ARRÊT DU
29 Mars 2024
N° 287/24
N° RG 22/00959 - N° Portalis DBVT-V-B7G-ULMZ
PS/CH
AJ
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lille
en date du
16 Juin 2022
(RG -section )
GROSSE :
aux avocats
le 29 Mars 2024
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [I] [D]
[Adresse 3]
représenté par Me Guillaume DERRIEN, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 59178/02/22/006487 du 22/07/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉES :
S.A. SOCIETE GENERALE
[Adresse 2]
représentée par Me Séverine SURMONT, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Dominique SANTACRU, avocat au barreau de PARIS
Association ASSOCIATION DES PARALYSÉS DE FRANCE
[Adresse 1]
représentée par Me Barbara FISCHER, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 16 Janvier 2024
Tenue par Patrick SENDRAL
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Gaëlle LEMAITRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
Clotilde VANHOVE
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2024,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 02 janvier 2024
FAITS ET PROCEDURE
par contrat à durée déterminée du 1er février 2011 M. [D], travailleur handicapé, a été engagé en qualité d'ouvrier spécialisé par l'association l'APF FRANCE HANDICAP (l'APF). Le 1er août 2011 les parties ont pérennisé leur relation, régie par la convention collective de la métallurgie de la région parisienne, sous la forme d'un contrat à durée indéterminée écrit renvoyant aux dispositions de «l'article L 5213 (sic)» du code du travail afférentes à l'emploi des travailleurs handicapés. Concomitamment, la banque Société Générale a confié à l'APF l'exécution de prestations de traitement, logistique et distribution du courrier dans ses centres de services (COS).
A compter du 2 janvier 2012 et en vertu de contrats de prestations de services successifs auquel M. [D] n'était pas partie l'APF l'a mis à la disposition de la Société Générale afin d'accomplir des prestations dans son COS du centre de [Localité 4]. M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille en référé le 29 mars 2019 d'une demande de reconnaissance d'un contrat de travail le liant à elle mais il en a été débouté au motif qu'elle relevait du fond. Concomitamment, il a adressé à l'APF et à la Société générale des courriels se plaignant du refus de cette dernière de procéder à son embauche. Il en est résulté que la banque lui ayant notifié qu'elle ne souhaitait plus travailler avec lui et que l'APF s'en est prévalue en lui notifiant son licenciement pour faute grave le 16 avril 2019.
C'est dans ce contexte que par requête du 2 septembre 2019 M. [D] a attrait l'APF et la Société Générale devant le conseil de prud'hommes de Lille afin d'obtenir, au titre du co-emploi, leur condamnation au paiement de salaires, d'une indemnité pour travail dissimulé, d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement nul, discrimination et manquements à l'obligation de sécurité et que par jugement ci-dessus référencé, auquel il est renvoyé pour plus ample connaissance du litige, le conseil de prud'hommes a statué ainsi :
«JUGE irrecevables comme prescrites l'ensemble des demandes au titre de son contrat de travail et de sa requalification
DEBOUTE Monsieur [D] de toutes ses prétentions s'y rapportant à l'encontre de l'ASSOCIATION DES PARALYSES de FRANCE et de la SOCIETE GENERALE,
DEBOUTE Monsieur [I] [D] de ses demandes au titre :
De la discrimination, De l'obligation de sécurité, Du travail dissimulé, Du manquement à l'obligation de formation, Du licenciement nul, Des rappels de salaire,
DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
DEBOUTE Monsieur [I] [D] du surplus de ses demandes,
LAISSE aux parties la charge de leurs propres frais irrépétibles et dépens.»
M. [D] a formé appel de ce jugement le 28 juin 2022 et déposé des conclusions récapitulatives le 18 avril 2023 ainsi closes :
«CONDAMNER solidairement l'association APF FRANCE HANDICAP et la SOCIETE GENERALE à lui verser les sommes suivantes :
10 012,98 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
71 459,69 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
10 012,98 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation,
200 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination,
5344,19 € brut de rappel de salaires du 18 avril 2016 au 18 avril 2019, outre les congés payés afférents
5360,53 € brut au titre de l'allocation vacances, outre 536,05 € brut au titre des congés payés,
602 € au titre de la prime de participation,
6416 € au titre de la prime d'intéressement,
4853,17 € brut au titre des heures supplémentaires, outre 485,31 € bruts de congés payés
CONDAMNER l'association APF FRANCE HANDICAP à lui verser les sommes suivantes :
2 637,82 € brut à titre de salaires de la mise pied conservatoire outre 263,78 € brut de congés payés
145 188 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
3404,41 € à titre d'indemnité de licenciement,
5 006,49 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents
CONDAMNER la société SOCIETE GENERALE à lui verser à titre de rappel de salaires :
65 834,30 € bruts du 19 avri1 2019 au 31 juillet 2022, outre 6 583,43 € bruts au titre des congés payés afférents,
1 668,83 € bruts, outre 166,88 € bruts par mois à compter du mois d'août 2022 et jusqu'à l'arrêt à intervenir,
CONDAMNER solidairement l'association APF FRANCE HANDICAP et SOCIETE GENERALE aux entiers dépens de l'instance et à lui verser la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du CPC».
aux motifs que :
sur la recevabilité de ses demandes dirigées contre la Société générale
-sa mise à disposition s'est effectuée en dehors de tout cadre contractuel de son recrutement jusqu'au 23/12/2012 puis entre le 14 janvier et le 24 mars 2016
-sa demande de reconnaissance d'un contrat de travail n'est pas prescrite puisqu'il a pris pleinement connaissance des conséquences juridiques de sa mise à disposition le 12 octobre 2018
-la prescription a été interrompue par sa saisine en référé le 29 mars 2019
-sa demande, tendant à obtenir la nullité de ses mises à disposition successives, est soumise au délai quinquennal de prescription
sur la licéité de ses mises à disposition
-elles s'analysent en un prêt de main d'oeuvre illicite car elles ne respectent pas les dispositions du code du travail en matière d'emploi des travailleurs handicapés
-il est en droit de se prévaloir de l'existence d'un contrat à durée indéterminée avec la Société Générale sous la subordination de laquelle il a travaillé de manière exclusive et permanente pendant plusieurs années
sur les conséquences financières
-il a accompli des heures supplémentaires restées impayées
-les faits constituent dans leur ensemble l'infraction de travail dissimulé
-l'absence de régularisation de sa situation auprès de la SG lui a valu un état d'épuisement professionnel suivi d'un placement en arrêt-maladie le 14 avril 2018
-les intimées lui doivent ses salaires entre le 18 avril 2016 et le 18 avril 2019 outre les accessoires
-la Société générale lui doit les salaires de la période postérieure au licenciement
-les intimées lui ont fait accomplir des tâches incompatibles avec son état de santé, dont le port de charges lourdes, ce qui justifie ses demandes indemnitaires
-il n'a pas bénéficié de formations ce qui justifie son indemnisation
-son licenciement porte atteinte à sa liberté d'expression et il est nul en raison du harcèlement moral et de la discrimination dont il a été victime.
Par conclusions du 29/12/2023 l'APF FRANCE HANDICAP demande la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité de procédure et elle réclame à ce titre la condamnation de M. [D] au paiement de la somme de 5000 euros outre 5000 euros pour ses frais d'appel
aux motifs que :
-sa mise à disposition à la Société générale est régulière et licite pour avoir été effectuée en application de contrats de prestations de service ne méconnaissant pas les dispositions du code du travail invoquées par le salarié et ne constituant aucunement un prêt de main d'oeuvre
-elle n'était pas obligée de le faire bénéficier des avantages réservés au personnel du client
-le contrat de travail l'autorisait à l'affecter à l'extérieur de l'entreprise et elle n'avait pas besoin d'obtenir son accord pour ses mises à disposition
-elle a géré ses congés et suivi étroitement son activité au sein de la Société générale en lien avec son correspondant sur place
-son licenciement pour faute grave est fondé sur les propos inconvenants et provocateurs tenus à l'encontre de personnels du client non couverts par la liberté d'expression
-les allégations du salarié quant au harcèlement moral et à la discrimination en raison de son handicap ne reposent sur aucun élément concret alors même que sa raison d'être est d'oeuvrer pour l'insertion des handicapés
-les demandes de nature salariale devront être rejetées car le salarié a été rempli de ses droits.
Par conclusions du 12 mai 2023 la Société Générale prie la cour de confirmer le jugement, de débouter M. [D] de ses demandes, subsidiairement de déclarer irrecevables les demandes au titre des salaires et accessoires antérieurs au 17 avril 2016 et de le condamner au versement d'une indemnité de procédure de 5000 euros
aux motifs que :
-en raison de son comportement quérulent elle a enjoint l'APF FRANCE HANDICAP, le 5 mars 2019, de remplacer M. [D] par un autre salarié dans les plus brefs délais
-sa demande de requalification de sa mise en disposition en contrat à durée indéterminée, soumise au délai de prescription de deux ans, était déjà prescrite lors de la saisine du conseil en référé
-M. [D] a toujours été salarié de l'APF qui le payait, gérait ses congés et assurait le suivi de son activité lors de points réguliers avec la concluante
-seule l'APF FRANCE HANDICAP exerçait le pouvoir disciplinaire, à tel point qu'elle l'a licencié pour faute grave
-toutes ses tâches s'inscrivaient dans le cadre des contrats de prestations de services, non assimilables à du prêt de main-d'oeuvre, conclus avec l'APF FRANCE HANDICAP
-n'étant pas l'employeur elle n'est pas redevable d'obligations en matière de formation
-elle n'a commis ni manquement à l'obligation de sécurité ni harcèlement moral ni discrimination, le salarié n'invoquant aucun élément précis
-les demandes salariales avant le 17 avril 2016 sont irrecevables car prescrites
-la cour ne pourra que rejeter ses demandes salariales infondées
-il ne peut être fait droit à la demande d'allocation de vacances soumise à des conditions de charge fiscale d'enfants non réunies
-la demande au titre des salaires postérieurs au licenciement n'est pas fondée puisque l'appelant n'a pas travaillé à son service après son licenciement.
MOTIFS
LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES
aux termes de l'article L 3245-1 du code du travail l'action en paiement du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Il résulte de la combinaison des articles L 3245-1 et L 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible.
En l'espèce il suffira d'indiquer que M. [D] cantonne ses demandes aux rémunérations exigibles moins de 3 ans avant la rupture de son contrat de travail le 16 avril 2019, voire même postérieures à cette date s'agissant de la demande dirigée exclusivement contre la Société générale. Ses demandes sont donc toutes recevables. Son action aux fins de reconnaissance d'un contrat de travail avec la Société générale est quant à elle soumise non pas au délai de prescription de 2 ans concernant l'exécution du contrat de travail mais au délai de 5 ans prévu par l'article 2224 du code civil concernant les actions personnelles et mobilières, ce délai courant du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Il résulte des explications des parties et des pièces que M. [D] n'a eu connaissance des faits lui ayant permis d'engager son action, c'est-à-dire de la possible illicéité de sa mise à disposition à la Société générale, que le 22 mars 2016 date de son courrier sollicitant son intégration dans ses effectifs, voire quelques semaines avant mais en toute hypothèse en 2016. Quand bien même la candidature de M. [D] sur l'intranet de la banque en mars 2015 serait retenue comme point de départ de ce délai les saisines du conseil de prud'hommes en référé et au fond en 2019, ont interrompu le délai de prescription quinquennal et fait courir un nouveau délai. Il en est déduit que les demandes afférentes sont recevables.
