que l'aménagement ou l'adaptation de ce poste constitueraient une charge disproportionnée, même après avoir sollicité l'aide du fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés.
En outre, il ressort des documents présentés au comité social et économique, lors de la consultation du 22 octobre 2018, que l'employeur a repéré, sur le site de [Localité 4] employant la salariée, 9 postes d'agent de fabrication susceptibles d'être disponibles car occupés par des salariés en contrat de travail temporaire.
Il n'est pas allégué que ces postes ne correspondraient pas aux qualifications de Madame [U].
Le document remis aux représentants du personnels indique, sans autre précision : 'il n'y a pas de possibilité d'adapter ces postes pour répondre aux préconisations du médecin du travail'. La lettre de licenciement mentionne également l'impossibilité d'adapter ces postes.
Toutefois, l'employeur ne justifie pas avoir engagé la moindre démarche pour chercher à adapter ces postes.
Il n'apporte aucun élément susceptible de prouver que l'adaptation de l'un ou l'autre de ces postes constituerait une charge disproportionnée, même après avoir sollicité l'aide du fonds de développement pour l'insertion professionnelle des handicapés.
La présentation des actions et investissements engagés par la société SMRC en faveur de la santé et la sécurité au travail de ses salariés et de l'insertion des travailleurs handicapés, n'est pas de nature à pallier les carences constatées dans le traitement concret de la situation de Madame [U].
Il résulte de l'ensemble de ces considérations que la société SMRC ne démontre pas avoir pris les mesures appropriées, notamment en matière d'aménagement ou d'adaptation de postes de travail, pour permettre à Madame [U], qui a la qualité de travailleur handicapé, de conserver un emploi. Elle ne prouve pas que la mise en oeuvre de ces mesures aurait représenté une charge disproportionnée, compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur.
Dès lors, le licenciement de Madame [U] s'avère constitutif d'une discrimination à raison d'un handicap et encourt la nullité.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au moment de la rupture du contrat de travail, Madame [U] était âgée de 54 ans.
Elle comptait une ancienneté de 34 années. En effet, les contrats à durée déterminée du 10 au 21 janvier 1983 puis du 3 au 28 octobre 1983, qui ne constituent pas une succession ininterrompue jusqu'à l'embauche intervenue le 5 janvier 1984, ne peuvent être pris en compte pour le calcul de l'ancienneté.
Elle ne justifie pas de sa situation suite au licenciement.
Au vu de cette situation, du montant de sa rémunération et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, il convient, en application de l'article L.1235-3-1 du code du travail, d'évaluer son préjudice à 55 000 euros.
En outre, sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.
Sur la demande de dommages et intérêts pour discrimination
Madame [U] fait grief à son employeur de ne pas avoir adapté son poste de travail suite à la visite de reprise du 9 avril 2018 afin de le rendre compatible avec les préconisations émises par le médecin du travail et lui permettre de reprendre son emploi.
Toutefois, Madame [U] ne peut se prévaloir des mesures protectrices édictées en faveur des travailleurs handicapés qu'à compter de la reconnaissance de ce statut le 18 septembre 2018.
Dès lors, il ne peut être retenu l'existence d'une discrimination fondée sur un manquement aux obligations de l'article L.5213-6 du code du travail avant la période de recherche de solutions de reclassement introduite par l'avis d'inaptitude du 17 septembre 2018.
Madame [U] ne justifie ni de l'existence ni de l'étendue d'un préjudice résultant d'une discrimination, distinct de celui causé par la perte injustifiée de son emploi dont la réparation est assurée par le paiement d'une indemnité pour licenciement nul.
Il s'ensuit que Madame [U] doit être déboutée, par confirmation du jugement entrepris, de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination.
Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation
Madame [U] fait grief à l'employeur de ne pas avoir mis en oeuvre des formations qui lui auraient permis de conserver un emploi au sein de l'entreprise.
Il s'agit de l'une des mesures que l'employeur aurait dû chercher à mettre en oeuvre en application des dispositions de l'article L.5213-6 du code du travail.
Madame [U] ne justifie ni de l'existence ni de l'étendue d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur à son obligation de formation, distinct de celui causé par la perte injustifiée de son emploi dont la réparation est assurée par la condamnation d'ores et déjà prononcée.
Il s'ensuit que Madame [U] doit être déboutée, par confirmation du jugement entrepris, de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de formation.
Sur les autres demandes
Il convient d'ordonner la remise d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire.
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société SMRC à payer à Madame [U] une indemnité de 1 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SASU SMRC Automotive Modules France pour ce qui concerne la réparation des préjudices nés de la maladie déclarée le 31 octobre 2015, mais excepté ce qui concerne la réparation des préjudices nés de la maladie professionnelle déclarée le 17 juillet 2012,
- condamné la SASU SMRC Automotive Modules France à payer à Madame [N] [O] épouse [U] les sommes de:
- 20 341,82 euros à titre de complément de l'indemnité spéciale de licenciement,
- 1 000,00 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,
- débouté Madame [N] [O] épouse [U] de ses demandes de dommages et intérêts pour discrimination et pour manquement de l'employeur à son obligation de formation,
Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
Dit que la juridiction prud'homale est incompétente pour connaître de la demande en dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité concernant les préjudices nés de la maladie professionnelle déclarée le 17 juillet 2012,
Renvoie l'examen de cette demande devant la cour d'appel d'Amiens,
Dit le licenciement de Madame [N] [O] épouse [U] nul,
Condamne la SASU SMRC Automotive Modules France à payer à Madame [N] [O] épouse [U] les sommes de :
- 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
- 4 013,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice prévue à l'article L.1226-14,
- 55 000,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,
Condamne la SASU SMRC Automotive Modules France à payer à Madame [N] [O] épouse [U] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne à la SASU SMRC Automotive Modules France la remise d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa notification,
Ordonne le remboursement par la SASU SMRC Automotive Modules France des indemnités de chômage versées à Madame [N] [O] épouse [U] dans la limite de six mois d'indemnités,
Rappelle qu'une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,
Déboute la SASU SMRC Automotive Modules France de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel,
Condamne la SASU SMRC Automotive Modules France aux dépens d'appel.
LE GREFFIER
Valérie DOIZE
LE PRESIDENT
Olivier BECUWE