N° RG 19/01625 - N° Portalis DBVM-V-B7D-J63K
PG
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE
la SELARL TRANCHAT DOLLET LAURENT ASSOCIES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 11 JUIN 2020
Appel d'un Jugement (N° RG 2018J247)
rendu par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE
en date du 01 avril 2019
suivant déclaration d'appel du 11 Avril 2019
APPELANT :
M. [E], [S] [B]
né le [Date naissance 3] 1947 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me PARTOUCHE et Me CAVELIER, avocats au barreau de PARIS
INTIME :
Me [M] [U], Mandataire judiciaire, pris ès qualité de liquidateur judiciaire de la société LOLA CREATION
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté et plaidant par Me Philippe LAURENT de la SELARL TRANCHAT DOLLET LAURENT ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Patricia GONZALEZ, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseiller,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Alice RICHET, Greffier.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée à Madame Alice JURAMY, substitut général, qui a fait connaître son avis
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Mars 2020
Mme GONZALEZ, Président, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
L'affaire a été mise en délibéré au 07 mai 2020, puis le délibéré a été prorogé à la date de ce jour en raison de l'état d'urgence sanitaire.
EXPOSE DU LITIGE :
La société Lola Création était spécialisée dans la conception, la fabrication et la distribution de vêtements de prêt à porter et accessoires féminins de la marque Lola, et diffusait ses produits via des boutiques multimarques et deux filiales, les sociétés Bellecour et Lola Boutique, formant avec elle le groupe Lola.
Par ailleurs, la société MFG a acquis les titres de ces trois sociétés courant juin 2011 auprès d'une société financière Partouche pour un montant de 1.757.287 euros financé par une société Jekiti Mar Capital, actionnaire principale de MFG.
Cette dernière était dirigée par M. [B] et son capital social était détenu à 62,76 % par Jekiti Mar Capital, holding, et dirigée par M. [B], lequel est devenu dirigeant de l'ensemble des sociétés du groupe en juillet 2011.
La société Lola Création employait alors 44 salariés.
Le 17 novembre 2014, la Sci Eiffel, après une précédente procédure initiée en septembre 2013 dont elle a été déboutée, a déposé une demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Lola Création, sa locataire, en raison d'un arriéré de loyers de 102.055 euros.
Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble a également déposé une requête le 25 février 2015 eu égard au non respect d'engagements financiers pris envers l'administration fiscale.
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 17 mars 2015, la date de cessation des paiements étant fixée d'office au 1er octobre 2013. Maître [U] a été désigné mandataire judiciaire et la société APJ (Maître [K]) administrateur judiciaire avec mission d'assister le débiteur dans tous les actes concernant sa gestion.
Le tribunal avait notamment relevé que l'Urssaf avait fait état d'une dette sociale de 395.465 euros pour des impayés remontant à août 2013, que la DGFIP mentionnait un passif fiscal de 415.652 euros avec des engagements non respectés, que la société Lola Création n'avait pas déposé ses comptes au titre de l'exercice clôturé au 31 décembre 2013 et que les résultats des exercices précédents étaient déficitaires.
L'administrateur judiciaire a fait état de fautes de gestion (confusion entre plusieurs sociétés sans que l'administrateur ait pu obtenir des renseignements du responsable de la société, affectation de salariés d'une société dans une autre, absence de compte d'exploitation pendant la période d'observation, refus de transmettre les chiffres d'activité et de stocks, manque de collaboration dans la recherche de repreneurs, report de la date de cessation des paiements) alors que M. [B] avait fait savoir que lesdites affectations étaient une pratique courante dans un groupe exploitant autant de boutiques.
La période d'observation a été renouvelée au bout de 6 mois. La recherche de candidat repreneur pour une reprise en plan de cession n'ayant pas abouti, la liquidation judiciaire de la société Lola Création a été prononcée le 8 décembre 2015.
Le passif admis s'est élevé à 8.642.476 euros avec une insuffisance d'actif estimée à 1.491,072 euros.
Considérant que M. [B] aurait commis des fautes de gestion ayant conduit à l'insuffisance d'actif constatée à l'issue des opérations de réalisation de l'actif et de vérification du passif, le Liquidateur Judiciaire l'a assigné devant le Tribunal de commerce de Grenoble afin d'obtenir sa condamnation à supporter l'insuffisance d'actif.
