ARRÊT DU
07 Juillet 2023
N° 874/23
N° RG 21/01974 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T6VX
PL/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
en date du
19 Octobre 2021
(RG 19/00252 -section 4 )
GROSSE :
aux avocats
le 07 Juillet 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. PHARMA FB
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Anne POLICELLA, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
M. [D] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Stéphane JANICKI, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 31 Mai 2023
Tenue par Philippe LABREGERE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Annie LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Philippe LABREGERE
: MAGISTRAT HONORAIRE
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 07 Juillet 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Valérie DOIZE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 mai 2023
EXPOSE DES FAITS
[D] [J] a été embauché à compter du 1er juin 2005 en qualité de pharmacien assistant par [M] [L] par contrat de travail à durée indéterminée repris le 1er juillet 2017 par la société PHARMA FB à la suite de la cession de l'officine.
A la date de son licenciement il relevait de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine. L'entreprise employait de façon habituelle moins de onze salariés.
[D] [J] a fait l'objet d'un avertissement notifié le 10 octobre 2017, à la suite de propos qu'il avait tenus au cours d'un échange téléphonique avec une secrétaire médicale.
Il a été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception courrier remis en main propre le 15 octobre 2018 à un entretien le 26 octobre 2018 en vue d'un éventuel licenciement, avec mise à pied conservatoire. A l'issue de cet entretien, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 9 novembre 2018.
Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :
«J'ai pris la décision de prononcer votre licenciement pour faute grave pour les raisons suivantes : Les salariés de l'officine m'ont à nouveau alerté les 10 et 12 octobre dernier sur le comportement inapproprié et agressif que vous persistez à adopter tant à leur égard, qu'à l'égard de la clientèle. Vous n'ignorez pas qu'à mon retour de congés au mois d'août dernier, votre collègue [F] [GG] m'avait déjà fait part de votre agressivité envers elle durant mon absence. Je vous en avais parlé et vous avais demandé de revenir à une attitude respectueuse.
Je pensais donc que vous alliez vous ressaisir.
Il apparaît toutefois que vous n'avez pas pris la mesure de mes remarques et directives puisque j'ai à nouveau été alerté cette fois non seulement par [F] [GG] mais égaiement par [RK] [TC].
Ils évoquent tous deux ne plus supporter de travailler avec vous et être angoissés à l'idée de venir au travail.
Ils m'ont rapporté subir quotidiennement des propos désobligeants et dénigrants.
Dans leur courrier, j'ai pris la mesure de la gravité de ce qui s'était déroulé pendant mes congés d'été puisqu'ils expliquent par exemple que vous n'hésitiez pas à crier ou siffler pour leur ordonner de servir au comptoir.
Vous vous êtes même permis de jeter au sol le contenu de tiroirs pour ensuite leur demander de les ramasser et de les ranger.
Vous n'hésitiez pas à vous comporter de cette manière même en présence de la patientèle qui était aussi parfois victime de votre agressivité !
Au-delà, ils m'ont indiqué que vous n'hésitiez pas à dénigrer auprès d'eux et parfois devant la patientèle mes méthodes de travail' mon management et les outils et infrastructures de l'officine ce qui constitue une atteinte à votre devoir de réserve et de loyauté.
Depuis la mise au point que j'ai faite auprès de vous fin août 2018, vous persistez dans cette attitude puisque [F] [GG] indique continuer à subir pressions, remarques désobligeantes et propos dévalorisants.
Ce comportement réitéré est inadmissible, il porte atteinte aux conditions de travail et à la sérénité de vos collègues.
Outre la dénonciation de votre comportement agressif et irrespectueux persistant à leur égard vous avez mis en place un climat de suspicion au sein de l'Officine préjudiciable pour l'ensemble du personnel.
En effet vous avez prétendu avoir « découvert » dans les rayons de la pharmacie, des boîtes de médicaments destinées au recyclage « Cyclarned ».
Vous avez alors dit à vos collègues que vous les suspectiez puis m'avez accusé d'en être responsable.
Vous avez indiqué avoir mis en place, de votre propre chef, un système de- contrôle consistant à marquer les boîtes destinées au recyclage afin de pouvoir les identifier dans le stock des produits destinés à la vente.
Ainsi vous avez affirmé avoir constaté la présence de ces boîtes dans les rayons alors que vous n'ignorez pas que celles-ci ne doivent aucunement être remises en vente.
[RK] [TC] m'a indiqué que vous n'avez pas hésité à le contacter sur son téléphone portable durant ses congés, et à l'attendre sur le parking de la pharmacie pour l'interroger et lui relater vos soupçons.
Ce comportement est inacceptable à plusieurs titres :
Vous avez tenté de me discréditer auprès du personnel de l'officine en jetant le doute sur ma probité et mon honnêteté professionnelle et avez suspecté vos collègues d'être complices ;
Vous ne m'avez donné aucun élément tangible sur les prétendues fraudes au recyclage que vous auriez constatées, vous contentant d'allégations vagues destinées à instiller le doute et la suspicion au sein de l'officine ;
Alors même que selon vous, des produits interdits à la vente se seraient retrouvés dans le stock, vous les y auriez laissés en contradiction avec vos obligations professionnelles.
Il va sans dire que les contrôles que j'ai effectués n'ont pas permis de confirmer vos allégations de sorte que vous avez manifestement agi dans le dessein de nuire.
Lors de l'entretien préalable, l'ensemble de ces faits ont été abordés. Vous avez alors maintenu avoir des « preuves » sans toutefois me fournir la prétendue liste des médicaments concernés... Concernant votre attitude à l'égard de vos collègues vous vous êtes contenté de nier les faits alors même que leurs déclarations sont concordantes.
Vous avez par ailleurs déjà fait l'objet d'un avertissement le 10 octobre 2017 suite à des propos et un ton agressif à l'égard d'une secrétaire médicale.
Votre comportement tant à l'égard de vos collègues, qu'à mon égard et à l'égard de la patientèle constitue une violation de vos obligations contractuelles et caractérise une faute d'une gravité telle qu'elle empêche la poursuite de votre contrat de travail.
Cette situation me conduit donc à prononcer votre licenciement pour faute grave.
La rupture de votre contrat intervient donc sans préavis, ni indemnité, à la date du présent courrier.»
Par requête reçue le 10 juillet 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Lens afin d'obtenir des rappels de salaire, de faire constater la nullité ou l'illégitimité de son licenciement et d'obtenir le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Par jugement en date du 19 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a condamné la société PHARMA FB à lui verser :
- 20503,38 euros nets à titre d'indemnité de licenciement
- 15009,78 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1500,97 euros bruts à titre de congés payés sur préavis
- 4502,93 euros bruts à titre de mise à pied conservatoire
- 450,29 euros bruts à titre de congés payés sur mise à pied conservatoire
- 16000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 199,12 euros bruts au titre de rappel de salaires
- 19,91 euros bruts à titre de congés payés sur rappel de salaire
- 1000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
a ordonné la remise au salarié d'une attestation Pôle Emploi rectifiée, l'a débouté du surplus de sa demande et a condamné la société aux dépens.
Le 18 novembre 2021, la société PHARMA FB a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 10 mai 2023, la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 31 mai 2023.
Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 10 mai 2023, la société PHARMA FB appelante sollicite de la cour, à titre principal, l'infirmation du jugement entrepris, à titre subsidiaire, l'évaluation de l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 15038,37 euros sur la base d'un salaire de référence de 5012,79 euros, l'indemnité de licenciement à 20542,41 euros et en tout état de cause, la condamnation de l'intimé à lui verser 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante expose que l'avertissement du 10 octobre 2017 consécutif à l'incident survenu à l'occasion d'une communication téléphonique entre l'intimé et une secrétaire médicale doit être pris en compte pour apprécier le comportement de ce dernier, que son licenciement est fondé sur une attitude déplacée envers ses collègues de travail, le dénigrement de son employeur et de l'officine, l'instauration d'un climat de suspicion, des accusations sans fondement à l'égard de la société et plus particulièrement de [W] [N], gérant majoritaire ; que la société a été destinataire de deux courriers en date des 5 octobre et 6 novembre 2018 de [RK] [TC], ayant le statut de vendeur dans la pharmacie et de [F] [GG], préparatrice, dénonçant le comportement de l'intimé, le premier se plaignant de gestes agressifs, de brimades et de réflexions déplacées au comptoir devant la clientèle, la seconde de pressions, de remarques désobligeantes et de propos dévalorisants, que les deux salariés ajoutaient qu'ils ne supportaient plus de travailler avec l'intimé, que le comportement de ce dernier est confirmé par [VR] [EU], étudiante en pharmacie, ayant travaillé dans l'officine durant de l'été 2018, et par de nombreux clients, que la société était débitrice d'une obligation de sécurité de résultat à l'égard de ses salariés, que l'intimé a dénigré à de nombreuses reprises son employeur, ses méthodes de travail et l'officine, invitant des clients à visiter l'arrière de celle-ci pour leur faire constater le désordre régnant durant les travaux, qu'il ne saurait justifier son comportement par un droit légitime à la critique, qu'il a abusé de sa liberté d'expression en tenant des propos excessifs devant les clients, qu'il a instauré un climat de suspicion au sein de l'officine, en accusant ses collègues et le gérant de participer à une fraude aux médicaments, que le 24 juin 2019, soit plus de six mois après son licenciement, il a saisi le conseil de l'ordre des pharmaciens, mais a abandonné ensuite sa plainte, que [W] [N] a subi un contrôle de l'Agence régionale de santé qui n'a relevé aucune fraude de sa part, que les clients de la pharmacie qui, dans les attestations fournies par l'intimé vantent les mérites de celui-ci et critiquent ses collègues, ont néanmoins continué à venir à la pharmacie postérieurement au licenciement, que la situation économique de la pharmacie n'est pas à l'origine de cette mesure, que son chiffre d'affaires était en augmentation comme le fait apparaître la présentation des comptes, que les éléments constitutifs du harcèlement ne sont pas réunis, que compte tenu de la personnalité de l'intimé, son employeur aurait été en peine d'exercer quelque pression que ce soit sur lui et de se livrer à des agissements de harcèlement moral, qu'à la suite de son licenciement, plusieurs clients se sont manifestés pour faire part de leur soulagement du fait de son départ et rapporter les propos ou comportements dont ils ont pu être victimes, que l'attestation du médecin traitant de l'intimé doit être écartée des débats dès lors qu'il n'a constaté aucun fait de lui-même, à titre subsidiaire, que le salaire de base des trois derniers mois de l'intimé était de 5012,79 euros, qu'il conviendra de diminuer les différentes demandes calculées sur une base inexacte, que l'intimé se trouvant en arrêt de travail pour maladie au moment où il a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire, aucune retenue de salaire ne lui a été imputée, qu'il ne rapporte la preuve d'aucun préjudice consécutif à son licenciement, que la société produit les justificatifs de déclarations auprès des organismes de retraite et de l'URSSAF, qu'elle s'en rapporte à justice sur le rappel de la prime de remplacement.
Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 10 mai 2023, [D] [J] sollicite de la cour la réformation du jugement entrepris, la condamnation de la société appelante à lui verser :
- 21533,39 euros à titre d'indemnité de licenciement
- 15763,83 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1576,68 euros bruts à titre de congés payés sur préavis
- 4729,14 euros bruts à titre de mise à pied conservatoire
- 472,91 euros bruts à titre de congés payés sur mise à pied conservatoire
- 60428,01 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse
- 15000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
la régularisation de sa situation en adressant les déclarations sociales nominatives aux organismes sociaux pour les mois de juillet et août 2017, sous astreinte de 10 euros par jour de retard,
la confirmation pour le surplus à l'exception de la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- 5500 euros à ce dernier titre.
L'intimé soutient que la société n'ayant pas conclu dans le délai de trois mois à compter de sa déclaration d'appel, l'appel doit être déclaré caduc, que l'avertissement lui a été infligé sans que son employeur l'ait entendu en ses explications, que les faits à l'origine de cette sanction sont fantaisistes, que le gérant de la société n'a pu entendre la conversation téléphonique, que ce dernier lui a proposé à de nombreuses reprises une rupture conventionnelle de son contrat de travail qu'il a refusée, que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, qu'il conteste les déclarations de [RK] [TC] et de [F] [GG], selon lesquelles il aurait adopté un comportement agressif à leur égard, que le fait de fermer bruyamment les tiroirs de rangement ne constitue pas en soi une faute, qu'il a toujours entretenu des relations cordiales avec [RK] [TC] qui n'était pas préparateur en pharmacie mais vendeur, que l'attestation de ce dernier ne vise pas les faits qui lui sont reprochés, que [F] [GG] ne précise pas les dénigrements et les remarques dont elle aurait été victime, qu'étant préparatrice, elle était tenue de procéder au rangement des commandes, qu'elle refusait systématiquement que l'intimé vérifie ses ordonnances et supervise son activité, qu'il régnait un certain relâchement parmi le personnel, générant ainsi le mécontentement de la clientèle, que son employeur ne s'est livré à aucune enquête et n'a jamais recueilli ses explications, que les attestations de clients produites par la société ne confirment pas les faits énoncés dans la lettre de licenciement, que d'autres membres du personnel qui ne donnaient pas satisfaction à la clientèle n'ont pas été sanctionnés, que le grief relatif au dénigrement de l'entreprise n'a pas été évoqué lors de l'entretien préalable, que le fait de se plaindre du désordre occasionné par un mauvais rangement n'est pas fautif, qu'un droit à la critique en raison de ses fonctions d'encadrement doit lui être reconnu, qu'il n'a jamais tenu de propos injurieux ou diffamatoires, que le grief relatif au climat de suspicion qu'il aurait instauré au sein de l'officine n'a pas non plus été abordé lors de l'entretien préalable, que les faits reprochés à l'appui de ce grief ne sont pas suffisamment sérieux pour légitimer un licenciement, que durant son activité au sein de la pharmacie, il n'a jamais fait l'objet du moindre reproche, qu'il a contesté la légitimité de son avertissement, qu'il a subi un harcèlement moral caractérisé par son humiliation, un avertissement infondé et une dégradation de son état de santé, que son employeur voulait se débarrasser de lui en raison de la charge salariale trop lourde qu'il représentait et de la diminution du chiffre d'affaires, qu'il a été remplacé par un pharmacien beaucoup plus jeune, que sur la base de la moyenne des trois derniers mois précédant son licenciement, son salaire de référence doit être évalué à la somme de 5254,61 euros, qu'il n'a pas retrouvé d'emploi, qu'étant âgé de 64 ans, il ne peut obtenir une retraite à taux plein qu'à l'âge de 67 ans, que son employeur n'a pas déclaré les salaires des mois et juillet et août 2017 auprès de la CARSAT et de l'organisme de prévoyance, qu'il lui est dû un rappel de prime consécutif au remplacement du gérant pendant ses congés en juillet et août 2018.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Attendu en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties ; que ni la caducité de l'appel interjeté par la société PHARMA FB ni l'annulation de l'avertissement infligé le 10 octobre 2017 ne sont sollicités ;
Attendu qu'il n'existe pas de contestation sur le rappel de prime de remplacement et des congés payés y afférents d'un montant respectif de 199,12 et 19,91 euros alloué par les premiers juges ;
Attendu en application de l'article L1154-1 du code du travail que, pour que soit présumée l'existence d'un harcèlement, l'intimé fait état dans ses écritures de pressions de la part de son employeur pour accepter une rupture conventionnelle, d'un avertissement infondé, d'agissements de [W] [N], gérant de la société, et de [F] [GG], préparatrice en pharmacie, de la diffusion de rumeurs portant sur une addiction à l'alcool et la commission de vols dans la caisse et une dégradation de son état de santé ;
