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16/06/2022 | FRANCE | N°20/02866

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 16 juin 2022, 20/02866


C9



N° RG 20/02866



N° Portalis DBVM-V-B7E-KRQC



N° Minute :













































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL CABINET LAURENT FAVET



la SELARL EYDOUX MODELSKI





AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS>


COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 16 JUIN 2022





Appel d'une décision (N° RG 18/01339)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 07 septembre 2020

suivant déclaration d'appel du 21 septembre 2020





APPELANTE :



Société SASP FC GRENOBLE RUGBY, prise en la personne de son représentant lé...

C9

N° RG 20/02866

N° Portalis DBVM-V-B7E-KRQC

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL CABINET LAURENT FAVET

la SELARL EYDOUX MODELSKI

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 16 JUIN 2022

Appel d'une décision (N° RG 18/01339)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 07 septembre 2020

suivant déclaration d'appel du 21 septembre 2020

APPELANTE :

Société SASP FC GRENOBLE RUGBY, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Stade Lesdiguières ' rue Albert Reynier

38100 GRENOBLE

représentée par Me Laurent FAVET de la SELARL CABINET LAURENT FAVET, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me André DERUE de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat plaidant au barreau de LYON substitué par Me Olivier BARRAUT, avocat au barreau de LYON

INTIME :

Monsieur [I] [X] [L]

né le 13 novembre 1981

Faisant élection de domicile au cabinet de Me [Z] [G]

L'Empire - Villa n° 7

39 boulevard Georges Clémenceau

83000 TOULON

représenté par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Philip FITZGERALD, avocat plaidant au barreau de TOULON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Blandine FRESSARD, Présidente,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 avril 2022,

Monsieur BLANC, Conseiller, chargé du rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE :

M.[I] [X] (dit [A]) [L], de nationalité tonguienne, a été embauché à compter de la saison sportive 2015-2016 au sein de la SASP FC GRENOBLE RUGBY, en qualité de joueur de rugby professionnel, dans le cadre de deux contrats de travail à durée déterminée successifs.

Un contrat de travail à durée déterminée a été signé le 20 février 2017 pour une durée de deux saisons sportives (restant de la saison 2016-2017 et saison 2017-2018) et avait pour terme la fin de la saison sportive 2017-2018, telle que fixée par la Ligue Nationale de Rugby (LNR), soit le 30 juin 2018.

Par courrier du 15 janvier 2018 remis en main propre, le FC GRENOBLE RUGBY a notifié à M.[L] sa décision de renoncer à la clause de tacite reconduction pour la saison 2017/2018, contenue dans le contrat du 20 février 2017.

Le 28 mai 2018, un pré-contrat de joueur de rugby professionnel a été conclu entre la SASP FC GRENOBLE RUGBY et M.[A] [L], qui devait prendre effet le 1er juillet 2018.

L'engagement définitif du joueur a été subordonné aux résultats de l'examen médical établissant l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles dès la date de prise d'effet du contrat, conformément au règlement médical de la LNR et à la convention collective du rugby professionnel (CCRP).

Selon cette convention, si les examens démontrent une contre-indication médicale à la pratique du rugby, le joueur a la possibilité de saisir la commission médicale de la LNR aux fins de désignation d'un médecin-expert pour réalisation d'une contre-expertise.

Dans le cadre de ces examens, M.[A] [L] a subi une IRM des vertèbres cervicales, le 30 mai 2018.

Le 4 juin 2018, afin d'interpréter les images, le médecin de la SASP FC GRENOBLE RUGBY, le docteur [V], médecin du club, a choisi de prendre avis auprès du professeur [M], à Bordeaux.

Celui-ci a répondu le jour même en ces termes '«'Ton joueur a bien un canal trop étroit sur 2 étages, avec une ébauche de compression médullaire. C'est le profil que la LNR cherche à protéger (à écarter). II est G3 indiscutable. En théorie il pourrait repasser G2 après une chirurgie à 2 niveaux mais sincèrement, je lui conseillerai plutôt d'arrêter'».

Le 5 juin 2018, le docteur [V] a établi un certificat indiquant que M.[A] [L] faisait partie de la catégorie G3 de la classification de la LNR et était inapte à la pratique du rugby en compétition en France.

Le 21 juin 2018, le docteur [R], médecin salarié de la SASP FC GRENOBLE RUGBY, qui a remplacé le docteur [V] au sein la société, a réexaminé M.[A] [L].

