N° RG 18/03608 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JUXR
FD
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 08 DÉCEMBRE 2020
Appel d'un jugement (N° R.G. 16/04650)
rendu par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE CEDEX
en date du 31 juillet 2018
suivant déclaration d'appel du 13 Août 2018
APPELANTE :
Madame [Z] [F] épouse [N]
née le [Date naissance 2] 1942 à [Localité 12]
[Adresse 16]
[Localité 12]
représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉS :
Mme [H] [F] épouse [Y]
née le [Date naissance 15] 1930 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 17]
[Localité 12]
Monsieur [X] [Y]
de nationalité Française
[Adresse 18]
[Localité 12]
Madame [A] [Y] épouse [G]
de nationalité Française
[Adresse 13]
[Localité 12]
représentés par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Hélène COMBES Président de chambre,
Madame Véronique LAMOINE, Conseiller,
Monsieur Frédéric DUMAS, Vice-président placé suivant ordonnance de délégation de la première présidente de la Cour d'appel de Grenoble en date du 17 juillet 2020 ,
Assistés lors des débats de Mme Alice RICHET, Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 26 octobre 2020, Monsieur [V] a été entendu en son rapport.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
Faits, procédure et prétentions des parties
Madame [H] [F] épouse [Y] a reçu en donation de ses parents, Monsieur et Madame [O] [F], par acte authentique du 15 mai 1972, une parcelle sise [Adresse 17] cadastrée B n°[Cadastre 19] et [Cadastre 11], sur lesquelles elle a fait construire une maison.
Suivant acte de donation-partage du 18 décembre 1981 la soeur de Madame [H] [F], Madame [Z] [F] épouse [N], a acquis une maison d'habitation avec terrain attenant, sise [Adresse 16], sur les parcelles cadastrées B n°[Cadastre 1] et [Cadastre 10].
Madame [H] [F] a fait donation à ses enfants, [X] [Y] et [A] [Y] épouse [G], de ses droits en nue-propriété sur sa maison.
En raison d'un litige relatif à l'exercice par Madame [Z] [F] d'un droit de passage établi au profit de la parcelle B [Cadastre 1] le juge des référés a, suivant ordonnance du 24 décembre 2015, instauré une expertise afin de vérifier si la propriété de l'intéressée était enclavée et le cas échéant déterminer le passage le plus court.
L'expert, Monsieur [C], a déposé son rapport le 10 novembre 2016.
Suivant exploit du 13 décembre 2016 Madame [Z] [F] a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Valence Madame [H] [F], Monsieur [X] [Y] et Madame [A] [Y] aux fins de voir constater l'enclave de son fond et d'établir un servitude de passage.
Par jugement du 31 juillet 2018 le tribunal a dit que la parcelle B n°[Cadastre 1], propriété de Madame [Z] [F], était enclavée mais, considérant que l'état d'enclave actuel résultait d'un partage intervenu le 17 septembre 1948, l'a déboutée de sa demande tendant à la création du passage sur les parcelles B [Cadastre 19] et [Cadastre 11] des consorts [F]-[Y].
Madame [Z] [F] a fait appel de la décision le 13 août 2018 en ce qu'elle l'avait déboutée de sa demande tendant à la création d'un passage sur les parcelles B [Cadastre 19] et [Cadastre 11].
Par conclusions du 26 novembre 2018 l'appelante demande à la Cour l'infirmation partielle du jugement déféré et de :
- dire et juger que l'état d'enclave résulte du partage des parcelles [Cadastre 19], [Cadastre 1] et [Cadastre 3] ayant appartenu à Monsieur et Madame [O] [F] intervenu entre ses deux filles par acte de donation-partage du 18 décembre 1981,
- dire et juger que le passage assurant la desserte de la parcelle B [Cadastre 1] se fera par la propriété des consorts [Y] en bordure des parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 19] sur une largeur de trois mètres selon la solution n°1 proposée par l'expert,
- à titre subsidiaire :
dire et juger que le passage par la propriété des consorts [Y] en bordure des parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 19] sur une largeur de trois mètres constitue le passage le plus court et le moins dommageable pour l'accès de la parcelle [Cadastre 20] à la voie publique sans recourir à une mesure d'expertise,
dire et juger que le passage pour accéder à cette parcelle se fera par la propriété des consorts [Y] en bordure des parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 19] sur une largeur de trois mètres.
