La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/08/2024 | FRANCE | N°23/02004

France | France, Cour d'appel de Douai, Troisieme chambre, 29 août 2024, 23/02004


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



TROISIEME CHAMBRE



ARRÊT DU 29/08/2024





****





N° de MINUTE : 24/242

N° RG 23/02004 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U37J



Jugement (N° 21/06881) rendu le 31 Mars 2023 par le tribunal judiciaire de Lille





APPELANTE



SCI Imagnico prise en la personne de son gérant M.[B] [E] domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 4]

[Localité 6]

r>
Représentée par Me Manuel de Abreu, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué, substitué par Me Jérôme Guilleminot, avocat au barreau de Valenciennes



INTIMÉS



Monsieur [N] [A]

né le [Date naissa...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 29/08/2024

****

N° de MINUTE : 24/242

N° RG 23/02004 - N° Portalis DBVT-V-B7H-U37J

Jugement (N° 21/06881) rendu le 31 Mars 2023 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTE

SCI Imagnico prise en la personne de son gérant M.[B] [E] domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Manuel de Abreu, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué, substitué par Me Jérôme Guilleminot, avocat au barreau de Valenciennes

INTIMÉS

Monsieur [N] [A]

né le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Monsieur [R] [L]

né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentés par Me Loïc Ruol, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué substitué par Me Aude Brembor, avocat au barreau de Valenciennes

DÉBATS à l'audience publique du 18 avril 2024 tenue par Claire Bertin magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Fabienne Dufossé

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, président de chambre

Claire Bertin, conseiller

Yasmina Belkaid, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 août 2024 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 22 janvier 2024

****

EXPOSE DU LITIGE

1. Les faits et la procédure antérieure :

Dans l'immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5], lequel est soumis au régime de la copropriété, la SCI Imagnico est propriétaire de deux appartements situés l'un au deuxième étage, l'autre au troisième étage.

MM. [N] [A] et [R] [L] ont fait l'acquisition en indivision le 27 mars 2013 auprès de la SCI Imagnico de l'appartement situé au premier étage, et ont rapidement entrepris des travaux consistant en l'ouverture d'un mur porteur séparant la cuisine du salon, ces travaux ayant été autorisés le 19 avril 2013 par l'assemblée générale des copropriétaires.

Les travaux ont été exécutés en partie par la société Tramontana frères du 9 au 13 septembre 2013.

Le 12 octobre 2013, le gérant de la SCI Imagnico a écrit à M. [L] pour l'informer qu'étaient apparues dans ses logements des fissures qu'il imputait aux travaux réalisés, et lui demander d'y remédier ; il a en outre effectué une déclaration de sinistre auprès de son assureur.

Deux expertises amiables ont été réalisées lesquelles n'ont cependant pas permis de résoudre le litige.

La SCI Imagnico a alors saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille qui, par ordonnance du 21 juin 2016, a confié une mesure d'expertise judiciaire à M. [J] [G].

Les opérations d'expertise ont ensuite été étendues à la société Tramontana suivant ordonnance du 30 mai 2017.

L'expert [G] a déposé son rapport le 8 octobre 2018.

Par acte d'huissier délivré le 12 septembre 2019, la SCI Imagnico a fait assigner MM. [A] et [L] devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins d'indemnisation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 31 mars 2023, le tribunal judiciaire de Lille a :

déclaré d'office irrecevable l'appel en garantie formé par MM. [A] et [L] à l'encontre de la société Tramontana ;

débouté la SCI Imagnico de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de MM. [A] et [L] ;

condamné la SCI Imagnico à verser à MM. [A] et [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné la société Imagnico aux dépens, en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise judiciaire ;

débouté les parties de leurs autres demandes ;

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

3. La déclaration d'appel :

Par déclaration du 27 avril 2023, la SCI Imagnico a formé appel, dans des conditions de forme et de délai non contestées, de ce jugement en limitant sa contestation aux seuls chefs du dispositif numérotés 2 ; 3 ; et 4 ci-dessus.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1 Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 novembre

