République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 04/07/2024
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N° de MINUTE :
N° RG 23/04750 - N° Portalis DBVT-V-B7H-VFGC
Jugement (N° 2023F00085) rendu le 16 octobre 2023 par le tribunal de commerce de Dunkerque
APPELANT
Monsieur [P] [I]
né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 4]
de nationalité française
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Véronique Planckeel, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué
INTIMÉS
SELARL WRA prise en la personne de Maître [Y] [A] en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS CN Bat
ayant son siège social, [Adresse 3]
représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
M. le procureur général près la cour d'appel de Douai
représenté par M. Christophe Delattre, substitut général,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Stéphanie Barbot, présidente de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Anne Soreau, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
DÉBATS à l'audience publique du 28 mars 2024 après rapport oral de l'affaire par Anne Soreau
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 juillet 2024 après prorogation du délibéré initialement fixé au 27 juin 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 mars 2024
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EXPOSE DES FAITS :
La SAS CN BAT, entreprise générale de bâtiment, a été créée le 2 novembre 2017 par M. [U] qui en est le président.
Le 31 mai 2018, il a cédé la moitié de ses actions à M. [I].
Par assemblée générale extraordinaire du 27 mars 2019 M. [I] a été nommé directeur général de la société, M. [U] conservant son mandat de président.
Le 4 février 2020, ce dernier a régularisé une déclaration de cessation de paiement pour la société CN Bat.
Le 11 février 2020, le tribunal de commerce de Dunkerque a prononcé la liquidation judiciaire de la société CN BAT et désigné la société WRA, en la personne de Maître [A], en qualité de liquidateur.
La date de cessation des paiements a été fixée au 1er septembre 2019.
Par acte des 26 janvier 2023 et 9 février 2023, la société WRA, ès qualités, a fait assigner M. [U] et M. [I], en paiement solidaire de la somme de 340 000 euros, outre 60 000 euros à la seule charge de M. [I], au titre de leur responsabilité pour insuffisance d'actif.
Par jugement du 16 octobre 2023, le tribunal de commerce de Dunkerque a :
condamné in solidum MM. [U] et M. [I] à payer à la société WRA, ès qualités, la somme de 160 000 euros
condamné M. [U] à lui payer la somme complémentaire de 240 000 euros
au titre de leur participation à l'insuffisance d'actif de la société CN BAT
condamné in solidum MM. [U] et [I] aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration du 25 octobre 2023, M.[I] a interjeté appel de ce jugement, en ce qu'il l'a condamné solidairement avec M. [U] à payer la somme de 160 000 euros à la société WRA, ès qualités.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 février 2024, M. [I] demande à la cour, au visa des articles L.651-2 du code de commerce, de :
réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
débouter la société WRA, ès qualités, de toutes ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Planckeel.
Il fait valoir que les dispositions de l'article L.651-2 du code de commerce n'ont pas été respectées, et notamment que :
le tribunal n'a caractérisé aucune faute à son encontre ;
à la date où il a acquis les actions de la société CN Bat, le 31 mai 2018, la société venait d'être créée et aucun bilan n'avait pas encore été établi ;
il a été nommé directeur général de l'entreprise le 27 mars 2019 mais n'a plus eu accès à aucun document comptable dès la fin du mois de septembre 2019 suivant, comme le démontrent ses échanges de courriels avec la banque et l'expert-comptable de la société CN Bat ; la rupture des relations est intervenue quand il a découvert que M. [U] facturait de lourds travaux dans des immeubles lui appartenant, au nom de la société CN Bat ;
peu importe qu'il ait été révoqué ou non, ou que cette révocation soit publiée et opposable aux tiers, ou non ; ainsi, seules les fautes de gestion qui auraient été commises entre le 27 mars 2019 et le 1er octobre 2019 pourraient lui être reprochées ; les huit chantiers stigmatisés par le liquidateur n'étaient pas de « son ressort » ;
les factures des fournisseurs impayées datent en grande majorité du dernier trimestre 2019 et début janvier 2020, date à laquelle il n'avait plus accès à la comptabilité ;
le passif client important correspond aux déclarations des créances des chantiers qui se trouvaient sous la responsabilité exclusive de M. [U] ;
il est faux de dire qu'il a fait preuve de passivité ; il a tenté de déclarer l'état de cessation de paiements avec le peu d'éléments dont il disposait mais a été immédiatement sanctionné par M. [U] qui l'a révoqué de son mandat ;
n'ayant plus accès à la comptabilité depuis fin septembre 2019, il n'était plus en mesure, en l'absence de mandat et de connaissances précises actualisées, de faire valoir des contestations ; la date de l'état de cessation de paiement a été fixée par le tribunal de commerce au 1er septembre 2019, mais les déclarations de créances dont se prévaut le mandataire judiciaire sont toutes postérieures au 1er octobre 2019 ;
il n'a tiré aucun bénéfice de la société CN BAT, ayant au contraire été contraint de s'acquitter d'un impôt complémentaire de 12 085 euros correspondant à une affectation de bénéfices qu'il n'a jamais reçus.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 janvier 2024, la société WRA, en sa qualité de liquidateur de la société CN Bat demande à la cour de :
confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dunkerque du 16 octobre 2023 ;
débouter M. [I] de toutes ses demandes ;
le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à assumer les entiers dépens d'instance et d'appel.
Elle fait valoir que :
la mésentente entre MM. [U] et [I], qui se font des reproches mutuels, est profonde ;
M. [I] a régularisé une déclaration de cessation de paiements de la société CN Bat le 20 janvier 2020 et a été suspendu de ses fonctions par M. [U] qui a régularisé une déclaration de cessation de paiement pour la société CN Bat le 4 février 2020 ;
l'insuffisance d'actif relevée au jugement d'ouverture est supérieure à 1,1 million d'euros ;
c'est de façon bien opportune que M. [I] prétend qu'il ne pouvait rien faire, alors qu'il pouvait démissionner sans attendre que le président procède à sa révocation ;lla passivité d'un dirigeant qui laisse agir un gérant de fait ou un autre mandataire sans reprendre le plein exercice de ses fonctions ou se démettre constitue une faute par abstention ;
M. [I] avait parfaitement connaissance de tous les documents relatifs à la société CN Bat, comme cela est relaté dans le procès-verbal d'assemblée générale du 27 mars 2019 ;
en application de l'article L.640-4 du code de commerce, M. [I] se devait de demander l'ouverture d'une procédure collective au plus tard quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements ; la faute de gestion de l'absence de déclaration de cessation des paiements s'apprécie au regard de la date de cessation de paiements, sans qu'il y ait lieu de considérer les motifs qui ont conduit le dirigeant à différer la déclaration ou l'absence de caractère intentionnel de son abstention ;
à la date de la cessation de paiements du 1er septembre 2019, M. [I] était à la tête des affaires et pouvait procéder à cette déclaration ;
la décision doit être confirmée en ce qu'elle a jugé que le retard dans la déclaration de cessation de paiements a entraîné une aggravation du passif de 45 000 euros, alors que M. [I] aurait pu solliciter l'ouverture de la procédure en temps utile et ne démontre aucune impossibilité d'accéder à l'un ou l'autre des documents sociaux depuis sa nomination ;
les dirigeants n'ont pas fait avec rigueur le suivi des chantiers ; ils les ont acceptés de manière inconsidérée par rapport aux réelles capacités de la jeune entreprise ; il appartenait à M. [I] de mener à bien ces chantiers, même s'ils avaient été signés avant son arrivée, puisqu'ils étaient la raison d'être de son entrée dans l'entreprise, et avaient été signés peu de temps avant son arrivée ; à l'ouverture de la procédure, huit chantiers d'envergure n'étaient pas terminés ; la querelle entre les deux hommes a interdit tout redressement de la situation ;
le passif client culmine à 737 142,20 euros, le passif fournisseur à 265 638,59 euros ; il faut constater l'absence de financement bancaire ; il est inacceptable de faire peser le risque entrepreneurial sur les clients d'une entreprise en bâtiment ; la décision doit être confirmée en ce qu'elle a relevé une gestion totalement désinvolte de la part de l'un et l'autre des défendeurs, M. [I] ne pouvant se retrancher derrière une prétendue faute du président, ou le fait qu'il n'avait pas accès aux documents alors que tel n'était pas le cas.
Dans son avis communiqué par la voie électronique le 18 janvier 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [I] au titre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif mais revoir la somme à 80 000 euros.