Le docteur [R] a sollicité un deuxième avis auprès d'un expert, le docteur [J].

Celui-ci, le 22 juin 2018, a examiné M.[A] [L] en consultation et a rédigé un certificat qui conclut «'[A] [L] est apte pour la classification de la ligue nationale de rugby'».

Le 28 juin 2018, le joueur a été convoqué par un SMS de l'entraîneur du club pour être informé que l'ensemble des médecins intervenant dans le dossier avaient conclu à son inaptitude à la pratique du rugby professionnel.

Le même jour, le docteur [R] a établi un certificat médical indiquant que M.[A] [L] faisait partie de la catégorie G3.

Le 29 juin 2018, M.[S], président délégué du FC GRENOBLE RUGBY, s'est rendu personnellement au domicile de M.[A] [L], lui a notifié son inaptitude à la pratique du rugby professionnel, suivant les avis des docteurs [V] et [R], et lui a remis les certificats médicaux.

M.[A] [L] a contesté, devant la commission médicale de la LNR, l'avis d'inaptitude à la pratique du rugby professionnel notifié le 29 juin 2018.

La commission médicale a déclaré M.[A] [L] apte à la pratique du rugby professionnel le 26 juillet 2018.

Par courrier recommandé avec avis de réception du 30 juillet 2018, M.[A] [L] a demandé à son employeur de régulariser un contrat de travail d'un joueur de rugby professionnel pour la saison 2018-2019 ou, à défaut, de régler l'indemnité compensatoire d'un montant de 100'000 euros, telle que prévue par l'article 7 du pré-contrat.

Par courrier en date du 3 août 2018, la SAS FC GRENOBLE RUGBY a refusé de régulariser le contrat de travail de M.[A] [L] et de régler la pénalité contractuellement prévue.

Par courrier recommandé avec avis de réception en date du 31 octobre 2018, M.[A] [L] a réitéré sa demande.

Le 18 février 2019, la SAS FC GRENOBLE RUGBY a réitéré son refus.

Le 20 décembre 2018, M.[A] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble afin qu'il soit jugé que les conditions suspensives sont réputées réalisées en application de l'article 1304-3 du code civil, que le pré-contrat signé le 28 mai 2018 constitue une promesse d'embauche valant contrat de travail et qu'en conséquence, le contrat de travail devait recevoir application et que la SASP FC GRENOBLE ne pouvait le rompre unilatéralement.

Suivant jugement en date du 7 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Grenoble a :

DIT que c'est du fait de la SASP FC GRENOBLE RUGBY que la condition suspensive du précontrat relative à l'aptitude médicale à la pratique du rugby professionnel de M.[I] [X] [L] n'a pas pu être réalisée,

DIT que les conditions suspensives sont par conséquent réputées réalisées.

DIT que le précontrat signé le 28 mai 2018 constitue une promesse d'embauche valant contrat de travail,

DIT que le contrat de travail devait recevoir application et que la SASP FC GRENOBLE RUGBY ne pouvait le rompre unilatéralement,

DIT que la clause pénale prévue à l'article 7 du précontrat ne peut pas être appliquée,

CONDAMNE la SASP FC GRENOBLE RUGBY à régler à payer à M.[I] [X] [L] les sommes suivantes

- 97.944,00 € à titre de dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux salaires qui auraient dû être perçus,

- 15'000,00 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- 1 200,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

DEBOUTE M.[I] [X] [L] du surplus de ses demandes,

DEBOUTE la SASP FC GRENOBLE RUGBY de sa demande reconventionnelle,

CONDAMNE la SASP FC GRENOBLE RUGBY aux dépens

La décision rendue a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 10 septembre 2020 par la société SASP FC GRENOBLE RUGBY. L'accusé de réception de M.[I] [X] [L] n'a jamais été reçu, le suivi indiquant « courrier réexpédié à la demande du destinataire vers l'adresse de son choix'».

Appel de la décision a été interjeté par'la société SASP FC GRENOBLE RUGBY par déclaration de son conseil au greffe de la présente juridiction le 21 septembre 2020.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2022, la société SASP FC GRENOBLE RUGBY sollicite de la cour de':

REFORMER le jugement du conseil de prud'hommes de GRENOBLE du 7 septembre 2020.

DIRE et JUGER que l'inaptitude médicale de M.[L] à la pratique du rugby professionnel a fait obstacle à l'entrée en vigueur du contrat de travail qui devait entrer en vigueur le 1er juillet 2018,

DEBOUTER en conséquence M.[L] de la totalité de ses demandes.

CONDAMNER M.[L] à régler à la SASP FC GRENOBLE RUGBY la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 février 2022, M.[I] [X] [L] sollicite de la cour de':

CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de GRENOBLE en date du 7 septembre 2020 en ce qu'il a :

-Dit que la condition suspensive du précontrat relative à l'aptitude médicale à la pratique du rugby professionnel de M.[I] [X] [L] n'avait pas pu être réalisée par le fait de la SASP FC GRENOBLE RUGBY;

-Dit que les conditions suspensives étaient par conséquent réputées réalisées ;

-Dit que le précontrat signé le 28 mai 2018 constituait une promesse d'embauche valant contrat de travail ;

-Dit que le contrat de travail devait recevoir application et que la SASP FC GRENOBLE RUGBY ne pouvait le rompre unilatéralement ;

-Condamné l'employeur au paiement de dommages et intérêts correspondant aux salaires que le salarié aurait pu prétendre s'il avait pu exécuter son contrat de travail ;

-Condamné l'employeur au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi par le salarié.

Au titre de l'appel incident :

REFORMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de Toulon en date du 7 septembre 2020 en ce qu'il a':

-Retenu des montants de condamnations inférieurs à ceux revendiqués ;

-Débouté M.[L] de sa demande relative à l'application de l'article 7 du contrat signé le 28 mai 2018 c'est-à-dire la clause pénale

Statuant à nouveau sur ces points :

CONDAMNER la SASP FC GRENOBLE RUGBY au paiement des sommes suivantes :

-100.000, 00 € (cent mille euros) en application de la clause pénale prévue à l'article 7 du précontrat signé entre les parties le 28 mai 2018 ;

-122.724,00 € à titre de dommages intérêts correspondant au montant des salaires que M.[L] aurait pu percevoir si son contrat de travail à durée déterminée avait été exécuté jusqu'à son terme ;

-12.272, 40 € au titre de l'indemnité de congés payés ;

-40.000,00 € au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct ;

En tout état de cause,

DEBOUTER la SASP FC GRENOBLE RUGBY de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

ASSORTIR des intérêts légaux toutes les demandes en paiement à compter de la saisine avec anatocisme conformément à l'article 1343-2 du Code civil,

CONDAMNER la SASP FC GRENOBLE RUGBY à payer à M.[I] [X] [L] la somme de 3500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le17 mars 2022.

EXPOSE DU LITIGE :

Sur le «'pré-contrat'» régularisé le 28 mai 2018 et ses effets :

L'article 1304-3 du code civil énonce que :

La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.

La condition résolutoire est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt.

En l'espèce, premièrement, nonobstant la qualification juridique de pré-contrat donnée par les parties à l'accord régularisé le 28 mai 2018, ladite convention s'analyse incontestablement en contrat de travail à durée déterminée régularisé sous la réserve de la réalisation de conditions suspensives et notamment celle que «'l'engagement définitif du joueur est subordonné aux résultats de l'examen médical, qu'il effectuera auprès d'un médecin désigné par le Club, établissant l'absence de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles dès la date de prise d'effet du contrat, conformément au règlement médical de la LNR et à la CCRP. Cet examen devra être effectué avant la signature du contrat.'».

Les parties s'engagent en effet mutuellement et fermement à la signature d'un contrat de rugby professionnel prenant effet au 1er juillet 2018 et s'accordent, d'ores et déjà, précisément sur la durée du contrat, la rémunération et les conditions d'entrée en vigueur dudit contrat, de sorte que la régularisation de documents contractuels avant la fin de la période officielle des mutations, telle que définie par la ligue nationale de rugby pour la saison 2018-2019, sous peine d'application d'une clause pénale, n'apparaît pas comme une condition du contrat de travail mais uniquement une formalité additionnelle superfétatoire convenue entre les parties.

La cour d'appel observe en particulier que les parties n'ont prévu aucune clause leur permettant de se délier de leur engagement avant la date prévue de signatures des documents contractuels.

L'engagement mutuel des parties sous diverses conditions suspensives, sur les éléments essentiels du contrat de travail, permet dès lors d'exclure que cet acte s'analyse uniquement en une offre de contrat de travail ou une promesse d'embauche.

Deuxièmement, alors que les parties ont convenu de la signature formelle du contrat de travail devant débuter le 1er juillet 2018, marquant le début de la saison sportive 2018/2019, et son homologation par la ligue de rugby avant la fin de la période officielle des mutations telle que définie par la ligue nationale de rugby pour la saison 2018-2019, soit, d'après la pièce n°14 de M. [L], avant le 30 juin 2018, dès lors que le SASP FC GRENOBLE RUGBY évoluait en TOP 14, de sorte que l'examen médical prévu à l'alinéa suivant devait avoir été réalisé avant cette date, il apparaît que le docteur [V], médecin du club a, par certificat médical du 5 juin 2018, indiqué que «'(') M. [L] fait partie de la catégorie G3 de la classification de la LNR, suite à l'analyse de l'IRM du rachis cervical du 31 mai 2018, il est par conséquent inapte à la pratique du rugby en compétition en France », que toutefois, la société SASP FC GRENOBLE RUGBY ne prétend pas et encore moins ne justifie avoir notifié à M. [L] cet avis, intervenu avant le 30 juin 2018, de contre-indication à la pratique du rugby dans les compétitions professionnelles en application de l'article 741 des règlements généraux de la ligue nationale de rugby et de l'article 2.2.1 du chapitre I du titre II de la convention collective du rugby professionnel, afin le cas échéant que l'intéressé puisse exercer un éventuel recours devant la commission médicale de la ligue nationale de rugby aux fins de la désignation d'un médecin expert pour la réalisation d'une contre-expertise, et, selon qu'il n'y ait pas eu de recours ou que la contre-indication soit confirmée par la commission, de pouvoir régulièrement considérer non remplie la condition suspensive et le contrat caduc.

Au contraire, le club reconnaît, dans ses écritures, qu'après le remplacement du docteurr [V] par le docteur [R], il a décidé de poursuivre la vérification qui lui incombe de la compatibilité de l'état de santé du salarié avec la pratique du sport professionnel.

Ainsi, le Dr [R] a interrogé le Dr [J], chirugien orthopédiste, le 21 juin 2018, le Dr [J] concluant in fine, après l'examen du 22 juin 2018, que «'[P] [L] est apte pour la classification de la ligue nationale de rugby, mais avec un sur-risque en cas de traumatisme cervical grave, de complications neurologiques graves et définitives. Je lui explique bien tout cela, dans sa langue, ainsi qu'à son épouse qui l'accompagne aujourd'hui et qui est en étude de droit et je crois qu'ils ont bien compris la situation'».

Or, alors que l'entraîneur du club, M. [B], communiquait auprès de la presse sur l'aptitude du salarié à poursuivre sa carrière professionnelle, d'après un article du journal le Dauphiné Libéré dans son édition du 25 juin 2018, et alors que des attestations de joueurs ([H], [K], [D]) confirment que M. [L] a été présenté à l'équipe comme intégrant celle-ci pour la saison 2018/2019 et s'est entraîné du 25 au 28 juin 2018, le Dr [R], médecin du club, a, en définitive, rendu, le 28 juin 2018, l'avis médical suivant : «'(...)M. [L] fait partie de la catégorie G3 de la classification de la LNR, suite à l'analyse de l'IRM du rachis cervical du 31 mai 2018. Il est par conséquent inapte à la pratique du rugby en compétition en France'».

Par courrier remis en main propre le 29 juin 2018, soit la veille de la date à laquelle les parties devaient signer formellement le contrat, la SASP FC GRENOBLE RUGBY a notifié à M. [L] la caducité de son contrat de travail du fait de la non-réalisation de la condition suspensive liée à l'absence de contre-indication médicale à la pratique du rugby professionnel, constatée lors de l'examen médical prévu par le règlement médical de la LNR.

Il s'avère que, saisie par M. [L], la commission médicale de la ligue nationale de rugby a rendu un avis de non contre-indication à la pratique du sport professionnel, le 26 juillet 2018.

Il s'ensuit que la condition suspensive de non contre-indication visée au contrat du 28 mai 2018 a, en définitive, été remplie mais avec retard s'agissant du fait que le contrat devait être signé et soumis à homologation de la ligue nationale de rugby avant le 30 juin 2018 mais à raison des seules fautes et du comportement déloyal de l'employeur, à qui seul il incombait de faire passer l'examen médical préalable en ce que la société SASP FC GRENOBLE RUGBY a choisi de ne pas notifier à M. [L] l'avis de contre-indication du Dr [V] mais a poursuivi la procédure d'examen, ayant abouti en définitive à une absence de contre-indication selon le Dr [J], dont l'avis n'a toutefois pas été partagé par le médecin du club, le Dr [R], dans son certificat du 28 juin 2018, alors même que l'employeur avait, de manière parfaitement contradictoire et déloyale, annoncé aux joueurs et à la presse que M. [L] était en définitive apte pour la saison 2018-2019 et l'avait même laissé s'entrainer pendant 3 jours.