2023, la SCI Imagnico appelante demande à la cour, au visa des articles 1382, subsidiairement 544 et 651 du code civil, de :

- infirmer le jugement querellé en ce qu'il l'a :

'déboutée de l'intégralité de ses demandes ;

'condamnée à payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

'condamnée aux dépens en ce compris les frais d'expertise ;

- et statuant à nouveau, condamner in solidum MM. [A] et [L] à lui payer les sommes suivantes :

'3 630 euros valeur octobre 2018 au titre des réfections préconisées par l'expert ;

'31 000 euros de dommages et intérêts pour perte de loyers locatifs ;

'75 000 euros de dommages et intérêts pour perte de chance de vendre les deux appartements ;

'5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance, et 4 000 euros en cause d'appel ;

ainsi qu'aux entiers dépens de référé, de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.

A l'appui de ses prétentions, la SCI Imagnico fait valoir que :

- MM. [A] et [L] ne fournissent pas la copie du rapport prétendument réalisé par un bureau d'études avant l'exécution des travaux de démolition ;

- la structure des appartements se répétant d'étage en étage, le mur détruit constituait un mur porteur de refend, et reprenait les charges des planchers et de la charpente de l'immeuble ;

- MM. [A] et [L] ont procédé à coups de masse à l'abattage du mur alors que, selon l'expert, aucun renfort n'a permis de faire face à la pression exercée par le poids du mur du deuxième étage dont certaines briques se sont trouvées momentanément dans le vide ; l'affaiblissement des rangs inférieurs de briques a eu des répercussions sur la statique globale du mur et s'est répercuté d'étage en étage ; le tassement s'est interrompu dès le contact rétabli entre le rang inférieur de briques et le linteau métallique récemment mis en place ;

- les travaux exécutés ainsi sans précaution suffisante ont occasionné des fissures au droit des linteaux des quatre portes situées dans le mur porteur des étages à l'aplomb du mur démoli du premier étage ;

- en procédant eux-mêmes aux travaux de suppression d'un mur de refend dans un immeuble collectif sans prendre les précautions constructives nécessaires, les maîtres de l'ouvrage ont commis une faute dont ils doivent réparation au sens de l'article 1382 du code civil ;

- M. [A] et [L] ont commis une faute d'imprudence en ne mandatant aucun maître d''uvre pour concevoir et surveiller l'exécution de tels travaux ;

- à titre subsidiaire, elle invoque la responsabilité des maîtres de l'ouvrage pour trouble anormal de voisinage sur le fondement des articles 544 et 651 du code civil ;

- elle conteste la prescription de son action sur ce fondement, dès lors qu'elle a fait assigner MM. [A] et [L] en responsabilité civile extracontractuelle par acte du 12 septembre 2019, et que ses prétentions ne sont pas nouvelles au sens de l'article 565 du code de procédure civile, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

4.2 Aux termes de leurs conclusions notifiées le 23 octobre 2023, MM.

[A] et [L], intimés, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SCI Imagnico de ses demandes dirigées contre eux ;

- juger qu'ils n'ont commis aucune faute et n'ont pas engagé leur responsabilité à l'égard de la SCI Imagnico sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil ;

- déclarer irrecevable comme prescrite la demande de la SCI Imagnico fondée sur la théorie du trouble anormal de voisinage ;

- subsidiairement, débouter la SCI Imagnico de ses demandes indemnitaires fondées sur la théorie du trouble anormal de voisinage ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI Imagnico à leur payer à la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI Imagnico au paiement d'une indemnité de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de frais irrépétible exposés en cause d'appel ;

- la condamner aux entiers frais et dépens d'appel.

A l'appui de leurs prétentions, MM. [A] et [L] font valoir que :

- aux termes du rapport d'expertise, aucune faute ne peut leur être personnellement imputée, dès lors qu'ils ont fait appel à un professionnel qui a réalisé un étaiement non conforme ;

- ils n'ont eux-mêmes réalisé que les travaux de déconstruction du mur de refend ; l'expert a considéré que la maçonnerie incomplètement soutenue avait été soumise à des tractions verticales résultant de son propre poids, et que les vibrations engendrées par la déconstruction ou démolition du mur avait accentué le processus ;

- c'est la faute commise par la société Tramontana par mise en place d'un process d'étaiement non conforme, qui est à l'origine des désordres allégués à hauteur de 70%, seuls les 30% restants étant dus aux vibrations inhérentes à la démolition ;

- à titre subsidiaire, ils soulèvent la prescription quinquennale de l'action fondée sur le trouble anormal du voisinage ; le point de départ du délai de prescription court à compter du 30 mai 2017, date de l'ordonnance de référé expertise, de sorte que l'action était prescrite lorsque la demande a été formée pour la première fois dans les conclusions d'appel signifiées le 27 juillet 2023 ;

- sur le fond, le critère d'anormalité du trouble n'est pas établi dès lors qu'ils ont pris toutes les précautions administratives et techniques avant de réaliser leurs travaux ; le critère de continuité du trouble n'est pas davantage constitué, dès lors que les travaux n'ont duré que cinq jours et que la solidité de l'immeuble a été rétablie par la pose d'un portique métallique qui a rapidement permis la reprise des charges des étages supérieurs.  

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur l'action en responsabilité délictuelle

Aux termes des articles 1382 et 1383 anciens, devenus 1240 et 1241, du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute il est arrivé à le réparer.

Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

En application de ces dispositions, il appartient à la SCI Imagnico de rapporter la preuve d'une faute commise par les intimés dans le cadre des travaux exécutés dans leur appartement, d'un préjudice qu'elle a subi, et enfin d'un lien de causalité entre la faute et le dommage.

Le 27 mars 2013, MM. [A] et [L] ont acquis auprès de la SCI Imagnico un appartement situé au premier étage d'un immeuble ancien situé en centre-ville de [Localité 5] au [Adresse 2]. Afin d'aménager leur appartement, ils ont décidé de supprimer le mur porteur de refend séparant le séjour et la cuisine. A cet effet, ils ont sollicité et obtenu l'autorisation de la copropriété, puis ont obtenu du bureau d'étude [P] l'établissement d'une note de calcul et d'un descriptif de la structure nécessaire pour remplacer le mur à supprimer. Ils ont confié à la société Tramontana les travaux d'étaiement préalable et de mise en 'uvre de la structure, et réalisé eux-mêmes les travaux de démolition.

Ainsi, le 9 septembre 2013, la société Tramontana a étayé les planchers ; le 10 septembre, MM. [A] et [L] ont démoli le mur ; le 11 septembre, la société Tramontana a procédé au coulage de l'achelet et de la semelle béton destinés à recevoir la structure métallique, et a mis en place la structure métallique le 13 septembre suivant.

Dans son rapport du 8 octobre 2018, l'expert judiciaire [G] expose que :

- les désordres concernent l'apparition de fissures sur les murs porteurs dans les appartements des deuxième et troisième étages de l'immeuble concomitamment à la réalisation de travaux au premier étage ;

- il a constaté l'existence de fissures affectant le mur de refend porteur en maçonnerie de briques aux deuxième et troisième étages, étant précisé que des rebouchages précaires avaient été réalisés au deuxième étage à des fins esthétiques ;

- ces microfissures, sont situées aux droits des linteaux des baies existantes dans ce mur à usage de passage (portes) ou de placard, certaines d'entre elles étant superficielles (enduit de surface impacté) et d'autres structurelles (maçonnerie fissurée) ;

- sur la base des déclarations recueillies et des documents produits, les désordres sont apparus mi-septembre 2013, concomitamment à la réalisation des travaux effectués dans l'appartement du premier étage ;

- l'origine de ces désordres est un tassement de quelques millimètres du mur de refend en maçonnerie de briques ;

- les causes de ces désordres sont :

'en cause principale à 70%, la suppression du mur porteur au premier étage dont la charge n'a pas été entièrement reprise pendant 2 à 3 jours ;

'en causes aggravantes à 30%, les vibrations engendrées par la démolition de la maçonnerie du mur au premier étage, et une fragilité des zones affectées en raison de leur sensibilité naturelle (baies dans un mur porteur constituant des zones plus fragiles) et de l'existence de désordres anciens ayant déjà impacté ces zones dans le passé ;

- les désordres constatés se limitent à des microfissures, certes structurelles pour certaines, mais sans aucune gravité ;

- la mise en 'uvre d'un portique métallique en lieu et place du mur supprimé au premier étage a permis la reprise des charges des étages supérieurs, de sorte que la solidité de l'immeuble est rétablie ;

- les désordres relevés ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'immeuble et ne le rendent pas impropre à sa destination dans l'immédiat ou à terme ;

L'expert considère que l'apparition des fissures a été provoquée par un léger tassement du mur dont la partie démolie n'a pas été correctement soutenue le temps des travaux de démolition et de remplacement par la structure métallique. En effet, si l'étaiement mis en place par la société Tramontana a bien permis de soutenir les planchers, il ne permettait pas de maintenir parfaitement le mur, constitué d'une maçonnerie en briques, destiné à rester en compression pour garder sa statique. Ainsi, la maçonnerie incomplètement soutenue a été soumise à des tractions verticales résultant de son propre poids.

Il ajoute que les vibrations engendrées par la démolition du mur ont accentué le processus et des fissures sont apparues et réapparues, des désordres similaires s'étant déjà produits par le passé, aux endroits les plus fragiles du mur, à savoir les percements des baies et plus particulièrement au droit des linteaux.

Il estime que le process d'étaiement non conforme aux règles de l'art, mis en place par la société Tramontana, est la cause première de la survenance des désordres, mais que les travaux de démolition et la fragilité préexistante du mur aux endroits concernés par les désordres ont fait office de catalyseurs dans la survenance des désordres. Une fois la structure métallique installée, le mur a, selon lui, retrouvé sa solidité.

Si le premier juge a considéré que les maîtres de l'ouvrage profanes n'avaient commis aucune faute en entreprenant la démolition du mur porteur après avoir pris toute précaution pour ce faire, dès lors qu'ils avaient obtenu l'autorisation préalable des copropriétaires, saisi un bureau d'études, et confié l'étaiement de l'ouvrage à la société Tramontana, il reste pour autant que ceux-ci ont en toute connaissance de cause, le 10 septembre 2013, fait le choix d'abattre eux-mêmes, bien que n'ayant aucune compétence particulière en la matière, le mur porteur de leur lot en démontant manuellement la maçonnerie, un telle démolition, même à supposer qu'elle fût manuelle et précautionneuse, engendrant nécessairement, selon l'expert, des vibrations pouvant avoir des répercussions sur les ouvrages environnants.

Les photographies versées au débat suffisent à montrer la nature et l'ampleur des opérations de démolition entreprises dans un immeuble d'habitation collectif.

Par ailleurs, la note de calculs et les schémas techniques, élaborés par le bureau d'études [Z] le 19 juin 2013, apparaissent peu accessibles et intelligibles pour des non-professionnels du bâtiment ; outre que l'étude complète et la facture établies par le bureau d'études ne sont pas produites, ces documents, s'ils se rapportent à la solidité de la structure nouvelle après démolition, n'apportent en réalité aucune précision quant aux précautions à prendre avant d'engager la déconstruction, ni quant au mode opératoire à suivre durant son exécution.

Il s'ensuit que la démolition d'un mur de refend dans un immeuble collectif constitue une opération technique par nature risquée, et qui nécessite une préparation et un savoir-faire professionnels, ce d'autant plus que le rapport d'expertise met en exergue la fragilité des baies dans un mur porteur ainsi que l'existence de désordres anciens ayant déjà impacté ces zones dans le passé

C'est par une appréciation erronée des faits et de la cause que le premier juge a écarté toute faute des maîtres de l'ouvrage en considérant que les vibrations inhérentes à la démolition n'étaient pas fautives, et qu'elles seraient tout autant survenues si elles avaient été réalisées par un professionnel, tel la société Tramontana.

Il est ici rappelé que l'expert [G] a retenu à hauteur de 30% comme causes aggravantes des désordres notamment les vibrations provoquées par la démolition de la maçonnerie, de sorte que MM. [A] et [L], qui ont commis une faute, à tout le moins d'imprudence, pour avoir démoli un mur porteur sans précaution suffisante, sans recourir à un maître d''uvre, et en ne s'assurant pas du parfait soutien des ouvrages situés au-dessus de leur lot, doivent être déclarés responsables de l'apparition des microfissures dans les deux appartements appartenant à la SCI Imagnico, celles-ci étant en lien de causalité direct et certain avec les travaux entrepris sans étaiement suffisant de la maçonnerie en briques.

Le jugement dont appel est réformé sur ce point.

II - Sur la réparation du préjudice

En vertu de l'article 1382 ancien précité, le principe de réparation intégrale du préjudice conduit à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée, sans pertes ni profits pour elle-même, si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu.

A - Sur le coût des travaux de reprise

La SCI Imagnico réclame une indemnisation de 3 630 euros TTC en valeur à octobre 2018 au titre des travaux de reprise des fissures.

MM. [A] et [L] s'en rapportent à la justice sur ce point, faisant observer que des microfissures préexistaient à leurs travaux, et avaient déjà été rebouchées et traitées pour des causes similaires, ce qui démontre une fragilité structurelle du bâtiment au niveau du mur de refend.

Sur ce, l'expert [G] retient que la reprise des désordres est constituée par le traitement des fissures et la reprise des embellissements des pièces affectées ; il estime, en l'absence de devis produit, le coût de ces travaux à la somme de 3 630 euros, et leur durée à deux semaines.

La somme de 3 630 euros, évaluée par l'expert, répond à la réparation intégrale du préjudice de la victime sans pertes ni profits pour celle-ci.

Il convient de condamner in solidum MM. [A] et [L] à payer à la SCI Imagnico une somme de 3 630 euros valeur octobre 2018, correspondant aux travaux de réfection tels que préconisés par l'expert judiciaire.

Le jugement dont appel est réformé en ce qu'il a débouté l'appelante de ce chef.

B - Sur les pertes de revenus locatifs

La SCI Imagnico réclame une indemnisation de 31 000 euros pour perte de revenus locatifs, faisant valoir que :

- compte tenu de l'apparition de désordres structurels dans les deux appartements lui appartenant, elle n'a pas pu les relouer immédiatement ;

- l'appartement du deuxième étage est resté vacant durant neuf mois, soit d'octobre 2013 à août 2014, ce qui correspond à une perte de 10 000 euros (soit 1 000 euros de loyer mensuel pendant 10 mois) ;

- elle n'a pas couru le risque de relouer ses biens tant qu'elle ignorait la gravité des vices affectant la stabilité du mur de refend ;

- l'appartement du troisième étage est resté inoccupé de juillet 2016 à octobre 2018, ce qui correspond à une perte de revenus locatifs de 21 000 euros (soit 750 euros de loyer x 28 mois).

MM. [A] et [L] concluent au débouté de ce chef, soulignant que :

- les désordres ne sont constitués que de microfissures qui, n'affectant pas la solidité de l'immeuble, n'ont jamais présenté de caractère de dangerosité ;

- la SCI Imagnico ne justifie nullement de l'impossibilité totale et absolue de louer les appartements en raison des microfissures, l'immeuble n'ayant jamais été rendu inhabitable ni impropre à sa destination ;

- l'appelante ne démontre pas que la période d'inoccupation de l'appartement du deuxième étage entre le 1er octobre 2013 et le 14 août 2014 soit en lien de causalité directe et certain avec les microfissures ;

- l'appartement du troisième étage présentait à l'évidence un aspect de vétusté, et n'était plus donné à la location depuis près de dix années au moment de son acquisition par la SCI Imagnico ;

- l'expert judiciaire ne met en évidence aucune corrélation entre les microfissures liées aux travaux de démolition et l'impossibilité d'occuper l'appartement du troisième étage ;

- la société Tramontana a proposé, dès le 22 octobre 2013, de procéder amiablement aux travaux de reprise des microfissures observées, ce qu'a totalement refusé la SCI Imagnico.

Sur ce, l'expert [G] relève que le locataire du deuxième étage avait donné congé à la SCI Imagnico pour le mois de septembre 2013, soit avant même la réalisation des travaux de démolition litigieux, et que son départ n'est donc pas lié à l'apparition des désordres ; il ajoute que cet appartement n'étant pas rendu inhabitable du fait de l'apparition des microfissures, l'impossibilité de le louer peut être limitée au temps nécessaire à la réalisation des travaux de remise en état, soit un mois tout au plus, ce qui correspond à une perte de loyer de 1 000 euros.

L'expert constate en page 20 de son rapport que l'appartement du deuxième étage était d'ailleurs normalement occupé au moment des opérations d'expertise.

Concernant le troisième étage qu'il décrit comme vétuste, et dont le loyer mensuel s'élevait à 750 euros en 2012, l'expert [G] expose que des travaux de rénovation sans lien avec le sinistre étaient nécessaires pour qu'il puisse être reloué, et que la propriétaire avait choisi de différer les travaux pour préserver l'appartement durant les opérations d'expertise.

Contrairement à ce qu'allègue l'appelante, alors que la solidité structurelle des lots n'a jamais été menacée, que la dangerosité de cet immeuble ancien n'a jamais été établie, et que des microfissures préexistaient déjà aux travaux de démolition entrepris par les intimés, elle ne démontre pas que l'inoccupation de l'appartement situé au deuxième étage entre octobre 2013 et août 2014, et celle de l'appartement situé au troisième étage de juillet 2016 à octobre 2018 soient en lien de causalité direct et certain avec les manquements fautifs reprochés aux maîtres de l'ouvrage.

En conséquence, la cour retient un préjudice de 1 750 euros correspondant à une perte de loyers d'un mois (soit 1 000 + 750) pour les deux appartements pendant la durée estimée des travaux de remise en état des microfissures apparues fin septembre 2013.

Il convient de condamner in solidum MM. [A] et [L] à payer à la SCI Imagnico une somme de 1 750 euros en réparation de la perte de revenus locatifs.

C - Sur la perte de chance de vendre les appartements

La SCI Imagnico réclame une somme de 75 000 euros à ce titre, expliquant qu'elle avait reçu le 14 septembre 2013 une offre d'achat pour les deux appartements à hauteur de 475 0000 euros, et que l'acquéreur s'était désisté par suite de l'apparition des fissures et de l'impossibilité d'y remédier rapidement.

MM. [A] et [L] concluent au rejet de la demande de ce chef, faisant valoir que :

- la SCI Imagnico procède par voie d'affirmation et n'apporte pas la preuve du préjudice qu'elle allègue ;

- l'offre d'achat produite, laquelle ne constitue pas un compromis de vente, est une simple manifestation de volonté de l'acquéreur, et n'a jamais été acceptée par la SCI Imagnico ; de plus, aucune évaluation de l'immeuble par un professionnel ni aucun mandat de vente ne sont versés au débat ;

- la SCI Imagnico ne justifie à ce jour ni de sa qualité de propriétaire des deux appartements, ni de leur valeur vénale actualisée, de sorte qu'il s'avère impossible d'apprécier si elle tirerait aujourd'hui de la vente de ces deux biens immobiliers un prix moindre que celui attendu en septembre 2013.

Sur ce, la SCI Imagnico produit, au soutien de sa demande, une offre unilatérale d'achat régularisée le 14 septembre 2013 par la SCI Charlize, valable un mois uniquement, pour l'acquisition des deux étages lui appartenant au prix de 475 000 euros net vendeur, puis une lettre simple de rétractation du 15 octobre suivant, dans laquelle celle-ci déclare se désister de son offre d'achat à la suite des dégâts occasionnés dans les appartements, à savoir « une grosse fissure dans les murs porteurs ».

L'expert [G] relève que si l'apparition de désordres sur la structure d'un immeuble peut légitimement inquiéter un acquéreur potentiel, rien ne permet en l'état d'établir un préjudice financier en lien avec la vente ainsi avortée ; il indique que le montant de la perte de chance réclamée n'est ni détaillé ni justifié.

En l'espèce, les relevés hypothécaires des deux lots de copropriété montrent que la SCI Imagnico en est restée propriétaire depuis 2001. Outre que l'offre du 14 septembre 2013 constituait une simple promesse unilatérale d'achat qui n'a jamais été corroborée ni par la démonstration des capacités financières de l'acquéreur ni par l'acceptation du vendeur, l'appelante ne justifie pas avoir après le sinistre cherché à vendre ses appartements, étant ici rappelé que les microfissures n'ont en réalité jamais affecté la solidité ni l'habitabilité des lots.

Elle ne produit aucune pièce postérieure à 2013 de nature à actualiser leur valeur vénale, de sorte qu'elle échoue à démontrer qu'elle tirerait aujourd'hui de leur vente un prix moindre que celui attendu en 2013.

En conséquence, la SCI Imagnico ne rapporte pas la preuve de la perte de chance alléguée, et sera déboutée de sa demande de réparation d'un préjudice à ce titre.

IV - Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de l'arrêt conduit à réformer le jugement attaqué sur les dépens et les frais irrépétibles de référé et de première instance.

MM. [A] et [L] qui succombent sont condamnés aux entiers dépens de référé, de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire exposés pour un montant de 13 087,15 euros.

Le sens de l'arrêt et l'équité conduisent à les condamner in solidum à payer à la SCI Imagnico une somme de 4 000 euros à titre d'indemnité de procédure de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Lille, sauf en ce qu'il a :

- débouté la SCI Imagnico de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre de MM. [N] [A] et [R] [L] ;

- condamné la SCI Imagnico à verser à MM. [N] [A] et [R] [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SCI Imagnico aux dépens, en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise judiciaire ;

Le réforme de ces chefs ;

Prononçant à nouveau des chefs réformés, et y ajoutant,

Condamne in solidum MM. [N] [A] et [R] [L] à payer à la SCI Imagnico les sommes suivantes en réparation de son préjudice :

3 630 euros valeur octobre 2018 au titre des travaux de réfection ;

1 750 euros au titre de la perte de revenus locatifs ;

Déboute la SCI Imagnico de sa demande au titre de la perte de chance de vendre ses biens immobiliers ;

Déboute les parties de leurs plus amples prétentions ;

Condamne in solidum MM. [N] [A] et [R] [L] aux entiers dépens de référé, de première instance et d'appel, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;

Les condamne en outre à payer in solidum à la SCI Imagnico la somme de 4 000 euros à titre d'indemnité de procédure de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Fabienne DUFOSSÉ

Le président

Guillaume SALOMON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Troisieme chambre
Numéro d'arrêt : 23/02004
Date de la décision : 29/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-29;23.02004 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award