Par jugement du 1 er avril 2019, le Tribunal de commerce de Grenoble a considéré qu'E. [B] avait commis des fautes de gestion qui auraient été la cause directe de l'insuffisance d'actif de Lola Création, soit en poursuivant l'activité de celle-ci en état non déclaré de cessation des paiements et en poursuivant une activité déficitaire.
Le Tribunal l'a donc condamné à verser la somme de 1.500.000 euros à Maître [U] ès-qualités au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif et a assorti sa décision de l'exécution provisoire à hauteur de 750.000 euros.
Il a en outre condamné M. [B] au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [B] a relevé appel de cette décision par déclaration d'appel du 11 avril 2019.
Il a demandé la suspension de l'exécution provisoire du jugement et il a été fait droit à cette demande par ordonnance du premier président du 17 juillet 2019.
La procédure a été clôturée le 27 février 2020.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 19 février 2020, M.[B] demande à la cour de :
Vu les articles L. 611-4, L. 611-8, L.651-2 et suivants et R. 661-1, R. 662-12 du code de commerce,
Vu les articles 450 et suivants du code de procédure civile,
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
- Annuler le jugement querellé en toutes ses dispositions pour violation de l'article R. 662-12 du code de commerce,
- à titre principal,
- juger qu'il n'est pas démontré qu'il aurait commis une faute de gestion grave et caractérisée tenant dans la poursuite de l'exploitation de la société Lola Création alors qu'elle aurait été déficitaire ou dans le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements de Lola Création,
- juger que le lien de causalité entre les griefs invoqués à son encontre et l'insuffisance d'actif alléguée n'est pas caractérisé,
- juger que l'insuffisance d'actif ne s'élève pas à la somme de 3.457.300 et que l'insuffisance d'actif invoquée par le Liquidateur Judiciaire est incertaine,
- juger, en tant que de besoin, que les griefs qui lui sont reprochés tenant dans des relations intragroupes confuses ou liés à la période d'observation sont infondés,
- en conséquence,
- à défaut d'annulation du jugement querellé, infirmer ledit jugement en toutes ses dispositions,
- débouter Maître [U], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Lola Création, de l'ensemble de ses demandes formées à son encontre,
- à titre subsidiaire,
- juger que comme tout acteur du secteur de l'habillement, Lola Création a subi les effets de la crise de ce secteur et qu'il a tenté activement de redresser Lola Création (profonde restructuration, soutien financier conséquent et engagements personnels),
- en conséquence,
- à défaut d'annulation du jugement querellé, infirmer ledit jugement s'agissant de la condamnation qu'il prononce à son encontre,
- faire usage de son pouvoir souverain pour ne pas le condamner à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif alléguée ou, à tout le moins, réduire substantiellement le montant de la condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ou, en cas de refus d'annulation du jugement précité, qui a été prononcée à son encontre en première instance,
- en tout état de cause,
- condamner Maître [U] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Lola Création à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont distraction sera versée à la S.E.L.A.R.L. Lexavoué Grenoble en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Il expose que :
- dès sa reprise de la société Lola, il a constaté une situation dégradée en raison de la crise du secteur et en interne, de la perte de dynamisme et de créativité des équipes, et l'inadaptation du modèle économique,
- il a mis en oeuvre une restructuration soutenue par l'apport de 4.600.000 euros en compte courant et des abandons de créance pour 1.300.000 euros, mais ces mesures ont été insuffisantes, de sorte que les banques ont dénoncé les concours bancaires, malgré des négociations ayant entraîné la signature d'accords homologués par le tribunal,
- à la supposer acquise, la poursuite de l'activité déficitaire ne présentait pas un caractère suffisamment grave pour être qualifiée de fautive, puisqu'il a mis en ouvre d'importantes mesures de restructuration et qu'il évoluait dans un secteur économique dégradé,
- il n'a pas contesté le redressement judiciaire qu'il estimait logique, puis la société MFG a été mise en liquidation judiciaire, il a soutenu les efforts de l'administrateur judiciaire pour trouver un repreneur,
- la simple négligence ne suffit pas, il faut une faute d'une certaine gravité, antérieure au redressement judiciaire, les pertes antérieures à 2011 ne peuvent lui être reprochées et les pertes suivantes s'expliquent par le coût des restructurations, la perte de 2014 est consécutive à la dépréciation des titres des filiales,
- la poursuite d'une activité déficitaire n'est pas une faute de gestion si elle n'est pas causée par l'entêtement du dirigeant qui ne prend pas les mesures nécessaires ou reste passif, ce qui n'est pas le cas puisqu'il a pris des mesures de restructuration financières, juridiques (simplification d e l'organigramme), opérationnelles (nouvelle direction artistique, développement des ventes dans les magasins multimarques, les magasins Lola et sur site internet), qui ont été déterminantes dans le soutien des banques, puisque la baisse du chiffre d'affaires a été enrayée entre 2013 et 2014,
- il a investi au total de 4.600.000 euros, il s'est soumis au contrôle des banques et de l'administrateur pendant les conciliations, et du tribunal, il ne lui a alors pas été conseillé un redressement judiciaire,
- la date de cessation des paiements retenue est incohérente, le tribunal a homologué des accords de conciliation jusqu'au 6 août 2013, la demande de la société Eiffel a été rejetée,
- sur les relations intra-groupes décrites comme confuses, la mise à disposition de fonds de commerce concerne la société mère et les filiales, les mises à disposition de salariés les seules filiales, ceci permet de faire face aux variations d'activité et d'éviter coûts d'intérimaires ou de licenciement,
- il n'a refusé l'intervention de la société KPMG qu'en raison de son coût insupportable, les comptes ont été transmis à l'administrateur, mais le comptable est tombé malade en juillet 2015 et il a mis du temps à trouver un comptable compétent.
Il soutient que :
- le jugement critiqué est nul pour défaut de mention du rapport du juge-commissaire, formalité substantielle requise à peine de nullité (article R 662-12 du code de commerce),
- il existe des contradictions dans le jugement qui, après avoir affirmé que la situation de l'entreprise était irrémédiablement compromise, ne l'a pas démontré; le tribunal s'est livré à une analyse incorrecte des comptes de la société, tant en terme de chiffre d'affaires que d'analyse des charges d'exploitation, il a majoré le montant des pertes cumulées,
- les fautes de gestion doivent être établies et il ne peut s'agir de simples négligences, la seule affirmation de l'importance de l'insuffisance d'actif ne peut entraîner condamnation, pas plus que la dégradation financière de la société ou l'insuffisance des mesures de restructuration au regard de la durée et de l'importance de l'exploitation déficitaire,
- l'absence de coopération pendant le redressement judiciaire est hors de propos, de même que les comptes 2010 et 2011, l'analyse du chiffre d'affaires est erroné, elle se fonde sur l'exercice 2012 qui a duré 14 mois, elle omet les baisses de charges d'exploitation, l'analyse des pertes d'exploitation est incomplète,
- il n'a pas été passif, la crise de l'habillement est d'ampleur, il a mis en oeuvre des mesures de rétablissement, il a mené un plan de restructuration profond et cohérent soutenu la société par des montants significatifs, il n'y a eu ni entêtement, ni aveuglement fautif,
- il avait une obligation de moyen et non de résultat, il existait des perspectives de redressement, le travail d'ampleur de repositionnement de la marque était terminé, la presse féminine a été favorable à la marque avec le renforcement du plan média, il a conclu de nouveaux partenariats, la chute du chiffre d'affaires a été stoppée, les charges d'exploitation ont diminué de manière drastique (2 millions entre 2012 et 2014), mais les mesures n'ont pu porter entièrement leurs fruits en raison de la longueur du cycle d'exploitation dans le secteur, de la conjoncture économique, des attentats de janvier 2015, des difficultés de la société MFG,
- le montant total des apports en compte courant est à mettre en regard des pertes d'exploitation, ils sont substantiels, il y a eu réduction du passif,
- la perspective d'un redressement ou la croyance légitime dans le potentiel économique de l'entreprise peut écarter la responsabilité du dirigeant, il y a d'ailleurs eu un redressement judiciaire dans un premier temps,
- les acteurs extérieurs n'ont identifié aucune situation obérée (banques, Urssaf, SIE, président du tribunal de commerce, conciliateur, commissaire aux comptes),
- la date de cessation des paiements est contredite par les accords de conciliation, l'existence de dettes n'est pas suffisant, quarante emplois ont été maintenus.
Sur l'insuffisance d'actif, il estime que le tribunal de commerce a retenu à tort une somme de 3.457.300 euros, que le lien de causalité n'est pas démontré, la notion de pertes d'exploitation est distincte de l'insuffisance d'actif, il y a eu diminution du passif entre le 31 décembre 2013 et le redressement judiciaire, qu'il doit être tenu compte de la crise du secteur, de la restructuration d'ampleur, du soutien financier apporté à la société, des garanties personnelles, du consensus des parties prenantes.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 29 janvier 2020, Maître [U] demande à la cour de :
- Vu les dispositions des articles L. 651-2 et suivants du Code de Commerce,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
- y ajoutant, condamner M. [B] à lui payer ès-qualités de liquidateur de la société Lola Création une somme de 10 000€ en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- condamner M. [B] aux entiers dépens de l'instance.
Il fait valoir que :
- il a constaté une situation préjudiciable à l'ensemble des créanciers, le passif total étant de 8.938.938,28 euros dont 4.373.740,95 euros à titre privilégié, il a pu appréhender un actif total de 895.234,34 euros qui n'a pas évolué depuis, de sorte que l'insuffisance arithmétique d'actif est de 5.212.072 euros,
- tenant compte de ce que les créances qualifiées d'intergroupe déclarées au passif constituaient pour l'essentiel des apports en compte-courant d'associés financés par des sociétés du groupe détenu par M. [B] et ont été extraites bien que déclarées, l'insuffisance d'actif à prendre en compte est de 1.566.989 euros
- l'administrateur judiciaire avait listé dans son rapport du 28 décembre 2015 de graves fautes de gestion, outre le fait que M. [B] n'avait pas fourni de chiffre d'affaires de la société Bellecour, l'état des stocks de la collection hiver 2015,
- si des fautes de gestion sont apparues dans la période d'observation, il peut être reproché au dirigeant de s'être livré pendant plusieurs années à une poursuite d'activité déficitaire caractérisée par l'accumulation de pertes et d'avoir poursuivi cette activité pendant 18 mois en état de cessation des paiements,
- sur la poursuite déficitaire, la société connaissait une perte de 619.411 euros en 2010 (CA HT 6.049.211 euros), de 3.048.794 en 2011 (CA 5.259.207 euros) dont 6 mois de gestion imputable à M. [B], de 578.578 euros en 2012 (CA 5.012.987 euros), de 612.606 euros en 2013 (CA 3.546.586 euros ), de 3.515.481 euros en 2014 (CA 3.552.778 euros),
- il appartenait au dirigeant au vu de ces chiffres calamiteux de tirer pleinement les conséquences immédiates de l'impasse dans laquelle était la société débitrice, ou de réaliser des apports significatifs et suffisants pour couvrir ses besoins en trésorerie et recapitaliser pleinement l'entreprise, et non pas, par opérations de circonstances, (avances en compte courant) tenter de minimiser les pertes accumulées,
- sur la poursuite d'activité en état de cessation des paiements, une dette de l'Urssaf mentionnait un impayé de 395.465 euros remontant à août 2013, un passif fiscal de 415.652 euros et des comptes déficitaires, un arriéré locatif au 30 octobre 2014 de 102.055 euros,
- il existait également un état des inscriptions singulièrement grevé,
- jamais des mesures de restructuration suffisantes n'ont été prises.