Il expose que :
le liquidateur a indiqué que l'insuffisance d'actif s'élevait à la somme de 1 100 000 euros ;
pour que l'action engagée au visa de l'article L.651-2 du code de commerce soit recevable, il convient de démontrer l'existence d'une faute, qui ne relève pas d'une simple négligence et qui doit avoir contribué à l'insuffisance d'actif ;
M. [I] prétend ne pas avoir pu exercer ses fonctions de directeur général, ayant été empêché en cela par M. [U] ; il dénonce un comportement de ce dernier qui aurait commis des infractions et l'aurait empêché de gérer, mais n'a rien fait pour mettre un terme à cette situation de blocage, notamment en sollicitant le président du tribunal de commerce, en demandant la désignation d'un administrateur judiciaire provisoire ; il aurait pu envisager de démissionner ;
Si M. [U] n'avait pas fait les démarches auprès du greffe pour rendre opposable la démission de M. [I], ce dernier aurait pu sortir de cette situation de blocage en ayant recours aux articles R.210-18 et R.123-87 du code de commerce ;
Le prétendu empêchement invoqué par M. [I] pour justifier l'absence de sanction doit être écarté ;
Les fautes de gestion relevées par le liquidateur sont établies et ne sont pas de simples négligences ;
La mauvaise conduite dans le mandat social et notamment dans la conclusion et le suivi de certains chantiers est établie : si M. [I] indique qu'il n'était pas en poste lors de la conclusion de certains contrats, il n'a pas estimé nécessaire, en sa qualité de directeur général, de prendre les mesures utiles dans le cadre du suivi de ces chantiers problématiques ;
L'importance du passif client au travers des déclarations de créances pour un total de l'ordre de 737 000 euros met en exergue un problème de financement de l'activité faisant peser un risque de défaillance aux créanciers particuliers ; une hypothétique prise en charge de travaux par les assurances des clients n'est pas un argument pertinent faute de démontrer les garanties souscrites ; la prise en charge éventuelle par les assurances n'est pas établie, compte tenu des difficultés constatées dans la réalisation des chantiers ;
La déclaration de cessation des paiements a été tardive ; le jugement d'ouverture du 11 février 2020 a fixé la date de cessation des paiements au 1er septembre 2019 ; aucun recours n'a été engagé contre ce jugement ; le liquidateur a caractérisé l'ancienneté des créances ; s'y ajoute le défaut de paiement des créances fiscales et sociales ; cette multiplicité des dettes et leur ancienneté ne pouvaient passer inaperçues aux yeux de M. [I] ;
Sur le quantum de la sanction pécuniaire à fixer, il apparaît que le liquidateur n'a pas eu recours au dispositif des articles L.651-4 et R.651-5 du code de commerce, qui aurait pu déterminer l'actif de M. [I] ;
L'absence d'éléments sur la situation patrimoniale de l'ancien dirigeant poursuivi n'interdit en rien sa condamnation, sauf à revoir à la baisse le montant de sa contribution et réduire le quantum fixé en première instance.
MOTIVATION
I ' Sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016 :
Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Le succès de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est subordonné à la réunion de trois conditions : un préjudice consistant en une insuffisance d'actif, une faute de gestion et un lien de causalité qui, en cas de pluralité de fautes de gestion retenues, doit être caractérisé entre chacune de ces fautes et l'insuffisance d'actif.
La charge de la preuve de l'existence de chacune de ces conditions repose sur le demandeur à l'action.
L'insuffisance d'actif, qui doit être distinguée de la cessation des paiements, est égale à la différence entre le montant du passif antérieur et le montant de l'actif de la personne morale débitrice. Elle doit être déterminée à la date à laquelle le juge statue, que ce soit en première instance ou en appel (voir par exemple Com. 23 avril 2013, n° 12-12231).
La faute de gestion susceptible d'engager la responsabilité pour insuffisance d'actif d'un dirigeant, sur le fondement de l'article L. 651-2 précité, qui ne doit pas relever d'une simple négligence, doit avoir été commise antérieurement au jugement d'ouverture (voir en dernier lieu Com. 8 mars 2023, n° 21-24650, publié).
L'exigence de caractérisation d'un lien de causalité signifie que la faute de gestion retenue doit avoir contribué à l'insuffisance d'actif. Selon une jurisprudence constante, le dirigeant peut être déclaré responsable de l'insuffisance d'actif même si la faute de gestion qu'il a commise n'est que l'une des causes de cette insuffisance et sans qu'il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute (voir par exemple : Com. 21 juin 2005, n° 04-12087, publié ; Com. 7 nov. 2015, n° 14-12372, publié ; Com. 20 avril 2017, n° 15-23600).
1/ Sur le montant de l'insuffisance d'actif
En l'espèce, le liquidateur a établi le montant de l'insuffisance d'actif de la société CN Bat à plus de 1,1 millions d'euros, compte tenu d'un passif définitif de 1 152 621,22 euros (pièce 6 de la société WRA) pour un actif de 8 304,12 euros seulement. Ce montant n'a pas été contesté par M. [I], selon le procès-verbal de vérification du passif en date du 27 mai 2020 produit aux débats (pièce 16 de la société WRA), et il n'est toujours pas contesté dans ses conclusions d'appel.
2 - Sur les fautes de gestion :
a/ le retard dans la déclaration de cessation des paiements
Il résulte de l'article L.640-4 du code de commerce, que l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
En droit, constitue une faute de gestion le fait de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements de la société mise en liquidation judiciaire dans le délai légal de quarante-cinq jours, ou d'y avoir procédé avec retard (cass. Com, 2 novembre 2016, n°15-10015).
La Cour de cassation a précisé qu'en cas d'omission de déclaration de la cessation des paiements, ou de tardiveté de cette déclaration, cette faute s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements telle qu'elle a été fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report (v. l'arrêt de principe Com. 4 nov. 2014, n° 13-23070, publié ' Com, 10 mars 2015, n°12-16.956). Les juges saisis de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ne peuvent donc remettre en cause cette date.
Il n'y a pas lieu de considérer les motifs qui ont conduit le dirigeant à différer la déclaration, ou le caractère non-intentionnel de son abstention.
En l'espèce, la date de cessation des paiements de la société CN-Bat a été fixée dans le jugement d'ouverture au 1er septembre 2019. La déclaration de la cessation de paiements devait en conséquence être faite avant le 15 octobre 2019.
Or, celle-ci n'a été présentée par M. [U] que le 4 février 2020. M. [I], qui indique dans ses conclusions avoir tenté de déclarer la cessation de paiement, ne le démontre pas, et ne justifie pas plus de la demande de liquidation judiciaire qu'il aurait faite le 20 janvier 2020 au nom de la société (pièce n°3 de la société WRA).
En septembre et octobre 2019, M. [I], directeur général de la société CN-Bat, disposait, selon l'article 25 des statuts de cette société des mêmes pouvoirs que M. [U] (pièces 28 et 29 de la société WRA).
Il ne démontre pas, dans cette période, avoir eu l'impossibilité d'accéder aux documents comptables de la société. Le fait qu'il se soit vu refuser des pièces comptables, quand il les a sollicitées le 24 janvier 2020 à la comptable, consécutivement à sa mise à pied du 14 janvier 2020 (pièce 3 de la société WRA, pièces 8-1 à 8-3 de M. [I]), n'implique nullement qu'il ne les aurait pas obtenues s'il les avait demandées en septembre 2019, ni, surtout, qu'il n'y avait pas accès avant cette date.
Il n'établit pas plus, comme prétendu, que la rupture de ses relations avec M.[U] daterait de la fin septembre 2019, ce dont il ne justifie par aucune pièce.
Dans leur déclaration de créances, M. et Mme [Z] indiquent au contraire avoir pris possession de leur maison le 29 novembre 2019 en présence de MM. [U] et [I], ce dernier étant toujours visiblement impliqué dans le suivi des chantiers.
Par ailleurs, au cas où il aurait été dépassé, comme prétendu, il ne pouvait, étant dirigeant, rester passif, la démission étant possible en cas de blocage.
Sa faute de gestion est en conséquence caractérisée.
Il ressort des éléments versés aux débats que ce retard dans la déclaration de cessation de paiement a engendré une aggravation de passif de 45 537,22 euros correspondant notamment aux factures non réglées, émises par divers fournisseurs sur cette période (pièces 17 à 25).
b/ mauvaise conduite du mandat social
*La liste des créances admises dans la liquidation judiciaire de la société CN-Bat (pièce 6 de la société WRA) fait apparaître en premier lieu une créance des finances publiques pour admise pour 1 194 595 euros, deux créances de l'Unedic de [Localité 5] de 16 404,05 euros et 1 946,24 euros et une créance de l'Urssaf de 3 357,59 euros.
Ce défaut de paiement de cotisations sociales et dettes fiscales constitue à lui seul une faute engageant la responsabilité des dirigeants de la société.
*La liste des créances fait également apparaître un passif admis pour les clients particuliers de 737 930,20 euros et un passif admis pour les fournisseurs de 265 638,59 euros, pour une société dont l'activité a commencé en novembre 2017, soit deux ans avant la date de cessation de paiements.
L'étude des déclarations de créances des particuliers fait notamment apparaître que :
- $gt; des chantiers conclus au cours de l'année 2018 se trouvaient fortement inachevés et ont donné lieu à déclaration de créances :
La déclaration de créances de M. [G] et Mme [S] (pièce 13) pour 400 000 euros fait apparaître, à travers un constat d'huissier du 28 mai 2020, que les travaux conclus selon un marché du 9 avril 2018 pour la construction d'une maison, sont toujours à l'état de chantier et affectés de nombreux désordres.
La déclaration de créances de Mme [F] (pièce 12) à hauteur de 42 747,76 euros pour un marché de travaux conclu le 31 mars 2018. Cette dernière indique que seul le lot n°1 de travaux a été réalisé et que malgré des relances, le lot 2 (réfection intérieure de la maison) n'a pas été réalisé. Elle précise dans son courrier de déclaration qu'elle a eu une dernière réunion chez elle avec MM. [U] et [I] le 25 juillet 2019 au cours de laquelle « ils m'ont dit avoir besoin de réfléchir à une solution pour solder cet avoir que nous avions entre CN Bat et moi », puis ne plus avoir eu de nouvelles.
$gt; malgré inexécution de ces chantiers, la société CN-Bat a conclu d'autres contrats sur le deuxième semestre 2019, avec versement d'acomptes ; ces chantiers n'ont pas, ou ont à peine démarré, en dépit de paiements importants :
M.[B] a signé un devis avec la société CN Bat le 3 juillet 2019 pour la somme de 266 834 euros pour la réhabilitation de sa maison après sinistre. Sa déclaration de créance a été admise pour 169 870 euros (pièce 10) ;
Mme [K] a accepté un devis de la société CN Bat du 17 septembre 2019 pour un chantier de 163 460 euros. Elle indique que le chantier n'a pas démarré. Sa déclaration de créance porte principalement sur l'acompte versé de 49 264,09 euros (pièce 9) ;
Mme [C] a conclu le 25 septembre 2019 avec la société CN Bat un marché pour la réhabilitation d'une maison, d'un montant de 24 309 euros. Dans le courrier accompagnant sa déclaration, elle indique que seule la démolition a été réalisée, la maison étant inhabitable. Elle évoque les communications vaines auprès de M. [I] (pièce 11) ;
$gt; des chantiers ont été réglés par des clients dans leur totalité, bien qu'inachevés :
M. [D] a sollicité la société CN Bat pour des travaux de remise en état de sa maison après un incendie intervenu le 18 septembre 2018. Il indique avoir soldé l'intégralité du chantier selon facture du 19 novembre 2019, alors que les travaux étaient mal exécutés ou inachevés. Il a déclaré sa créance à hauteur de 24 812,96 euros au titre des travaux de reprise des malfaçons.
M. et Mme [Z] expliquent avoir signé un contrat avec la société CN Bat pour la reconstruction de leur maison après un incendie survenu en janvier 2018. Ils indiquent avoir « réglé toutes les factures sur devis qu'ils nous ont adressées soit la quasi-totalité de la maison suivant le descriptif fixé par les experts d'assurances, soit près de 320 000 euros » et avoir pris possession de leur maison le 29 novembre 2019 en présence de MM. [U] et [I]. Un procès-verbal de fin de travaux avec réserves a été émis, mais les travaux nécessaires à achever le chantier n'ont jamais été réalisés. Ils joignent un procès-verbal d'huissier du 12 décembre 2019 constatant le défaut d'achèvement du chantier et les désordres l'affectant.
Leur déclaration de créances a été admise pour la somme de 14 519,53 euros.
Plusieurs de ces déclarations soulignent le rôle de M. [I] dans le suivi des chantiers.
Par ailleurs, si certains d'entre eux ont démarré avant l'arrivée de ce dernier, devenu directeur général en mars 2019 seulement, sa responsabilité se trouve engagée pour le suivi de ces chantiers à compter de cette date.
Or, ces éléments démontrent la gestion fautive opérée par M.[I], notamment au cours du deuxième semestre 2019, consistant en particulier à engager la société dans des contrats en sachant qu'elle n'était pas en mesure de les tenir, tout en sollicitant des paiements conséquents.
Cette faute de gestion est directement à l'origine des préjudices subis par les clients particuliers et les fournisseurs non réglés à hauteur de 265 638,59 euros.
3/ Sur le montant de la contribution à l'insuffisance d'actif
En droit, il résulte des termes mêmes de l'article L. 651-2 que, bien que les conditions de fond de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif soient réunies, les juges du fond apprécient souverainement le montant de la condamnation à prononcer, dans la limite du plafond que constitue le montant de l'insuffisance d'actif, et peuvent même décider de ne pas prononcer de condamnation, laquelle n'est que facultative pour eux (v. par exemple : Com. 11 juin 2014, n° 13-16481 ; Com. 8 mars 2023, n° 21-24650).
Le quantum de la condamnation à prononcer étant apprécié souverainement par les juges du fond, la Cour de cassation n'exerce aucun contrôle sur ce point, sous réserve que les juges n'outrepassent pas la limite, infranchissable, de l'insuffisance d'actif.
En l'état de la jurisprudence actuelle, il n'a été consacré, à la charge des juges du fond, aucune obligation de tenir compte de la situation personnelle du dirigeant poursuivi pour fixer le montant de la condamnation à contribuer à l'insuffisance d'actif. Cette obligation ne s'impose qu'en matière de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer.
Par ailleurs, la jurisprudence n'impose pas davantage un principe de « proportionnalité » entre la condamnation et les revenus du dirigeant fautif. En effet, la responsabilité pour insuffisance d'actif étant une variété d'action en responsabilité civile délictuelle, elle est gouvernée avant tout par les principes régissant ce type d'action, dont l'objectif est d'indemniser un préjudice, en l'occurrence l'insuffisance d'actif, sans qu'il y ait lieu d'avoir égard aux revenus de l'auteur du dommage. Au demeurant, tenir compte de ces revenus dans l'appréciation de la condamnation risquerait de favoriser les dirigeants ayant organisé volontairement leur insolvabilité à l'approche de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société qu'ils dirigent, voire d'encourager une telle pratique.
Par conséquent, outre que le recours au dispositif prévu par les articles L. 651-4 et R. 651-5 du code de commerce, qui permet d'ordonner une enquête relative aux revenus et patrimoine d'un dirigeant, ne s'impose pas au liquidateur et moins encore au tribunal saisi d'une telle demande par le liquidateur, la circonstance qu'en l'espèce, le liquidateur n'ait pas usé de cette faculté à l'endroit de M. [I] ne saurait, à elle seule, justifier une minoration de la condamnation prononcée par les premiers juges.
En l'espèce, la cour relève que deux fautes graves, ci-dessus explicitées, sont imputables à M. [I] et en lien avec l'insuffisance d'actif.
Au regard de ces éléments, la cour estime qu'il est justifié de condamner M. [I] à contribuer à l'insuffisance d'actif à concurrence de la somme de 160 000 euros, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
II ' Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
M. [I], qui succombe, assumera les entiers dépens d'appel.
Sa demande d'indemnité procédurale sera rejetée et il sera condamné à verser à la société WRA, ès qualité, une indemnité de procédure.
La déclaration d'appel n'ayant pas visé le chef des dépens de première instance, la décision est donc définitive sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour, dans la limite de sa saisine,
CONFIRME le jugement entrepris,
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [I] aux entiers dépens d'appel ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, REJETTE la demande de M. [I] et le CONDAMNE à verser à la société WRA, en qualité de liquidateur de la société CN Bat la somme de 2 500 euros.
Le greffier
Marlène Tocco
La présidente
Stéphanie Barbot