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29/03/2024 | FRANCE | N°22/00098

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale b salle 1, 29 mars 2024, 22/00098


ARRÊT DU

29 Mars 2024







N° 300/24



N° RG 22/00098 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UCHM



MLBR/CH

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

17 Janvier 2022

(RG 19/00211 -section )











































GROSSE :



aux avocats



le 29 Mars 2024





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



S.A.S. PEME GOURDIN

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Cindy DENISSELLE-GNILKA, avocat au barreau de BETHUNE





INTIMÉE :



Mme [L] [O]

[Adresse 1]

[Loc...

ARRÊT DU

29 Mars 2024

N° 300/24

N° RG 22/00098 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UCHM

MLBR/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BETHUNE

en date du

17 Janvier 2022

(RG 19/00211 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 29 Mars 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A.S. PEME GOURDIN

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Cindy DENISSELLE-GNILKA, avocat au barreau de BETHUNE

INTIMÉE :

Mme [L] [O]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Elodie HANNOIR, avocat au barreau de BETHUNE

DÉBATS : à l'audience publique du 16 Janvier 2024

Tenue par Marie LE BRAS

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

Clotilde VANHOVE

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 02 janvier 2024

EXPOSÉ DU LITIGE':

La SAS Peme Gourdin, qui est une société spécialisée dans la fabrication de pompes centrifugeuses industrielles et dans les prestations de services et de maintenance dans les domaines de l'environnement, de l'industrie et de l'énergie, a embauché Mme [L] [O] le 18 septembre 1991 en qualité d'employée.

Cette dernière a exercé les fonctions de comptable puis en dernier lieu, les fonctions de responsable de comptabilité fournisseurs.

La convention collective des industries métallurgiques du Pas-de-Calais est applicable à la relation de travail.

À compter du 17 janvier 2017, Mme [O] a été placée en arrêt maladie.

À l'issue d'une seule visite de reprise en date du 16 février 2018, la salariée a été déclarée inapte à son poste de travail en ces termes «l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Le reclassement pourra se faire dans un environnement différent'; pas de contre-indication à bénéficier d'une formation».

Le 23 mai 2018, la société Peme Gourdin a informé Mme [O] de l'impossibilité de procéder à son reclassement et l'a convoquée par lettre recommandée du 28 mai 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Par courrier recommandé du 15 juin 2018, Mme [O] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par requête du 12 juin 2019, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Béthune afin de contester son licenciement et d'obtenir diverses indemnités au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire du 17 janvier 2022, le conseil de prud'hommes de Béthune a':

- jugé que Mme [O] est bien fondée dans ses demandes,

- jugé que Mme [O] a subi des agissements constitutifs de harcèlement moral imputable à son employeur,

- jugé que les agissements constitutifs de harcèlement moral sont à l'origine de son inaptitude physique ayant abouti à son licenciement,

- requalifié la rupture du contrat de travail en licenciement nul,

- condamné la société Peme Gourdin à payer à Mme [O] les sommes suivantes':

*4 099,58 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 409,96 euros brut au titre des congés payés y afférents,

*50 000 euros nets à titre des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la nullité du licenciement et du préjudice moral,

*10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour le manquement par l'employeur à son obligation de sécurité et de prévention,

*5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de loyauté,

*3 000 euros au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Peme Gourdin à remettre l'attestation Pôle emploi, le certificat de travail, le bulletin de paie conforme au jugement sous astreinte de 50 euros pour l'ensemble des documents dans un délai de 1 mois à compter de la notification du jugement dans la limite de 60 jours, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,

- débouté Mme [O] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Peme Gourdin de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la société Peme Gourdin aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 24 janvier 2022, la société Peme Gourdin a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Mme [O] du surplus de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions déposées le 21 décembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, la société Peme Gourdin demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions critiquées et statuant à nouveau,