LA DEMANDE DE RECONNAISSANCE D'UN CONTRAT DE TRAVAIL AVEC LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
le cadre juridique
l'existence d'une relation de travail, supposant un lien de subordination, ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle. Le lien de
subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le travail au sein d'un service organisé pouvant constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.
En application de l'article L 8241-1 du code du travail, en sa version en vigueur lors des faits litigieux, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre est interdite et un prêt de main-d''uvre ne poursuit pas de but lucratif lorsque l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice, pendant la mise à disposition, que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition. du salarié à sa disposition.
Il résulte des articles D 5213-81 et suivants du code du travail en leur version applicable que pour être licite la mise à disposition par une entreprise adaptée d'un travailleur handicapé implique que son accord ait été recueilli par avenant précisant le travail confié, les horaires et le lieu d'exécution, les éléments de rémunération et les conditions d'une offre d'embauche au sein de l'entreprise utilisatrice. Ces textes limitaient à une durée d'une année la mise à disposition renouvelable une fois et imposaient la consultation du comité d'entreprise de l'entreprise utilisatrice. Ces dispositions s'appliquent en l'espèce puisqu'il ressort des justificatifs que l'APF est une entreprise adaptée au sens des articles R 5213-65 et suivants du code du travail, ce dont elle se prévalait sur les factures adressées à la Société générale.
Conséquences en l'espèce
il ressort des productions que M. [D] était mis à la disposition de la Société générale en vertu de contrats de prestations de service s'étant succédé sans discontinuité et caractérisant en tant que tels un prêt de main d'oeuvre dont la licéité dépend des conditions dans lesquelles il est intervenu. Aucune de ces conditions spécifiées par les articles D 5213-81 et suivants du code du travail n'est remplie. En effet, M. [D] n'a pas donné son accord écrit à sa mise à disposition, aucun contrat signé par le salarié ne fixe la nature du travail confié au sein de l'entreprise utilisatrice, les éléments et les modalités de paiement de la rémunération convenue et les conditions d'une offre d'embauche au sein de celle-ci. Par ailleurs, la consultation du comité d'entreprise ou du comité social et économique de la SG n'est ni alléguée ni établie. Les intimées font valoir que la signature d'un avenant n'était pas nécessaire au regard de l'article 4 du contrat de travail prévoyant la possibilité d'affecter M. [D] à un travail extérieur sans modification du contrat de travail mais cette ligne de défense est infondée dans la mesure où le contrat prévoyait une activité dans les locaux de l'association ou « à partir de ces locaux pour des activités extérieures » ce qui ne caractérise pas l'accord du salarié quant à un travail exclusif, pendant plusieurs années, dans les locaux d'un client. Il ressort par ailleurs des factures qu'en contrepartie des prestations réalisées par M. [D] la Société Générale payait à l'APF FRANCE HANDICAP chaque mois un forfait global de plus de 3500 euros mensuels excédant le coût de son salaire (1200 euros), de ses charges sociales et de ses frais professionnels, ce qui entre dans la définition du prêt de main d'oeuvre illicite à but lucratif au sens de l'article L 8241-1 du code du code du travail.
Il résulte des développements précédents que l'APF FRANCE HANDICAP et la Société générale ont conclu une opération de prêt de main d''uvre à but lucratif, qu'elles ont toutes les deux exercé le pouvoir de direction sur M. [D], qu'elles ont conjointement contrôlé l'exécution de leurs directives et qu'au final elles ont de concert décidé de le congédier. La demande de qualification de la relation de travail entre l'appelant et la Société générale en contrat de travail sera donc accueillie.
LES DEMANDES AU TITRE DE L'EXÉCUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL
M. [D] indique à juste titre que sa classification relève de la convention collective nationale des banques et de l'emploi de technicien des métiers de la banque. En sa qualité d'employeur la Société Générale devait lui payer une rémunération conforme aux fonctions réellement accomplies et au moins égale aux minima conventionnels.
Le salarié soutient avoir accompli des fonctions de technicien des métiers de la banque de niveau B mais en application de l'article 33 de la convention collective de la banque le niveau B est accessible aux salariés :
-disposant de connaissances techniques, acquises soit par une formation, notamment dans le cadre de la formation initiale, soit par une expérience
-exécutant des tâches administratives ou commerciales simples, répétitives et peu diversifiées et pouvant requérir une certaine polyvalence.
Il ne résulte pas du descriptif des fonctions exercées par M. [D] qu'il disposait de connaissances techniques acquises soit par une formation soit par une expérience. Il accomplissait des tâches d'appui matériel aux services telles que l'archivage, les commandes de papier, la réception et le traitement du courrier mais ces tâches de base relevaient du niveau A des techniciens attribué aux employés exécutant des tâches simples, répétitives et peu diversifiées. Sa demande sera donc rejetée en sa branche principale. Celle fondée sur l'application de la garantie individuelle salariale prévue par l'article 41 de la convention collective n'est quant à elle pas discutée et il y sera fait droit puisque le concluant en remplit les conditions. Il lui sera à ce titre alloué la somme de 1360,97 euros augmentée de l'indemnité compensatrice de congés payés. Les demandes au titre de la prime de participation et d'intéressement, non contestées, seront également accueillies.
M. [D] soutient avoir accompli des heures supplémentaires. Il fournit, dans ses conclusions, des éléments précis sur les heures prétendument effectuées permettant aux intimées d'y répondre en fournissant leurs propres éléments, notamment des courriels à sa direction et à la Société générale faisant état de près de 100 heures supplémentaires impayées, restés sans réponse. Ni la Société générale ni l'APF ne fournissent de données sur le temps travaillé par leur cocontractant et elles ne lui ont réglé aucune heure supplémentaire. Vu les éléments versés aux débats la créance sera chiffrée à la somme mentionnée dans le dispositif du présent arrêt. Le surplus de la demande sera rejeté.
Il ressort des développements précédents que les intimées ont conclu une opération de prêt de main d'oeuvre illicite et que l'emploi de M. [D] au sein de la Société Générale a été dissimulé volontairement sous couvert de conventions de prestations de service visant à contourner l'application de la loi. Les co-employeurs n'ont pas déclaré toutes les heures effectuées par le salarié, ils ont fait la sourde oreille lorsque celui-ci a attiré leur attention sur sa créance d'heures supplémentaires et ils n'ont pas contrôlé ses temps de travail. Du reste, les cotisations sociales ont été calculées sur la base d'un salaire inférieur à celui résultant de la convention collective applicable. L'article L 8223-1 du code du travail réserve le bénéfice de l'indemnité pour travail dissimulé aux salariés auxquels l'employeur a eu recours en violation des articles L 8221-3 et L 8221-5 du code du travail et de manière intentionnelle, ce qui dans la présente affaire est avéré. Il sera donc fait droit à la demande.
La demande d'allocation de vacances sera en revanche rejetée. Il résulte en effet de l'accord d'entreprise produit aux débats que le versement de cette allocation était subordonné à l'existence d'enfants fiscalement à charge ce dont M. [D] ne justifie pas.
Celui-ci réclame des dommages-intérêts du chef de manquements de ses employeurs à l'obligation de formation mais si ceux-ci n'ont engagé aucune action de formation le salarié ne décrit ni la nature ni l'étendue de son préjudice et il n'en établit pas l'existence. Sa demande sera donc rejetée. C'est tout aussi vainement qu'il réclame des dommages-intérêts pour manquements à l'obligation de sécurité faute de démontrer des manquements de ses employeurs. Si ceux-ci n'allèguent pas avoir établi un plan de prévention des risques psychosociaux le concluant ne justifie d'aucun préjudice. Il n'établit, non plus, aucun préjudice en raison des quelques jours de retard pour sa visite de reprise devant le médecin du travail. Il dit avoir été forcé de porter des charges lourdes sans en justifier ni établir l'existence de préconisations de la médecine du travail limitant son employabilité. Il ne résulte pas des éléments versés aux débats que ses conditions de travail aient méconnu les dispositions du code du travail ou de la convention collective en matière d'emploi des travailleurs handicapés. Il invoque un surmenage ne résultant d'aucune pièce et ses problèmes de santé apparaissent sans lien avec ses conditions de travail et encore moins avec des manquements de ses employeurs à leurs obligations. De l'examen des pièces versées aux débats, notamment les échanges de correspondances, il ressort que son handicap en tant que tel n'a jamais été pris en considération dans les décisions même défavorables le concernant et qu'elles ont été prises pour des raisons étrangères à tout harcèlement moral et discrimination, lesquels ne peuvent s'inférer de la caractérisation du prêt de main d'oeuvre. Sa demande de dommages-intérêts afférente sera donc rejetée.
La Société générale lui a notifié son licenciement verbal sous la forme d'un refus de le laisser accéder à ses locaux et son licenciement par le co-employeur est la conséquence de la volonté du client de cesser toute relation avec l'intéressé. Il sera ajouté, surabondamment, que M. [D] ne s'est pas tenu à la disposition de la Société générale après la rupture et qu'il n'a accompli aucune prestation pour son compte. Il sera donc débouté de sa demande au titre des salaires postérieurs à son licenciement.
LES DEMANDES AU TITRE DE LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL DIRIGÉES CONTRE L'APF FRANCE HANDICAP
il résulte des développements précédents que M. [D] établit le refus constant de la Société générale de le voir intégrer ses effectifs, l'absence de formation, le retard apporté à sa convocation à la visite de reprise, l'absence de plan de prévention et de paiement d'heures supplémentaires mais pris globalement ces éléments ne laissent pas présumer la discrimination. La cour observe qu'il a été recruté par l'intimée, entreprise adaptée ayant pour objet de favoriser l'emploi des handicapés, précisément en raison de son handicap. Sa demande d'annulation du licenciement en ce qu'il serait intervenu dans un contexte de discrimination n'est donc pas fondée. Il n'en demeure pas moins qu'immédiatement après que la Société générale a mis fin à son contrat en lui interdisant tout accès dans ses locaux l'APF l'a licencié par lettre ainsi rédigée :
«Monsieur, ..nous vous rappelons les griefs que nous sommes amenés à formuler à votre encontre :
en tant que salarié de l'APF, vous êtes tenu d'un devoir d'exemplarité, En tant que salarié de l' APF, vous êtes tenu d'une obligation de réserve générale. Conformément à ces obligations vous êtes tenu de vous abstenir de tenir des propos injurieux, diffamatoires, dénigrants et excessifs. Or, dans le cadre de l'exécution de votre contrat de travail sur le site de notre client la SOCIETE GENERALE nous avons été informés par celui-ci de votre dérapage comportemental récurrent, intempestif, via leur réseau informatique interne, par le biais de multiples courriels adressés à différents destinataires salariés de la SOCIETE GENERALE. Courriel du 23/01/2019
Par courriel en date du 23 janvier 2019, Monsieur [J] [B], Responsable des Ressources Humaines du CDS (Centre de Services) de [Localité 4], vous adressait un courriel en réponse à un courriel que vous lui aviez adressé en date du 22 janvier 2019 à 15h57, dont on constate qu'il est déjà ironique, provocateur, moqueur, lorsque vous indiquez le concernant : «votre perception du temps me parait être à géométrie variable, Monsieur [B], et vous ne pouvez demander à Monsieur [H] de résoudre seul cette équation». En réponse à ce courriel, Monsieur [J] [B] vous répond de façon correcte et respectueuse. Vous lui adressez alors un nouveau courriel quelques minutes après (le 23/01/2019 à 12h12) au terme duquel vous mentionnez délibérément et de façon provocatrice des informations inexactes, je cite : «merci pour ce relais d'information vers mon (ex) employeur concernant l'exécution de mon contrat de travail (caduque)». Ce courriel était évidemment destiné à agacer votre interlocuteur voire à l'amener à perdre son sang-froid à votre égard, dans le cadre d'un contexte conflictuel de provocation constante et récurrente. Dernièrement, nous avons été rendus destinataire d'un courriel de la SOCIETE GENERALE en date du 05 mars 2019. Ce courriel émane de Monsieur [E] [K], Directeur du CDS (Centre de Services) SOCIETE GENERALE de [Localité 4]. Celui-ci nous informe avoir été alerté par Monsieur [J] [B], RRH, de difficultés persistantes résultant de votre comportement. Celui-ci stigmatise votre comportement fautif consistant à adresser, de votre seule initiative des courriels relatifs à votre situation au sein du site de la SOCIETE GENERALE, au fonctionnement de certains services de ce site, aux compétences de Monsieur [J] [B]. Ceux-ci outrepassent la liberté d'expression dont dispose tout salarié. De surcroît, ces courriels ont été adressés également à des membres de la Direction Générale de la SOCIETE GENERALE ce qui révèle de votre part une intention délibérée de porter atteinte à la réputation de la SOCIETE GENERALE.
S'agissant de courriels relatifs à votre situation au sein de la SOCIETE GENERALE :
Vous n'avez pas à importuner notre client sur votre situation contractuelle... vous êtes salarié de l' APF. S'agissant de courriels relatifs au fonctionnement des services de la SOCIETE GENERALE :
Votre critique, dénigrante, du fonctionnement des services du site de la SOCIETE GENERALE constitue une remise en cause du fonctionnement interne de notre client. II n'entre pas dans votre mission de procéder à de tels commentaires qui caractérisent un abus de la liberté d'expression. S'agissant d'un courriel adressé à Monsieur [J] [B] remettant en cause ses compétences : Vous avez adressé un courriel le 08 février 2019 à Monsieur [J] [B] au terme duquel, vous indiquez :
«Monsieur [B], votre constance à nier l'évidence n'est plus à démontrer : Je vous cite : -«Mesure dérogatoire décidée en votre faveur»... plaisant comme approche inclusive... Vous estimez donc qu'au regard du texte de loi que je vous ai communiqué la Direction estime qu'elle n'a pas à l'appliquer mais que c'est à son bon vouloir ''' exquis (cf. Cour Cass. soc., 07 Novembre 2007 n° 06-12309), la suite ' «.. et sur laquelle la Direction ne peut et n'a pas à se prononcer.» Tiens donc !! Quid du PV du CE du 18 (Novembre/Décembre) signé de la main de Mr [K] qui entérine l'objet de ma question ' Délicieux
Un pti dessert pour finir avec le EXT '' Celui-ci sera copieux vu le nombre de copie d'écran de l'annuaire interne S.G. en ma disposition. Votre amateurisme me laisse pantois... Selon votre modus operandi lorsqu'une situation vous échappe, je vous laisse le soin de transmettre ce courrier à qui bon de droit. Excellente journée Mr [B]!!!!»
Tant les termes, utilisés que les commentaires ainsi que la ponctuation se révèlent insultants et provocateurs à son encontre. Vous avez outrepassé la liberté d'expression. En outre, l'examen de ce courriel permet de constater que vous tentez d'intimider votre interlocuteur en usant de la faculté que vous vous êtes arrogée de diffusion informatique tous azimuts.Cette faculté, vous vous l'êtes unilatéralement octroyée sans y avoir été autorisé. Par courriel en date du 06 février 2019 adressé à de multiples destinataires au sein de la SOCIETE GENERALE, vous interpellez plusieurs membres de la Direction dans son ensemble en commentant une soi-disant attitude à votre égard. Ce commentaire constitue une atteinte à leur réputation et révèle en outre une tentative d'intimidation sous-jacente. Enfin, circonstance aggravante de l'appréciation de votre comportement fautif évoqué ci-dessus, lors de ma venue sur le site de la SOCIETE GENERALE le 18 décembre 2018, je vous ai personnellement rappelé le cadre, les limites, l'attitude mesurée qu'il vous incombait d'adopter. Manifestement, en vain, au regard des manquements fautifs évoqués postérieurement. Nous vous rappelons les dispositions de notre Règlement Intérieur en son article 17...
Les manquements fautifs constatés constituent une faute grave. En conséquence de quoi, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave...»
Il résulte de l'examen des courriels mentionnés dans cette lettre, adressés par M. [D] à M. [B], responsable des RH au sein de la Société générale et correspondant de M. [H] directeur de l'APF FRANCE HANDICAP que :
-le courriel du 8 février 2019 comporte des termes inconvenants («votre amateurisme me laisse pantois») ainsi qu'une menace à peine voilée d'adresser à tous les salariés de l'annuaire interne un courriel détaillant les causes du conflit opposant M. [D] à son interlocuteur
-dans le courrier du 23 janvier 2019 M. [D] qualifie l'APF «d'ex employeur»
-dans son courriel du 8 février 2019 il qualifiait ironiquement l'attitude de M. [B] d'exquise et de délicieuse et ajoutant «un petit dessert pour finir '», ce qui était incorrect et outrepassait les bornes de la liberté d'expression alors même que les écrits de M. [B] ne contenaient aucun terme inapproprié et qu'il ne faisait que rapporter la position de son propre employeur sur un ton mesuré. Il ressort par ailleurs de leurs en-têtes que les courriels précités ont été envoyés à plusieurs salariés de la Société générale sans qu'aucun élément ne justifie une telle publicité. Il ressort de ces éléments que le dénigrement du client /employeur est caractérisé. Il s'en déduit que le licenciement n'est pas nul et qu'il repose sur une cause réelle et sérieuse. Pour autant, il était loisible à l'AFP d'affecter M. [D] à d'autres missions dans l'association pendant la durée limitée de son préavis, d'autant que son dossier disciplinaire était vierge. La faute grave n'est donc pas caractérisée.
Eu égard à sa qualité de travailleur handicapé le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis égale à 3 mois de salaires soit la somme réclamée outre les congés payés afférents. Au titre de l'indemnité de licenciement et des salaires de la mise à pied conservatoire il lui sera alloué les sommes réclamées dont le chiffrage n'est pas discuté.
Les frais de procédure
l'appel a occasionné des frais qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [D].
PAR CES MOTIFS, LA COUR
INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande au titre du licenciement nul
statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et y ajoutant
DECLARE recevables toutes les demandes de M. [D]
DIT que la Société générale et l'APF FRANCE HANDICAP ont été ses employeurs du 2/1/2012 au 16/1/2019
CONDAMNE la SOCIETE GENERALE et l'APF FRANCE HANDICAP in solidum à lui payer les sommes suivantes :
1360,97 euros de rappel de salaires du 18 avril 2016 au 16 avril 2019
136,09 euros bruts d'indemnité de congés payés,
602 euros de prime de participation,
6416 euros de prime d'intéressement,
2388,64 € bruts d'heures supplémentaires
238,86 € bruts d'indemnité de congés payés
10 012,98 € d'indemnité pour travail dissimulé
3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE l'APF FRANCE HANDICAP à lui verser les sommes suivantes :
2 637,82 euros bruts de salaires de la mise pied conservatoire
263,78 € bruts d'indemnité de congés payés
3404,41 euros d'indemnité de licenciement,
5 006,49 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis
500,64 € d'indemnité de congés payés
DIT que les intérêts courront à compter de la demande pour les créances salariales et du jour du prononcé du présent arrêt pour celles ayant une nature indemnitaire
DEBOUTE M. [D] du surplus de ses demandes
CONDAMNE in solidum l'APF FRANCE HANDICAP et la Société générale aux dépens d'appel et de première instance.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Marie LE BRAS