N° RG 18/05200 - N° Portalis DBVM-V-B7C-JZXA
HC
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Alain GONDOUIN
la SELARL EUROPA AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 26 JANVIER 2021
Appel d'un jugement (N° R.G. 16/3022)
rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE
en date du 26 novembre 2018
suivant déclaration d'appel du 20 Décembre 2018
APPELANTS :
M. [U] [H]
né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Mme [B] [N] épouse [H]
née le [Date naissance 3] 1944 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentés et plaidant par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉE :
LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 552 120 222, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Sylvain REBOUL de la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE substitué et plaidant par Me Diego SPINELLA avocat au même cabinet
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Hélène COMBES Président de chambre,
Mme Véronique LAMOINE, Conseiller,
M. Frédéric DUMAS, Vice-président placé suivant ordonnance de délégation de la première présidente de la Cour d'appel de Grenoble en date du 17 juillet 2020
Assistés lors des débats de Mme Anne BUREL, Greffier
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 décembre 2020, Madame COMBES a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations. .
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
* * * * * *
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 25 février 2013, la Société Générale a consenti à la société ACG un prêt de 88.000 euros destiné à l'acquisition de matériel et garanti par la caution solidaire dans la limite de 114.000 euros de [U] [H], gérant de la société et de son épouse [B] [N].
Après défaillance de la société ACG mise en redressement judiciaire le 3 décembre 2013, puis en liquidation judiciaire le 2 juin 2015, la Société Générale a assigné les époux [H] devant le tribunal de grande instance de Grenoble en exécution de leur engagement de caution.
Les époux [H] se sont opposés à la demande de la banque faisant valoir divers moyens tenant à la disproportion de leur engagement et aux manquements de la Société Générale à ses obligations.
Par jugement du 26 novembre 2018, le tribunal a condamné solidairement les époux [H] à payer à la Société Générale la somme de 88.387,33 euros outre intérêts conventionnels à capitaliser et celle de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [H] ont relevé appel le 20 décembre 2018.
Par uniques conclusions du 19 mars 2019, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré et de dire, à titre principal, que la Société Générale ne peut se prévaloir de leur engagement de caution en raison de son caractère disproportionné.
Ils sollicitent subsidiairement la condamnation de la banque à leur payer la somme de 120.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice causé par ses manquements.
Ils développent l'argumentation suivante au soutien de leur appel :
Sur la disproportion de leur engagement :
- la Société Générale leur a fait souscrire un engagement de caution alors qu'ils n'avaient aucun revenu d'exploitation,
- la banque produit une fiche de renseignements qui n'est pas rattachée au contrat de prêt et au cautionnement,
- la fiche est de surcroît incomplète et inexacte quant à leur solvabilité puisqu'elle ne comporte pas les engagements de caution que la banque leur avait fait souscrire le 23 juin 2010,
- l'ensemble des cautionnements donnés n'est pas mentionné, alors que des cautionnements avaient été donnés à d'autres banques,
- au jour de l'acte, leur endettement global était de 1.238.000 euros.
- la banque avait le devoir de vérifier les informations données ou omises,
- le patrimoine immobilier était en indivision ou grevé d'emprunts
Sur les manquements de la Société Générale :
- la banque a manqué à son obligation de conseil et de vigilance,
- la banque n'a pas respecté l'obligation de mise en garde qu'elle avait à leur égard puisqu'aucune rentabilité de l'exploitation n'était possible,
- [U] [H] ne peut être considéré comme une caution avertie,
- la Société Générale dispose d'un nantissement sur le matériel financé et a commis une faute en empêchant le nantissement de jouer son rôle.
Par conclusions du 18 juin 2019, la Société Générale conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et réclame 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En cas de condamnation, elle demande à la cour de ramener les prétentions indemnitaires des époux [H] à de justes proportions.
Elle conteste le grief de disproportion, répliquant que préalablement à l'engagement, les époux [H] lui ont remis une fiche de renseignements datée du 10 décembre 2012 dont il résulte qu'en plus de leurs revenus, ils disposaient d'un patrimoine immobilier, de parts sociales au sein de deux sociétés, d'un PEA et d'un compte courant d'associé.
Elle fait valoir que les deux engagements souscrits auprès d'elle au mois de juin 2010, ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère proportionné de l'engagement.
Sur les fautes qui lui sont reprochées, elle soutient :
- que seul le liquidateur peut invoquer la faute de la banque sur le fondement de l'article L 650-1 du code de commerce,
- que [U] [H] était une caution avertie envers laquelle elle n'était tenu à aucun devoir de mise en garde,
- qu'il n'est pas établi l'existence d'un risque manifeste de défaillance de la société ACG,
- qu'un éventuel préjudice ne pourrait être apprécié qu'à l'aune de la perte de chance,
- que la procédure de liquidation judiciaire de la société ACG ayant été clôturée pour insuffisance d'actif, sans qu'elle ait perçu aucune somme, il ne peut être soutenu qu'elle a privé les cautions de leur recours subrogatoire.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2020.
DISCUSSION
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
1 - Sur la disproportion de l'engagement de caution
Les époux [H] font valoir à titre principal que la Société Générale ne peut se prévaloir de leur engagement de caution en raison de sa disproportion.
Aux termes de l'article L 341-4 du code de la consommation un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s'apprécie au regard de l'ensemble des engagements souscrits par la caution d'une part, de ses biens et revenus d'autre part, sans tenir compte des revenus escomptés de l'opération garantie.
Ce n'est que si l'engagement est jugé disproportionné qu'il convient d'apprécier la situation de la caution au moment où elle est appelée.
Préalablement à la souscription de leur engagement le 20 février 2013, les époux [H] ont communiqué à la banque une fiche de renseignements datée du 10 décembre 2012.
Le fait que ce document ait été établi et signé par eux plus de deux mois avant la signature des actes de caution est indifférent à la solution du litige. Tel n'aurait pas été le cas si le document avait été établi postérieurement à l'engagement.
Selon ce document renseigné à la main par [U] [H], les époux [H] disposaient de revenus annuels de 55.880 euros par an et avaient un patrimoine immobilier constitué de :
- 3 appartements à [Localité 8] d'une valeur de 432.000 euros grevés d'un capital à rembourser de 160.000 euros,
- 2 appartements et des murs commerciaux en indivision à [Localité 5], le tout valorisé à 566.000 euros, (dont 188.000 revenant à [U] [H])
- 58.000 euros au titre d'un PEA (soit 33 % du montant du PEA en indivision)
- 600.000 euros inscrits au compte courant d'associé de [U] [H]
Les époux [H] produisent en pièces 16 et 17 les deux engagements de caution souscrits au mois de juin 2010 par [U] [H] en faveur de la Société Générale pour les montants de 182.000 et 15.600 euros.
Ces engagements ne figurent pas sur la fiche de renseignements du 10 décembre 2012, mais il doit en être tenu compte dès lors qu'ils ont été pris en faveur de la Société Générale qui ne pouvait les ignorer.
Il en résulte que l'engagement de caution donné par les époux [H] le 20 février 2013 à hauteur de 114.000 euros a porté le montant global de leurs engagements de caution à la somme de 311.000 euros.
Les époux [H] ne peuvent opposer à la banque le fait de n'avoir mentionné sur la fiche de renseignements les engagements qu'ils avaient précédemment souscrits en faveur d'autres banques (pièces 22, 23 et 24), dès lors qu'ils ne rapportent pas la preuve que la Société Générale savait que la fiche était erronée et qu'elle disposait des éléments lui permettant de suspecter le caractère incomplet des renseignements communiqués.
En l'état de tous ces éléments, les époux [H] disposaient le 23 février 2013, d'un patrimoine immobilier et mobilier net d'un montant de plus de 500.000 euros, non compris la créance résultant du compte courant d'associé, de sorte qu'il ne peut être conclu à la disproportion manifeste des engagements pris.
Les époux [H] n'invoquent pas de façon pertinente la vente ultérieure de certains biens puisque seule est déterminante la situation de la caution au jour de son engagement.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que la banque peut se prévaloir des engagements de caution.
2 - Sur les manquements imputés à la Société Générale
Les époux [H] font valoir en premier lieu que la banque a manqué à son obligation de conseil et de vigilance lors de l'octroi du prêt à la société ACG.
Mais outre qu'en vertu du principe de non immixtion le banquier n'a pas de devoir de conseil envers son client et n'a pas à se faire juge de l'opportunité du ou des crédits sollicités, le premier juge a justement relevé que les époux [H] n'ont pas qualité pour invoquer la responsabilité de la banque envers la société ACG.
Les époux [H] invoquent en second lieu un manquement de la banque à son obligation de mise en garde.
Mais la Société Générale leur objecte à juste titre que [U] [H] était une caution avertie envers laquelle elle n'était tenue à aucun devoir de mise en garde.
En effet, gérant de la société ACG depuis sa création en 2003 et s'étant porté caution des engagements de celle-ci à plusieurs reprises, [U] [H] disposait des connaissances et de l'expérience lui permettant de mesurer la portée de son engagement.
Quant à [B] [N] épouse [H], si rien ne permet de retenir qu'elle était une caution avertie, il ne résulte d'aucun élément que le prêt était inadapté aux capacités financières de l'emprunteur et de la caution et qu'il existait un risque d'endettement pour l'une comme pour l'autre.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté l'argumentation des époux [H] au titre du devoir de mise en garde.
Les époux [H] invoquent enfin les dispositions de l'article 2314 du code civil en vertu duquel la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier s'opérer en faveur de la caution.
Ils reprochent à la banque d'avoir commis une faute en empêchant le nantissement inscrit sur le matériel de jouer son rôle et en les privant de leur recours subrogatoire.
Mais ils ne caractérisent pas en quoi consiste la faute de la banque, qui a effectivement inscrit le nantissement, a déclaré sa créance à titre privilégié et a été admise à titre privilégié.
La perte du recours subrogatoire n'est pas la conséquence d'une faute de la banque mais de la liquidation judiciaire de la société ACG clôturée pour insuffisance d'actif le 6 mars 2018.
Les dispositions sus-visées ne sont pas invoquées à bon escient.
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la Société Générale.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
- Déboute la Société Générale de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne les époux [H] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame COMBES, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT