RG N° 06/01192
Grosse délivrée
SCP CALAS
SCP GRIMAUD
Me RAMILLON
SCP POUGNAND
SELARL DAUPHIN
& MIHAJLOVIC
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRET DU MERCREDI 25 JUIN 2008
Appel d'une décision (N° RG : 2004J137)
rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 17 février 2006
suivant déclaration d'appel du 20 mars 2006
APPELANTE :
S.A. VA TECH JST prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité audit siège
84 avenue Paul Santy
69008 LYON CEDEX 08
représentée par la SELARL DAUPHIN & MIHAJLOVIC, avoués à la Cour
assistée de Me Axel BAUM, avocat au barreau de PARIS substitué par Me WALENT,
INTIMEE :
Société ARKEMA anciennement dénommée ATOFINA prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité audit siège
4-8 Cours Michelet
92800 PUTEAUX
représentée par la SCP JEAN CALAS, avoués à la Cour
assistée de Me Alain FLEURY, avocat au barreau de PARIS substitué par Me MARES Patrick,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur Allain URAN, Président de Chambre,
Monsieur Jean-Louis BERNAUD, Conseiller,
Madame Françoise CUNY, Conseiller,
En présence de Messieurs Christian BOREL et Robert FASSOULIADJIAN, Juges consulaires au Tribunal de Commerce de VIENNE,
Assistés lors des débats de Mlle Sandrine ABATE, Greffier.
DEBATS :
A l'audience publique du 28 Mai 2008, Monsieur URAN, Président, a été entendu en son rapport
Les avoués et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu ce jour,
EXPOSE DU LITIGE
Le 17 avril 1991, la société ARKEMA, anciennement dénommée ATOFINA, a passé commande à la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE d'un groupe transfo-redresseur pour un montant de 1.448.236,90 €. Le transformateur de ce groupe a été fabriqué et installé par la société JEUMONT SCHNEIDER TRANSFORMATEUR aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société VA TECH JST.
Selon procès-verbal en date du 15 septembre 1992, la société ARKEMA a réceptionné l'équipement et les travaux de montage.
Le 21 août 2001, le transformateur a claqué.
Par ordonnance de référé en date du 26 septembre 2001 rendue entre la société ATOFINA (désormais ARKEMA) et la société VA TECH JST, le Président du Tribunal de Commerce de Grenoble a institué une mesure d'expertise confiée à Monsieur E... pour rechercher les causes et origines du claquage, chiffrer le coût de la réparation et fournir tous éléments permettant de statuer sur les responsabilités.
Par ordonnance du 19 mars 2002 rendue à la demande de la société ATOFINA, le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre a étendu les opérations d'expertise aux sociétés JEUMONT et ALSTOM POWER, cette dernière venant aux droits de la société CEGELEC.
L'expert judiciaire a diligenté ses opérations et déposé un rapport.
Par acte d'huissier en date du 8 janvier 2004, la société VA TECH JST a fait assigner la société ARKEMA devant le Tribunal de Commerce de Grenoble aux fins qu'elle soit déclarée responsable du sinistre, condamnée au paiement d'une provision et qu'une nouvelle expertise soit ordonnée aux fins de chiffrer ses préjudices matériels.
Par jugement en date du 17 février 2006, le Tribunal de Commerce de Grenoble a statué comme suit :
"Vu les articles 1165, 1382 et 2244 du Code Civil, l'article 276 du NCPC,
DECLARE le contrat passé entre la société Jeumont Schneider Industrie et la société Arkema contrat d'entreprise,
DECLARE la responsabilité de la société Va Tech JST de quasi délictuelle en tant que sous-traitant,
DECLARE la société Arkema recevable tant en ses demandes principales que subsidiaires,
Avant-dire droit au fond, tous droits et moyens des parties étant réservés,
DESIGNE en qualité d'EXPERT M. Jean Pierre F..., ...,
lequel, parties présentes ou dûment convoquées, aura pour mission de :
- se rendre à l'usine Arkema de Jarrie et dans les locaux d'Alstom Maintenance à Vénissieux aux fins d'examiner l'appareil et son environnement,
- se faire remettre tous les documents nécessaires et utiles à l'exécution de sa mission.
- décrire les désordres dont est affecté le transformateur suite au claquage du 21 août 2001,
- de se prononcer sur les causes du claquage avancées par la société Arkema dans ses dires,
- préciser si l'initiative du démontage non contradictoire du 4 octobre 2001 a entravé la mission de l'expert E...,
- rechercher les causes et origines du claquage,
- chiffrer le coût de la remise en état du transformateur et les pertes d'exploitation consécutives à son indisponibilité,
- d'une manière générale fournir tout élément de fait et technique permettant à la juridiction compétente au fond de statuer sur les responsabilités encourues et de chiffrer les préjudices subis par la société Arkema.
- DIT que pour remplir sa mission, l'expert devra se faire communiquer tous documents, entendre tous sachants et sapiteurs en les nommant,
- entendre les parties en leurs explications et répondre à leurs dires,
- DIT qu'il dressera du tout un rapport qu'il déposera au Greffe dans un délai de neuf mois à compter de la consignation de la provision et en tout cas un prérapport si cette date ne peut pas être respectées,
- FIXE à la somme de DEUX MILLE (2000) euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération et les frais de l'expert et qui devra être consignée au Greffe par la société Arkema dans la quinzaine de l'avis qui lui aura été adressé,
-DIT que lors de la première réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera le montant prévisible de ses honoraires pour lesquels il pourra solliciter le versement au Greffe d'une provision complémentaire au cas où celle initialement ordonnée s'avérerait insuffisante,
- DIT que Monsieur le greffier informera l'expert de la consignation intervenue et qu'à défaut de versement dans les délais l'expertise sera frappée de caducité,
- DIT qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert désigné, il pourra être remplacé par simple ordonnance du Président du Tribunal à qui est confié le contrôle de la mesure d'instruction,
- DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
RESERVE les dépens".
La société VA TECH JST a relevé appel de ce jugement par déclaration de son avoué au greffe de la Cour en date du 20 mars 2006.
Elle fait valoir dans ses conclusions signifiées le 7 novembre 2007 :
- que l'action de la société ARKEMA à l'encontre de la société VA TECH JST est nécessairement de nature contractuelle, qu'en effet, la société ARKEMA a passé commande auprès de la société VA TECH JST d'un transformateur afin de l'intégrer par la suite dans le groupe transfo-redresseur, que le contrat liant la société JEUMONT ALSTOM venant aux droits de la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE à la société VA TECH JST portait sur la fabrication et la livraison du transformateur, que les contrats entre ARKEMA et JEUMONT ALSTOM et JEUMONT ALSTOM et VA TECH JST ne portent pas sur de simples prestations de services intellectuels mais avant tout sur la fourniture de biens, que la société VA TECH JST n'est pas restée propriétaire du transformateur qu'elle a fabriqué et livré sur le site de Jarrie pour qu'il soit intégré au transfo-redresseur fabriqué par la société JEUMONT ALSTOM, que de la même manière, la société JEUMONT ALSTOM n'est pas restée propriétaire du transfo-redresseur réceptionné par la société ARKEMA, que la société ARKEMA est devenue propriétaire du transfo-redresseur intégrant le transformateur, que les sociétés ARKEMA, JEUMONT ALSTOM et VA TECH JST sont donc incontestablement liées par une chaîne de contrats translatifs de propriété,
- que dans les chaînes de contrats translatifs de propriété, la responsabilité est contractuelle tandis que dans les chaînes de contrats qui ne sont pas translatifs de propriété, la responsabilité est quasi délictuelle,
- que l'éventuelle responsabilité de la société VA TECH JST ne peut donc être recherchée que sur le fondement contractuel,
- que la preuve d'un vice caché n'est pas rapportée, qu'en tout état de cause, l'action en garantie des vices cachées ne peut aboutir car elle est prescrite en application de l'article L. 110-4 du code de commerce qui dispose que :
"Les obligations nées à l'occasion du commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes",
- que le délai de prescription court à compter de l'exécution par le débiteur principal de son obligation, que la prescription décennale est acquise au plus tard le 13 février 2002, date de la livraison du transformateur par la société VA TECH JST, que le délai pour agir en garantie des vices cachés ne peut être utilement invoqué qu'à l'intérieur de la prescription de 10 ans prévue par l'article L. 110-4 précité, que l'assignation n'a été délivrée que le 8 janvier 2004, que le Tribunal de Commerce a à tort retenu comme point de départ de la prescription la date du claquage du transformateur au lieu de la date de livraison de l'installation,
- qu'il n'est pas établi l'existence de vice caché,
- qu'il n'est pas davantage établi de non-conformité, que l'expert a réfuté très clairement toute hypothèse de non-conformité et attribue les causes du sinistre à des influences externes à l'installation,
- que même sur le fondement quasi délictuel, c'est la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce et non celle de l'article 2270-1 du code civil qui s'applique, que l'action quasi délictuelle est donc tout autant prescrite que l'action en garantie contractuelle.