Au soutien de ses prétentions Madame [Z] [F] fait valoir que :
- selon un partage intervenu le 17 novembre 1948 concernant la propriété de la société ÉTABLISSEMENT [F] & [W] le lot n°4 a été attribué à Monsieur [O] [F], lequel acquerrait une parcelle contiguë le [Date décès 14] 1951,
- que Monsieur et Madame [F] ont fait donation à leurs deux filles, [H] [Y] et [Z] [N], de ces biens selon partage du 18 décembre 1981,
- en vertu d'un accord avec sa soeur l'appelante a accepté que la parcelle [Cadastre 11] lui soit attribuée pour qu'elle dispose d'une possibilité d'ouverture sur la nationale pour la construction d'une maison et en contrepartie Madame [Z] [F] pouvait garer ses voitures sur ce terrain, ledit accord ayant pas la suite été remis en cause par les enfants [Y],
- le constat d'huissier du 9 avril 2015 montre que l'on ne peut accéder à la parcelle n°[Cadastre 1] que par le passage existant entre l'immeuble construit sur les parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 19] appartenant à sa soeur et la parcelle [Cadastre 10],
- il résulte de la configuration particulière des lieux et du rapport d'expertise que la parcelle [Cadastre 20], constructible et enclavée, ne dispose pas d'un accès d'origine permettant de répondre à sa destination,
- la première solution proposée par l'expert consistant à passer par la propriété [Y], sur les parcelles [Cadastre 19] et [Cadastre 11], concerne le passage qui a toujours été emprunté même après la construction de la maison [Y] en 1972,
- c'est le partage du 18 décembre 1981, et non celui de 1948, qui a créé l'état d'enclave avec notamment le détachement de la parcelle n°[Cadastre 3] d'une parcelle [Cadastre 11] au profit de la parcelle n°[Cadastre 19],
- les parcelles B n°[Cadastre 1], [Cadastre 5], [Cadastre 7], [Cadastre 9] n'ont pas d'autres possibilité d'accès au domaine public que ce passage, étant bloquées sur trois côtés par le stade, le parking d'un centre commercial et une construction,
- en mai 1971 les parents de [H] et [Z] [F] étaient propriétaires des parcelles [Cadastre 19], [Cadastre 1], [Cadastre 3] et après la donation, afin de permettre à la première de réaliser son projet immobilier sur la parcelle [Cadastre 19] et assurer la desserte des parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 5], [Cadastre 7] et [Cadastre 9] la parcelle [Cadastre 3] a été divisée entre les nouvelles parcelles n°[Cadastre 10] et [Cadastre 11] selon acte de donation du 15 mai 1972,
- le passage doit par conséquent être pris sur le fonds des consorts [Y], soit la parcelle [Cadastre 11] qui faisait partie de la parcelle [Cadastre 3] attribuée à Madame [H] [F], l'assiette du passage s'acquérant par prescription trentenaire.
En réplique, par conclusions du 19 février 2019 Madame [H] [F], Monsieur [X] [Y] et Madame [A] [Y] demandent à la Cour de confirmer le jugement déféré et de condamner l'appelante à leur verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimés exposent que :
- à la suite de la vente du [Date décès 14] 1951 de la parcelle B [Cadastre 19] de Monsieur [S] à Monsieur [O] [F] celui-ci est devenu le seul propriétaire des parcelles qui se trouvent au centre de la discussion sur le droit de passage litigieux,
- il ressort de l'acte de partage du 17 septembre 1948 que la parcelle n°[Cadastre 1] faisait partie d'une parcelle plus grande acquise en 1941 par la société ÉTABLISSEMENT [F] et divisée lors d'un partage en 1948,
- alors que cette parcelle disposait d'un accès à la voie publique les auteurs de Madame [Z] [F] ont créé, en la divisant, une situation d'enclave dont elle ne peut se prévaloir, or la première solution proposée par l'expert impliquerait de passer sur la parcelle n°[Cadastre 19] étrangère au partage à l'origine de l'état d'enclave,
- les trois autres solutions sont envisageables mais il appartenait à l'appelante d'attraire dans la procédure les propriétaires des parcelles [Cadastre 4], 13, 14, 15, 16, 17 et 2428,
- Madame [Y] a effectivement toléré pendant des années que sa soeur et sa famille passent sur la parcelle [Cadastre 22] mais cette tolérance à leur égard ne saurait équivaloir à une servitude.
L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 15 septembre 2020.
DISCUSSION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Aucune des parties n'a relevé appel de la disposition du jugement déféré disant que la parcelle cadastrée B [Cadastre 1] dont Madame [Z] [F] est propriétaire est enclavée.
Cette disposition est définitive de sorte que le litige ne porte désormais plus que sur l'origine de l'état d'enclave et le cas échéant sur la servitude de passage dont bénéficiera le fonds de l'appelante.
Sur les demandes de Madame [Z] [F]
Aux termes de l'article 682 du code civil le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.
L'article 684 du même code précise cependant que si l'enclave résulte de la division d'un fonds par suite d'une vente, d'un échange, d'un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l'objet de ces actes. Toutefois, dans le cas où un passage suffisant ne pourrait être établi sur les fonds divisés, l'article 682 serait applicable.
En l'espèce il ressort de l'examen des pièces versées au dossier que par acte notarié du 31 mai 1941 la société ÉTABLISSEMENT [F] & CIE a fait l'acquisition auprès de Monsieur [E] d'une parcelle de 2.540 m² qu'elle a déclaré, aux termes de l'acte authentique du 17 septembre 1948, partager ainsi que les 'quatre maisons d'habitation qu'elle a fait édifier sur partie dudit terrain' entre ses quatre associés (page 3), dont Monsieur [O] [F] auquel est revenu le lot n°4, les différents lots regroupant les tènements actuellement cadastrés B n°[Cadastre 1], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9].
Jouxtant la limite Nord de cet ensemble, délimité au Nord par les parcelles n°[Cadastre 11] et [Cadastre 1] alors créées, se trouvait le fonds aujourd'hui référencé B n°9 qui appartenait à Monsieur [B] pour l'avoir acquis de Monsieur et Madame [E] et qui l'a cédé à Monsieur [O] [F] le [Date décès 14] 1951.
Il résulte ainsi de cette succession d'actes patrimoniaux que par la division opérée sur son terrain, sur lequel elle avait fait édifier quatre maisons d'habitations, la société ÉTABLISSEMENT [F] & CIE a créé un état d'enclave concrétisé lors du partage entre ses associés, notamment en ce qui concerne la parcelle devenue B [Cadastre 1], la parcelle n°[Cadastre 19] étant étrangère au partage du 17 septembre 1948.
Conséquemment Monsieur [O] [F] est devenu, à partir du [Date décès 14] 1951, propriétaire des parcelles [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 1] et [Cadastre 19].
Avec l'acte du 18 décembre 1981 les époux [F] ont procédé à la donation et au partage de leur propriété entre leurs deux filles en attribuant d'une part à Madame [Z] [F] les parcelles cadastrées B n°[Cadastre 1] et [Cadastre 10] et d'autre part à Madame [H] [F] celles cadastrée B n°[Cadastre 19] et [Cadastre 11] après rapport de la donation effectuée le 15 mai 1972.
En application de l'article 684 précité le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l'objet du partage du 17 septembre 1948 dont il est résulté un état d'enclave de la parcelle [Cadastre 20] antérieur à l'acte du 18 décembre 1981, aucun des propriétaires des parcelles [Cadastre 21], [Cadastre 5], 14, 15, 16 et 17 n'ayant cependant été appelés dans la cause.
Contrairement aux assertions de l'appelante, selon laquelle le partage du 18 décembre 1981 a créé l'état d'enclave avec notamment le détachement d'une parcelle [Cadastre 11] du fonds n°[Cadastre 3] au profit de la parcelle n°[Cadastre 19], la parcelle n°[Cadastre 1] était nécessairement enclavée avant la donation du 15 mai 1972, puisque l'accès à la voie publique ne pouvait se faire qu'en empruntant la parcelle n°[Cadastre 19] avant de rejoindre la future parcelle n°[Cadastre 11].
Enfin si en application des articles 685 et 691 du code civil l'assiette et le mode de servitude de passage pour cause d'enclave sont déterminés par trente ans d'usage continu, ainsi que le revendique l'appelante, il est constant que les actes de possession ne doivent pas être de pure faculté ou de simple tolérance.
Or, dans le cas présent, Madame [Z] [F] ne peut tout à la fois soutenir qu'en vertu d'un accord elle pouvait garer ses voitures sur le terrain de sa soeur, ledit accord ayant été remis en cause par les enfants [Y] après un courrier du 27 juillet 2015, et prétendre avoir fait un usage trentenaire lui conférant le bénéfice de la prescription acquisitive sur l'assiette de la servitude alors que l'autorisation de Madame [H] [F] n'était que l'expression de son droit de propriété.
Il conviendra dans ces conditions de débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Sur les demandes annexes
Il sera alloué à Madame [H] [F], Monsieur [X] [Y] et Madame [A] [Y], contraints de se défendre en appel, une indemnité de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
Condamne Madame [Z] [F] à verser à Madame [H] [F], Monsieur [X] [Y] et Madame [A] [Y], une somme globale de 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [Z] [F] aux dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT