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04/07/2024 | FRANCE | N°22/04843

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 2 section 2, 04 juillet 2024, 22/04843


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 2 SECTION 2



ARRÊT DU 04/07/2024



****





N° de MINUTE :

N° RG 22/04843 - N° Portalis DBVT-V-B7G-URIL



Jugement (N° 20/00118) rendu le 29 août 2022 par le tribunal de commerce de Dunkerque





APPELANTE



Société Timauto prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social, [Adresse 1]



représentée par Me Franck Gys, avo

cat au barreau de Dunkerque, avocat constitué





INTIMÉES



SELARL Delezenne & Associés, représentée par la SELAS Perspectives, en qualité de liquidateur de la société RS Conseils & Audits

ayant son sièg...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 04/07/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/04843 - N° Portalis DBVT-V-B7G-URIL

Jugement (N° 20/00118) rendu le 29 août 2022 par le tribunal de commerce de Dunkerque

APPELANTE

Société Timauto prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social, [Adresse 1]

représentée par Me Franck Gys, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué

INTIMÉES

SELARL Delezenne & Associés, représentée par la SELAS Perspectives, en qualité de liquidateur de la société RS Conseils & Audits

ayant son siège social, [Adresse 2]

Intervenant volontaire

SAS RS Conseils & Audits représentée par son liquidateur amiable, Mme [T] [Z], domicilié [Adresse 4] à [Localité 5]

ayant son siège social, [Adresse 3]

représentées par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Me Nathalie Siu Billot, avocat plaidant, substituée par Me Marie-Françoise Blaize, avocats au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Anne Soreau, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Ismérie Capiez

DÉBATS à l'audience publique du 18 avril 2024 après rapport oral de l'affaire par Stéphanie Barbot

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 juillet 2024 (délibéré avancé, initialement fixé au 5 septembre 2024, date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 mars 2024

****

FAITS ET PROCEDURE

Par une lettre de mission du 1er janvier 2016, la société Timauto a confié à la société d'expertise comptable RS conseils et audits (la société RS) une mission de présentation des comptes annuels et d'établissement des déclarations fiscales y afférentes, ainsi que des missions comptables, sociales et fiscales, moyennant le paiement d'honoraires par la société Timauto.

Deux avenants successifs, acceptés par la société Timauto, ont modifié le montant des honoraires comptables.

 

Le 30 septembre 2019, la société Timauto a résilié la lettre de mission, avec effet immédiat, et demandé à récupérer ses pièces comptables.

Le 13 novembre 2019, la société Timauto a saisi le conseil régional de l'ordre des experts-comptables de Lille du litige l'opposant à la société RS, aux fins de conciliation, en vain.

Le 31 décembre 2019, la société RS a adressé à la société Timauto plusieurs notes d'honoraires, qui n'ont pas été payées.

 

Le 5 mai 2020, la société Timauto a mis en demeure la société RS de lui payer la somme de 37 497,60 euros, incluant :

- des trop-perçus d'honoraires au titre des années 2017 et 2018 ;

- le remboursement de frais payés à des tiers, auxquels elle aurait recouru pour pallier les carences de l'expert-comptable ;

- et le remboursement des honoraires comptables payés au titre de l'exercice comptable 2019.

Le 1er octobre 2020, la société Timauto a assigné la société RS en prononcé de la résiliation du contrat au 30 septembre 2019, aux torts de l'expert-comptable, en remboursement de diverses sommes au titre des années 2017 et 2018, et en injonction de restituer l'intégralité des pièces comptables, sous astreinte.

La société RS a soulevé la forclusion de la demande en paiement, en application des conditions générales de la lettre de mission et, subsidiairement, demandé le rejet des demandes. A titre reconventionnel, elle a demandé le paiement de ses honoraires impayés.

Par un jugement du 29 août 2022, le tribunal de commerce de Dunkerque a :

- déclaré irrecevables les demandes en paiement ou remboursement formées par la société Timauto ;

- condamné la société Timauto à payer à la société RS la somme de 16 917,60 euros au titre des honoraires relatifs aux données 2018 et 2019, et rejeté le surplus de ses demandes ;

- ordonné en tant que de besoin la restitution simultanée par la société RS des fichiers « FEC » ;

- rejeté toute demande d'indemnité procédurale ;

- condamné les parties à supporter pour moitié chacune les dépens de l'instance.

 

Le 18 octobre 2022, la société Timauto a interjeté appel de cette décision :

* en tous ses chefs, sauf celui ordonnant à l'expert-comptable de restituer des fichiers,

* et en ce que le tribunal n'a pas accueilli ses demandes (v. le détail dans sa déclaration d'appel).

Le 12 septembre 2023, la société RS a été mise en liquidation judiciaire, la société Delezenne & associés étant nommée en qualité de liquidateur.

Le liquidateur est intervenu volontairement à l'instance d'appel par des conclusions notifiées par la voie électronique le 27 octobre 2023.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 décembre 2023, la société Timauto demande à la cour de :

Vu l'ancien article 1134 du code civil,

Vu l'ancien article 1147 du code civil,

Vu les articles 1302-1 et 1303 du code civil,

Vu les articles 11 et 151 du code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable,

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Delezenne ;

- annuler, ou pour le moins infirmer, et en tout état de cause réformer en sa totalité le jugement entrepris en ce qu'il :

* a déclaré irrecevables ses demandes de paiement ou remboursement,

* l'a condamnée à payer à la société RS la somme de 16 917,60 euros au titre des honoraires relatifs aux années 2018 et 2019,

* a condamné les parties à supporter pour moitié les dépens de l'instance,

sauf en ce qu'il a ordonné la restitution simultanée par la société RS des fichiers « FEC » et en ce qu'il a rejeté le surplus des demandes reconventionnelles de l'expert-comptable, ainsi que de sa demande d'indemnité procédurale ;

Y ajoutant,

- dire son action recevable ;

- dire que la société RS a engagé sa responsabilité contractuelle pour non-respect des honoraires prévus dans sa lettre de mission et rétention arbitraire de pièces comptables ;

- dire que les conditions de la répétition de l'indu sont caractérisées, et, à titre subsidiaire, que les conditions de l'enrichissement injustifié sont caractérisées ;

- dire que le contrat du 1 janvier 2016 conclu avec la société RS a été rompu aux torts exclusifs de cette dernière, avec effet au 30 septembre 2019 ;

- fixer sa créance au passif chirographaire de la société RS comme suit :

* 16 627,20 euros TTC au titre du trop-perçu de l'année 2017 ;

* 6 192 euros TTC au titre du trop-perçu de l'année 2018 ;

* 3 378,72 euros au titre du coût « Top secrétariat » de l'année 2018 ;

* 3 344,44 euros TTC au titre du coût pour établir la comptabilité de l'année 2018 par le cabinet Sofeco ;

* 10 992 euros TTC au titre des sommes versées à tort en 2019 ;

* 6 695,13 euros TTC au titre du surcoût comptable en 2019 ;

- dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal majoré à compter de la mise en demeure du 4 novembre 2019 et bénéficieront de l'anatocisme par année entière ;

- enjoindre au liquidateur de la société RS de lui restituer l'intégralité des « documents comptes » (sic), sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la décision à intervenir, à savoir :

* les codes d'accès et fichiers FEC au cabinet Sofeco ;

* ses pièces comptables ;

* un avoir sur la facture de 10 000 euros HT ;

En tout état de cause,

- condamner le liquidateur à lui payer la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité procédurale, les entiers dépens et la somme de 120 euros au titre de la saisine du conseil de l'ordre des experts comptables.

Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 octobre 2023, la société RS et son liquidateur, la société Delezenne et associés, demandent à la cour de :

*A titre principal :

- recevoir l'intervention volontaire du liquidateur de la société RS ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il « déclare irrecevable la société Timauto en ses demandes de paiement ou de remboursement » ;

- infirmer ce jugement en ce qu'il :

* condamne la société Timauto à payer à la société RS la somme de 16 917,60 euros au titre des honoraires relatifs aux données 2018 et 2019 et rejette le surplus sollicité ;

* ordonne en tant que de besoin la restitution simultanée par la société RS des fichiers « FEC » ;

* condamne les parties à supporter pour moitié chacune les dépens de l'instance ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société Timauto à payer au liquidateur de l'expert-comptable la somme de 39 388 euros correspondant au montant des honoraires impayés de la société RS ;

- rejeter toutes les demandes la société Timauto ;

- condamner la société Timauto à payer au liquidateur de l'expert-comptable la somme de 7 000 euros à titre d'indemnité procédurale ;

* A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement entrepris et déclarerait recevables les demandes de la société Timauto :

Statuant à nouveau,

- constater l'absence de faute, de préjudice indemnisable et de lien de causalité établis à l'encontre de la société RS ;

- dire que les demandes de restitution des honoraires ne sont pas justifiées ;

- dire que la société RS n'exerce pas de rétention abusive sur les éléments comptables de la société Timauto ;

- en conséquence, rejeter l'ensemble des demandes de la société Timauto ;

- condamner la société Timauto à payer au liquidateur la somme de 39 388 euros au titre des honoraires impayés de la société RS ;

- condamner la société Timauto à payer au liquidateur la somme de 7 000 euros à titre d'indemnité procédurale, ainsi qu'aux dépens d'appel.

***

Le 3 juin 2024, en application de l'article 442 du code de procédure civile, la cour a envoyé aux parties une note en délibéré afin de les inviter à s'expliquer uniquement sur les points suivants :

1°/ dans l'hypothèse où serait accueillie la demande de la société Timauto fondée sur l'action en répétition de l'indu : la demande d'intérêts formée par la société Timauto à compter du jugement ouvrant la liquidation judiciaire de la société RS conseils et audits, est-elle fondée, au regard du principe de l'arrêt du cours des intérêts issu de l'article L. 622-28 du code de commerce '

2°/ sur la demande de remboursement de la société Timauto fondée, subsidiairement, sur l'enrichissement injustifié : cette demande est-elle recevable au regard des dispositions de l'article 1303-3 du code civil, qui dispose que « l'appauvri n'a pas d'action sur ce fondement lorsqu'une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription » '

Le 4 juin 2024, la société Timauto a fait parvenir, via le RPVA, les observations suivantes :

- l'article L. 622-28 du code de commerce arrêtant le cours des intérêts, sa créance produira intérêts jusqu'au 12 septembre 2023, date de la mise en liquidation judiciaire de la société RS Conseils ;

- son action est fondée, à titre principal, sur la responsabilité contractuelle et, subsidiairement, sur la répétition de l'indu. Ce n'est qu'à titre très subsidiaire qu'elle invoque l'enrichissement indu, comme elle est en droit de le faire.

Et le 6 juin 2024, la société RS et son liquidateur ont fait parvenir à la cour, via le RPVA, les observations suivantes :

- il n'est pas possible de faire courir les intérêts à compter du jugement ouvrant la liquidation judiciaire de la société RS ;

- la demande formée par la société Timauto sur le fondement de l'enrichissement injustifié n'est pas recevable, dès lors que le contrat liant les parties constitue une justification suffisante et que l'appauvri n'est pas fondé à se plaindre du profit que le contrat a pu procurer au cocontractant.

MOTIFS

A titre liminaire, il y a lieu de donner acte à la société Delezenne et associés de ce qu'elle intervient volontairement en qualité de liquidateur de la société RS.

A- Sur la recevabilité des demandes en paiement formées par la société Timauto

La société Timauto soutient que ses demandes sont recevables, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal. En effet :

- l'article 5 de la lettre de mission, invoqué par l'expert-comptable, fixe un délai de 3 mois pour ester en justice en cas de survenance d'un sinistre ;

- cette clause doit s'interpréter de manière restrictive puisqu'elle limite les droits du cocontractant et, en l'occurrence, son application suppose un manquement professionnel imputable à l'expert-comptable et que soit demandée sa condamnation à des dommages et intérêts ;

- en l'espèce, son action est fondée sur le non-respect de la convention d'honoraires par l'expert-comptable, et non sur une faute dans le suivi de la comptabilité. Il est reproché à la société RS non d'avoir mal travaillé, mais de ne pas avoir travaillé du tout et, partant, d'avoir facturé des prestations indues, et de ne pas avoir respecté les honoraires contractuellement prévus. Ne lui sont donc pas demandés des dommages et intérêts, mais le remboursement de sommes indues, sur le fondement de l'enrichissement indu prévu à l'article 1302-1 du code civil. Cette demande est soumise à la prescription quinquennale, laquelle n'est pas acquise en l'espèce.

En réponse, la société RS et son liquidateur font valoir que le jugement doit être confirmé sur l'irrecevabilité « des actions » de la société Timauto.

En effet :

- la lettre de mission prévoit notamment un délai préfix de 3 mois dans lequel la société Timauto est tenue d'assigner son expert-comptable, et la jurisprudence analyse ce type de clause comme instituant un délai de forclusion contractuelle, qui doit s'appliquer entre les parties ;

- en l'espèce, faute pour l'appelante d'avoir initié son action indemnitaire dans les trois mois suivant la date à laquelle elle a eu connaissance du sinistre, cette action est forclose ;

- l'appelante avait connaissance des faits qu'elle estime être à l'origine de son sinistre dès le 13 novembre 2019, date de sa lettre de saisine de l'ordre des experts-comptables. Or, c'est plus d'un an après, le 1er octobre 2020, qu'elle a assigné la société RS à ce titre. Ses demandes sont donc irrecevables, ainsi que l'a retenu le jugement entrepris ;

- il résulte des conclusions de la société Timauto que cette dernière admet que l'expert-comptable n'a commis aucun manquement contractuel, ce qui montre qu'elle est de mauvaise foi et que ses moyens sont dépourvus de sérieux. En effet, au vu de ses griefs, c'est la facturation qu'elle conteste, ce que confirme son assignation, invoquant un manquement pour non-respect de la lettre de mission ;

- en tout état de cause, la société Timauto met en cause la responsabilité civile contractuelle de la société RS pour non-respect des honoraires prévus dans la lettre de mission. Dès lors, la clause litigieuse, ne faisant aucune distinction dans le « sinistre » visé, doit s'appliquer.

Réponse de la cour

En droit, il résulte l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable en la cause au vu de la date de conclusion de la lettre de mission litigieuse, que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

En application de ce texte, il a déjà été jugé que la clause qui fixe un terme au droit d'agir du créancier - communément appelée « clause de forclusion  -, institue un délai de forclusion, et non un délai de prescription (V. not. : Com. 15 oct. 2013, n° 12-21704, publié ; Com. 26 janv. 2016, n° 14-23285, publié ; Com. 30 mars 2016, n° 14-24874). Une telle clause est donc, en principe, licite.

Par ailleurs, dès lors que la lettre de mission a un rapport direct avec l'activité d'une société ayant confié une mission à un expert-comptable, cette société, n'étant pas un non-professionnel au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001, ne peut se prévaloir du caractère abusif de la clause de forclusion stipulée dans les conditions générales d'intervention de l'expert-comptable (Com. 11 oct. 2023, n° 22-10521, publié).

En l'espèce, il convient de relever, à titre liminaire, que la lettre de mission du 1er janvier 2016 a un rapport direct avec l'activité de la société Timauto. Cette dernière n'ayant donc pas la qualité de non-professionnel au sens de l'article L. 132-1 précité, la cour n'est pas tenue de vérifier, d'office, si cette clause revêt un caractère abusif.

La lettre de mission régularisée entre les parties le 1er janvier 2016 est soumise à des conditions générales, parmi lesquelles l'article 5, intitulé « Responsabilité » et rédigé en ces termes :

Le membre de l'ordre assume dans tous les cas la responsabilité de ses travaux.

La responsabilité civile du membre de l'ordre pouvant résulter de l'exercice de ses missions comptables, fait l'objet d'une assurance obligatoire (...).

Toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant une période de 5 ans commençant à courir le premier jour de l'exercice suivant celui au cours duquel est né le sinistre correspondant à la demande. Celle-ci devra être introduite dans les 3 mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre.