Elle demande à la Cour de :
"Vu le Jugement du Tribunal de Commerce de GRENOBLE en date du 17 février 2006,
Vu le rapport d'expertise de Monsieur E... en date du 29 janvier 2003,
Vu les articles 1147 et 1382 et suivants du Code Civil,
Vu l'article L. 110-4 du Code de Commerce
Il est demandé à la Cour d'appel de GRENOBLE, de :
. Recevoir la société VA TECH JST en ses écritures,
. L'y déclarer bien fondée ;
. Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de GRENOBLE en date du 17 février 2006 ;
En conséquence,
A titre principal
. INFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Grenoble en ce qu'il reconnaît le principe de responsabilité délictuelle de la société VA TECH JST ;
. JUGER que l'action détenue par la société ARKEMA à l'encontre de la société VA TECH JST est de nature contractuelle ;
. JUGER, de ce fait, que l'action de la société ARKEMA est prescrite et mal fondée.
En conséquence,
. DEBOUTER la société ARKEMA de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
. JUGER que la responsabilité délictuelle de la société VA TECH JST ne peut être retenue du fait de l'absence de faute de la société VA TECH JST ;
. INFIRMER le jugement en ce qu'il a estimé l'action de la société ARKEMA non prescrite en application de l'article L. 110-4 du Code de Commerce;
. JUGER que l'action de la société ARKEMA est prescrite et mal fondée ;
En conséquence,
. DEBOUTER la société ARKEMA de l'ensemble de ses demandes.
En tout état de cause
.CONDAMNER la société ARKEMA à payer à la société VA TECH JST la somme de 10.000 Euros au titre de l'article 700 du NCPC.
. Condamner la société ARKEMA aux entiers dépens de première instance et d'appel et pour ces derniers, autoriser la SELARL DAUPHIN MIHAJLOVIC à les recouvrer directement."
Par voir d'écritures signifiées le 24 avril 2008, la société ARKEMA réplique :
- que l'expert E... désigné en référé a été dans l'incapacité de déterminer les causes du sinistre,
- que la société VA TECH JST n'a jamais contesté la nature de contrat d'entreprise du contrat ayant uni la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE et la société ARKEMA et par voie de conséquence sa qualité de sous-traitant,
- que la société VA TECH JST expose "qu'elle a fabriqué et livré sur le site de Jarrie" le transformateur commandé par l'entrepreneur principal en vue de l'intégrer au transfo-redresseur, objet du contrat d'entreprise principal, qu'elle précise l'avoir fabriqué "selon les spécifications données" par la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE et ne conteste pas l'avoir elle-même installé sur le site,
- que la société VA TECH JST a donc bien exécuté pour le compte de l'entrepreneur principal JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE un contrat d'entreprise dont les caractéristiques (exécution d'un travail spécifique, destiné à un chantier déterminé, selon des prescriptions particulières définies par un entrepreneur principal) confèrent à la première la qualité de sous-traitant de la seconde dans le cadre de l'exécution du contrat principal d'entreprise commandé par ARKEMA,
- que l'action du maître de l'ouvrage à l'encontre du sous-traitant est nécessairement de nature délictuelle du fait de l'effet relatif des contrats,
- que l'arrêt rendu par l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 7 février 1986 sur lequel se fonde la société VA TECH JST pour conclure au caractère contractuel de l'action ne concerne nullement un rapport de sous-traitance mais un rapport de sous-acquisition entre un fournisseur et un maître de l'ouvrage, qu'en l'espèce, la société ARKEMA n'est pas un sous-acquéreur dans une chaîne de contrats mais un maître d'ouvrage dans un contrat d'entreprise principal dont une partie de l'ouvrage a été sous-traitée à la société VA TECH JST, que c'est ce rapport de sous-traitance entre ARKEMA et VA TECH JST qui doit seul être considéré pour déterminer la nature de la responsabilité de la seconde à l'égard de la première, que la sous-traitance se caractérise par la superposition de deux contrats d'entreprise ne pouvant s'analyser en de simples contrats de vente, que si le maître de l'ouvrage a une action contractuelle à l'encontre du fournisseur de son co-contractant, il a en revanche une action quasi délictuelle à l'encontre du sous-traitant,
