R.G. N° 16/01395
DJ
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
à :
la SCP X...
la SELARL JEAN-MICHEL ET I... Z...
la SELARL A... & ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 12 JUIN 2018
Appel d'un jugement (N° R.G. 13/00153)
rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE
en date du 03 décembre 2015
suivant déclaration d'appel du 16 Mars 2016
APPELANTS :
Monsieur Fabrice, José Rémy C...
né le [...] à NANTES (44)
de nationalité Française
[...]
[...]
Madame Sabine, Marie-Josèphe B... épouse C...
née le [...] à NANTERRE (92)
de nationalité Française
[...]
[...]
Tous deux représentés et plaidant par Me Cécile X... de la SCP X..., avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMES :
Monsieur Jean-Pierre D...
né le [...] à GRENOBLE (38)
de nationalité Française
[...]
[...]
Madame Monique E... épouse D...
née le [...] à VOIRON
de nationalité Française
[...]
Tous deux représentés par Me I... Z... de la SELARL JEAN-MICHEL ET I... Z..., avocat au barreau de GRENOBLE, plaidant par Me Jean-Michel Z... de la SELARL JEAN-MICHEL ET I... Z..., avocat au barreau de GRENOBLE
Monsieur Christian F...
de nationalité Française
[...]
La Mutualité MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié [...]
Tous deux représentés par Me Jean A... de la SELARL A... & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et Me Jean-Marc H... du Cabinet HP & Associés, avocat au barreau de PARIS, plaidant par Me Jean A... de la SELARL A... & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ:
Madame Hélène COMBES, Président de chambre,
Madame Dominique JACOB, Conseiller,
Madame Joëlle BLATRY, Conseiller,
Assistées lors des débats de Madame Lætitia Gatti, greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 14 Mai 2018, Madame JACOB a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Puis l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 27 novembre 2009, Fabrice C... et Sabine B... épouse C... ont acquis de Jean-Pierre D... et Monique E... épouse D... une maison d'habitation de 187 m² à la Rivière (Isère) au prix de 300.000 euros.
Ils en ont pris possession le 19 décembre 2009.
Invoquant des frais de chauffage élevés au regard de la performance énergétique du bien annoncée dans le diagnostic réalisé par Christian F..., ils ont sollicité, le 9 mars 2011, une expertise en référé qui a été ordonnée au contradictoire des vendeurs et du diagnostiqueur.
L'expert, Jean-Clause G..., a déposé son rapport le 6 octobre 2011.
Par actes des 19 et 21 septembre et 2 octobre 2012, les époux C... ont assigné les époux D..., Christian F... et l'assureur de celui-ci, les Mutuelles du Mans Iard, devant le tribunal de grande instance de Grenoble, en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés et en indemnisation de leurs préjudices.
Par jugement du 3 décembre 2015, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :
- débouté les époux C... de leur demande de résolution de la vente,
- déclaré Christian F... responsable de la perte de chance pour les époux C... d'obtenir un moindre prix pour l'acquisition du bien immobilier des époux D...,
- condamné solidairement Christian F... et les Mutuelles du Mans Iard à payer aux époux C... la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice,
- dit que la solidarité entre Christian F... et les Mutuelles du Mans Iard interviendra dans la limite de la police d'assurance, soit en tenant compte de la franchise contractuelle de 3.049 euros,
- condamné in solidum Christian F... et les Mutuelles du Mans Iard à payer aux époux C... la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens qui comprendront les frais d'expertise .
Les époux C... ont relevé appel de cette décision le 16 mars 2016.
Dans leurs dernières conclusions du 15 mars 2018, ils demandent à la cour, au visa des articles 1641 et suivants et 1382 du code civil, d'infirmer le jugement et de :
- dire que le bien était affecté de vices cachés du fait de la quasi-inexistence d'isolation thermique,
- dire que les époux D... avaient nécessairement connaissance de l'absence d'isolation thermique, des difficultés de chauffage et du fait que les performances annoncées dans le diagnostic ne correspondaient pas à un usage normal et total de la surface vendue à titre d'habitation,
- dire que les époux D... doivent la garantie des vices cachés et les dommages et intérêts en réparation des préjudices subis,
- dire que Christian F... a commis des fautes engageant sa responsabilité professionnelle,
- dire que ces fautes ont entraîné l'entier dommage dont il est demandé réparation,
- dire que le préjudice subi a un caractère certain et doit être réparé intégralement,
- en conséquence, condamner les époux D..., Christian F... et les Mutuelles du Mans Iard solidairement à leur payer les sommes de :
80.000 euros avec intérêts à compter du dépôt du rapport d'expertise du 6 octobre 2011 ou de l'assignation du 19 septembre 2012
242 euros par mois pour surconsommation énergétique, du 19 décembre 2009 au jour du règlement de la somme de 80.000 euros avec intérêts de retard et pendant encore 6 mois correspondant à la période nécessaire pour exécuter les travaux,
5.000 euros pour préjudices divers,
6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les époux D..., Christian F... et les Mutuelles du Mans Iard solidairement aux dépens comprenant les frais d'expertise.
