MDM
N° RG 18/00024
N° Portalis DBVM-V-B7C-JK54
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES
la CPAM DE L'ISERE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU JEUDI 17 DECEMBRE 2020
Ch.secu-fiva-cdas
Appel d'une décision (N° RG 20150547)
rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GRENOBLE
en date du 07 décembre 2017
suivant déclaration d'appel du 22 décembre 2017
APPELANTE :
SA RHODIA CHIMIE, venant aux droits de Rhône Poulenc Chimie prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 11]
représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Grégory MAZILLE, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
Mme [D] [J]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Marie FLEURY, avocat au barreau de PARIS
M. [U] [J]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 8]
représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Marie FLEURY, avocat au barreau de PARIS
M. [A] [J]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Marie FLEURY, avocat au barreau de PARIS
CPAM DE L'ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Service Contentieux Général
[Adresse 1]
[Localité 5]
comparante en la personne de Mme [R] [X], régulièrement munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Valéry CHARBONNIER, Conseiller,
M. Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 octobre 2020
Mme Magali DURAND-MULIN, chargée du rapport, a entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistée de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, conformément aux dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 17 décembre 2020, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 17 décembre 2020.
M. [Y] [J] a été salarié par la société Rhône Poulenc Chimie du 3 mars 1964 au 31 janvier 2003 en qualité d'agent de fabrication dans une usine de produits chimiques au [Localité 11] (Isère).
Par décision du 26 novembre 2013, la CPAM de l'Isère a accepté de prendre en charge la pathologie asthmatique qu'il lui avait déclarée comme relevant des affections professionnelles provoquées par les isocyanates organiques prévues au tableau 62 des maladies professionnelles.
Le 15 juin 2015, postérieurement au décès de [Y] [J] survenu le [Date décès 4] 2014, sa veuve et ses deux fils ont engagé la procédure en reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur comme étant à l'origine de la maladie professionnelle et en indemnisation complémentaire des préjudices subis par le défunt, et ce à l'encontre la société Rhodia Chimie venant aux droits de la société Rhône Poulenc Chimie.
Par jugement du 7 décembre 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble, considérant qu'il résultait de l'enquête administrative diligentée par la CPAM de l'Isère que M. [J] avait été exposé aux isocyanates et que l'employeur n'avait pas doté ses salariés de protections respiratoires adaptées, a :
- dit que la maladie professionnelle de M. [Y] [J] avait pour origine la faute inexcusable de son employeur ;
- fixé au maximum l'indemnisation en capital servie à M. [Y] [J] ;
- fixé le préjudice de M. [Y] [J] à 5.000 € au titre des souffrances physiques et morales, et à 1.500 € au titre du préjudice d'agrément ;
- débouté les consorts [J] de leur demande au titre du déficit fonctionnel temporaire ;
- condamné la société Rhodia Chimie à rembourser à la CPAM de l'Isère les sommes dont cette dernière ferait l'avance, et à payer aux consorts [J] la somme de 1.500 € au titre des frais irrépétibles.
Le 20 décembre 2017, la société Rhodia Chimie a interjeté appel.
A l'audience, la société Rhodia Chimie fait oralement développer ses conclusions parvenues le 10 septembre 2019 en invoquant la prescription de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle, en contestant toute exposition aux isocyanates organiques, en soutenant avoir mis en 'uvre des mesures de prévention et de protection.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris pour :
- déclarer irrecevable l'action en reconnaissance de faute inexcusable ;
- subsidiairement, dire qu'aucune faute inexcusable ne peut être retenue en l'absence d'imputabilité professionnelle de la maladie et en l'absence de démonstration de la faute ;
- plus subsidiairement, dire que les conséquences financières doivent être supportées par la CPAM sans possibilité d'action récursoire à l'encontre de l'employeur ;
- plus subsidiairement, de rejeter les demandes d'indemnisation, sauf pour le montant de 1.000 € au titre des souffrances endurées.
Mme [D] [L] veuve [J] et MM. [U] et [A] [J] font oralement reprendre leurs conclusions parvenues le 19 décembre 2019. Ils demandent la confirmation du jugement sauf pour :
- fixer l'indemnisation des préjudices personnels du défunt à 15.015 € au titre du déficit fonctionnel temporaire, à 16.000 € au titre des souffrances physiques et subsidiairement 14.000 € pour la période antérieure et 2.000 € pour la période postérieure à la consolidation, à 20.000 € au titre de la souffrance morale et 10.000 € au titre du préjudice d'agrément ;
- condamner la société Rhodia Chimie à verser 2.000 € au titre des frais irrépétibles.