A titre principal,

- débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes,

- rejeter l'appel incident formé par Mme [O],

A titre subsidiaire,

- réduire à de plus justes proportions le quantum des dommages-intérêts alloués à Mme [O],

En tout état cause,

- condamner Mme [O] à la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 14 décembre 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, Mme [O] demande à la cour de confirmer le jugement rendu sauf en ce qu'il l'a déboutée du surplus de ses demandes, et statuant à nouveau sur les points infirmés, de':

- condamner la société Peme Gourdin à lui payer les sommes suivantes':

*10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral au travail,

*2 049,79 euros bruts à titre de rappel de salaires, outre 204,98 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

*3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- débouter la société Peme Gourdin de l'ensemble de ses demandes et la condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION':

- sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, pour dénoncer le harcèlement moral qu'elle dit avoir subi et qui serait la cause de son inaptitude, Mme [O] évoque dans ses conclusions sa mise à l'écart et l'absence de communication de la part de Mme [U], sa supérieure hiérarchique, qui lui aurait également manqué de respect, aurait fait circuler des rumeurs à son égard, tenu des propos dénigrants, et ceci pendant des années et sans intervention de la direction pour mettre fin à ces agissements malgré ses nombreux signalements.

Pour établir la matérialité des faits allégués, Mme [O] produit des échanges de courriers et mails avec certains membres de la direction ainsi que ses signalements adressés au CHSCT, des courriers et attestations d'autres salariés dénonçant les agissements similaires de la part de Mme [U].

Les premiers juges ont procédé à une analyse particulièrement exhaustive et juste des pièces ainsi produites à laquelle il sera renvoyé.

Il ressort notamment de ces différentes pièces que dès 2012, Mme [O] a informé à plusieurs reprises son directeur des tensions existantes au sein du service comptabilité et de l'agressivité de Mme [U]. Ce fut également le cas de Mme [N], adjointe de Mme [O], qui dénonçait également au CHSCT le 8 octobre 2012 l'attitude agressive de Mme [U] à son égard et les propos tenus la dénigrant à l'égard de sa hiérarchie.

La société Peme Gourdin indique d'ailleurs qu'un entretien a eu lieu le 12 octobre 2012 entre Mme [U] et M. [R], alors directeur administratif et financier, aux termes duquel il a été rappelé à la première de veiller à son attitude dans et hors du service et de se référer à la formation management qu'elle a suivie, concernant notamment le volet 'sur la communication et l'impact de sa personnalité et de son comportement sur les collaborateurs'.

A la suite de son placement en arrêt maladie le 17 janvier 2017, dont il sera observé que selon les propres dires de la société Peme Gourdin, celui-ci serait concomitant à une nouvelle réorganisation du service aboutissant à l'installation de Mme [O] dans le même bureau que Mme [U], l'intimée a de nouveau écrit au directeur général de la société Peme Gourdin le 23 janvier 2017 pour dénoncer 'les pressions et remarques de la part de Mme [U]' depuis 10 ans, évoquant le fait que 'mes discussions quelle qu'elles soient sont interrompues sans ménagement par cette dernière. Mme [U] aime semer la zizanie afin de m'éloigner de mes collègues. Elle n'hésite pas à inventer des situations de nature à tenter une mise en défaut de ma personne' et reprenant à titre d'illustration certains propos tenus devant ses collègues tels que 'Phillipe (son directeur) et [L] sont absents, c'est bizarre', 'J'ai vu sa fiche de paie sur le bureau de [S], elle a eu une grosse prime', 'elle me dégoute', 'elle me fait chier celle-là', ou en s'adressant directement à elle, 'tu n'es pas productive', 'tu ne sais pas t'organiser'.

Mme [O] se dit isolée, Mme [U] organisant des repas au restaurant sans elle et en le lui faisant savoir, ne lui communiquant par ailleurs que très peu d'informations sur l'organisation du travail. Elle se dit 'très affectée par ces agissements répétés', se sentant 'isolée, humiliée et harcelée'.

Cette plainte apparaît confortée par certaines auditions de salariés par des élus du CHSCT dans le cadre de l'enquête décidée en février 2017 à la suite du courrier de l'intimée, sachant que la société Peme Gourdin ne formule aucune critique sur lesdites auditions et la crédibilité des personnes entendues sous couvert d'anonymat.

Ainsi, un des salariés entendus qui décrit Mme [U] comme une personne manipulatrice, précise avoir croisé 'ces derniers temps, Mme [O] qui était dans un état fébrile, elle partait le soir de son service en pleurs'.

Une seconde salariée entendue est pour sa part très précise sur les propos tenus devant elle par Mme [U] concernant Mme [O] : 'Mme [U] venait souvent pour se plaindre de Mme [O], 'petite pute, salope, connasse, elle se tape P. [R]', 'Mme [U] a dit que la stagiaire avait fait le boulot de Mme [O] en 3 jours', au point que la salariée lui a demandé de ne plus parler de Mme [O] en sa présence, se disant prête à témoigner dans le cas où la procédure prendrait de l'ampleur.

Autre déclaration d'un salarié : 'Mme [O] se sentait lésée, on lui demandait des choses qui étaient déjà traitées. Elle ressentait un mal être au sein du service fin 2016... L'équipe comptabilité se comporte différemment en l'absence de Mme [U]. Mme [U] diffuserait plusieurs rumeurs sur la vie privée de Mme [O].'

Un autre salarié, sans toutefois désigner Mme [U], confirme d'ailleurs l'existence de rumeurs sur de supposées relations intimes entre Mme [O] et l'ancien directeur, M. [R].

Un autre salarié qui déclare bien s'entendre avec Mme [U], indique cependant que 'Mme [U] donne beaucoup de choses à faire à Mme [O] pour que cette dernière soit débordée.' Cette personne confirme également la diffusion de rumeurs par Mme [U] qui lui a un jour directement dénoncé le fait que 'Mme [O] lui avait dit qu'elle battait ses enfants', se rendant compte après s'en être expliquée avec l'intimée que celle-ci ne l'avait jamais accusée de tels faits.

Un salarié du service comptabilité précise à son tour que Mme [U] lui a confié que Mme [O] ne gérait pas ses priorités, confirmant qu'il n'y a aucune communication entre Mme [U] et Mme [O]. Il observe que l'ambiance est bonne depuis le départ de Mme [O] mais 'également en l'absence de Mme [U]'.

En outre, dans leurs courriers, Mme [N], M. [W] et Mme [F], autres collègues de Mme [O], évoquent notamment le fait que :

- Mme [U] 'dénigrait le travail de ses collaboratrices et surtout les rabaisser, lorsque M. [R] faisait un compliment sur le travail, Mme [U] se vengeait. Mme [O] et Mme [N] en voyaient ensuite de toutes les couleurs' (Mme [F]),

- 'elle prend en cible les personnes qui ne vont pas dans son sens en calomniant, comme elle fait avec moi, mais également avec Mme [O]. J'ai observé qu'elle cachait des informations à [L] [O] pour ensuite dire à M. [V] qu'elle ne faisait pas son travail ou elle faisait du travail de [L] [O] sans l'informer et [L] ne savait pas où elle en était' (M. [W]),

-'une rivalité et de la jalousie de la part de Mme [U] vis-à-vis de Mme [O]... Elle est sujette très souvent à des comportements irrationnels, imprévisibles, agressifs et excessifs surtout quand la direction n'est pas présente. Elle profite de son statut pour détruire les conditions de travail et harceler sournoisement Mme [O] et ça depuis une dizaine d'année.'(Mme [N]).

Même si M. [W] et Mme [N] ont dénoncé des agissements harcelants les visant directement et que leurs courriers sont peu circonstanciés, leur contenu n'en demeure pas moins crédible au regard de leur concordance avec les auditions de salariés par les membres du CHSCT.

Il sera ajouté que Mme [O] produit plusieurs pièces médicales constatant la dégradation de son état de santé, en lien avec son milieu professionnel. Outre son médecin traitant qui dans son certificat du 20 janvier 2017 fait le lien entre son arrêt maladie et son travail 'où elle subit des pressions', le médecin du travail dans un courrier du 26 janvier 2017 orientant l'intéressée vers un psychiatre, évoque la nécessité d'une prise en charge pour une souffrance psychique en milieu du travail.

Dans un courrier du 20 mars 2017 adressé au médecin du travail, le psychiatre décrit une symptomatologie dépressive caractérisée, avec une auto dévalorisation importante, alors que Mme [O] n'avait pas d'antécédent psychiatrique particulier, tant sur le plan personnel que familial, reprenant les déclarations de la patiente qui se présente dans un contexte d'épuisement, comme victime 'depuis longtemps de dévalorisation, d'un sentiment de mise à l'écart vis-à-vis de sa responsable qu'elle décrit comme ayant un fonctionnement de type pervers'.

Après une consultation en mai 2017, ce praticien confirmait la persistance de la symptomatologie dépressive et la forte anxiété de Mme [O] par rapport à son avenir professionnel.

A travers les témoignages évoqués plus haut de plusieurs salariés, et sachant que la société Peme Gourdin admet a minima qu'il a existé de fortes tensions entre Mme [O] et Mme [U] depuis 2012, il est matériellement établi que cette dernière a d'une part régulièrement tenu des propos dévalorisants à l'égard de sa proche collaboratrice, faisant également circuler des rumeurs la concernant de nature à perturber ses relations avec ses collègues, et d'autre part usé de méthodes managériales ayant contribué à dégrader les conditions de travail de Mme [O], à travers une organisation du travail manifestement inadaptée et volontairement perturbante, et sans tenter de rétablir une communication sereine.

Pris dans leur ensemble, ces faits, ajoutés aux pièces médicales précitées qui suffisent à illustrer l'incidence de ces agissements sur la santé mentale de Mme [O], font présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'égard de celle-ci.

Il incombe dès lors à la société Peme Gourdin de démontrer par des éléments objectifs que ces faits sont étrangers à toute situation de harcèlement.

Est sur ce point inopérant le fait que Mme [O] ne se soit pas plainte entre 2012 et 2017, le harcèlement moral, pour être caractérisé, n'impliquant pas des faits continus mais simplement répétés, quelle qu'en soit leur ancienneté.

Le fait que les enquêteurs aient finalement conclu que 'le CHSCT est dans l'incapacité d'affirmer ou d'infirmer un cas de harcèlement moral', insistant surtout sur le manque de réactivité et la mauvaise gestion de la situation par la direction nommée à l'époque, n'est pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits évoqués par les salariés entendus.

La société Peme Gourdin soutient que l'enquête interne menée en parallèle par le directeur général a abouti aux mêmes conclusions, mais comme les premiers juges l'ont justement fait remarquer, il n'est produit aux débats aucun compte-rendu des auditions menées au cours de cette enquête parallèle, ni aucun élément quant à sa diffusion et son utilisation.

En s'appuyant sur les auditions d'autres salariés qui ont pu indiquer lors de l'enquête CHSCT que leurs relations étaient bonnes avec Mme [U], la société Peme Gourdin fait surtout valoir qu'il s'agissait en réalité d'une mésentente entre Mme [U] et Mme [O] sans en imputer nécessairement la responsabilité à la première. Elle ne produit cependant aucun élément objectif de nature à établir que l'intimée a alimenté le conflit par des agissements inappropriés, notamment des rapports éventuels de Mme [U] adressées à la direction concernant la mauvaise qualité de son travail ou des attitudes injustifiées ou encore des remontées d'autres salariés à ce sujet.