Ils font valoir que :
- le vice est caractérisé par la quasi-inexistence de l'isolation thermique constatée par l'expert judiciaire,
- en l'état du diagnostic de performance énergétique qui leur a été fourni, ils ne pouvaient se douter de l'état réel de l'isolation thermique,
- les vendeurs, qui ont habité la maison pendant plusieurs dizaines d'années et y ont effectué de nombreux travaux, savaient que le coût annuel des dépenses de chauffage qu'ils ont annoncé ne correspondait pas à un chauffage normal de toutes les pièces habitables.
Ils ne maintiennent pas leur demande de résolution de la vente, mais agissent en réduction du prix, affirmant que s'ils avaient connu l'état de l'isolation thermique, ils auraient demandé une réduction du prix de 80.000 euros correspondant aux travaux nécessaires réaliser une isolation thermique conforme à la performance énergétique annoncée.
Ils contestent avoir invoqué la situation énergétique du bien pour en négocier le prix et relèvent qu'il ne peut être tiré argument du fait qu'ils avaient le projet de changer la chaudière existante pour une chaudière à bois, ce choix s'inscrivant dans leur projet d'habitat écologiquement responsable.
Ils relèvent que, selon l'expert judiciaire, l'habitation aurait dû être classée en catégorie F et non D, et ils soutiennent que la faute commise par Christian F... dans l'exercice de sa mission est de n'avoir pris en compte que les éléments fournis par les vendeurs, sans se déplacer.
Ils invoquent le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation (Ch mixte du 8 juillet 2015) sur le préjudice indemnisable, et font valoir que la faute commise par le diagnostiqueur a contribué à l'entier préjudice dont ils demandent réparation par le biais de la garantie des vices cachés.
Dans leurs dernières conclusions du 25 janvier 2018, Christian F... et les Mutuelles du Mans Iard demandent à la cour de :
- infirmer le jugement,
- dire qu'aucune faute n'est imputable à Christian F... dans l'accomplissement de sa mission,
- dire que le seul préjudice dont peuvent se prévaloir les époux C... à l'égard de Christian F... est une perte de chance de mieux négocier le prix d'acquisition, préjudice qui ne se confond pas avec celui qui consiste dans une remise à niveau de la performance énergétique dont seuls les vendeurs peuvent être tenus,
- en conséquence, débouter les époux C... de leurs demandes à leur encontre,
- en tout état de cause, dire que les Mutuelles du Mans Iard est bien fondée à oppose la franchise prévue au contrat d'assurance,
- condamner les époux C... et toutes partie succombante à leur verser la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Ils font tout d'abord valoir que le diagnostic a été réalisé par Christian F... à une époque où il exerçait sous l'enseigne 'Experimmo' et non, comme retenu par le tribunal, 'ABC Diag'.
Ils soutiennent que :
- Christian F... n'a pas commis de faute, dès lors qu'il s'est basé sur les informations qui lui ont été transmises par les époux D... et que seuls ceux-ci connaissaient,
- le logiciel qu'il a utilisé fournit une estimation de la consommation énergétique en fonction des conditions standard d'utilisation et du climat habituel de la région,
- il ne s'agit pas d'un audit de la construction, ni d'un certificat de garantie de sa qualité,
- la faute éventuellement commise ne peut être à l'origine des mauvaises performances énergétiques du bien, mais seulement de l'absence de révélation de ce fait avant la vente,
- le préjudice consiste dans la perte de chance de négocier une réduction de prix,
- les époux C... devront s'expliquer notamment sur les prêts avantageux qu'ils ont pu obtenir au vu du diagnostic de performance énergétique.
Dans leurs dernières conclusions du 4 août 2016, les époux D... demandent à la cour, au visa des articles L 271-4 II du code de la construction et de l'habitation et 1382 du code civil, de :
- confirmer le jugement, sauf en ce qu'il les a déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter les époux C... de leurs demandes à leur encontre,
- les condamner solidairement avec Christian F... à leur verser la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Ils exposent que lors de la vente, le rez-de-chaussée de la maison, à l'exception de deux pièces, était chauffé par une chaudière au gaz à air pulsé (8 bouches de ventilation réparties dans la maison) et que la chambre située à l'étage ne disposait pas de bouche de chaleur.
Ils font valoir que :
- les époux C..., conscients de ces modalités de chauffage, avaient commandé une chaudière à bois avant même l'achat de la maison,
- le vice allégué, à savoir l'isolation insuffisante, peut être compensé par un système de chauffage plus performant,
- la consommation énergétique ne constitue pas, en soi, un vice,
- subsidiairement, il n'existe pas de lien de causalité entre le préjudice invoqué et la prétendue connaissance d'un diagnostic erroné,
- Christian F... a commis une faute, en n'effectuant pas de relevés dimensionnels et en ne prenant pas en compte les éléments spécifiques du bâtiment, notamment le séchoir à noix.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Sur la demande dirigée à l'encontre des vendeurs
Les époux C... sollicitent la garantie de leurs vendeurs sur le fondement des vices cachés et modifient, en cause d'appel, leur demande, choisissant d'exercer l'action estimatoire.
Ils soutiennent que le vice affectant le bien est caractérisé par la 'quasi-inexistence de l'isolation thermique' qui s'est révélée après l'achat de la maison par une consommation anormalement élevée de gaz.
En droit, les vices dont le vendeur doit la garantie en application de l'article 1641 du code civil, sont les défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
Il ressort des débats, de l'acte de vente et du rapport d'expertise que les époux C... ont acquis une ancienne ferme partiellement rénovée comportant huit pièces sur trois niveaux ' rez-de-chaussée, demi-niveau et étage ' ainsi que des combles ;
qu'une partie de la maison est surmontée d'un séchoir à noix ouvert sur l'extérieur et que l'isolation des combles est réalisée avec un 'ultra-mince réfléchissant' dont l'expert indique qu'il est équivalent à 4 centimètres de laine de verre ;
que les huisseries sont équipées d'un vitrage simple, autant d'éléments qui étaient visibles lors de la visite des lieux et qui ont donné lieu à discussion avant l'achat, puisque dans un courrier électronique du 27 juin 2009, les époux C... motivent leur offre de prix notamment par une moins-value de 10.000 euros pour 'amélioration énergétique'.
En l'état de ces seuls éléments, les acquéreurs échouent à établir l'existence d'un vice caché rendant le bien impropre à son usage, et le jugement doit être confirmé.
Sur la demande dirigée contre le diagnostiqueur
Il n'est pas contesté que, ainsi que cela ressort du rapport d'expertise judiciaire, le diagnostic de performance énergétique qui a été remis aux époux C... ne correspond pas à la réalité.
En effet, ce document classe la maison en haut de la catégorie D en terme de consommation énergétique et en bas de la même catégorie pour les émissions de gaz à effet de serre, alors que l'expert judiciaire, prenant en compte les caractéristiques de la maison et du chauffage au gaz existant lors de la vente, conclut à une consommation énergétique au bas de la catégorie F et à des émissions de gaz à effet de serre au plus bas de la catégorie G, soit un bien énergivore.
Christian F..., chargé du diagnostique, reconnaît avoir commis une erreur quant à la consommation estimée du bâtiment, mais soutient que cette erreur résulte des informations 'partielles et inexactes' que lui ont transmis les époux D....
Si, comme l'expert judiciaire l'a relevé, seules les surfaces des murs que les époux D... avaient fait doubler ont été prises en compte, il appartenait au diagnostiqueur de procéder lui-même au relevé des surfaces de chaque pièce d'habitation et des épaisseurs des murs, sans se contenter des informations recueillies auprès des époux D....
Or Christian F... a reconnu, lors de l'expertise judiciaire, qu'il n'avait pas effectué de relevés dimensionnels, ce qui constitue une faute dans l'accomplissement de sa mission.
Cette faute a conduit à une appréciation erronée de la qualité énergétique du bien.
Les époux C..., tout en insistant à plusieurs reprises pages 22 et 23 de leurs conclusions, sur le fait que si le diagnostiqueur avait correctement réalisé son travail, ils n'auraient pas acquis le bien, sollicitent en définitive le versement de dommages et intérêts à hauteur du coût des travaux nécessaires pour réaliser une isolation thermique conforme à la performance énergétique annoncée.
Or le préjudice subi par les époux C... du fait de l'information erronée sur la qualité énergétique du bien ne consiste pas dans le coût de l'isolation, mais en une perte de chance de négocier une réduction du prix de vente.
Ainsi que l'a retenu le tribunal, il est certain que, mieux informés, les acquéreurs auraient eu un élément supplémentaire de négociation du prix de vente dans des proportions qui, compte-tenu du prix déjà négocié, ont été justement évaluées à la somme de 15.000 euros.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné solidairement Christian F... et les Mutuelles du Mans à payer aux époux C... la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts, et a dit que l'assureur était fondé à opposer à Christian F... la franchise contractuelle de 3.049 euros.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des intimés.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement,
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne les époux C... aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, Président, et par Madame GATTI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT