N° RG 18/04504 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JXW3
MPB
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
la SELARL TRANCHAT DOLLET LAURENT ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 30 JANVIER 2020
Appel d'un Jugement (N° RG 2013F1562)
rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 16 octobre 2018, suivant déclaration d'appel du 30 Octobre 2018
APPELANT :
M. [F] [L]
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et par Me Franck THEVENIN, avocat au barreau de LYON plaidant
INTIMÉ :
Me [R] [I]
pris ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL RHONE ALPES ENVIRONNEMENT
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Philippe LAURENT de la SELARL TRANCHAT DOLLET LAURENT ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Patricia GONZALEZ, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseiller,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de M. Frédéric STICKER, Greffier.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée et représenté lors des débats par Mme Alice JURAMY, substitut général, qui a fait connaître son avis
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Décembre 2019
Mme BLANCHARD, conseiller, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Monsieur le Procureur Général en ses conclusions et réquisitions,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
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Par jugement du 1er juin 2010, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la SARL RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT, a fixé au 8 mars 2010 la date de cessation des paiements, a désigné Me [X] en qualité d'administrateur judiciaire et Me [I] mandataire judiciaire.
Le 29 juin 2010, cette procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire.
Par acte d'huissier du 21 juin 2013, Me [I], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT, a fait assigner M [F] [L], son gérant, en comblement de passif.
Par jugement du 16 octobre 2018, le tribunal de commerce de Grenoble a':
- condamné M [F] [L] à payer à Maître [I], en qualité de liquidateur judiciaire de la société RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT :
. la somme de 500.000 € en comblement partiel de l'insuffisance d'actif;
. celle de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M [F] [L] aux dépens.
Suivant déclaration au greffe du 30 octobre 2018, M [L] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions récapitulatives notifiées le 29 juillet 2019, M [L] demande à la cour de':
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau :
- rejeter l'intégralité des demandes présentées par Maître [I], es qualités, à son encontre ;
- y ajoutant :
- condamner Maître [I], ès-qualités, à lui verser la somme de 10.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner Maître [I], ès-qualités, aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELARL DAUPHIN-MIHAJLOVIC sur son affirmation de droit.
M [L] soutient que le tribunal s'est trompé en retenant la date d'ouverture de la liquidation judiciaire, et non celle du redressement, pour calculer le délai séparant la date de cessation des paiements, définitivement fixé au 8 mars 2010, de sa déclaration ; que l'existence de créances exigibles antérieurement à l'état de cessation des paiements est sans incidence, le défaut de paiement d'une créance exigible ne constituant pas une faute de gestion ; qu'il n'est pas démontré que le retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements a généré un accroissement du passif, alors que le fait générateur de ce dernier est antérieur.
Il fait valoir que la société RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT n'étant pas maître des ouvrages, elle n'avait pas à souscrire de garantie dommage-ouvrage et que si elle a perdu son assurance de garantie décennale depuis le 5 mai 2009, il n'en est résulté aucun accroissement du passif, le chantier invoqué à ce titre ayant été réalisé pendant la période d'assurance.
Il fait état de l'existence de conventions de trésorerie régissant les flux financiers entre les sociétés du groupe auquel appartenait RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT, indiquant que Me [I] avait pu identifier les créances de cette dernière à l'égard des autres sociétés qui se sont vues adresser des mises en demeure et que le tribunal de commerce en a fait application, sans remettre en question leur validité.
Par conclusions n°2 notifiées le 4 avril 2019, Me [I], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société RHONE-ALPES ENVIRONNEMENT, entend voir':
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- y ajoutant,
- condamner M [F] [L] à payer à Me [I], en sa qualité de liquidateur de la société RHONE-ALPES ENVIRONNEMENT, une nouvelle indemnité de procédure d'un montant de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner M [F] [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Me [I] rappelle que l'insuffisance d'actif, qui n'est pas contestée, s'élève à 3.121.895,50 €.
Il soutient que M [L], en sa qualité de dirigeant social, a commis une faute grave de gestion en laissant s'écouler un délai de 83 jours entre la date de cessation des paiements et sa déclaration, alors que le passif déclaré a fait ressortir de nombreuses créances très anciennes au paiement desquelles M [L] a soustrait la société, ce qui a aggravé le passif social et contribué ainsi directement à l'insuffisance d'actif.
Il reproche à M [L] d'avoir tenu la comptabilité des différentes sociétés de son groupe, spécialement celle de la société RHONE-ALPES ENVIRONNEMENT, sans conventions régissant les mouvements de trésorerie, alors que les sociétés se consentaient des avances de trésorerie indifféremment utilisées par l'une ou l'autre en fonction des disponibilités de chacune.
Il souligne que depuis l'exercice 2007 les comptes de la société RHONE-ALPES ENVIRONNEMENT n'étaient plus approuvés par le commissaire aux comptes; que les conventions produites par M [L] ont été écartées comme inexploitables par le juge-commissaire.
Il fait valoir que la société débitrice a continué à fonctionner entre mai 2009 et juin 2010 sans être couverte par le moindre assurance, les polices d'assurances obligatoires ayant été résiliées le 5 mai 2009 pour non paiement des cotisations, faisant ainsi peser un risque au maître d'ouvrage et aux acquéreurs de ne pas obtenir réparation des désordres pouvant affecter les constructions réalisées.
Il considère que la poursuite de l'activité de construction sans assurance a directement augmenté le passif d'une somme de 200'000 € .
Par conclusions du 2 décembre 2019, reprises à l'audience du 4 décembre 2019, le procureur général a conclu à la confirmation de la décision aux motifs que':
- les fautes de gestion reprochées au dirigeant sont caractérisées ;
- elles ont bien contribué à l'insuffisance d'actif, la rédaction de l'article L.651-2 du code de commerce dispensant d'établir un lien de causalité direct entre la faute et le montant imputé aux dirigeants.
MOTIFS DE LA DECISION :
L'article L.651-2 du code de commerce dispose que lorsque la liquidation d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par les dirigeants de droit ou de fait ayant contribué à la faute de gestion.
A l'ouverture du redressement judiciaire, la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT dirigée par M [L], faisait partie d'un groupe de promotion immobilière, dont la société de tête PIERRE ET NATURE est détenue à 92 % par M [L], et constitué de quatre sociétés se répartissant la maîtrise d'ouvrage et conception des programmes (SAS FONCIERE DU DAUPHINE), la maîtrise d'oeuvre, direction et coordination des chantiers (SARL PIERRE ET NATURE), la construction, réalisation des travaux (SARL RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT) et la commercialisation des programmes (SARL PIERRE ET NATURE IMMOBILIER).
En sa qualité de constructeur, la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT s'est trouvée créancière du montant de ses travaux à l'égard des SCI créées aux fins de réalisation des différents programmes immobiliers.
Le compte de résultat de l'exercice clos au 31 mars 2009 fait apparaître qu'elle disposait de plus de 7.750.000 euros de créances diverses, mais d'aucune trésorerie.
M [L] n'a pas communiqué le compte de résultat de l'exercice clos au 31 mars 2010, qui aurait permis d'affiner la connaissance de la situation de la société au plus près de la date de cessation des paiements.
1°) sur l'insuffisance d'actif :
Il résulte de la situation arrêtée au 6 juin 2013 que le passif définitivement échu et admis s'élève à 3.504.531,79 € et qu'il subsiste en outre un passif de 987.400 € non encore fixé.
La réalisation de l'actif n'ayant permis que le recouvrement d'une somme totale de 382.636,25 €, il ressort de la situation comptable de la liquidation judiciaire une insuffisance d'actif d'au moins 3.121.895,50 € que M [L] ne discute pas.
2°) sur les fautes de gestion :
Me [I], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT, reproche à M [L] , dirigeant de la société, les fautes de gestion suivantes :
- la poursuite d'une activité en état de cessation des paiements ,
- le refus de paiement des créances échues de longue date ;
- la tenue d'une comptabilité contestable,
- la poursuite de l'activité sans assurance.
Le tribunal de commerce a définitivement fixé la date de cessation des paiements au 8 mars 2010, aucune demande de report n'ayant été faite.
M [L] a poursuivi l'exploitation au delà de cette date et n'a pas déclaré l'état de cessation des paiements de la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT, la procédure collective ayant été ouverte sur assignations de l'URSSAF et du Trésor Public, faisant respectivement état de créances à hauteur de 94.330 € et 58.852 €, alors qu'il résulte des constatations du jugement d'ouverture du 1er juin 2010 qu'il n'a pas contesté la situation particulièrement obérée de sa société, démontrant ainsi en avoir parfaitement connaissance.
La faute de gestion tenant à la poursuite d'une activité malgré l'état de cessation des paiements est constituée et a contribué à l'insuffisance d'actif en ce qu'elle a permis la création d'un passif supplémentaire, essentiellement fiscal et social, entre le 22 avril et le 1er juin 2010.
Par ailleurs, l'état du passif déclaré démontre qu'avant le 8 mars 2010, alors qu'elle est réputée avoir été in bonis, la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT ne s'est pas acquittée de ses dettes fiscales et sociales à concurrence de 1.446.692,75 €, dont une partie seulement, soit 759.417 €, a donné lieu à des instances devant le tribunal administratif qui a rejeté les contestations.
En différant le règlement de dettes fiscales et sociales échues, exigibles et non contestées, M [L], en sa qualité de dirigeant de la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT, a laissé s'accumuler un passif important correspondant à plus de la moitié de son dernier chiffre d'affaires connu au titre de l'exercice 2008/2009, ce qui a contribué à l'insuffisance d'actif.
La compagnie d'assurance l'AUXILIAIRE a informé Me [I] que les contrats d'assurance relatifs aux garanties obligatoires de responsabilité civile et décennale avaient été résiliés le 5 mai 2009 pour défaut de paiement des cotisations.
Nononstant l'absence de toute couverture, la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT a poursuivi son activité jusqu'au mois de juin 2010.
Pour autant, aucune preuve n'est rapportée de l'existence de sinistres de construction postérieurs et non couverts par une assurrance puisque le litige dont fait état Me [I] et concernant la SCI Les Jardins de la Bajatière, porte sur une construction réalisée avant septembre 2008, soit pendant la période de garantie.
Si la faute de gestion est caractérisée, il n'est pas établi qu'elle a effectivement contribué à l'insuffisance d'actif.
Il n'est pas contesté par M [L] qui en a fait état tant devant Me [X], administrateur judiciaire que devant Me [I], notamment dans un courrier du 25 février 2013, qu'indépendamment de leurs relations commerciales, les sociétés du groupe se consentaient entre elles des avances de trésorerie.
Après avoir précisé à Me [X] qu'il n'existait plus de convention de trésorerie, M [L] soutient que de telles conventions ont bien encadré ces flux financiers, mais n'en produit qu'une, signée entre la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT et trois des quatorze SCI du groupe': RESIDENCE LE MALHIVERT, RESIDENCE LES LIBELLULLES et RESIDENCE LE VIEUX CHENE.
Si Me [I] a pu identifier les créances de la société RHÔNE ALPES ENVIRONNEMENT et leurs débitrices, il a précisé que l'état des sommes à recouvrer résulte d'une simple liste extra-comptable fournie par M [L], ce que ce dernier ne conteste pas.
Ces éléments non corroborés par les pièces comptables n'ont permis qu'une tentative demeurée sans suite de recouvrement amiable des sommes dues pour un total de 4.556.453,17 € et si certaines sociétés du groupe se sont prévalues d'une convention de trésorerie pour opérer compensation de leur propre créance
issue de factures commerciales, il ne résulte pas de ces ordonnances que le juge commissaire a lui-même fait application desdites conventions alors qu'il vise expressément l'accord intervenu entre les parties sur la détermination de la créance.
La preuve de l'existence de conventions de trésorerie ayant encadré l'ensemble des flux financiers entre les différentes sociétés du groupe est insuffisamment établie, notamment entre la société RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT et sa société s'ur FONCIÈRE DU DAUPHINÉ.
Or l'absence de telles conventions, qui crée une confusion des patrimoines des sociétés du groupe constituant une faute de gestion, alliée au défaut de production des pièces comptables, fait obstacle à la détermination exacte du montant des créances de la société RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT comme à leur potentiel recouvrement forcé, contribuant ainsi à l'insuffisance d'actif.
3°) sur la contribution à l'insuffisance d'actif :
L'examen des pièces permet de constater que la déconfiture de la société RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT a été largement provoquée par un manque de trésorerie alors que dans le même temps, elle disposait de très importantes créances sur d'autres sociétés du groupe et principalement sur la société FONCIÈRE DU DAUPHINÉ (1.678.084 € et 1.499.839 €), qu'elle n'a pas mobilisées.
Compte tenu du montant de l'insuffisance d'actif de 3.121.895,50 €, de la nature des fautes de gestion caractérisées à l'encontre de M [L] y ayant contribué, la condamnation de ce dernier à verser une somme de 500.000 € au titre du comblement partiel de l'insuffisance d'actif apparaît proportionnée et sera confirmée.
PAR CES MOTIFS :
La Cour
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 16 octobre 2018 dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
CONDAMNE M [F] [L] à verser à Me [R] [I], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL RHÔNE-ALPES ENVIRONNEMENT une somme complémentaire de 1000 € au titre de l'instance d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M [F] [L] aux dépens de son appel.
SIGNE par Mme GONZALEZ, Président et par Mme OLLIEROU, Greffier présent lors de la mise à disposition auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Président