N° RG 18/03877 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JVS4
HC
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
à :
la SELARL CABINET PHILIPPE GUIEU
& VALERIE GABARRA
la SARL DEPLANTES & CAMERINO AVOCATES ASSOCIÉES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 12 MARS 2019
Appel d'un Jugement (N° R.G. 18/1489)
rendu par le Juge de l'exécution de VALENCE
en date du 30 août 2018
suivant déclaration d'appel du 13 Septembre 2018
APPELANT :
Monsieur B... C...
né le [...] à LA TRONCHE
de nationalité Française
[...]
[...]
Représenté par Me Philippe GUIEU FAUGOUX de la SELARL CABINET PHILIPPE GUIEU & VALERIE GABARRA, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Hugues SENLECQ de SCP SENLECQ -STEYLAERS avocat au barreau de DUNKERQUE
INTIMÉE :
LA SOCIÉTÉ ADREXO immatriculée au RCS de AIX EN PROVENCE sous le numéro 315 549 352, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [...]
[...]
[...]
[...]
Représentée et plaidant par Me Sofia CAMERINO de la SARL DEPLANTES & CAMERINO AVOCATES ASSOCIEES, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame COMBES, Président de chambre
Madame JACOB, Conseiller
Madame BLATRY, Conseiller
Assistées lors des débats de Madame Anne BUREL, Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Février 2019, Madame COMBES a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
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EXPOSE DU LITIGE
En 1999, B... C... a été embauché en qualité de distributeur de journaux gratuits et de publicités par la société de Distribution et de Promotion devenue la société Adrexo.
B... C... et la société Adrexo ont été en conflit à compter de 2004 au sujet de la rémunération et plusieurs décisions ont été rendues :
- par le conseil de Prud'hommes de Montélimar le 14 février 2006,
- par la cour d'appel de Grenoble le 23 janvier 2008,
- sur pourvoi de B... C..., par la Cour de cassation le 13 mai 2009,
- par la cour d'appel de Chambéry, cour d'appel de renvoi le 23 mai 2013,
- sur pourvoi de la société Adrexo, par la Cour de cassation le 3 juin 2015.
La cour d'appel de Lyon désignée comme cour d'appel de renvoi n'a été saisie par aucune des parties.
Se fondant sur l'arrêt de la Cour de cassation du 3 juin 2015, la société Adrexo a pratiqué le 3 avril 2018 une saisie attribution entre les mains du Crédit Mutuel de Montélimar Centre sur les comptes bancaires de B... C... pour obtenir le paiement de la somme de 110.890,73 euros.
Le 5 avril 2018, la société Adrexo a pratiqué une saisie attribution pour le même montant, entre les mains de la Caisse d'Epargne Loire Drôme.
Par actes du 4 mai 2018, B... C... a assigné la société Adrexo devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Valence pour que soit prononcée la nullité des saisies attribution et que leur mainlevée soit ordonnée.
Les affaires ont été enrôlées sous les numéros 18-1489 et 18-1792.
Par deux jugements du 30 août 2018, le juge de l'exécution a déclaré l'action de B... C... recevable et l'en a débouté, le condamnant à payer à la société Adrexo la somme de 800 euros au titre des frais irrépétibles.
B... C... a relevé appel des jugements le 13 septembre 2018. Les deux affaires ont été jointes le 9 octobre 2018.
Par conclusions du 13 novembre 2018, B... C... demande à la cour de prononcer la nullité des saisies attribution et d'en ordonner mainlevée.
Subsidiairement, il demande qu'il lui soit donné acte de son offre sur la répétition de la somme de 12.656,07 euros.
Il réclame 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour saisie abusive.
Il fait valoir d'une part que l'arrêt du 3 juin 2015 ne remet en cause que le calcul du temps de travail sans affecter le principe même de la requalification et ajoute que la société Adrexo prétend réécrire l'arrêt pour lui donner le sens d'une cassation intégrale ;
que le juge de l'exécution avait toute possibilité de déterminer la créance réelle de la société Adrexo et de liquider celle-ci sur la base du seul point remis en cause par le pourvoi et censuré par l'arrêt de la Cour de cassation.
Il ajoute que c'est parce que les deux parties étaient d'accord sur le principe et le montant des restitutions que la cour d'appel de renvoi n'a pas été saisie.
Il dénonce d'autre part la déloyauté de la société Adrexo qui a acquiescé à l'arrêt en modifiant son contrat de travail sur la base de 35 heures hebdomadaires, sans jamais lui proposer de revenir au temps partiel fixé à l'origine.
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Par conclusions du 6 décembre 2018, la société Adrexo conclut à la confirmation des jugements déférés et sollicite la condamnation de B... C... à lui payer la somme de 1.600 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Elle réplique que le juge de l'exécution n'a pas vocation à interpréter un dispositif clair, ni à remettre en cause la chose jugée.
Elle ne conteste pas que l'arrêt du 3 juin 2015 emporte cassation partielle, de sorte que les chefs du jugement confirmés par la cour d'appel de Chambéry ne sont pas concernés.
Elle soutient qu'en revanche l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry est cassé en ce qu'il a dit que le contrat de travail de B... C... devait être requalifié en contrat de travail à temps plein et en ce qu'il l'a condamnée au titre des rappels de salaire.
Elle fait valoir que B... C... qui prétend que la cassation devrait être limitée à la motivation et ne concernerait pas le principe de la requalification, omet que le calcul du temps et le montant des condamnations sont indissociables, que ce n'est pas le calcul de la cour d'appel de Chambéry qui est cassé mais son raisonnement et que la question n'a en définitive pas été tranchée puisque les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Lyon qui n'a pas été saisie.
Elle conteste toute mauvaise foi de sa part ou acquiescement sur le montant limité des restitutions, alors que dans les correspondances qu'elle a échangées avec B... C..., elle a toujours exprimé des réserves sur les suites qui pourraient être données à l'arrêt de cassation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2019.
DISCUSSION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
Le seul point sur lequel les parties sont d'accord est que l'arrêt de cassation du 3 juin 2015 est un arrêt de cassation partielle.
I - Ainsi que l'a indiqué le juge de l'exécution, la solution du litige nécessite d'en apprécier la portée, ce qui sera fait dans un premier temps.
Il importe pour ce faire de rappeler la chronologie et le contenu des décisions rendues.
(1) Par jugement du 25 mars 2006 le conseil de prud'hommes de Montélimar a notamment :
- Débouté B... C... de sa demande de rappels de salaire et de sa demande de dommages intérêts pour préjudice moral.
- Condamné la société Adrexo a lui verser les sommes de :
2.071,86 euros de rappel de prime d'ancienneté,
207,19 euros au titre des congés payés afférents,
150 euros à titre de dommages intérêts pour omission de visite médicale.
- Dit que les intérêts sur ces sommes seront dus à compter du 25mars 2004.
- Condamné la société Adrexo à délivrer à B... C... lui délivrer les bulletins de paie rectifiés clans les deux mois de la notification du jugement, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard,
- Condamné la société Adrexo a payer à B... C... la somme de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
B... C... a relevé appel. Il sollicitait devant la cour le paiement de la somme de 86.462,66 euros à titre de rappel de salaire sur la base d'un contrat de travail à temps plein pour la période allant du 31 août 1999 au 31 avril 2007.
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(2) Par arrêt du 23 janvier 2008, la cour d'appel de Grenoble a notamment :
- Confirmé le jugement en ce qu'il a débouté B... C... de sa demande au titre d'un préjudice moral.
- Confirmé le jugement en ses dispositions relatives aux dommages intérêts pour omission de la visite médicale obligatoire (150 euros) et aux frais irrépétibles (900 euros).
- L'infirmant pour le surplus, condamné la société Adrexo à verser à B... C... la somme de 61.615,05 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er septembre 1999 au 30 juin 2005 et celle de 6.151,50 euros au titre des congés payés afférents.
Dans son arrêt la cour a calculé le rappel de salaire pour la période de septembre 1999 à juin 2005 uniquement et ce, sur la base d'un contrat de travail à temps plein.
(3) Sur le pourvoi formé par B... C..., la Cour de cassation a le 13 mai 2009 cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Grenoble mais seulement en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes de rappel de salaire sur la base de 169 heures mensuelles a compter du mois de juillet 2005 et de rappel d'une prime d'ancienneté jusqu'au 1er juillet 2005.
La Cour de cassation a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry.
Par l'effet de la cassation partielle, les points concernant le rappel de salaires pour la période 1999/2005, les dommages intérêts pour omission de la visite médicale et les frais irrépétibles ont été définitivement tranchés.
(4) Par arrêt du 23 mai 2013, la cour d'appel de Chambéry a notamment :
- Confirmé le jugement du conseil de Prud'hommes de Montélimar en ses dispositions relatives à la prime d'ancienneté.
- Infirmant le jugement pour le surplus, condamné la société Adrexo à payer à B... C... les sommes suivantes :
500 euros à titre de dommages intérêts pour défaut d'information sur la convention collective de la publicité et assimilés,
500 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de la convention collective,
96.918 euros au titre des rappels de salaires pour la période de juillet 2005 à mars 2012 et 9.692 euros au titre des congés payés y afférents,
7.656 euros au titre du rappel de la prime d'ancienneté pour la période de juillet 2005 à février 2013 et 766 euros au titre des congés payés afférents,
5.000 euros à titre d'occupation du domicile privé à des fins professionnelles,
2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
En exécution de cet arrêt, la société Adrexo a adressé à B... C... deux chèques pour un montant total de 92.476,65 euros le 4 juillet 2013 et un chèque de 5.160,95 euros au titre des intérêts de retard le 9 août 2013.
(5) Par arrêt du 3 juin 2015, la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 23 mai 2013, mais seulement en ce qu'il a dit que le contrat de B... C... à compter du 1er juillet 2005 doit être requalifié en un contrat de travail a temps plein sur la base d'une rémunération au SMIC et en ce qu'il a condamné la société Adrexo au paiement des sommes de 96.918 euros au titre des rappels de salaires pour la période de juillet 2005 à mars 2012, 9.692 euros au titre des congés payés afférents et 7.656 euros au titre du rappel de la prime d'ancienneté pour la période de juillet 2005 à février 2013 et 766 euros au titre des congés payés afférents.
La Cour de cassation a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.
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Il ressort de la lecture des motifs de l'arrêt du 3 juin 2015 que la cassation n'est pas intervenue sur le principe de la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, mais sur la durée de travail retenue par la cour d'appel de Chambéry (169 heures), supérieure à la durée légale.
Quelle que soit la motivation qui a conduit la Cour de cassation à casser partiellement l'arrêt du 9 août 2013, il est incontestable que les dispositions de cet arrêt sont mises à néant en ce qui concerne les rappels de salaire pour la période juillet 2005/mars 2012 et le rappel de la prime d'ancienneté pour la période juillet 2005/février 2013, les points définitivement tranchés à ce stade de la procédure étant les dommages intérêts, (500 euros X2) et l'indemnité pour occupation du domicile.
Le 31 juillet 2015, la société Adrexo a fait signifier l'arrêt du 3 juin 2015 à B... C....
II - Aucune des parties n'ayant saisi la cour de renvoi dans le délai de quatre mois prévu par l'article 1034 du code de procédure civile dans sa rédaction alors en vigueur, la solution du litige nécessite de rechercher dans un second temps, si la société Adrexo n'a pas en définitive accepté les limites de l'arrêt de la Cour de cassation.
Dès la signification de l'arrêt de cassation, la société Adrexo a le 3 août 2015, adressé à B... C... un courrier lui proposant de réaliser un travail hebdomadaire de 35 heures (ce qui correspond à un emploi à temps plein) et lui demandant de restituer la somme de 12.656,07 euros nets, correspondant à la différence entre un horaire de 39 heures par semaine et un horaire de 35 heures.
La société Adrexo a précisé dans ce courrier que cette proposition était faite 'sans renonciation de notre part aux effets complets de l'arrêt de la Cour de cassation'.
En l'état des réserves exprimées, ce courrier ne peut être analysé comme la renonciation de la société Adrexo à se prévaloir des effets de la cassation, celle-ci se plaçant au mois d'août 2015 dans une position d'attente.
Mais il n'est pas contesté qu'à compter du 1er décembre 2015, date à laquelle les parties étaient forcloses pour saisir la cour d'appel de renvoi, la société Adrexo a continué d'employer B... C... sur la base d'un contrat de travail à temps plein.
Elle l'a fait pendant 16 mois, soit jusqu'au 1er avril 2017, date à laquelle le salarié a fait valoir ses droits à la retraite.
Si la société Adrexo avait entendu se prévaloir des effets complets de l'arrêt du 3 juin 2015, elle aurait, dès le 1er décembre 2015, imposé à B... C..., de revenir au temps partiel fixé à l'origine.
En ne le faisant pas, elle a de façon non équivoque renoncé à se prévaloir des effets complets de l'arrêt de cassation, s'inclinant sur le principe de la requalification.
Elle n'est dès lors pas fondée à solliciter la restitution de la totalité des sommes versées à B... C... en exécution de l'arrêt du 23 mai 2013.
Les saisies attribution pratiquées à hauteur de la somme de 110.890,73 euros n'ont aucun fondement et il convient d'en ordonner mainlevée.
Les jugements déférés seront infirmés en toutes leurs dispositions.
Il sera donné acte à B... C... de son offre de restitution de la somme de 12.656,07 euros.
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En pratiquant une saisie attribution à hauteur de la somme de 110.890,73 euros, alors qu'à compter du mois de décembre 2015, elle avait accepté le principe de la requalification du contrat de travail en contrat de travail à temps plein pour la période postérieure au mois de juillet 2005, la société Adrexo a agi de manière abusive.
Elle a ce faisant causé à B... C... un préjudice qui sera réparé par la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts.
Il sera alloué à B... C... contraint de se défendre, la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement
- Infirme en toutes leurs dispositions les jugements rendus le 30 août 2018 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Valence (dossier 18-1489 et dossier 18-1792).
- Statuant à nouveau, dit nulles les saisies attribution pratiquées au préjudice de B... C... le 3 avril 2018 entre les mains du Crédit Mutuel de Montélimar et le 5 avril 2018 entre les mains de la Caisse d'Epargne Loire Drôme.
- En ordonne la mainlevée.
- Donne acte à B... C... de son offre de restitution à la société Adrexo de la somme de 12.656,07 euros.
- Condamne la société Adrexo à payer à B... C... la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour saisie abusive et celle de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et devant la cour.
- Condamne la société Adrexo aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, Président, et par Madame BUREL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT