R N° 00/01082 N° Minute : Grosse délivrée le : S.C.P. CALAS S.C.P. POUGNAND AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D'APPEL DE GRENOBLE AUDIENCE SOLENNELLE - CHAMBRES CIVILES REUNIES ARRET DU MARDI 12 MARS 2002 Recours contre une décision (N° R.G. 92/0405) rendue par le Tribunal de Grande Instance ALBERTVILLE en date du 18 février 1994 ayant fait l'objet d'un arrêt rendu le 1er Avril 1997 par la Cour d'Appel de CHAMBERY et suite à un arrêt de cassation du 08 Février 2000 SUIVANT DECLARATION DE SAISINE DU 27 Mars 2000 APPELANTE : COMITE NATIONAL OLYMPIQUE ET SPORTIF FRANCAIS "CNOSF", prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, M. Henri X... 1 avenue Pierre de Coubertin 75640 PARIS CEDEX 13 Représentée par la SCP HERVE JEAN POUGNAND, avoué associé à la Cour Assistée de la SCP NATAF ET FAJGENBAUM, avocats au barreau de PARIS et plaidant par Me FAJGENBAUM INTIMEE : CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE L'YONNE prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège 16-18 bld de la Marne BP 759 89007 AUXERRE CEDEX Représentée par la SCP CALAS, avoué associé à la Cour Assistée de Me Didier MOULY, avocat au barreau de NARBONNE COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE : Monsieur CATTEAU, Premier Président Monsieur DOUYSSET, Président Madame FALLETTI-HAENEL, Président Monsieur VIGNAL, Conseiller, Monsieur DUBOIS, Conseiller, Assistés lors des débats de Madame Hélène Y..., Greffier. DEBATS : A l'audience publique et solennelle de renvoi de cassation tenue le 12 FEVRIER 2002, les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries. Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience solennelle du MARDI 12 MARS 2002. --oOo--
Dans le cadre de l'organisation des jeux olympiques d'Albertville de 1992, le Comité National Olympique et Sportif - CNOSF - a par acte
sous seing privé du 03 Avril 1990 réservé un certain nombre de chambres au Golf Hôtel du Mont-Blanc pour un prix de 6.516.000 francs.
Cette créance a été cédée, selon les conditions prévues par la loi du 02 Janvier 1981, par le gérant de l'hôtel à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Yonne suivant bordereau du 14 Mars 1991. Dès le 26 Février 1991, après notification par la Caisse, la cession avait été acceptée par le Comité Olympique.
L'hôtel n'ayant pas été achevé à la date prévue lors des réservations, le Comité Olympique a contesté sa dette et son engagement d'acceptation en faisant valoir que celui-ci était antérieur à la date de la cession.
Le Tribunal de Grande Instance d'Albertville a, par jugement du 18 Février 1994 :
- dit que l'acte d'acceptation du 26 Février 1991 est valable,
- condamné, en conséquence, le Comité National Olympique et Sportif Français venant aux droits du COJO à payer à la CRCAM de l'Yonne la somme de 6.516.000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 19 Février 1992 et capitalisation des intérêts,
- débouté le CNOSF de l'ensemble de ses demandes et la CRCAM de l'Yonne de sa demande de dommages-intérêts,
- déclaré bonne et valable la saisie-arrêt pratiquée le 14 Février 1992 entre les mains du Crédit Lyonnais au préjudice du COJO,
- dit que les sommes dont le tiers saisi se reconnaîtra ou sera jugé débiteur seront par lui versées entre les mains de la CRCAM de l'Yonne en déduction ou jusqu'à concurrence du montant de sa créance en principal et accessoires,
- validé la saisie-conservatoire pratiquée sur le prix provenant de la vente des biens du COJO et consigné par lui au Crédit Lyonnais,
- converti celle-ci en saisie-exécution,
- dit que par accord du 08 Septembre 1992 le COJO a accepté de consigner au profit du Crédit Agricole les sommes provenant de la vente des biens saisis à titre conservatoire et condamné, en conséquence, le CNOSF à payer à la CRCAM de l'Yonne les sommes inscrites en compte après le 20 Mars 1992 et provenant des ventes d'objets saisis à titre conservatoire,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,
- condamné le CNOSF à payer à la CRCAM de l'Yonne la somme de 15.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Le Tribunal a, notamment, considéré que la date du bordereau avait seulement pour effet de rendre la cession opposable aux tiers et ne pouvait être transformée par le juge en condition de validité.
Par arrêt rendu le 1er Avril 1997, la Cour d'Appel de Chambéry retenant que l'antériorité de l'acceptation par rapport à la date de cession ne peut affecter la validité de l'acceptation dans la mesure où c'est le cessionnaire qui appose la date sur le bordereau et où il n'est pas démontré que la qualité de bénéficiaire du bordereau n'était pas acquise par la CRCAM à la date où elle a sollicité l'acceptation de la cession, a confirmé le jugement déféré et condamné le CNOSF à verser à la CRCAM de l'Yonne la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Par arrêt rendu le 08 Février 2000, la Cour de Cassation statuant au visa de l'article 4 de la loi du 02 Janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Chambéry et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'Appel de Grenoble.
Elle a, en effet, retenu qu'au sens de la loi du 02 Janvier 1981, la qualité de cessionnaire ne peut être opposée aux tiers par un
établissement de crédit qu'à compter de la date portée par lui sur le bordereau de cession et qu'en conséquence, en l'espèce, la Caisse ne pouvait avant la date du bordereau notifier la cession et utilement inviter, en cette qualité, le débiteur à l'accepter.
La CRCAM de l'Yonne demande à la Cour d'Appel de Grenoble, désignée Cour de renvoi :
- de débouter le CNOSF de son appel,
- de confirmer le jugement rendu le 18 Février 1994 par le Tribunal de Grande Instance d'Albertville,
- de condamner le CNOSF à lui payer la somme de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 100.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle expose que lorsque la SCI PMF promoteur du projet de construction de l'hôtel a sollicité de sa part l'octroi d'un crédit constituant une avance sur la rentabilité future, elle a conditionné l'octroi de ce crédit à une garantie constituée par l'engagement ferme et définitif pris par le COJO de louer des chambres de cet hôtel pour y loger des journalistes couvrant les J.O. d'hiver, résultant du contrat de réservation du 03 Avril 1990.
Elle indique avoir pris la précaution supplémentaire de conditionner la cession de créance et de financement à l'acceptation du COJO.
Elle considère que l'acceptation donnée sans réserve ni condition parle COJO le 26 Février 1991 emporte engagement ferme et définitif de sa part et que sa contestation relève de la mauvaise foi.
Elle indique, d'autre part, qu'au moment de l'acceptation, la cession de créance était parfaite et valable et qu'en ne faisant aucune réserve, le COJO a confirmé qu'il acceptait le Crédit Agricole pour financer.
Elle ajoute qu'en ne réglant pas les acomptes qu'il s'était engagé à verser par le contrat du 03 Avril 1990, le COJO a manqué à ses
obligations contractuelles et qu'il ne peut opposer aucune exception au paiement des sommes réclamées.
Elle conteste le reproche de mauvaise foi qui lui est fait et soutient que ce grief s'adresse au contraire au COJO.
Le CNOSF conclut à la réformation du jugement déféré. Il demande à la Cour d'Appel de Grenoble :
- de dire que l'acte d'acceptation du COJO est nul et de nul effet,
- de dire que la règle de l'inopposabilité des exceptions est inopérante en l'espèce et qu'il est donc fondé à opposer à la CRCAM l'exception d'inexécution du cédant,
- en conséquence, de débouter la CRCAM de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner au paiement de la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 1.500 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il reproche à la CRCAM de s'être présentée le 22 Février 1991 faussement comme cessionnaire de la créance alors que la cession de créance n'est en réalité intervenue que le 14 Mars 1991 et souligne la légèreté blâmable avec laquelle cet établissement financier a accordé un crédit de plus de 6 MF à une société dont l'état de cessation des paiements était avéré depuis le 31 Janvier 1991.
Il soutient que la date portée sur le bordereau de cession est celle à laquelle la créance du cédant sort de son patrimoine pour entrer dans celui du cessionnaire et à laquelle la cession devient opposable aux tiers. Il fait valoir, en conséquence, comme l'a jugé la Cour de Cassation, que la CRCAM ne pouvait à la date du 22 Février 1991 valablement notifier ou demander l'acceptation de la cession de créance qui n'est intervenue que le 14 Mars 1991.
Il rappelle qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 02 Janvier 1981: "la cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau".
Il considère, en conséquence, que les actes de notification et d'acceptation faits antérieurement à la cession sont nuls et de nul effet.
Il ajoute que l'acte d'acceptation n'a pas respecté le formalisme de l'article 6 de la loi du 02 Janvier 1981, ce qui constitue un second motif de nullité de cet acte.
Il fait valoir, en conséquence, que l'acte d'acceptation étant nul, il est fondé à se prévaloir de l'inexécution du contrat.
MOTIFS ET DECISION
Aux termes de l'article 4 de la loi du 02 Janvier 1981 devenu l'article L313-27 du Code Monétaire et Financier, la cession ou le nantissement prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date portée sur le bordereau.
Conformément à ces dispositions, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de l'Yonne, cessionnaire, suivant bordereau du 14 Mars 1991, de la créance de 6.516.000 francs que la Société Golf Hôtel du Mont Blanc détenait sur le Comité National Olympique, ne pouvait opposer sa qualité de cessionnaire vis à vis des tiers avant cette date. Elle ne pouvait non plus antérieurement à la date mentionnée sur le bordereau notifier la cession ni utilement inviter, en cette qualité, le débiteur à l'accepter.
Ainsi, l'acceptation de la cession par le Comité Olympique donnée le 26 Février 1991 ensuite de la notification que lui avait faite le 22 Février 1991 la CRCAM de l'Yonne en qualité de cessionnaire doit-elle être déclarée nulle pour avoir été sollicitée et recueillie antérieurement au 14 Mars 1991, date portée sur le bordereau de cession laquelle est certaine et non contestée par les parties.
La CRCAM de l'Yonne ne peut tirer aucune conséquence de l'acceptation sans réserve ni condition donnée par le Comité Olympique alors qu'elle n'avait pas encore la qualité de cessionnaire. Elle ne peut
non plus valablement invoquer la mauvaise foi du Comité Olympique pour défaut d'information sur l'absence de versement de l'acompte et de remise de caution bancaire dès lors que les faits reprochés sont antérieurs à la cession, à un moment où la créance n'était pas encore entrée dans son patrimoine.
L'acceptation du Comité Olympique étant déclarée nulle, celui-ci est fondé à opposer à la CRCAM de l'Yonne cessionnaire de la créance depuis le 14 Mars 1991, l'exception d'inexécution du contrat de réservation hôtelière qu'il avait conclu avec Monsieur Hubert Z..., es-qualité de gérant de la SCI PMF et représentant l'hôtel "Golf Hôtel du Mont Blanc" le 03 Avril 1990.
Il est justifié par les pièces produites en particulier par le procès-verbal de transport sur les lieux du 23 Janvier 1992 et non contesté que l'hôtel est resté inachevé et que le Comité Olympique n'a pu prendre possession des chambres réservées pour la période des jeux olympiques.
Le Crédit Agricole de l'Yonne reproche en vain au Comité Olympique de ne pas l'avoir informé des éléments venant vicier l'opération financière alors qu'étant l'organisme chargé de financer l'opération, il appartenait à cet établissement bancaire de s'assurer de la fiabilité de celle-ci par des investigations et de ne pas se contenter de recueillir avant tout engagement de sa part, l'acceptation du débiteur dans le but de reporter sur celui-ci les risques inhérents à la construction engagée.
Le fait que l'Hôtel Golf du Mont Blanc se trouvait en état de cessation de paiement le 31 Janvier 1991 avant même que la CRCAM de l'Yonne ait notifié au débiteur la cession envisagée par elle démontre que la banque n'a procédé à aucune investigation pour s'assurer de la solvabilité de Monsieur Z... et s'est contentée de prendre des garanties pour le remboursement de sa créance en
sollicitant l'acceptation du Comité Olympique.
Le CNOSF est, en conséquence, bien fondé à opposer à la CRCAM de l'Yonne l'exception d'inexécution.
Le jugement déféré étant infirmé, la CRCAM de l'Yonne sera déboutée de l'ensemble de ses prétentions.
Le CNOSF qui a fait preuve de légèreté en donnant son acceptation sans vérifier si les conditions étaient remplies sera débouté de sa demande en dommages-intérêts.
Il lui sera, en revanche, alloué la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer et qu'il serait inéquitable de laisser entièrement à sa charge. P A R C E S M O T I F S LA COUR A... publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement rendu le 18 Février 1994 par le Tribunal de Grande Instance d'Albertville,
A... à nouveau,
DEBOUTE la CRCAM de l'Yonne de l'ensemble d ses prétentions,
DEBOUTE le CNOSF de sa demande en dommages-intérêts,
CONDAMNE la CRCAM de l'Yonne à payer au CNOSF la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
CONDAMNE la CRCAM de l'Yonne aux dépens de première instance et d'appel incluant ceux de l'arrêt cassé avec en ce qui concerne les dépens exposés devant la Cour de céans, droit de recouvrement direct au profit de la SCP POUGNAND, avoué associé, sur ses offres de droit. Rédigé par Madame FALLETTI-HAENEL, Président, et prononcé par Monsieur CATTEAU, Premier Président, qui a signé avec le greffier.