La société Timauto ne conteste ni l'applicabilité de cette clause, ni sa licéité en ce que celle-ci, imposant au client un délai de trois mois pour agir contre l'expert-comptable, édicte un délai de forclusion.

Il ressort de leurs conclusions respectives que les parties divergent sur le sens et la portée de cette clause de forclusion.

Une telle clause ayant pour effet d'interdire à une partie d'agir en justice après l'écoulement d'un certain délai, elle doit être interprétée strictement.

La cour comprend des conclusions de la société Timauto :

- d'un côté, que cette dernière estime que cette stipulation suppose à la fois l'existence d'une faute de l'expert-comptable à l'origine d'un dommage subi par un tiers au contrat et que soit formée contre l'expert-comptable une demande de dommages et intérêts (v. point 2 de ses écritures, pp. 8 et 9) ;

- de l'autre, qu'en l'espèce, elle fait un double grief à l'expert-comptable : avoir facturé des prestations inexistantes et ne pas avoir respecté les honoraires forfaitaires prévus dans la lettre de mission, ce qui constitue un indu au sens de l'article 1302-1 du code civil (v. point 3 des conclusions, pp. 9-10, et p. 15).

De leur côté, les intimés considèrent que la clause de forclusion litigieuse trouve à s'appliquer dès lors que la responsabilité contractuelle de l'expert-comptable est mise en oeuvre, et donc y compris en cas de non-respect des honoraires prévus dans la lettre de mission, ajoutant que la clause ne fait aucune distinction sur la nature du fait dommageable (p. 11 de leurs conclusions).

La cour estime que la clause de forclusion ci-dessus reproduite doit s'interpréter en ce sens qu'elle s'applique dans l'hypothèse où le cocontractant de l'expert-comptable agit contre ce dernier sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute, à l'origine d'un dommage de toute nature, sans exiger que ce dommage soit subi par un tiers à la lettre de mission.

De ce constat, deux conséquences peuvent d'ores et déjà être tirées :

' Premièrement, sauf à étendre son champ d'application au-delà des prévisions des parties et, partant, à violer le contrat, cette clause de forclusion n'est pas applicable au second grief invoqué par la société Timauto, à savoir l'indu ou, subsidiairement, l'enrichissement injustifié, nés du non-respect par l'expert-comptable du montant des honoraires forfaitaires stipulés dans la lettre de mission.

En effet, l'action en répétition de l'indu est fondée sur les articles 1302 et 1302-1 du code civil et l'enrichissement injustifié (autrefois appelé « enrichissement sans cause ») sur l'article 1303 du même code. Ces trois textes sont inclus dans le titre III du code civil, intitulé « Des sources d'obligations », qui comprend trois sous-titres :

- un sous-titre 1 consacré au contrat,

- un sous-titre 2 dédié à la responsabilité extracontractuelle,

- et un sous-titre 3, dénommé « aux sources d'obligations », lui-même scindé en trois chapitres : le I consacré à la gestion d'affaires, le II au paiement de l'indu et le III à l'enrichissement injustifié.

Il s'en déduit que ce chapitre III traite exclusivement des quasi-contrats - définis par l'article 1300 comme « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui - et, surtout, que les quasi-contrats constituent une source d'obligations juridiquement distincte de la responsabilité contractuelle ou délictuelle.

Par conséquent, la clause de forclusion prévue à l'article 5 de la lettre de mission n'est applicable ni à l'action en répétition de l'indu, ni à l'action pour enrichissement injustifié exercées par le cocontractant de l'expert-comptable.

Et n'étant pas contesté que, tel que l'indique la société Timauto, ces actions ont été introduites dans le délai de prescription quinquennale de droit commun, elles ne sont pas prescrites. Les autres conditions, de recevabilité ou de fond, auxquelles ces actions sont subordonnées, seront examinées ci-après (§ B).

' Deuxièmement, la clause de forclusion est, à l'inverse, applicable à l'action en remboursement de la société Timauto fondée sur l'autre grief dont elle se prévaut, à savoir la facturation, par l'expert-comptable, de prestations « inexistantes ».

En effet, une telle action repose, en réalité, sur un manquement contractuel imputable à l'expert-comptable, l'inexécution de ses missions contractuelles ne constituant qu'une variété de faute contractuelle, d'un degré de gravité supérieur à la faute tenant à la mauvaise exécution des missions. Cette interprétation est, au demeurant, confortée par le fait qu'à plusieurs endroits, l'appelante fait état des « manquements », « négligences » et « carences » de la société RS, ou encore du « non-accomplissement de sa mission comptable et juridique » (v. pp. 16, 19, 20, 21).

Par conséquent, il apparaît, d'emblée, que certaines des demandes de fixation de créance formées par la société Timauto, dans le dispositif de ses conclusions, entrent dans le champ d'application de la clause de forclusion.

Il en va ainsi des trois créances correspondant aux dépenses que la société Timauto soutient avoir exposées :

- en 2018, « pour pallier les manquements graves et répétés de la société Timauto [comprendre la société RS] » (v. p. 19) : le coût de l'embauche d'une comptable, d'un montant de 3 378,72 euros TTC ;

- en 2018 (selon le dispositif des conclusions, p. 25) ou 2019 (selon les motifs de ses conclusions, p. 21), « afin de pallier les carences » de la société RS (v. p. 21) : les frais d'établissement de sa comptabilité 2019 par une société tierce, s'élevant à 3 434,44 euros TTC ;

- en 2019, pour « pallier les carences » de l'expert-comptable : le coût d'une comptable, évalué à 6 695,13 euros TTC.

Ces créances s'analysent, à l'évidence, en des demandes indemnitaires, dès lors qu'elles tendent à réparer le préjudice résultant de manquements imputés à l'expert-comptable dans l'accomplissement de ses missions. Ces créances relèvent donc du champ d'application de la clause de forclusion stipulée à l'article 5 de la lettre de mission.

Selon cet article 5, le point de départ du délai de trois mois dont la société Timauto disposait pour agir contre son expert-comptable a commencé à courir à la date à partir de laquelle cette société a eu la connaissance effective des préjudices qu'elle allègue.

Au vu des pièces versées aux débats, c'est au plus tard le 5 mai 2020, date de la lettre de mise en demeure qu'elle a adressée à la société RS (pièce n° 15 de l'appelante), que la société Timauto a eu connaissance de chacun de ces préjudices, cette lettre faisant précisément état de chacun d'eux, en les chiffrant.

Or, la société Timauto n'ayant introduit son action en responsabilité contre la société RS que par une assignation du 1er octobre 2020, soit plus de trois mois après qu'elle a eu connaissance du « sinistre », elle est forclose en ces demandes indemnitaires, qui sont donc irrecevables.

B- Sur le bien-fondé des demandes formées par la société Timauto au titre d'un indu ou d'un enrichissement injustifié, et les demandes en paiement d'honoraires formées par les intimés

La société Timauto fait valoir que :

- la société RS n'a pas respecté le montant de ses honoraires, tels que prévus dans la lettre de mission et ses deux avenants, qui prévoient un prix global et forfaitaire ;

- la société RS lui a donc facturé des sommes indues, au sens de l'article 1302-1 du code civil. En effet, lorsque la convention d'honoraires existe, l'expert-comptable ne peut réclamer que le montant prévu par la convention ou justifier de prestations supplémentaires et hors forfait. L'indu résulte du non-respect du prix forfaitaire convenu entre les parties et de l'absence de prestation tout en encaissant des honoraires ;

- subsidiairement, la société RS a bénéficié d'un enrichissement injustifié, au sens de l'article 1303 du code civil.

Puis la société Timauto détaille ses demandes au titre des années 2017, 2018 et 2019 (v. pp. 16 à 21 des conclusions).

En réponse, la société RS et son liquidateur rétorquent que :

- au préalable, la lettre de mission ne prévoit aucun montant forfaitaire pour la réalisation des missions comptable, juridique et sociale. Les prix indiqués ne sont que les montants de référence permettant d'établir la facturation en fonction du temps passé ;

- en tout état de cause, la société Timauto n'a jamais contesté les honoraires, acceptant toujours et sans contestation les factures qui lui ont été transmises pendant quatre ans. L'on ne voit donc pas sur quel principe ni sur quel fondement elle pourrait remettre en cause ces factures, qu'elle a acceptées en les payant dans les délais convenus ;

- surabondamment, les demandes de remboursement formées par la société Timauto ne sont pas justifiées, dès lors que les honoraires correspondent à des prestations effectives.

Et les intimés d'exposer le détail de leur argumentation pour chacune des années considérées (pp. 15 à 23).

Réponse de la cour

1°/ Sur le montant des honoraires contractuellement prévus

En droit, il résulte de l'article 1134 du code civil, précité, que les conventions légalement formées ont force obligatoire entre les parties qui les ont conclues.

En l'espèce, et en premier lieu, la lettre de mission conclue entre les parties le 1er janvier 2016 mettait à la charge de la société RS une mission de présentation des comptes annuels et d'établissement des déclarations fiscales y afférentes, ainsi que l'accomplissement des missions suivantes (p. 2, §1) :

- l'établissement des déclarations fiscales en cours d'exercice,

- l'établissement du dossier social,

- la tenue de l' assemblée générale annuelle,

- et le conseil.

Y était annexé un document précisant la nature des travaux confiés à la société RS, soit :

' en matière comptable :

- pour les achats et ventes : la tenue du journal et la centralisation  ;

- pour la caisse : la centralisation ;

- pour les immobilisations : la saisie et la dotation des amortissements ;

' en matière sociale : l'établissement des bulletins de paie, la centralisation du journal des salaires et l'établissement des déclarations sociales ;

' en matière fiscale : la déclaration de taxe sur le chiffre d'affaires et la déclaration des résultats de fin d'exercice ;

' et en matière juridique : la rédaction des projets de procès-verbaux des conseils et assemblées et la tenue des livres obligatoires (registre de présence, procès-verbaux, registre des mouvements d'actions).

Concernant les honoraires, la lettre de mission est libellée comme suit :

A compter du 1er janvier 2016, les honoraires comptables sont budgétisés ainsi : 3 000 euros HT (sous réserve de révision des honoraires pour les exercices suivants). + 8 % de frais de dossiers et débours.

A compter du 1er janvier 2016, les honoraires juridiques sont budgétisés ainsi : 300 euros HT (sous réserve de révision des honoraires pour les exercices suivants). + 8 % de frais de dossiers et débours.

Deux avenants ont ensuite été régularisés entre les parties :

- l'avenant du 3 mai 2017 porte la mention suivante :

Selon votre accord, à compter du 1er janvier 2018, les honoraires comptables sont budgétisés ainsi : 4 000 euros (sous réserve de révision des honoraires pour les exercices suivants). + 8 % de frais de dossiers et débours.

- et celui du 2 juillet 2018 :

Selon votre accord, à compter du 1er janvier 2018, les honoraires comptables sont budgétisés ainsi : 15 000 euros (sous réserve de révision des honoraires pour les exercices suivants). + 8 % de frais de dossiers et débours.

Ces deux avenants précisent que « les autres dispositions de la lettre de mission du 01/01/2016 demeurent inchangées. »

La cour estime qu'il résulte de tout ce qui précède que l'intention des parties était de mettre à la charge de la société Timauto des honoraires forfaitaires, et non, comme le prétendent les intimés, d'indiquer des montants de référence permettant de facturer les prestations de l'expert-comptable en fonction du temps passé. Cette dernière lecture apparaît d'autant moins crédible que la lettre de mission ne contient aucun élément permettant de calculer le montant des honoraires dus en considération du temps effectivement consacré par l'expert-comptable à ses missions, en particulier le taux horaire de sa rémunération.

Par conséquent, à moins qu'il ne soit démontré que la société RS a accompli, à la demande de la société Timauto, des prestations supplémentaires, non incluses dans la lettre de mission, la première ne pouvait prétendre à d'autres honoraires que ceux fixés forfaitairement dans ce contrat. Sous cette réserve, il s'ensuit que, si la société RS a perçu un paiement supérieur au montant de ce forfait contractuel, cela constitue un indu soumis à répétition, en application de l'article 1302-1 du code civil, ainsi qu'il va être ci-après explicité.

2°/ Sur l'existence d'un indu ou d'un enrichissement injustifié

En droit, l'action en répétition de l'indu est notamment régie par les textes suivants, issus de l'ordonnance du 10 février 2016  :

Article 1302 du code civil :

Tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution.

La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.

Article 1302-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance précitée :

Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

L'indu objectif, tel que celui allégué en l'espèce, est caractérisé lorsque la dette payée n'existe pas ou plus, en tout ou partie. Tel est le cas, par exemple, en cas de trop-perçu, c'est-à-dire en cas de paiement d'une somme supérieure à celle due. De façon plus générale, tout versement excessif au regard de l'obligation due ouvre droit à l'exercice d'une action en répétition au profit du solvens (i.e. celui qui a payé ce qu'il ne devait pas).

Le succès de l'action en répétition de l'indu est subordonné à la démonstration, par le solvens, d'une part, de l'existence du paiement, d'autre part, du caractère indu de celui-ci.

En cas d'indu objectif, le solvens n'est pas tenu de démontrer qu'il a payé par erreur ou sous la contrainte (Ass. plén., 2 avril 1993, n° 89-15.490, publié ; Soc. 14 déc. 2004, n°03-46836, publié).

En outre, contrairement à l'action de in rem verso, qui présente un caractère subsidiaire, l'action en restitution de l'indu n'est pas subordonnée à l'absence de toute autre action ouverte au profit du demandeur (1re Civ., 19 oct. 1983, n° 82-11383, publié).

Par ailleurs, l'enrichissement injustifié est réglementé notamment par les textes suivants, issus de l'ordonnance du 10 février 2016 :

Article 1303 du code civil :

En dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.

Article 1303-3 du même code :

L'appauvri n'a pas d'action sur ce fondement lorsqu'une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription.

Il découle de ce dernier texte :

- d'une part, que l'enrichissement injustifié ne peut être invoqué qu'à titre subsidiaire, si aucune autre action n'est ouverte à l'appauvri dans l'ordre juridique. L'objectif est d'éviter qu'un tel enrichissement soit employé afin de contourner ou de suppléer une autre règle juridique. En d'autres termes, l'enrichissement injustifié ne sert qu'à combler les lacunes laissées par les autres sources d'obligations, sans pouvoir déborder sur elles ni ruiner leur régime propre ;

- d'autre part, l'enrichissement injustifié ne peut pas suppléer à une autre action qu'un obstacle de droit empêche d'exercer. L'article 1303-3 fournit la principale illustration de ce qu'il convient d'entendre par « obstacle de droit », mais cette catégorie n'est pas fermée. En fait notamment partie la forclusion, ainsi que le mentionne, d'ailleurs, le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance du 10 février 2016.

En l'espèce, la société Timauto se prévaut, à titre de moyen principal, d'un indu fondé sur les articles 1302 et 1302-1 du code civil et, subsidiairement, d'un paiement injustifié au sens de l'article 1303.

Au préalable, s'agissant de l'applicabilité de ces textes, issus de l'ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016, à une lettre une mission conclue, tel qu'en l'espèce, antérieurement à cette date, il convient de rappeler que c'est le fait juridique du paiement, à l'origine de l'indu, ou le fait juridique du paiement injustifié, qui constituent les critères de détermination de la loi applicable.

Le plus ancien des paiements (indus ou injustifiés) allégué par la société Timauto concernant l'exercice fiscal de l'année 2017, tous ces paiements sont, par hypothèse, postérieurs à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016. Les articles 1302 et 1302-1, et 1303 sont donc bien applicables au litige.

S'agissant du moyen principal tiré d'un indu, il y a lieu de rappeler que le paiement effectué en connaissance de cause ne fait pas obstacle à l'exercice par son auteur de l'action en répétition de l'indu (v. par ex. : Soc. 22 oct. 2008, n° 07-42367 ; Soc. 17 mai 2011, n° 10-12852, publié).

Dès lors, la circonstance que la société Timauto ait payé les factures correspondant aux honoraires querellés n'est pas de nature à la priver de la possibilité d'agir en reconnaissance d'une éventuelle créance d'indu. Ainsi, et contrairement à ce que soutiennent les intimés (pp. 14-15 de leurs conclusions), il importe peu que la société Timauto ait, pendant plusieurs années, accepté les factures d'honoraires que lui a envoyées la société RS.

Il a été retenu, ci-dessus, que les honoraires contractuellement prévus étaient fixés de manière forfaitaire. Afin d'apprécier si la société Timauto est bien fondée à se prévaloir d'un indu, il convient donc de déterminer si elle a versé des honoraires excédant ce forfait.

Sont, dès lors, inopérants les développements des intimés qui, pour s'opposer à cette prétention, arguent :

- de l'absence de faute commise par la société RS au titre des trois exercices comptables en cause (2017, 2018 et 2019) ;

- de ce que la demande en remboursement d'un indu suppose la preuve de ce que les prestations litigieuses n'auraient pas été réalisées ;

- et de ce que la société RS a réalisé des prestations facturées au temps passé.

1°- Sur les honoraires de l'année 2017

La société Timauto fait valoir que :

- selon la lettre de mission, elle aurait dû payer à l'expert-comptable la somme de 4 644 euros HT d'honoraires ;

- la société RS a cependant exigé des honoraires complémentaires pour des travaux supplémentaires (reprise de bilan) qui n'étaient que la conséquence de ses propres fautes professionnelles ;

- elle, société Timauto, n'a payé la facture réclamée (16 120 euros HT) que parce qu'elle a été mise au pied du mur, ayant absolument besoin de son bilan.

Les intimées rétorquent que :

- la société Timauto ne rapporte pas la faute qui aurait été commise par l'expert-comptable ;

- la demande de remboursement des honoraires doit être justifiée par la démonstration que les prestations facturées n'auraient pas été réalisées ;

- que la société RS a décidé d'augmenter sa facturation avec l'accord exprès de son client, au regard des diligences à réaliser pour son compte ;

- qu'il appartient donc à la société Timauto de démontrer en quoi la somme d'honoraires comptables facturés en 2017 (16 120 euros) serait injustifiée, alors même qu'elle a approuvé les comptes annuels sans aucune contestation.

Réponse de la cour

Concernant l'exercice comptable 2017, la société Timauto ne prétend nullement que la société RS n'aurait pas accompli ses missions, mais invoque exclusivement un trop-versé à la société RS au regard de ce que stipulait la lettre de mission.

En application de la lettre de mission et de son avenant du 3 mai 2017, le forfait d'honoraires dus à l'expert-comptable s'élevait à la somme forfaitaire suivante, selon le calcul non contesté de la société Timauto (v. p. 17 de ses écritures) :

- honoraires comptables forfaitaires : 4 000 euros

- 8 % de débours sur cette somme : 320 euros

- honoraires juridiques : 300 euros

- 8 % de débours sur cette dernière somme : 324 euros

soit un total de : 4 644 euros HT, selon les calculs non contestés de la société Timauto (v. ses conclusions, p. 16).

Cependant, au vu des pièces versées aux débats la société Timauto justifie avoir payé, au titre de l'exercice 2017, les honoraires suivants

- honoraires comptables : 16 120 euros

- honoraires juridiques : 2 380 euros

soit un total de 18 800 euros HT.

Dans la mesure où la convention stipulait un honoraire forfaitaire, et tel qu'indiqué ci-dessus, est inopérant le moyen des intimés tenant à l'absence de faute commise par la société RS au titre de l'exercice comptable 2017.

C'est également à tort que les intimés soutiennent qu'il appartiendrait à la société Timauto de démontrer en quoi la somme de 16 120 euros, facturée en 2017 au titre des honoraires comptables, serait injustifiée.

Au contraire, en application de l'article 1353 du code civil, il appartient aux intimés, qui l'invoquent, de rapporter la preuve de l'accord de la société Timauto pour que la société RS facture ses honoraires à un montant supérieur au forfait contractuellement prévu.

Or, les intimés ne font pas cette démonstration, étant observé que le paiement, par la société Timauto, de la facture correspondante ne peut être interprété, à lui seul, comme un accord clair et non équivoque de l'appelante sur le dépassement du forfait contractuel, alors qu'elle indique n'avoir effectué ce paiement qu'afin de pouvoir disposer de son bilan.

Il résulte de tout ce qui précède que la société Timauto a payé plus que ce que prévoyait la convention des parties, ce qui caractérise un paiement indu.

Le montant de cet indu s'élève à la somme de 13 856 euros HT, soit 16 627,20 euros TTC, selon les calculs non contestés de l'appelante (v. ses conclusions, p. 17), au titre des honoraires de l'année 2017.

A la suite du jugement du 12 septembre 2023 ouvrant la liquidation judiciaire de la société RS, la société Timauto justifie avoir, par une lettre du 9 octobre 2023 reçue par le liquidateur le 11 octobre suivant, déclaré au passif de cette procédure collective une créance incluant, notamment, cette somme-là.

Si, aux termes de sa déclaration de créance, la société Timauto a déclaré des « intérêts majorés et anatocisme » à concurrence de la somme globale de 30 000 euros, elle ne justifie cependant pas du bien-fondé de ces intérêts, dès lors que, sauf exception dont il n'est pas justifié en l'espèce, le jugement d'ouverture arrête de plein droit le cours des intérêts, en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, applicable à la liquidation judiciaire par renvoi opéré par l'article L. 641-3 de ce code.

Il y a donc lieu de fixer au passif la créance d'indu, née antérieurement au jugement d'ouverture, à la somme de 16 627,20 euros TTC, avec intérêts au taux légal entre le 4 novembre 2019, date de la mise en demeure, et le 12 septembre 2023, date du jugement ouvrant la liquidation judiciaire de la société RS. Par voie de conséquence, si la capitalisation des intérêts dus pour une année entière doit être ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil, cette capitalisation a elle-même pris fin de plein droit le 12 septembre 2023.

2°- Sur les honoraires de l'année 2018

A ce titre, la société Timauto soutient que :

- la société RS a reçu indûment des honoraires de 5 160 euros, alors qu'aucune somme ne lui était due en raison du non-dépôt du bilan, « à l'exception d'un bilan de six mois établi en catastrophe et sans aucune utilité - hors période de l'exercice social » (v. p. 18 de ses conclusions) ;

- qu'elle n'est pas tenue de payer la facture du 31 décembre 2019, émise au titre des honoraires comptables du 1er juillet au 31 décembre 2018, faute de travail de l'expert-comptable ;

- qu'il est inexact qu'elle était désorganisée et n'a pas produit l'ensemble des pièces requises pour l'établissement du bilan.

En réponse, les intimés soutiennent que :

- l'expert-comptable est tenu à une obligation de moyens et son cocontractant à un devoir de coopération ;

- la société RS a accompli sa mission avec diligence :

- la société Timauto n'a pas été diligente dans son suivi administratif et comptable, ce qui a contraint la société RS à la relancer au cours du premier semestre 2019 afin d'obtenir les justificatifs nécessaires ;

- face à l'impossibilité pour la société Timauto de produire ces justificatifs pour finaliser le bilan au 31 décembre 2018, son gérant, associé unique, a décidé de clôturer le bilan de l'exercice 2018 au 30 juin 2018. C'est pourquoi la société RS a établi un bilan intermédiaire clos au 30 juin 2018 ;

- sur les 15 000 euros dus par la société Timauto, seuls 5 160 euros ont été payés, de sorte que l'appelante est en réalité débitrice ;

- au titre de l'exercice 2018, la société RS a accompli diverses missions (listées p. 19-20 des conclusions), de sorte que les honoraires facturés correspondent à des prestations effectives ;

- la société Timauto ne peut donc demander le remboursement des honoraires qu'elle a payés, ni s'exonérer du solde restant impayé ; elle doit donc être condamnée à payer un solde d'honoraires de 14 668,80 euros.

Réponse de la cour

Il convient d'examiner successivement les demandes « croisées » des parties : la demande en répétition de l'indu ou, subsidiairement, d'enrichissement injustifié, formée par la société Timauto, et la demande en paiement du solde d'honoraires formée par les intimés.

En premier lieu, s'agissant du moyen principal tiré d'un prétendu indu, il apparaît que, pour les motifs explicités ci-dessus (point A), ce que la société Timauto qualifie d'un « indu » consistant à avoir payé des prestations que son expert-comptable n'aurait pas réalisées, relève du champ d'application de la clause de forclusion prévue par l'article 5 de la lettre de mission.

Or, c'est au plus tard le 5 mai 2020, date de sa mise en demeure qui fait aussi grief à la société RS d'un « trop-versé » au titre des honoraires de l'année 2018, que la société Timauto a eu connaissance de ce préjudice.

Ainsi, en assignant la société RS le 1er octobre 2020, la société Timauto a exercé son action indemnitaire postérieurement au délai de forclusion de trois mois fixé par l'article 5 précité. Sa demande de fixation au passif d'une créance de 5 160 euros HT, soit 6 192 euros TTC, au titre du « trop-perçu » en 2018, est donc irrecevable.

Et s'agissant du moyen subsidiaire tiré d'un enrichissement injustifié, il résulte de l'article 1303-3 du code civil que la société Timauto n'est pas recevable à invoquer un tel fondement afin de pallier l'obstacle de droit, tenant à la forclusion de l'action en responsabilité contractuelle dont elle disposait à l'égard de la société RS.

Par conséquent, que ce soit sur le fondement du moyen principal tiré d'un prétendu indu, ou sur celui du moyen subsidiaire basé sur l'enrichissement injustifié, la demande de la société Timauto tendant à la fixation d'un créance au titre d'un soit-disant « trop-perçu » en 2018 est, en tout état de cause, irrecevable.

En second lieu, s'agissant de la demande en paiement du solde d'honoraires formée par les intimés, elle échappe à la clause de forclusion édictée à l'article 5 de la lettre de mission, qui ne s'applique qu'à l'action exercée par le client de l'expert-comptable.

En droit, la faute de l'expert-comptable doit être appréciée au regard de l'étendue de sa mission telle qu'elle a été définie dans la lettre de mission.

L'expert-comptable est tenu d'une obligation de diligence dans l'exercice des missions qui lui ont été contractuellement confiées.

De son côté, le client est tenu d'une obligation de coopération à l'égard de son l'expert-comptable. Il doit lui faciliter la tâche en lui fournissant toutes les informations utiles à l'exercice de ses missions. A défaut, sa négligence ou sa carence peut justifier qu'il soit rendu responsable du préjudice constaté.

En l'espèce, conformément à la lettre de mission et à son avenant du 2 juillet 2018, le forfait d'honoraires dus à l'expert-comptable s'élevait aux sommes suivantes :

- honoraires comptables forfaitaires : 15 000 euros HT

- 8 % de débours sur cette somme : 1 200 euros HT

- honoraires juridiques : 300 euros

- 8 % de débours sur cette dernière somme : 24 euros

soit un total de : 16 524 euros HT, ou 19 828,80 euros TTC.

Sur cette somme forfaitaire, la société Timauto n'a payé que celle de 5 160  euros, comme le reconnaissent les intimés (p. 19 de leurs conclusions).

Il résulte des nombreux courriels envoyés entre les mois de février 2019 et mai 2019 (v. leurs pièces n° 3, 4, 5, 7, 13, 14 et 15) et d'une lettre du 25 avril 2019, que la société RS a demandé à plusieurs reprises à la société Timauto de lui transmettre des pièces justificatives, précisément identifiées, afin de pouvoir finaliser le bilan au 31 décembre 2019.

La société RS a donc fait diligence pour tenter d'accomplir sa mission, tandis que la société Timauto n'établit pas, au moyen des pièces versées aux débats, qu'elle aurait déféré aux demandes de son expert-comptable, ce qui caractérise un manquement de sa part à son obligation de collaboration.

Par ailleurs, les intimés démontrent que, par une décision extraordinaire prise par l'associé unique de la société Timauto le 24 juillet 2019, il a été décidé de modifier la date de clôture de l'exercice social, pour la fixer au 30 juin, de sorte que l'exercice en cours (soit 2018) aurait une durée exceptionnelle de 6 mois, du 1er janvier au 30 juin 2018.

Outre la « fiche de temps », qui décrit précisément les tâches accomplies par les salariés de la société RS au titre de la comptabilité de la société Timauto au cours de l'exercice 2018, les intimés communiquent le bilan de cette société clos au 30 juin 2018, ce qui confirme que la société RS a effectué des diligences pour le compte de la société Timauto.

La désorganisation de la société RS, dénoncée par la société Timauto dans des correspondances des 16 et 18 juillet 2019 (ses pièces n° 2 et 3), n'est étayée par aucune pièce objective.

Il découle de l'ensemble de ces éléments :

- d'une part, que c'est à tort que la société Timauto soutient qu'aucune rémunération n'est due à la société RS, faute de travail effectif de cette dernière ;

- d'autre part, qu'eu égard à son manque de collaboration, la société Timauto ne peut s'exonérer de son obligation de payer la totalité des honoraires conventionnellement prévus au profit de l'expert-comptable, qui a fait toutes diligences et à l'égard duquel aucun manquement contractuel n'est démontré.

En conséquence, tel que le soutiennent les intimés, la société Timauto est redevable du solde des honoraires forfaitaires impayés afférents à l'exercice comptable 2018, qui représente la somme de 14 668,80 euros (19 828,80 - 5 160). L'appelante sera donc condamnée au paiement de cette somme au profit du liquidateur de la société RS.

3°- Sur les honoraires de l'année 2019

La société Timauto s'oppose au paiement de tout honoraire au profit de la société RS au titre de cet exercice. A l'appui, elle fait valoir que :

- aucun bilan ou travail comptable n'a été réalisé par la société RS pour l'exercice de l'année 2019 ;

- les honoraires de 9 160 euros facturés par la société RS sont indus. La somme versée, du même montant, correspond donc à un trop-versé ;

- la facture de 2 248 euros, au titre des honoraires « pour le volet social de l'année » n'est pas davantage due, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges. En effet, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver ;

- la facture de 20 950 euros HT émise par la société RS sans explication, le 31 décembre 2019, au titre des honoraires comptables du 1er janvier au 31 décembre 2019, n'est pas due ;

- il est inexact qu'elle, société Timauto, était désorganisée et n'a pas produit l'ensemble des pièces requises pour l'établissement du bilan. Au contraire, elle a communiqué l'ensemble des documents sollicités par son expert-comptable.

Les intimés font notamment valoir que :

- en droit, les honoraires payés à l'expert-comptable ne constituent jamais un préjudice indemnisable susceptible de donner lieu à remboursement, dès lors qu'ils correspondent au paiement de prestations effectives ;

- en l'espèce, les honoraires correspondent à des prestations effectives. En effet, au titre de l'exercice 2019, la société RS a procédé à diverses tâches, qui sont détaillées (pp. 22-23 de leurs conclusions). La société Timauto ne peut donc en obtenir le remboursement ;

- la société Timauto doit donc être condamnée à payer le solde des honoraires de cet exercice, soit la somme de 24 720 euros ;

- bien qu'elle n'ait pu finaliser les comptes de la société Timauto en raison de la résiliation de la mission et de ses difficultés à obtenir l'intégralité des pièces, la société RS a réalisé l'ensemble de la tenue de la comptabilité, la saisie de la TVA, le lettrage des comptes et la vérification des opérations comptables. Ces diligences justifient le paiement des factures émises ;

- c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu la seule somme de 2 246,80 euros correspondant au seul « traitement social au titre de 2019 ».

Réponse de la cour

Là encore, il convient d'examiner séparément les demandes « croisées » des parties.

En premier lieu, les motifs développés ci-dessus concernant le « trop-versé » d'honoraires de l'année 2017, valent pour le trop-versé invoqué par la société Timauto au titre des honoraires de l'exercice 2018. En conséquence, sa demande tendant à la fixation d'une créance de 10 992 euros TTC au titre de « sommes versées à tort » est irrecevable, que ce soit sur le fondement d'un prétendu indu ou sur celui d'un enrichissement injustifié.

En second lieu, s'agissant de la demande en paiement d'un solde d'honoraires formée par les intimés, il résulte des pièces versées aux débats qu'au titre de l'exercice 2019, la société RS a adressé deux factures à la société Timauto :

' une facture n° 433 du 31 décembre 2019 (pièce n° 8 de l'appelante) portant sur la somme de 20 950 euros HT, soit 25 140 euros TTC, cette somme incluant :

- 20 000 euros HT au titre des honoraires comptables du 1er janvier au 31 décembre 2019 ;

- et 950 euros HT au titre des débours comptables

' et une facture n° 402 du 11 février 2020 (pièce n° 14 de l'appelante) portant sur la somme de 2 248 euros TTC au titre des honoraires correspondant au volet social, les prestations accomplies à ce titre étant listées explicitement dans cette facture.

soit un montant total de 25 140 euros TTC.

Or, il est constant qu'en application de la lettre de mission et du dernier avenant de 2018, le montant des honoraires forfaitaires dus à la société RS pour l'exercice comptable 2019 était identique à celui de l'année 2018. Le forfait d'honoraires dû en 2019 à l'expert-comptable s'élevait donc à :

- honoraires comptables forfaitaire : 15 000 euros HT

- 8 % de débours sur cette somme : 1 200 euros HT

- honoraires juridiques : 300 euros

- 8 % de débours sur cette dernière somme : 24 euros

soit un total de : 16 524 euros HT, ou 19 828,80 euros TTC.

D'abord, dans la mesure où les intimés n'allèguent ni ne démontrent que les prestations dont la société RS réclamait ainsi le paiement correspondraient, ne fût-ce qu'en partie, à des prestations supplémentaires « hors forfait », accomplies à la demande de la société Timauto, le montant des honoraires qui peut être réclamé à celle-ci au titre de l'exercice 2019 ne peut excéder le plafond de 19 828,80 euros TTC, correspondant au montant du forfait contractuel.

Ensuite, la société Timauto, sur laquelle repose la charge de la preuve du paiement qu'elle invoque, ne démontre pas qu'au titre des honoraires de l'exercice 2019, elle aurait versé à la société RS la somme de 9 160 euros, ainsi qu'elle le soutient (p. 21 de ses conclusions), ou celle de 10 992 euros mentionnée dans le dispositif desdites écritures (p. 25).

Toutefois, les intimés reconnaissant que la société Timauto a versé à la société RS la somme de 7 440 euros à ce titre (p. 22 de leurs conclusions), il sera tenu compte d'un paiement intervenu à concurrence de ce montant-ci.

En application de l'article 1153 du code civil, il appartient aux intimés de démontrer que la société RS a effectivement accompli les missions contractuellement mises à sa charge dans la lettre de mission.

S'agissant des prestations tenant au « volet social », objet de l'une des factures litigieuses (d'un montant de 2 248 euros TTC), les intimés versent aux débats des documents démontrant la réalité de telles prestations. Ainsi, la société RS a effectué :

- le journal de paie entre les mois de janvier et août 2019,

- des déclarations « OPS » auprès de divers organismes sociaux (l'Urssaf, une mutuelle, des organismes de retraite et la direction générale des finances publiques), entre le mois de mars et le début du mois de septembre 2019 ;

- la rédaction de quatre contrats de travail en juin et juillet 2019 ;

- l'établissement de cinq bulletins de paie en août 2019 ;

- la télétransmission de déclarations sociales nominatives entre février et septembre 2019, ces documents étant produits à partir des fiches de paie et devant être transmis par l'employeur aux organismes sociaux, afin de permettre le paiement des cotisations sociales.

S'agissant des honoraires comptables, objet de la seconde facture litigieuse, les intimés produisent :

- une fiche de temps répertoriant les tâches accomplies par certains des salariés de la société RS entre janvier et février 2019 ;

- un courriel du 4 septembre 2019 par lequel cette société a transmis la liasse fiscale de la société Timauto à son successeur, le cabinet d'expertise-comptable Sofeco ;

- et un document intitulé « décharge », du 14 février 2020, dans lequel ce successeur atteste que la société RS lui a remis divers documents concernant la société Timauto, parmi lesquels les suivants : des achats réalisés entre janvier et septembre 2019 ; des relevés de comptes bancaires entre janvier et août  2019 pour les plus récents ; les ventes de mai et juin 2019 ; la « caisse » de mai et juin 2019 ; le journal des ventes de janvier 2019 ; les recettes journalières de décembre 2018 à janvier 2019.

Ces éléments établissent que la société RS a exécuté des tâches de nature comptable au profit de la société Timauto.

Aucun bilan n'a certes été effectué par la société RS au titre de l'exercice 2019, mais les intimés indiquent avoir eu des difficultés à obtenir l'intégralité des pièces comptables nécessaires à l'exercice de sa mission, ce que la société Timauto ne conteste nullement. Tout au contraire, cette dernière affirme avoir transmis à la société RS les documents demandés au titre de l'exercice comptable 2019 (p. 21, avant-dernier §, de ses conclusions), mais n'en rapporte pas la preuve. Son manque de collaboration est donc établi.

En réalité, à partir du 30 septembre 2019, la société Timauto a fait choix de résilier unilatéralement la lettre de mission la liant à la société RS, mettant ainsi fin, de facto, aux missions de son expert-comptable, avant le terme de l'exercice comptable.

Dans ces conditions, le non-achèvement de sa mission comptable n'est pas imputable à la société RS, contre laquelle aucune faute contractuelle n'est caractérisée.

La société Timauto est, dès lors, redevable des honoraires comptables au titre de l'exercice 2019.

En conséquence, compte tenu du forfait d'honoraires de 19 828,80 euros TTC auquel peut seul prétendre la société RS, et déduction faite de la somme payée par la société Timauto, cette dernière demeure redevable de la somme totale de 12 388,80 euros (19 828,80 -7 440) au titre du solde des honoraires de l'exercice 2019. Elle doit donc être condamnée au paiement de cette somme au profit du liquidateur de la société RS.

C- Sur la demande de constat de la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la société RS

La société Timauto estime que le non-respect des honoraires fixés dans la lettre de mission et ses avenants, entre l'année 2017 et 2019, justifie de juger que le contrat la liant à la société RS a été rompu aux torts exclusifs de cette dernière, avec effet au 30 septembre 2019.

Les intimés ne développent aucune argumentation en réponse sur ce chef de demande.

Réponse de la cour

Il est établi que la société Timauto a, par une lettre du 30 septembre 2019, unilatéralement résilié la lettre de mission la liant à la société RS avec effet immédiat (v. pièce n° 4 de l'appelante).

Les intimés ne contestent pas que la résiliation du contrat est intervenue à cette date.

Par ailleurs, outre que l'on peut s'interroger sur l'utilité de déterminer l'imputabilité des torts, il résulte en tout état de cause des motifs précédemment développés qu'il ne peut être retenu que cette résiliation serait intervenue aux torts exclusifs de la société RS, comme le prétend la société Timauto, cette dernière, qui a failli à son obligation de payer une partie des honoraires dus à l'expert-comptable, n'étant pas exempte de tout manquement contractuel.

Il convient donc de constater simplement que la résiliation du contrat est intervenue le 30 septembre 2019.

Les premiers juges ayant omis de statuer sur ce chef de demande, dont ils étaient pourtant saisis, il sera ajouté au jugement entrepris sur ce point.

D- Sur la demande d'injonction des restituer des pièces comptables formée par la société Timauto

Dans le dispositif de ses écritures, la société Timauto demande qu'il soit enjoint au liquidateur de la société RS de lui restituer l'intégralité des « documents comptes » (sic), sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la décision à intervenir, à savoir :

* les codes d'accès et fichiers FEC au cabinet Sofeco ;

* ses pièces comptables ;

* un avoir sur la facture de 10 000 euros HT.

Et dans les motifs desdites écritures, elle fait valoir que :

- la société RS n'entend pas rendre « les documents comptables ni les fichiers FEC » tant que ses honoraires ne sont pas réglés ;

- cette société effectue une rétention abusive et « sauvage. » En effet, elle ne dispose d'aucune créance certaine, liquide et exigible ; la rétention repose sur des prestations fantaisistes ou contestées, sans rapport avec la mission de présentation des comptes ; la société RS n'a pas, au préalable, usé des voies de conciliation possibles, ni informé sa cliente de l'exercice de son droit de rétention par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ni informé le président du conseil régional du litige l'amenant à exercer son droit de rétention ;

- en sa qualité de « commissaire aux comptes », Mme [Z] est soumise à l'article 3 du code de déontologie de cette profession ;

- le comportement de la société RS empêche le nouvel expert-comptable de réaliser le suivi comptable et social ;

- la faute de la société RS est donc patente, ce qui engage sa responsabilité contractuelle ;

- il convient donc « d'ordonner sous astreinte, telle que définie dans le dispositif [des conclusions], à « l' expert-comptable de réaliser le suivi comptable et social de cette entreprise disposant de salariés ».

La société RS et son liquidateur demandent le rejet de cette injonction, en objectant que :

- l'article 3 invoqué par l'appelante n'est pas applicable, Mme [Z] n'ayant pas la qualité de commissaire aux comptes ;

- en application de l'article 1948 du code civil, l'expert-comptable dispose d'un droit de rétention sur les documents qui sont le fruit de son travail personnel et pour lesquels des honoraires lui sont dus ;

- outre que la société RS dispose d'une créance d'honoraires contre la société Timauto (39 388 euros), elle a transmis au nouvel expert-comptable de cette dernière la liasse fiscale dès le 4 septembre 2019 et l'ensemble des pièces le 14 février 2020 ;

- la société RS ne retient donc à ce jour que les fichiers FEC, dans la mesure où ses honoraires restent impayés ;

- aucune rétention abusive ne peut donc lui être reprochée.

Réponse de la cour

En droit, l'expert-comptable qui n'a pas été payé des honoraires qui lui sont dus bénéficie d'un droit de rétention sur les documents et livres comptables de son client, dans les conditions du droit commun fondées sur les articles 1948 et 2286 du code civil.

Ainsi, la créance justifiant le droit de rétention doit être non seulement certaine, liquide et exigible, mais en outre unie par un lien de connexité avec la chose détenue, qu'il s'agisse d'une connexité matérielle - la créance est née d'un travail accompli sur la chose - ou intellectuelle - la chose est détenue à l'occasion du rapport de droit ayant fait naître la créance dont le paiement est réclamé.

En l'espèce, il convient, au préalable, de relever que le moyen tiré de l'article 3 du code de déontologie des commissaires aux comptes, soulevé par l'appelante, est doublement inopérant, dès lors :

- d'une part, il n'est pas établi que la société RS aurait la qualité de commissaire aux comptes, seul assujetti à ce code ;

- d'autre part, l'on ne voit pas en quoi ce texte - qui impose au commissaire aux comptes d'exercer sa profession avec honnêteté et droiture, et de s'abstenir en toutes circonstances de toute agissement contraire à l'honneur et à la probité - pourrait servir de fondement à la demande d'injonction formée par l'appelante.

Par ailleurs, la demande d'injonction formée par la société Timauto porte sur trois séries de documents, qu'il convient d'examiner successivement.

D'abord, l'injonction, en ce qu'elle concerne « un avoir sur la facture de 10 000 euros HT», n'est nullement explicitée. Elle ne peut, dès lors, qu'être rejetée.

Ensuite, les intimés démontrent, au moyen des pièces qu'ils versent aux débats, que la société RS a remis au nouvel expert-comptable de la société Timauto la liasse fiscale de cette société le 4 septembre 2019, ainsi qu'un ensemble de pièces comptables le 14 février 2020. La société Timauto ne précise pas quelles pièces comptables pourraient encore manquer à la suite de cette restitution, qui a fait l'objet d'une « décharge » entre les deux experts-comptables concernés. Elle n'établit pas non plus que son nouvel expert-comptable serait dans l'incapacité d'exercer ses missions comptables en raison de l'absence de certains documents, ainsi qu'elle le prétend.

Dans ces conditions, doit être rejetée la demande tendant à ce qu'il soit enjoint au liquidateur de la société RS de restituer « les pièces comptables » de la société Timauto - étant observé qu'en tout état de cause, l'imprécision d'une telle injonction la rendrait, en pratique, insusceptible d'exécution.

Enfin, la société Timauto demande qu'il soit enjoint au liquidateur de la société RS de restituer à son nouvel expert-comptable « les codes d'accès et fichiers FEC ».

Faute de toute précision sur ce point, la cour est amenée à en déduire que les « codes d'accès » ainsi visés sont liés aux fichiers dits « FEC ».

L'acronyme FEC signifie « fichier des écritures comptables », les FEC constituant des fichiers dématérialisés à destination de l'administration fiscale.

Les intimés reconnaissent expressément, dans leurs écritures (p. 29), que les « FEC » ont été retenus en raison de l'impayé d'honoraires.

Or, pour les motifs précédemment exposés, le liquidateur de la société RS détient contre la société Timauto une créance d'honoraires impayés certaine, liquide et exigible, au titre des exercices comptables 2018 et 2019.

Il n'est pas contesté que les fichiers « FEC » retenus sont le résultat du travail de la société RS et qu'ils présentent, dès lors, un lien de connexité avec cette créance d'honoraires.

Dans ces conditions, c'est légitimement et sans abus que le liquidateur de la société RS exerce son droit de rétention sur les FEC et les codes d'accès.

Par conséquent, la demande d'injonction de restituer « les codes d'accès et fichiers FEC » formée par la société Timauto sera également rejetée.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.

E- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les parties succombant pour partie en leurs prétentions, il convient de prévoir qu'elles conserveront la charge des dépens qu'elles ont exposés en première instance et en appel.

Leurs demandes respectives d'indemnité procédurale seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Donne acte à la société Delezenne et associés de son intervention volontaire en qualité de liquidateur de la société RS conseils et audits ;

- Infirme le jugement entrepris ;

Et statuant de nouveau,

- Déclare non prescrites les demandes de la société Timauto fondées sur un indu ou un enrichissement injustifié ;

- Déclare irrecevables, pour cause de forclusion, les demandes en fixation de créance indemnitaires formées par la société Timauto au titre de l'embauche d'une comptable (3 378,72 euros HT et 6 695,13 euros TTC) et de l'établissement de sa comptabilité par une société tierce (3 434,44 euros TTC) ;

- Fixe la créance d'indu de la société Timauto au passif de la procédure collective de la société RS conseils et audits à la somme de 16 627,20 euros TTC, au titre des honoraires de l'année 2017, outre les intérêts au taux légal entre le 4 novembre 2019 et le 12 septembre 2023, et dit que les intérêts dus pour une année entière ont été capitalisés, en application de l'article 1343-2 du code civil, jusqu'au 12 septembre 2023 ;

- Dit irrecevable les demandes de fixation de créance formées par la société Timauto concernant les honoraires de la société RS conseils et audits relatifs aux exercices comptables 2018 (6 192 euros TTC) et 2019 (10 992 euros TTC), sur le fondement principal d'un indu ou, subsidiairement, d'un enrichissement injustifié ;

- Condamne la société Timauto à payer à la société Delezenne & associés, en qualité de liquidateur de la société RS conseils et audits, les sommes suivantes :

' 14 668,80 euros TTC au titre du solde des honoraires de l'exercice 2018 ;

' 12 388,80 euros TTC au titre du solde des honoraires de l'exercice 2019 ;

- Rejette la demande de la société Timauto tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Delezenne & Associés, ès qualités de restituer, sous astreinte :

' les « documents comptables » ;

' un avoir sur la facture de 10 000 euros HT ;

' et les codes d'accès et fichiers « FEC » ;

Y ajoutant,

- Constate la résiliation de la lettre de mission du 1er janvier 2016 conclue entre les société Timauto et RS conseils et audits, à compter du 30 septembre 2019 ;

- Dit que chacune des parties gardera la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance et en appel ;

- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 2 section 2
Numéro d'arrêt : 22/04843
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.04843 ?
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