Il sera également observé que si Mme [U] a fait l'objet d'un entretien pour la recadrer dans son rôle d'encadrante en octobre 2012, l'appelante ne justifie pas de démarche similaire à l'égard de Mme [O].

Par ailleurs, la société Peme Gourdin ne s'explique pas sur les rumeurs concernant Mme [O] dont Mme [U] apparaît être à l'origine.

Elle affirme aussi, en reprenant les explications données à Mme [O] par son directeur général dans un courrier du 24 mai 2017, que la période de redressement judiciaire subie par l'entreprise depuis mai 2016 a été source certaine de stress et de tensions de nature à contribuer à la dégradation des relations entre l'intimée et sa supérieure hierarchique. Toutefois, cette thèse n'est étayée par aucun élément objectif.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Peme Gourdin échoue à démontrer que les faits retenus plus haut comme laissant présumer une situation de harcèlement moral, sont en réalité étrangers à une telle situation.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que le harcèlement moral allégué par Mme [O] était établi.

C'est à bon droit que dans le cadre de son appel incident, l'intimée fait grief aux premiers juges de l'avoir déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef au seul motif que l'indemnité versée au titre de la nullité du licenciement suffisait à réparer l'intégralité de son préjudice. En effet, le préjudice tiré de la perte injustifiée de son emploi est de nature distincte du préjudice causé par le harcèlement subi.

A travers les pièces médicales précitées qui confirment l'importance du suivi médical et médicamenteux dont elle a fait l'objet, ainsi que des attestations de ses proches qui évoquent son fort désarroi et ses angoisses, Mme [O] justifie d'un préjudice moral qu'il convient de réparer par l'octroi de 4 000 euros de dommages et intérêts. Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur le manquement de la société Peme Gourdin à son obligation de sécurité et de prévention :

Au titre de son obligation légale de sécurité de résultat et de prévention, l'employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou faire cesser les agissements de harcèlement moral, étant rappelé par ailleurs qu'il doit répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

La société Peme Gourdin soutient sur ce point qu'elle a toujours été réactive aux plaintes reçues de la part des salariés et plus particulièrement de Mme [O], évoquant la réorganisation du service et l'installation d'une paroi entre leurs deux bureaux en 2012 pour apaiser les tensions avec Mme [U] ainsi que les 2 enquêtes, CHSCT et interne, diligentées dès réception du courrier de Mme [O] en janvier 2017, la prise en compte des risques psychosociaux dans le DUERP ainsi que le recrutement d'un responsable des ressources humaines.

Toutefois, l'enquête du CHSCT a été initiée par ses membres élus à la suite de la réception de la copie du courrier de Mme [O] de janvier 2017 et comme relevé plus haut, la société Peme Gourdin prétend avoir réalisé une enquête interne parallèle sans fournir aucune pièce pour en justifier.

Par ailleurs et surtout, alors que les premières plaintes concernant Mme [U] ont été portées à sa connaissance en 2012 par plusieurs salariés (Mme [N] et Mme [O]), il sera relevé qu'après l'entretien de recadrage d'octobre 2012, la société Peme Gourdin ne justifie pas de mesures prises au fil des années pour s'assurer que la réorganisation du service et la pose d'une paroi entre les bureaux étaient des mesures suffisantes et appropriées pour garantir des conditions de travail sereines au sein du service comptabilité, l'employeur ne pouvant se dispenser de telles mesures de prévention au seul motif que les salariés ne se plaignaient plus auprès de la direction.

Il n'est notamment fait état d'aucun entretien avec Mme [O] et ses collègues, ni de l'évocation de cette situation lors des bilans annuels ou à l'occasion des réunions du CHSCT postérieurs à 2012.

Mme [O] fait enfin observer à juste titre que l'extrait du DUERP date de 2020, soit près de 2 ans après son licenciement. De même, aucun élément n'est donné sur le recrutement et les actions menées par le responsable des ressources humaines dont le recrutement était envisagé en 2017.