- qu'il ne peut être reproché au jugement dont appel de ne pas avoir caractérisé une faute de la société VA TECH JST alors que l'expertise a justement été ordonnée pour déterminer si une faute a été commise par celle-ci, qu'un défaut de fabrication du transformateur n'est pas exclu du seul fait que celui-ci a été en fonction pendant une dizaine d'années sans incident dès lors que la durée de vie d'un transformateur industriel est au minimum de 30 ans et qu'en outre, cette grave défaillance du transformateur survenue moins de 9 ans après sa mise en service est susceptible d'être reliée à des anomalies constatées rapidement après cette mise en service,
- que la prescription décennale n'est ni contestable ni contestée, que cependant rien ne justifie de déroger à l'article 2270-1 du code civil selon lequel les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation, qu'en l'espèce, le dommage est survenu le 22 août 2001 et que la prescription ne pouvait donc être acquise lorsque la société ARKEMA a assigné en référé expertise le 25 septembre 2001, que les développements de la société VA TECH JST sur la prescription contractuelle sont inopérants d'autant qu'elle confond la prescription de l'action contractuelle et celle de l'action en garantie des vices cachés inapplicable en l'espèce puisqu'aucun vice n'a à ce jour été découvert et qu'il s'agit au surplus d'une forclusion et non d'une prescription, qu'en tout état de cause, l'action à bref délai en garantie des vices cachés suppose un contrat de vente alors que l'on est en présence d'un contrat d'entreprise relevant des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil,
- qu'en application de l'article 2270 du code civil, le délai de prescription de la garantie qui pèse sur l'entrepreneur principal ne court qu'à compter de la réception des travaux, laquelle n'est intervenue provisoirement que le 29/10/1992, c'est-à-dire moins de dix ans avant le sinistre et avant l'assignation en référé, qu'ainsi, même si la responsabilité contractuelle était applicable, l'assignation en référé-expertise a interrompu la prescription et fait courir un nouveau délai.
Elle demande à la Cour de :
"Dire et juger la société VA TECH JST mal fondée en son appel, en ses fins et demandes, et la débouter de sa prétention au titre de l'article 700 du NCPC.
Dire et juger en particulier la société VA TECH JST non fondée en son argumentation concernant le prétendu fondement contractuel de sa responsabilité et le point de départ de la prescription alléguée en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce.
Confirmer en tous points le jugement entrepris.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait admettre le caractère contractuel de l'action d'ARKEMA France à l'égard de VA TECH JST, constater :
- en premier lieu, que la prescription n'est en tout état de cause pas acquise compte tenu de la date de réception provisoire de l'ouvrage (29/10/1992) et de l'interruption opérée par l'assignation en référé d'heure à heure du 25/09/2001;
- en second lieu, que VA TECH ne démontre aucunement que l'inexécution contractuelle en cause n'était pas due à son fait, alors même que la preuve lui en incombe aux termes de l'article 1147 du code civil.
Condamner la société VA TECH JST à payer à la société ARKEMA FRANCE, la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du NCPC.
Condamner la société VA TECH JUST aux entiers dépens de première instance et d'appel."
L'ordonnance de clôture est en date du 21 mai 2008.
SUR CE, LA COUR
Attendu que pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières écritures devant la Cour ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé ;
Sur la nature contractuelle ou extra contractuelle de l'action en responsabilité de la société ARKEMA à l'encontre de la société VA TECH :
Attendu que la société ELF ATOCHEM, ensuite dénommée ATOFINA et actuellement ARKEMA, a passé commande le 17 avril 1991 à la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE de la fourniture et de la mise en place et en service d'un groupe transfo-redresseur destiné à son usine de JARRIE, et ce pour un montant de 9.500.000 F (1.448.265,66 €) ;
Attendu que la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE désormais JEUMONT SA et ALSTOM POWER CONVERSION, ci-après JEUMONT/ALSTOM, a passé commande à la société JEUMONT SCHNEIDER TRANSFORMATEURS aux droits de laquelle se trouve la société VA TECH JST du transformateur devant être intégré au groupe transfo-redresseur ;
Attendu que la société VA TECH JST a fabriqué et vendu à la société JEUMONT/ALSTOM le transformateur objet de la commande que celle-ci a intégré à un groupe transfo-redresseur;
Attendu qu'ainsi que l'ont rappelé les premiers juges, le contrat qui porte non sur des choses déterminées à l'avance par le fabricant mais sur un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d'ordre constitue non pas un contrat de vente mais un contrat d'entreprise ;
Attendu que l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 dispose que la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ;
Attendu qu'il est constant que la société ARKEMA a passé commande à la société JEUMONT/ALSTOM d'un groupe transfo-redresseur selon des spécifications techniques précises ;
Attendu que la société JEUMONT/ALSTOM a passé commande à la société VA TECH JST du transformateur sur la base des mêmes spécifications techniques ; qu'il était précisé expressément dans le contrat que le matériel commandé était défini suivant spécification technique 191019, 9 pages, spécification ATOCHEM ... et calcul du transformateur, 8 pages ; que la commande était accompagnée d'un cahier des charges ; qu'il ne s'agissait donc pas de la commande d'un matériel standard fabriqué en série, mais d'un matériel spécifique, sur mesure ; que la société VA TECH JST a bien exécuté pour le compte de la société JEUMONT/ALSTOM un travail spécifique, destiné à un chantier déterminé, selon des prescriptions particulières ;
Attendu qu'en cet état, il ne peut être contesté que la société ARKEMA était maître de l'ouvrage au titre d'un contrat d'entreprise principal conclu avec la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE, entrepreneur principal, laquelle a sous-traité une partie de l'ouvrage industriel à exécuter, au titre d'un contrat d'entreprise secondaire, à la société VA TECH JST, sous-traitant ;
Attendu que la société VA TECH JST ne conteste d'ailleurs pas la qualification de contrat d'entreprise des contrats entre la société ARKEMA et la société JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE, d'une part, et entre celle-ci et elle-même, d'autre part, écrivant à cet égard : "On peut effectivement considérer en accord avec le Tribunal de Commerce de GRENOBLE que les parties sont liées par un contrat d'entreprise, l'un passé entre ARKEMA et JEUMONT/ALSTOM et l'autre passé entre JEUMONT/ALSTOM et VA TECH" ;
Attendu qu'il ne peut en outre être contesté que par l'effet de la livraison et de la réception du bien qui a fait l'objet du contrat d'entreprise, le maître de l'ouvrage acquiert la propriété des matériaux incorporés à ce bien par la voie de l'accession incorporation mais que le contrat d'entreprise n'est pas, par essence, un contrat translatif de propriété à l'inverse du contrat de vente ;
Attendu en l'espèce que l'on se situe dans une chaîne de contrats d'entreprise n'étant pas par essence des contrats translatifs de propriété ;
Attendu que dans les chaînes de contrats de vente successifs, par essence translatifs de propriété, le sous-acquéreur dispose d'une action contractuelle à l'égard du fabricant et des vendeurs intermédiaires ; que l'action est transmise accessoirement à la propriété de la chose ;
Attendu que l'action directe nécessairement contractuelle a été étendue dans le domaine de la construction immobilière aux chaînes de contrats mixtes, à savoir contrat d'entreprise suivi de contrats de vente ou contrats de vente suivis d'un contrat d'entreprise ; qu'ainsi, l'obligation de garantie décennale assumée par les architectes et les entrepreneurs, en vertu des articles 1792 et 2270 du code civil constitue une protection légale attachée à la propriété de l'immeuble et peut être invoquée non seulement par le maître de l'ouvrage lui-même mais aussi par ceux qui lui succèdent en tant qu'ayants cause même à titre particulier dans cette propriété ; que l'article 1792-4 du code civil dispose que le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement est solidairement responsable à l'égard du maître de l'ouvrage ou du sous-acquéreur des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre ces biens sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant ;
Attendu que dans les chaînes de contrats d'entreprise, non translatifs de propriété par nature et qui ne peuvent avoir un tel effet qu'en vertu des dispositions des articles 546 et suivants relatives à l'accession, il ne peut être question d'un transfert de l'action accessoirement à la chose ;
"que si, en exécution du contrat, le maître de l'ouvrage vient à acquérir un droit de propriété sur une chose qui ne lui appartenait pas, il ne tient nullement ce droit de l'entrepreneur, qui n'est pas son auteur : le maître de l'ouvrage n'est pas un ayant cause de l'entrepreneur", "que le maître de l'ouvrage qui fait construire acquiert la propriété des matériaux incorporés à l'immeuble par l'entrepreneur" par accession ;
Attendu que la société ARKEMA n'est pas sous-acquéreur dans une chaîne de contrats mais maître d'ouvrage dans le cadre d'un contrat d'entreprise principal dont une partie a été sous-traitée ; qu'il y a superposition de deux contrats d'entreprise à l'exclusion de tout contrat de vente ; que seul le rapport de sous-traitance entre la société ARKEMA et la société VA TECH JST peut être pris en considération pour déterminer la nature de la responsabilité de la seconde à l'égard de la première ; que le maître de l'ouvrage ne dispose en revanche contre le sous-traitant que d'une action de nature quasi délictuelle, étant souligné que le tiers à un contrat (ce qui est le cas de la société ARKEMA) par rapport au contrat entre la société JEUMONT/ALSTOM et la société VA TECH JST peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ;
Attendu dans ces conditions que le Tribunal de Commerce a à bon droit retenu que l'action de la société ARKEMA à l'encontre de la société VA TECK JST, sous-traitant de la société JEUMONT/ALSTOM, ne pouvait être que de nature quasi délictuelle ; que l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 7 novembre 2007 dont se prévaut la société VA TECH JST, qui s'inscrit dans le cadre de relations distinctes de celles du présent litige, n'est pas transposable en l'espèce et n'est pas susceptible de remettre en cause la nature délictuelle de l'action de la société ARKEMA à l'encontre de la société VA TECH JST ;
Attendu qu'il conviendra toutefois de formuler différemment la décision quant à la qualification de la nature de l'action de façon à éviter toute ambiguïté d'interprétation pouvant conduire à soutenir, comme semble le faire la société VA TECH JST, que sa responsabilité aurait été retenue sans que soit caractérisée une faute à sa charge ;
Sur la prescription de l'action de la société ARKEMA :
Attendu que l'article L. 110-4 du code de commerce dispose : "Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes";
Attendu que selon l'article 2270-1 du code civil, "Les actions en responsabilité civile extra contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation" ;
Attendu que ces deux textes ne sont pas antinomiques, l'article L. 110-4 du code de commerce ne se prononçant pas sur le point de départ de la prescription qu'il édicte ;
Attendu que par l'effet de ces deux textes, le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité extracontractuelle de la société VA TECH JST à l'encontre de la société JEUMONT/ALSTOM doit être fixé au jour de la manifestation du dommage ;
Attendu que le claquage du transformateur est intervenu le 21 août 2001, que la société ARKEMA (alors ATOFIMA) a fait assigner la société VA TECH JST en référé expertise par acte d'huissier du 25 septembre 2001 puis a introduit la présente procédure suite au dépôt du rapport d'expertise judiciaire par acte d'huissier du 8 janvier 2004, étant rappelé qu'en vertu de l'article 2244 du code civil, une citation en justice, même en référé, interrompt la prescription ;
Attendu que l'action extra contractuelle de la société ARKEMA à l'encontre de la société VA TECH JST n'est donc pas prescrite ;
Attendu qu'à supposer même que l'action aurait pu être considérée comme de nature contractuelle, il apparaît :