La CPAM de l'Isère fait oralement développer ses conclusions parvenues le 31 janvier 2020, et demande à la cour :
1- si les conditions de prise en charge, au titre de la législation professionnelle de la maladie sont réunies,
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice en ce qui concerne la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la majoration des rentes servies aux ayants droit, ainsi que l'évaluation du montant de l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit,
Si la faute est reconnue :
- condamner l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance, notamment en application des articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que les frais d'expertise, outre les intérêts au taux légal à compter de leur versement,
- dire qu'elle ne sera tenue de faire l'avance que des sommes allouées en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale à l'exclusion d'éventuels préjudices non couverts par le livre IV du même code,
En tout état de cause, faire droit à sa demande de remboursement de l'intégralité des sommes dont elle aura fait l'avance au titre de la faute inexcusable,
2- si les conditions de prise en charge, au titre de la législation professionnelle de la maladie ne sont pas réunies,
- rejeter la demande des consorts [J] de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la prescription
En application des articles L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable en mai 2013 date de la demande de reconnaissance de la maladie professionnelle, la prescription biennale court à compter du jour où est la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle.
L'employeur soutient que la victime a été informée du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle dès 1996 en se référant au rapport d'évaluation du taux d'IPP qui mentionne la remise par M. [J] de documents médicaux dont un courrier du Dr [C] du 6 mai 1996 mentionnant un « asthme professionnel ».
Mais les documents médicaux de 1996 visés dans ce rapport sont des courriers entre praticiens qui ne contiennent aucune information donnée au patient sur l'origine professionnelle de sa maladie et dont rien ne démontre au surplus qu'ils lui auraient été adressés lors de leur établissement, le rapport d'évaluation du taux d'IPP qui mentionne leur remise n'ayant été établi que le 1er avril 2014.
Le certificat médical initial de maladie professionnelle établi le 16 mai 2013 par le Dr [B] est le premier et le seul certificat médical, au sens des dispositions précitées, de nature à établir la connaissance par la victime du lien entre l'affection et l'activité professionnelle de M. [J].
Ayant sollicité la prise en charge de sa maladie professionnelle dans les deux ans suivant ledit certificat médical, sa demande n'était pas prescrite comme l'a dit le tribunal et l'action en reconnaissance de faute inexcusable est donc recevable.
Sur la maladie professionnelle
Dans le cadre d'une action en reconnaissance de faute inexcusable, l'employeur est recevable à contester le caractère professionnel de la maladie.
Conformément aux dispositions de l'article L.461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
La pathologie asthmatique de M. [J] a été prise en charge au titre du tableau 62 des maladies professionnelles lequel concerne les affections professionnelles provoquées par les isocyanates organiques.
L'employeur conteste l'exposition à des isocyanates organiques en se fondant sur un courrier du Dr [N] du 18 octobre 1996 mentionnant la possibilité de déclarer un 'accident du travail lors d'un accident d'inhalation entraînant un syndrome de Brooks au titre du chlorure de phosphore'.
Mais le courrier de ce médecin ne permet pas d'écarter l'exposition aux isocyanates organiques laquelle résulte expressément de l'attestation remise au salarié par l'employeur le 1er juillet 2013 et faisant notamment état d'une exposition aux isocyanates du 1er février 1995 à décembre 1996 tandis que la première constatation de la maladie est intervenue le 16 octobre 1996.
La contestation élevée par l'employeur n'étant pas fondée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a reconnu le caractère professionnel de la maladie.
Sur la faute inexcusable
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a retenu que les deux critères de la faute inexcusable étaient démontrés par les consorts [J] dans la mesure où d'une part l'employeur ne pouvait ignorer les dangers liés à l'exposition aux isocyanates, l'inscription au tableau 62 datant de 1973 et d'autre part les attestations d'anciens collègues de M. [J] établissent l'absence de protections respiratoires adaptées.
L'employeur qui se limite d'une part à invoquer l'absence d'exposition aux isocyanates depuis un an avant la manifestation de la maladie et ce contrairement aux mentions de sa propre attestation du 1er juillet 2013 et d'autre part à se prévaloir du courrier du Dr [N] du 16 octobre 1996 mentionnant le port d'un masque par M. [J] sans toutefois produire aucun élément objectif de nature à démontrer qu'il aurait mis en oeuvre les moyens de protection nécessaires, n'apporte aucun élément susceptible de contredire les attestations produites.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence de la faute inexcusable de l'employeur.
Sur l'indemnisation
1- le déficit fonctionnel temporaire
Est indemnisé à ce titre l'aspect non économique de l'incapacité temporaire, constitué principalement de la gêne dans les actes de la vie courante que rencontre la victime pendant la période antérieure à la consolidation et la privation de qualité de vie.
A l'appui de leur demande d'indemnisation, les consorts [J] invoquent des troubles respiratoires pendant 17 ans depuis la constatation de la maladie en 1996. Ils se fondent sur le courrier d'un médecin en date du 24 mars 1997 indiquant que M. [J] présente une toux chronique avec une dyspnée d'effort, sur l'attestation de Mme [V], une amie qui relate qu'il avait des difficultés au point de vue respiratoire et devait s'arrêter pour reprendre son souffle lors de sorties en cyclotourisme et sur le rapport d'évaluation du taux d'incapacité lequel a été estimé à 5 % mentionnant des séquelles fonctionnelles respiratoires d'un asthme professionnel.
Si ces éléments établissent l'existence de troubles respiratoires, en revanche s'agissant de leur étendue, il convient d'observer que dans son courrier du 16 mai 1997, le Dr [C] indique que sur le plan clinique M. [J] 'se dit bien amélioré' et que dans le rapport d'évaluation du taux d'incapacité en 2014 le médecin a conclu à la persistance de troubles fonctionnels 'légers'.
Au regard de ces éléments médicaux, il convient de fixer à la somme de 4.000 € le montant des dommages et intérêts à titre d'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire.
2- les souffrances physiques
L'employeur ne conteste pas l'existence de souffrances endurées mais en conteste l'étendue.
Au vu des documents médicaux produits et visés ci-dessus, une exacte appréciation des souffrances physiques non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent conduit la cour à fixer à la somme de 5.000 € le montant de l'indemnisation.
3- les souffrances morales
A l'appui de leur demande indemnitaire, les consorts [J] font valoir que M. [J] s'est senti diminué physiquement et se fondent sur l'attestation de M. [U] [J], son fils qui relate que son père était dynamique et qu'il aimait jardiner mais qu'un jour il a rasé les haies en disant qu'il n'arrivait plus à les entretenir.
Ils font valoir l'inquiétude qu'il a ressentie pour l'avenir lors de la connaissance du diagnostic.
Au vu de ces éléments, une juste évaluation du préjudice moral subi sera fixée à la somme de 5.000 € à titre de réparation intégrale de ce chef de préjudice.
4- le préjudice d'agrément
Le préjudice d'agrément prévu par l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale exclusivement l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir, dont il appartient aux consorts [J] de rapporter la preuve.
A l'appui de cette demande, ils produisent l'attestation de Mme [V] visée ci-dessus qui précise que M. [J] a dû renoncer à monter des cols puis a diminué les distances et a abandonné les sorties, son fils [U] atteste également que son père était trop essoufflé pour faire du vélo et sa belle soeur relate qu'il manquait de souffle pour effectuer des randonnées en montagne.
Au regard des pièces produites, le tribunal a justement évalué la réparation de ce poste de préjudice à la somme de 1500 €.
Sur l'action récursoire de la caisse
Dès lors que le caractère professionnel de la maladie a été retenue ainsi que la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de la maladie, la caisse ne peut se voir privée de son action récursoire à l'encontre de l'employeur.
Il convient donc de faire droit à sa demande de remboursement de l'intégralité des sommes dont elle aura fait l'avance au titre de la faute inexcusable par voie de confirmation.
Sur les dispositions accessoires
L'employeur qui succombe sera condamné aux dépens.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il est équitable que l'employeur contribue aux frais irrépétibles exposés par les consorts [J].
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement en ce qu'il a fixé le préjudice de M. [Y] [J] à 5.000 € au titre des souffrances physiques et morales et en ce qu'il a débouté les consorts [J] de leur demande au titre du déficit fonctionnel temporaire.
Statuant à nouveau,
Fixe l'indemnisation des préjudices personnels de M. [Y] [J] à :
- 4.000 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 5.000 € au titre des souffrances physiques
- 5.000 € au titre de la souffrance morale
Confirme le jugement déféré pour le surplus.
Y ajoutant,
Condamne la société Rhodia Chimie à payer aux consorts [J] la somme de 1.500 € au titre des frais irrépétibles.
Condamne la société Rhodia Chimie aux dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de président et par Mme Chrystel ROHRER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Conseiller