Sur les arguments adverses, il précise que :
- le calcul de l'insuffisance d'actif est conforme aux textes,
- M. [B] n'a pas contesté le report maximal de la date de cessation des paiements qui est irrévocable, il a reconnu à l'audience la situation particulièrement obérée de son entreprise, marquant son accord pour l'ouverture d'une procédure, les accords passés avec les créanciers n'ont pas été respectés,
- sur la poursuite d'une exploitation déficitaire, si le secteur de l'habillement a connu de graves difficultés pendant cette période, cela n'exonérait pas M.[B] de sa responsabilité alors que les pertes de 2012 représentaient 11,5 % du chiffre d'affaires, celle de 2013 17 % et celles de 2014, 99 %,
- l'examen des pertes accumulées en 2012, 2013 et 2014 révèle qu'au 31 décembre 2012, l'excédent brut d'exploitation était négatif de 756.000 euros, de 508.000 au 31 décembre 2013 et de 935.000 euros au 31 décembre 2014 ; la récurrence d'un EBE lourdement négatif est révélatrice de ce que malgré toutes les opérations de gestion courante, exceptionnelle, des dotations ou reprises de provisions, l'activité était structurellement déficitaire années après années, malgré les opérations de capital, compte courant d'associé,
- les apports en compte courant d'associé ont certes pu augmenter provisoirement la trésorerie mais ils sont inscrits en créances, le tribunal en a tenu compte dans sa décision,
- sur le lien de causalité, compte tenu de la théorie de l'équivalence des conditions, il suffit qu'une faute de gestion caractérisée soit causale d'une fraction de l'insuffisance d'actif pour que la totalité du passif non couvert soit mis à la charge de son auteur, et les faits reprochés sont directement causals de l'insuffisance d'actif,
- tel est le cas de l'insuffisance d'actif, qui a augmenté les impayés, le même raisonnement peut être tenu pour la poursuite déficitaire d'activité, avec des pertes croissantes.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions du 10 mars 2020, le ministère public partie jointe demande à la cour :
- sur la demande de nullité du jugement, de dire en premier lieu qu'en application de l'article 910-4 du code de procédure civile, l'objet du litige est fixé par les premières conclusions de l'appelant, à epine d'irrecevabilité d'office des nouvelles conclusions, que la demande de nullité du jugement n'apparaît pas dans les premières conclusions, qu'en second lieu, l'irrégularité substantielle invoquée n'interdit pas l'effet dévolutif,
- sur l'insuffisance d'actif, concernant la déclaration de cessation des paiements, que l'argumentation sur la remise en cause de cette date de cessation des paiement est inopérante, ne pouvant être modifiée,
- concernant la poursuite d'activité déficitaire, que l'appelant ajoute une condition au texte en considérant qu'une faute caractérisée d'une particulière gravité est nécessaire alors qu'est seulement exclue la simple négligence de sorte qu'une faute même simple engage la responsabilité, que le dirigeant ne peut s'emparer de décisions du président ou du tribunal de commerce antérieures et ayant accordé au dirigeant le bénéfice d'une certaine confiance dans le sérieux de ses explications, dans le cadre de mesures de prévention qui ne peuvent fonctionner qu'en présence d'une forme de bonne foi du dirigeant, que le dirigeant aurait pu se saisir de l'avertissement de l'action d'un créancier, même rejetée, sur l'état de sa société, que le dirigeant aurait dû anticiper dès sa décision de reprise du groupe les difficultés du secteur et de l'entreprise,
- sur le lien de causalité, que l'article L 651-2 du code de commerce emploie le terme "contribué" de sorte qu'il n'y a pas lieu de prouver un lien de causalité directe entre la faute et le montant précis de l'insuffisance d'actif, que la poursuite d'une activité déficitaire entraîne de part sa définition, une augmentation du passif.
Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la nullité du jugement
Aux termes de l'article R 662-12 du code de commerce, "le tribunal statue sur rapport du juge commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde le redressement et la liquidation judiciaire, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif....".
Il n'est pas justifié en l'espèce d'un rapport du juge commissaire et la décision querellée n'en fait pas état.
Toutefois, c'est à juste titre que le ministère public souligne que ce moyen n'a pas été soulevé dans les premières conclusions de l'appelant conformément à l'article 940 -1 du code de procédure civile et ce dernier n'est dès lors pas recevable à présenter cette demande tardive aux termes des dernières conclusions.
Il est rappelé qu'en tout état de cause, le rapport du juge commissaire ne constitue pas une formalité substantielle en appel et n'affecte pas l'acte introductif d'instance, qu'en raison de l'effet dévolutif, la cour était nécessairement saisie de l'entier litige.
Sur l'insuffisance d'actif
La recevabilité de l'action engagée dans un délai de trois ans à compter du jugement d'ouverture de la procédure collective n'est pas contestée.
Aux termes de l'article L 651-2 du code de commerce, "lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion......".
La faute de gestion est ainsi la condition de fond de l'action en comblement de passif.
Les fautes invoquées doivent être antérieures à l'ouverture de la procédure de la personne morale.
La recherche par le dirigeant d'un intérêt personnel est indifférente.
De manière liminaire, l'insuffisance d'actif n'apparaît pas contestable.
Il résulte en effet clairement de l'état des créances arrêté par Maître [U] un actif total de 895.234 euros pour un passif échu et à échoir de 8.718.035euros sous déduction des créances UNEDIC-AGS pour 725.918euros, les créances bancaires antérieures issues d'accord de conciliation pour 1.884.811euros, ce qui dégage une insuffisance d'actif de 5.212.072 euros.
Même après déduction des créances dites "intergroupe" pour 3.645.083 euros (et correspondant aux apports en comptes courants d'associés) extraites par Maître [U], ce qui reste très discutable, l'insuffisance d'actif constituant le préjudice subi par l'intérêt collectif des créanciers s'établit à 1.566.989 euros de manière non contestable.
Il convient de reprendre les fautes de gestion imputées à l'appelant. Il est observé que si le liquidateur judiciaire stigmatise en sus le comportement de M.[B] au cours de la procédure, notamment au travers d'un rapport de l'administrateur judiciaire relevant des comportements observés dans le cadre de sa mission, ceci ne rend pas l'action irrecevable alors que l'intimé invoque au soutien de sa demande des fautes antérieures à la procédure, soit la poursuite d'une activité déficitaire et la non-déclaration de l'état de cessation des paiements.
Il convient d'examiner successivement ces deux fautes.
* la poursuite de l'activité déficitaire
La poursuite abusive d'exploitation déficitaire est de nature à caractériser une faute de gestion.
De manière liminaire, il est souligné que si l'article L 651-2 exclut désormais la simple négligence du dirigeant dans la direction de la société, ceci n'induit pas que seule une faute d'une particulière gravité puisse être retenue.
Il n'est ni contestable ni contesté que le secteur de l'habillement a connu des années difficiles sur la période considérée, que ceci a inévitablement affecté l'activité de la société Lola Création.
Cette circonstance, déjà connue lors de l'acquisition, ne peut toutefois exonérer M. [B] de sa responsabilité s'il a poursuivi de manière fautive l'exploitation déficitaire de la société Lola Créations. Au contraire, M [B] dans ce contexte difficile devait être d'autant plus vigilant dès l'acte de reprise et prendre immédiatement les mesures adéquates.
Or, il résulte du jugement qu'à l'audience, il a été admis par les conseils de l'intéressé que l'acquisition avait eu lieu sans audit préalable, ce qui caractérise ce manque de vigilance initial.
Il ne peut se prévaloir à posteriori de la longueur du cycle d'exploitation dans ce secteur, de la conjoncture économique défavorable et de difficultés de la société MFG.
Il n'est certes pas contestable, sans qu'il ne soit nécessaire de rentrer dans le détail des nombreuses pièces produites par l'appelant, la cour s'y référant, que M. [B] a cependant pris différentes mesures de restructuration de l'entreprise.
Les chiffres comptables donnés par le liquidateur révèlent cependant :
- qu'antérieurement à l'arrivée de M. [B], au titre de l'exercice 2010, la société enregistrait une perte de 619.411 euros au regard d'une chiffre d'affaires de 6.049.211 euros HT,
- qu'au vu de l'exercice clôturé au 31 décembre 2011, comportant 6 mois de gstion de M. [B], la perte supplémentaire s'élevait à 3.048.794 euros pour un chiffre d'affaires de 5.259.207 euros,
- que pour l'exercice clos au 31 décembre 2012, il existait une perte de 578.578 euros pour un chiffre d'affaires HT de 5.012.987 euros,
- que pour l'exercice clos au 31 décembre 2013, la perte s'élevait à 612.606 euros pour un chiffre d'affaires HT de 3.546.586 euros,
- que pour l'exercice clos au 31 décembre 2014, la perte était de 3.515.481 euros pour un chiffre d'affaires de 3.552.778 euros HT.
Faisant suite à une situation déficitaire, il apparaît que loin de redresser une situation déjà compromise, le changement de dirigeant n'a pas enrayé la poursuite de très mauvais résultats malgré les restructurations engagées entre 2012 et 2014, qui n'ont donc pas démontré leur pertinence et leur suffisance, illustrant l'entêtement et l'aveuglement avancés par le liquidateur.
Les pertes enregistrées ont ainsi représenté 11,5 % du chiffre d'affaires en 2012, 17 % du chiffre d'affaires en 2013 et 99 % en 2014, soit un total de l'ordre de 4.700.000 euros.
C'est de manière pertinente et argumentée que le liquidateur met en relief la récurrence d'un excédent brut d'exploitation négatif sur les exercices 2012, 2013 et 2014, montrant la persistance année après année d'une activité déficitaire malgré les mesures mises en place.
La réduction du passif avancée par M. [B] n'a pas eu d'impact sur une situation irrémédiablement compromise.
M. [B] insiste particulièrement sur les apports financiers qui ont été réalisés et ont bénéficié à la société. Mais il ne s'est pas agi d'apports significatifs en capital couvrant les besoins en trésorerie de la société mais seulement d'apports en compte courant qui ont une nature d'avances équivalentes à des prêts et constituent des dettes de la société, ce qui a été illustré par les déclarations de créance à ce titre, lesquelles ont fortement augmenté le passif. Ces avances ne faisaient alors que minimiser artificiellement les pertes par un apport immédiat de trésorerie tout en créant des dettes très importantes.
L'apport financier allégué quelque soit son importance n'a donc pas été une mesure adéquate.
M. [B] ne peut enfin se prévaloir de ce que le tribunal de commerce a dans un premier temps ordonné un redressement judiciaire plutôt qu'une liquidation judiciaire, ce qui ne l'exonère pas de sa responsabilité.
L'obstination de M. [B] à poursuivre l'activité manifestement déficitaire n'a donc fait qu'augmenter l'endettement de la société Lola Création.
Il y a lieu à confirmation du jugement en ce qu'il a retenu cette faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif.
* la non-déclaration de l'état de cessation des paiements
L'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal est également constitutive d'une faute de gestion. L'abstention fautive doit avoir contribué à l'augmentation de l'insuffisance d'actif.
M. [B] n'a pas contesté la décision fixant le report de la date de cessation des paiements au 1er octobre 2013 et n'est plus recevable contester cette date, ce qu'il suggère néanmoins dans le corps de ses conclusions en remettant en cause la date retenue par le tribunal.
Il est rappelé qu'en tout état de cause, le fait de recourir à une conciliation, argument invoqué par l'appelant qui se prévaut de décisions du président du tribunal de commerce ou du tribunal lui-même, décisions intervenant sur une présomption de bonne foi du dirigeant, n'a pas pour effet d'exonérer ce dirigeant du retard mis à déclarer l'état de cessation des paiements de la personne morale de sorte que les arguments à ce titre de M. [B] se révèlent tout à fait inopérants, étant d'ailleurs souligné que les accords pris n'ont pas été respectés, ce que révèlent les dettes sociales et fiscales visées dans le jugement d'ouverture.
C'est par ailleurs à juste titre que le ministère public relève que M. [B] n'a pas tenu compte de l'avertissement donné par une première action en justice, nonobstant son rejet, d'un créancier pour une dette importante.
Ensuite, il apparaît évident que l'abstention fautive a contribué en l'espèce à l'augmentation de l'insuffisance d'actif.
En effet, dès le prononcé du redressement judiciaire, il existait une dette de l'Urssaf de 395.465 euros de cotisations impayées remontant au mois d'août 2013 ainsi qu'un passif fiscal de 415.652 euros (pénalités incluses) suite au non respect d'accord de paiement arrêtés dans le cadre d'une procédure de conciliation.
Un nouvel arriéré locatif avait été créé.
Il en découle sans ambiguïté que le retard pris dans la déclaration de l'état de cessation des paiements a contribué à l'insuffisance d'actif.
Sur le comblement du passif
Il suffit qu'une faute de gestion caractérisée soit causale d'une fraction de l'insuffisance d'actif constaté pour que la totalité du passif constaté et non couvert par l'actif puisse être mise à la charge du dirigeant, ce qu'induit le terme "contribué".
Il a été établi que les deux fautes de gestion relevées à l'encontre de M. [B] ont été la cause ne serait ce que pour partie de l'insuffisance d'actif.
Au regard de l'importance du passif, des mesures inadaptées prises par M.[B] et de la durée de son inaction, le tribunal de commerce a parfaitement évalué la somme devant être mise à sa charge pour comblement du passif et la décision querellée sera en conséquence confirmée de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La charge des dépens de première instance et la condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sont confirmées.
M. [B] qui succombe sur ses prétentions en appel supportera les dépens d'appel et versera à son adversaire en cause d'appel la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Dit que la demande de nullité du jugement est irrecevable au regard de l'article 940-1 du code de procédure civile.
Confirme la décision querellée.
Y ajoutant,
Condamne M. [E] [B] aux dépens d'appel et à payer à Maître [M] [U] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Signe par Mme GONZALEZ, Président et par Mme RICHET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Président