Attendu toutefois que pour établir la réalité des pressions qu'il aurait subies, l'intimé ne produit qu'un courriel daté du 24 septembre 2018 dans lequel il indique refuser une proposition de rupture ; qu'il n'est pas démontré que cette correspondance ait été adressée à son employeur au vu de l'adresse à laquelle elle a été transmise, à savoir « [Courriel 5] », qui n'est pas celle du gérant de la société et dont le titulaire est inconnu ; que l'attestation établie par [E] [S], cliente de la pharmacie, et produite par l'intimé ne fait nullement état de pressions qu'aurait exercées [F] [GG] ; qu'en outre il est loisible de s'interroger sur les possibilités de cette dernière d'adopter un tel comportement envers l'intimé alors qu'elle n'occupait qu'un poste de préparatrice en pharmacie ; que l'intimé n'apporte aucun élément de fait à l'appui de ses affirmations selon lesquelles l'officine connaissait des difficultés financières alors que par ailleurs l'appelante démontre qu'entre les exercices 2017 et 2018 son chiffre d'affaires avait progressé ; que l'avertissement infligé à l'intimé repose à la fois sur le témoignage de [V] [O] dont la secrétaire de son médecin traitant avait été rudoyée par téléphone par l'intimé, et sur celui d'[K] [P] présente dans les locaux de l'officine et ayant entendu la conversation ainsi que les excuses que le gérant a dû ensuite adresser à cette dernière ; que l'avertissement n'est donc pas dépourvu de fondement ; que [BV] [U] se borne à attester, sans autre précision, que l'intimé était victime de rumeurs selon lesquelles il était alcoolique et volait dans la caisse ; qu'il n'apporte aucune indication de nature à identifier leur origine et leur date ; qu'il ne se déduit nullement de ce témoignage que de tels propos puissent être imputés à [W] [N], comme l'intimé l'affirme pourtant de façon péremptoire dans sa déclaration de main courante, au demeurant tardive, puisque déposée le 1er février 2019, soit près de trois mois après son licenciement ; qu'enfin s'il a fait l'objet, à compter du 4 octobre 2018, d'un arrêt de travail qui selon le certificat de [Z] [C], son médecin traitant, établi le 26 février 2020, soit seize mois après cet arrêt, serait consécutif à un « burn out », aucune relation de causalité entre cette situation et les faits allégués par l'intimé susceptibles de faire présumer un harcèlement moral n'est mise en évidence ; qu'en conséquence, ce dernier ne présente aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'un tel harcèlement ;
Attendu en application de l'article L1234-1 du code du travail qu'il résulte de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que les motifs y énoncés sont un comportement agressif et des propos désobligeants envers deux salariés de l'officine, un dénigrement de la pharmacie et de sa direction, l'instauration d'un climat de suspicion, et ce malgré un précédent avertissement infligé le 10 octobre 2017 ;
Attendu sur l'instauration, au sein de l'officine, d'un climat de suspicion, que l'appelante reproche à l'intimé d'avoir fait naître des soupçons sur l'existence de pratiques illicites au sein de la pharmacie, consistant à remettre en vente des médicaments non utilisés rapportés par des clients et entreposés dans des cartons en vue de leur recyclage ; que l'intimé décrit la méthode qu'il a employée pour mettre à jour une telle pratique ; qu'à la suite de ses constatations, il a saisi le 19 février 2019 le Procureur de la République de Lille et l'Agence régionale de santé a été sollicitée pour émettre un avis technique ; qu'après un contrôle réalisé dans l'officine, l'agence a adressé le 17 novembre 2020 à la société une note contenant des observations conduisant à des remarques à caractère législatif et réglementaire ; qu'en particulier, en raison des différences constatées sur certains médicaments entre le stock théorique, le stock attendu et le stock réellement détenu, elle a rappelé au gérant de l'officine l'interdiction, notamment, de remettre en stock en vue de leur revente et de leur délivrance les produits pharmaceutiques facturés mais non délivrés ou restitués par les clients ; qu'en conclusion, elle l'a invité à tenir compte des rappels mentionnés dans la note ; que si aucune suite ne semble encore avoir été donnée du fait de l'absence d'avis technique de l'agence, les observations adressées à [W] [N] par cet organisme, similaires à des rappels à l'ordre, sont de nature à conforter les constatations effectuées par l'intimé ; qu'il ne peut donc être reproché à ce dernier d'être à l'origine d'un climat de suspicion consécutif aux investigations auxquelles il s'est livré, dont le caractère injustifié n'est nullement démontré ;
Mais attendu, sur le comportement agressif de l'intimé, que l'appelante produit deux longs courriers datés des 5 et 6 octobre 2018 adressés à [W] [N], gérant de l'officine, par [RK] [TC], employé de la pharmacie, et [F] [GG] ; que le premier a pour objet de dénoncer des abus d'autorité et des dénigrements des conditions de travail dont se serait rendu coupable l'intimé ; que le salarié rapporte le comportement de ce dernier qui aurait fermé les tiroirs de rangement en les repoussant bruyamment, se serait livré à des brimades sur sa personne en présence de la clientèle, le hélant ou le sifflant pour l'appeler lorsque le témoin ne se trouvait pas dans l'espace de vente ; que du fait de cette attitude, il aurait éprouvé un sentiment d'angoisse en se rendant à son travail ; que ces accusations sont complétées par la communication de la photographie d'un tiroir de rangement contenant des médicaments gisant sur le sol de l'arrière-boutique de l'officine et partiellement désarticulé ; qu'il apparaît que celle-ci a bien été prise le 13 août 2018 par [F] [GG], antérieurement aux rénovations effectuées le 30 août 2018 ; que les dégâts occasionnés au tiroir sont la conséquence d'une manipulation violente compatible avec l'accomplissement des gestes brutaux reprochés à l'intimé ; que dans le courrier manuscrit adressé à son employeur, [F] [GG] rapporte cet incident qu'elle attribue à l'énervement dont faisait preuve l'intimé, ajoutant qu'il l'avait obligée à ranger les produits éparpillés ; qu'elle confirme le comportement désobligeant de l'intimé envers elle et [RK] [TC], rapporté par ce dernier ; qu'elle relate un incident survenu lors de la venue de [UJ] [R], client de la pharmacie ; que l'intimé lui aurait arraché des mains l'ordonnance que lui avait remis le client qui ne désirait être servi que par elle puis lui aurait ordonné en criant d'effectuer le rangement de caisses de commandes ; que cet épisode est confirmé par [UJ] [R] dans une attestation versée aux débats ; que l'appelante produit également une longue attestation circonstanciée de [VR] [EU], pharmacienne, ayant travaillé dans l'officine durant l'été 2018 en qualité d'étudiante, qui assure que le climat devenait tendu lorsque l'intimé assurait le remplacement de [W] [N], qualifiant même d'anxiogène l'ambiance régnant dans la pharmacie ; qu'elle décrit le comportement sans délicatesse de l'intimé envers le matériel de rangement et relate en particulier un geste d'énervement de ce dernier, ayant jeté au sol des boites de médicaments et leur assénant des coups de pied ; qu'elle affirme par ailleurs avoir été témoin de scènes durant lesquelles l'intimé rabaissait [RK] [TC] et [F] [GG] ; que l'intimé, à la fois, nie les faits qui lui sont reprochés et les minimise, prétendant que lors de leur commission, il était le seul responsable de l'officine et devait, à ce titre, donner des instructions fermes sur le rangement des tiroirs de médicaments à des employés réticents, par ailleurs souvent absents de l'espace de vente ; que le fait qu'il produise de nombreuses attestations dans lesquelles leurs auteurs affirment avoir entretenu des relations cordiales avec lui et louent son professionnalisme n'est pas en soi nature à démontrer qu'il ne pouvait adopter le comportement fautif qui lui est reproché, décrit dans des déclarations concordantes et circonstanciées des salariés qui en ont été les victimes; qu'en outre, il apparaît que l'intimé pouvait être en proie à des épisodes de violence, comme le fait apparaître la déclaration de main courante effectuée le 12 juin 2019 par [H] [X], associé, à la suite d'insultes que lui avait adressées ce dernier ;
Attendu sur le dénigrement de la pharmacie que l'appelante s'appuie sur les déclarations de [F] [GG] qui affirme, dans le courrier précédemment cité, avoir constaté que l'intimé prenait à témoin des clients du désordre qui aurait régné dans l'officine, se plaignant auprès d'eux de ses conditions de travail en leur faisant visiter l'arrière-boutique ; qu'elle produit également les attestations de [T] [G] et [B] [I], clients de la pharmacie ; que la première, coiffeuse, rapporte avoir entendu l'intimé critiquer ouvertement devant la clientèle le logiciel nouvellement installé, le qualifiant de «nul» ; qu'elle ajoute avoir appris par des clients communs que, du fait du comportement de ce dernier, ils avaient souhaité ne plus être servis par lui ou avaient décidé de changer de pharmacie ; que le second témoin affirme avoir entendu l'intimé se plaindre à haute voix, en des termes grossiers, du rangement, ajoutant que ce dernier avait même sollicité son aide pour retrouver des médicaments ; qu'enfin, [H] [X] assure que, s'étant rendu dans la pharmacie le 31 juillet 2018 durant les congés de [W] [N] il avait été accueilli de façon désagréable par l'intimé qui s'était livré immédiatement, en sa présence et sur un ton agressif, à des critiques acerbes des méthodes de rangement adoptées le nouveau gérant ; que l'intimé se borne à objecter que ce grief n'a pas été évoqué dans la lettre de licenciement, que les faits allégués sont anciens et que le fait de se plaindre du désordre qui régnerait dans l'officine ne serait pas sanctionnable ; que toutefois, l'intimé ne produit aucun compte rendu d'entretien préalable ; qu'il se borne à communiquer une simple attestation de [A] [Y], conseiller du salarié, établie le 19 février 2020, soit près de seize mois après l'entretien préalable, dans lequel celui-ci se limite à y signaler les deux griefs qui n'auraient pas été évoqués durant cet entretien, à savoir le dénigrement de l'employeur et de l'officine et l'instauration d'un climat de suspicion ; que compte tenu du temps écoulé entre l'entretien et la date d'établissement de l'attestation et du caractère laconique de cette dernière, des défaillances de la mémoire du témoin ne peuvent être écartées affectant ainsi la validité d'un témoignage ; que s'agissant des faits relatés par [F] [GG], l'appelante n'en a eu connaissance qu'à la suite de la réception du courrier de cette dernière, daté du 6 octobre 2018 ; que les plaintes émises par l'intimé constituent bien un acte de dénigrement puisqu'elles ont été adressées à des clients en leur faisant visiter des locaux de l'officine dans lesquels étaient entreposés des cartons de médicaments et qui ne pouvaient être accessibles au public ; qu'il s'ensuit que ce dernier grief est également caractérisé ;
Attendu que le comportement agressif de l'intimé, la tenue de propos désobligeants envers des salariés de l'officine et le dénigrement de la pharmacie et de sa direction étant caractérisés, son licenciement est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse ; que toutefois, l'existence de avertissement antérieur, compte tenu de la nature des faits sur lesquels cette sanction est fondée, ne suffit pas en l'espèce à conférer aux griefs articulés à son encontre le caractère d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis ;
Attendu que l'intimé se trouvant en arrêt de travail à compter du 5 octobre 2018, la mise à pied conservatoire notifiée le 15 octobre 2018 n'a donné lieu à aucune retenue sur le salaire ;
Attendu, en application de l'article 5 de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine relative aux dispositions particulières applicables aux cadres, que le montant de l'indemnité compensatrice de préavis doit être égal au salaire que l'intimé aurait dû percevoir s'il avait pu travailler dans l'entreprise pendant la durée de celui-ci ; que compte tenu des salaires perçus au cours des trois derniers mois précédant l'arrêt de travail pour maladie survenu à compter du 5 octobre 2018, la rémunération mensuelle brute de l'intimé s'élevait à la somme de 5254,61 euros ; que la société est donc redevable à ce titre de 15763,83 euros et de 1576,38 euros au titre des congés payés y afférents ;
Attendu, en application de l'article 6 § 2 de la convention précitée, que le montant de l'indemnité de licenciement d'un salarié cadre comptant plus de cinq années d'ancienneté est égal, jusqu'à quinze ans d'ancienneté, à 3/10 de mois de salaire par année d'ancienneté dans l'entreprise, à compter de la date d'entrée dans celle-ci ; qu'en conséquence l'indemnité de licenciement doit être évaluée à la somme de 21533,39 euros ;
Attendu que l'appelante produit une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions auprès de l'URSSAF ; que selon ce document établi le 6 novembre 2019, la société était à jour de ses différentes obligations à la date du 30 septembre 2019 ;
Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'intimé les frais qu'il a dû exposer en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme complémentaire de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
REFORME le jugement déféré,
CONDAMNE la société PHARMA FB à verser à [D] [J] :
- 15763,83 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 1576,68 euros bruts à titre de congés payés sur préavis
- 21533,39 euros à titre d'indemnité de licenciement,
DÉBOUTE [D] [J] du surplus de sa demande,
CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris,
ET Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société PHARMA FB à verser à [D] [J] 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
LA CONDAMNE aux dépens.
LE GREFFIER
V. DOIZE
LE PRÉSIDENT
P. LABREGERE