Ainsi, la société Peme Gourdin ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu'elle a pris les mesures appropriées pour mettre fin et prévenir la situation de harcèlement moral subi par Mme [O] alors qu'elle avait parfaitement connaissance des tensions liées aux méthodes managériales de Mme [U] depuis 2012.

Ce manquement a causé un préjudice moral à Mme [O] dès lors qu'il n'a pas permis d'éviter le harcèlement moral qu'elle a subi de la part de sa supérieure hierarchique. Il convient donc de condamner la société Peme Gourdin à le réparer, en le limitant cependant à une somme de 2 500 euros de dommages et intérêts. Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur le licenciement de Mme [O] :

Pour contester l'annulation du licenciement, la société Peme Gourdin soutient que le lien entre le harcèlement moral allégué et l'inaptitude de Mme [O] n'est pas établi.

Il est cependant constant que l'avis d'inaptitude rendu le 16 février 2018 fait suite à l'arrêt maladie de Mme [O] depuis janvier 2017 dans le contexte décrit plus haut, le médecin du travail concluant à un état de santé de la salariée faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi, avec dispense de l'obligation de reclassement. Il évoque en outre qu'un tel reclassement ne peut s'envisager que dans un environnement différent, attestant ainsi du lien entre l'inaptitude et le service où Mme [O] travaillait, ce qui est confirmé à travers les échanges entre la direction et le médecin du travail.

Par ailleurs, outre les pièces médicales citées plus haut, dans un certificat médical établi en mars 2018, soit à une époque contemporaine de l'avis d'inaptitude, le psychiatre qui suivait alors Mme [O] certifiait que celle-ci présentait toujours une souffrance marquée en lien avec les difficultés qu'elle a rencontrées au sein de son activité professionnelle et qu'il lui apparaissait peu adapté qu'elle reprenne à l'avenir une activité chez son ex employeur.

Il ressort ainsi à la fois de l'ensemble des certificats médicaux produits aux débats et de l'avis d'inaptitude que l'arrêt maladie de Mme [O] puis son inaptitude trouvent leur cause directe dans le harcèlement moral qu'elle a subi.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a annulé le licenciement conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, ce qui est le cas en l'espèce, a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Aussi, au regard de l'âge de Mme [O] au jour de son licenciement, 47 ans, ainsi que de la période de chômage pendant près de 18 mois dont elle justifie et également de la baisse de revenus dans le cadre de l'emploi retrouvé en janvier 2020, le préjudice résultant pour l'appelante de la perte injustifiée de son emploi du fait de l'annulation de son licenciement doit être réparé par l'allocation d'une somme qu'il convient cependant de limiter à 25 000 euros à titre de dommages-intérêts, sur la base d'un salaire brut de 2 049, 79 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Le jugement sera en revanche confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice de préavis.

Les conditions de l'article L. 1235-4 du code du travail étant par ailleurs réunies, il convient d'ordonner d'office le remboursement par la société Peme Gourdin aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées à Mme [O], dans la limite de 6 mois.

- sur la demande de rappel de salaire :

Dans le cadre de son appel incident, Mme [O] sollicite un rappel de salaire de 2 049,79 euros, équivalent à un mois de salaire, en faisant valoir qu'après la reprise du versement de son salaire dans l'attente de son licenciement, la société Peme Gourdin aurait omis de lui verser l'intégralité des sommes dues qu'elle détaille dans ses conclusions pour la période comprise entre mars et juin 2018.

Les parties s'accordent pour dire que la prise en compte des absences est faite sur le mois ultérieur et donc que la fin de l'arrêt maladie en février 2018 ainsi que la période non rémunérée d'un mois suivant l'avis d'inaptitude figurent sur les bulletins de paie de mars et avril 2018.