- que sur le fondement de la garantie des vices cachés, elle ne serait pas prescrite dès lors qu'il n'a pas encore été découvert de vice caché et que, de surcroît, l'assignation en référé a été délivrée dans un bref délai après le claquage (un peu plus d'un mois) et à l'intérieur du délai de 10 ans résultant de l'article L. 110-4 du code de commerce, que l'on prenne en considération pour point de départ de ce délai la date de livraison du transformateur par la société VA TECH JST à la société JEUMONT/ALSTOM, soit le 13 février 1992 selon les affirmations de la société VA TECH JST non contestées, ou la date de réception provisoire, soit le 29 octobre 1992 selon les affirmations de la société ARKEMA ou même encore le procès-verbal de réception provisoire qui figure au dossier en date du 15 septembre 1992 signé seulement de JEUMONT SCHNEIDER INDUSTRIE (désormais JEUMONT/ALSTOM),
- que sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, elle ne le serait pas davantage dès lors :
* que l'action en responsabilité contractuelle se prescrit à compter de la réalisation du dommage, soit en l'espèce le 21 août 2001,
* et que l'assignation en référé expertise interruptive de prescription a de toute façon été délivrée dans le délai de 10 ans prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, quand bien même l'on prendrait pour point de départ de la prescription la date la plus ancienne possible, à savoir celle de la livraison du transformateur par la société VA TECH JST à la société JEUMONT/ALSTOM ;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de rejeter l'exception de prescription sans pour autant confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré la société ARKEMA recevable tant en ses demandes principales que subsidiaires ; qu'en effet, il ne peut être préjugé du sort à réserver à d'éventuels autres moyens d'irrecevabilité que la prescription, lesquels peuvent être soulevés en tout état de cause ;
Sur l'institution d'une nouvelle expertise :
Attendu que l'expert E... indique en page 9 de son rapport d'expertise que l'expertise qu'il a menée ne lui a pas permis de trouver une cause qui puisse expliquer le claquage constaté ; qu'il ajoute même que le dire déposé pour le compte d'ATOFINA constitue un très bon exposé des différentes déficiences qui peuvent apparaître sur un équipement et être à l'origine d'un claquage mais qu'il reste un maillon manquant pour aboutir à la solution du problème ;
Qu'il conclut :
"... Je n'ai toujours pas reçu les dossiers PREJUDICES promis par le demandeur mais mes conclusions montrant qu'il m'est impossible de déterminer les causes du sinistre, il me serait impossible de me prononcer sur les responsabilités.
Dans ces conditions, je dépose mon rapport en l'état, daté et signé en mon cabinet";
Attendu que dans le dire en date du 10 octobre 2002 ci-dessus évoqué, Monsieur G..., expert honoraire près la Cour de Cassation qui assistait la société ATOFINA (ARKEMA) a soutenu qu'à son avis le claquage avait deux origines :
- un isolement insuffisant entre groupes de spires,
- des calages insuffisants des enroulements ;
Qu'il a par ailleurs dans une nouvelle note écarté les deux hypothèses qui avaient été évoquées par l'expert E..., à savoir :
- l'hypothèse d'une surtension atmosphérique
- et l'hypothèse de surtensions provenant de l'harmonique du redresseur ;
Attendu qu'à ce jour, les causes du sinistre ne sont pas formellement déterminées ; qu'il n'est pas manifeste qu'il sera impossible de les déterminer ;
Attendu qu'en cet état, le Tribunal de Commerce a à bon droit estimé nécessaire de recourir à une nouvelle expertise ;
Sur les demandes accessoires :
Attendu que si l'équité ne commandait pas d'allouer à la société ARKEMA une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance, il serait par contre inéquitable de laisser à sa charge l'intégralité des frais d'appel que la société VA TECH JST l'a contrainte à tort d'exposer ; que cette société sera tenue de lui verser la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ; qu'elle supportera quant à elle l'intégralité de ses propres frais irrépétibles et les dépens d'appel, ceux de première instance ayant été à bon droit réservés ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement entrepris sauf à :
- dire que la société ARKEMA ne peut rechercher la responsabilité de la société VA TECH JST que sur un fondement quasi délictuel et que son action est donc de nature quasi délictuelle plutôt que de déclarer la responsabilité de la société VA TECH JST de quasi délictuelle en tant que sous-traitant,
- rejeter l'exception de prescription de l'action en responsabilité de la société ARKEMA à l'encontre de la société VA TECH JST et par voie de conséquence le moyen d'irrecevabilité de ses demandes fondé sur la prescription plutôt que de déclarer la société ARKEMA recevable tant en ses demandes principales que subsidiaires,
Y ajoutant,
Condamne la société VA TECH JST à payer à la société ARKEMA la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société VA TECH JST aux dépens d'appel.
SIGNE par Monsieur URAN, Président, et par Madame Sandrine ABATE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.