Toutefois, Mme [O] fait à raison observer qu'en suivant cette logique, elle aurait dû bénéficier du versement d'un salaire intégral au titre des mois d'avril et mai 2018 sur les paies de mai et juin 2018. Or, il résulte de l'analyse des bulletins de salaire que ce ne fut le cas que pour le salaire versé fin mai 2018, puisque fin juin, son salaire a été imputé d'une somme correspondant à 66 heures non rémunérées qui s'explique par la rupture du contrat au jour du licenciement le 15 juin 2018, le surplus des sommes versées en juin correspondant à l'indemnité de licenciement et aux sommes dues au titre des congés payés.

Par voie d'infirmation, il convient en conséquence de faire droit à la demande de rappel de salaire de Mme [O] et des congés payés y afférents.

- sur la demande indemnitaire pour l'exécution déloyale du contrat de travail :

La société Peme Gourdin conteste avoir tardé à déclencher la procédure de licenciement et avoir ainsi fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution du contrat de travail. Elle insiste sur le fait qu'elle a parfaitement respecté son obligation de reprendre le versement du salaire à l'issue du mois consacré à la recherche d'un reclassement, et que Mme [O] n'a subi aucun préjudice du fait de la notification du licenciement 4 mois après l'avis d'inaptitude.

Il sera d'abord relevé que l'avis d'inaptitude du médecin du travail qui concluait à une dispense de recherche de reclassement tout en préconisant un emploi dans un environnement différent avec une éventuelle formation, pouvait conduire la société Peme Gourdin à préférer rechercher une solution de reclassement hors du service de Mme [O], ce qu'elle a d'ailleurs expliqué dans la lettre de licenciement qui évoque bien 'l'avis quelque peu contradictoire' et le choix fait de rechercher un reclassement. La société Peme Gourdin a d'ailleurs fait état des postes trouvés, incompatibles avec le profil de Mme [O] et de l'avis sollicité du CSE le 18 mai 2018, la réalité de ces démarches n'étant pas contestée par Mme [O].

En outre, comme vu précédemment, la société Peme Gourdin a repris le versement des salaires dans les délais après avoir donné à Mme [O] des explications sur les retenues à venir dans son courrier du 6 avril 2018.

Si la salariée a pu juger que son licenciement inéluctable est arrivé tardivement, il n'est pas pour autant établi par l'intimée, au vu des circonstances susvisées, que la société Peme Gourdin a délibérément et déloyalement tardé à déclencher la procédure de licenciement.

Il convient en conséquence de débouter Mme [O] de sa demande indemnitaire de ce chef et d'infirmer le jugement en ce sens.

- sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance.

Mme [O] ayant été accueillie en ses principales demandes, la société Peme Gourdin devra également supporter les dépens d'appel et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est en outre inéquitable de laisser à Mme [O] la charge des frais irrépétibles exposés en appel. La société Peme Gourdin est condamnée à lui verser une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 17 janvier 2022 sauf en ses dispositions relatives aux sommes allouées au titre de l'annulation du licenciement et du manquement à l'obligation de sécurité ainsi qu'en celles relatives au harcèlement moral, à l'exécution déloyale du contrat et au rappel de salaire ;

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Peme Gourdin à verser à Mme [L] [O] les sommes suivantes :

- 25 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'annulation du licenciement ;

- 4 000 euros en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral,

- 2 500 euros au titre du manquement de la société Peme Gourdin à son obligation de sécurité,

- 2 049,79 euros à titre de rappel de salaires, outre 204,97 euros de congés payés y afférents,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

ORDONNE d'office le remboursement par la société Peme Gourdin aux organismes concernés, des indemnités chômage susceptibles d'avoir été versées à Mme [L] [O] dans la limite de 6 mois ;

DIT que la société Peme Gourdin supportera les dépens d'appel.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

LE PRESIDENT

Marie LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale b salle 1
Numéro d'arrêt : 22/00098
Date de la décision : 29/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-29;22.00098 ?
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