Il est également noté que l'employeur n'a aucunement informé M. [L], avant de considérer le contrat caduc, de la possibilité qu'il tient de l'article 5.3.4 santé titre II chapitre 1 de la convention collective du rugby professionnel de pouvoir saisir la commission médicale de la ligue, si bien qu'il ne peut être tiré aucune conséquence de la demande de reclassement professionnel formulée par courriel du 29 juin 2018 suite à l'avis rendu par le médecin du club et qu'en tout état de cause, l'employeur, à supposer même qu'il n'eût pas été tenu de fournir cette information, n'a pas cru devoir attendre l'avis de cette commission, qui a effectivement été saisie par le salarié, avant de déclarer le contrat caduc, un jour avant la date convenue pour formaliser par écrit le contrat à soumettre à la ligue pour homologation, alors même que l'employeur a la responsabilité de soumettre le joueur à l'examen par son médecin portant sur l'absence de contre-indication à la pratique du sport professionnel et qu'il lui appartient d'être diligent afin de permettre au joueur, en cas d'avis de contre-indication de disposer d'un droit effectif à saisir la commission médicale.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que c'est du fait de la SASP FC GRENOBLE RUGBY que la condition suspensive du pré-contrat, relative à l'aptitude médicale à la pratique du rugby professionnel de M.[I] [X] [L] n'a pas pu être réalisée, sauf à préciser dans le délai contractuellement convenu

- dit que les conditions suspensives sont par conséquent réputées réalisées

- dit que le contrat de travail devait recevoir application.

La disposition du jugement disant que le pré-contrat signé le 28 mai 2018 constituait une promesse d'embauche valant contrat de travail est, en revanche, infirmée en ce que la convention est qualifiée juridiquement par la cour d'appel de contrat sous diverses conditions suspensives.

Sur la rupture du contrat de travail à durée déterminée :

Premièrement, il résulte des dispositions de l'article L. 1243-1 du code du travail, d'ordre public, auxquelles ni la convention collective du rugby professionnel, ni le contrat de travail ne peuvent déroger dans un sens défavorable au salarié, que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas d'accord des parties, de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

En l'espèce, il est jugé que le contrat à durée déterminée du 28 mai 2018 est entré en vigueur le 1er juillet 2018.

La SASP FC GRENOBLE RUGBY ne pouvait, dès lors, y mettre fin par décision unilatérale du 29 juin 2018.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le contrat de travail devait recevoir application et que la SASP FC GRENOBLE RUGBY ne pouvait le rompre unilatéralement.

Deuxièmement, il résulte de l'article L. 1243-4 du code du travail que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l' indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.

Au vu du salaire convenu de 7 420 euros bruts, de la participation de 2 000 euros par mois au paiement du loyer du logement mis à disposition, de la mise à disposition d'un véhicule, valorisé 307 euros par mois, et de la prise en charge de voyages en avion à hauteur de 6 000 euros, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la SASP FC GRENOBLE RUGBY à payer à M. [L] la somme de 122 724 euros nets, ladite somme ayant une nature indemnitaire, si bien que la demande d'indemnité compensatrice de congés est en revanche rejetée.

Sur la clause pénale :

Le contrat de travail prévoit, en son article 7, la clause pénale suivante :

«'il est convenu que si l'une des deux parties ne ratifiait pas, avant la fin de la période officielle des mutations, telle que définie par la LNR pour la saison 2018-2019, un contrat de travail conforme à la CCRP et reprenant les dispositions de la présente convention, et notamment les articles 1 et 2, la partie défaillante sera automatiquement et de plein droit redevable envers l'autre partie d'une indemnité compensatoire de 100000 euros au titre du préjudice subi, et ce, au plus tard le 31 juillet 2018.'».

Par courrier en date du 30 juillet 2018, M. [L], par l'intermédiaire de son avocat, a mis en demeure la société FC GRENOBLE RUGBY d'honorer le contrat de travail et rappelé la pénalité de 100000 euros à défaut.

Par courrier du 3 août 2018 à M. [L], la société FC GRENOBLE RUGBY a refusé de donner suite à cette demande.

Il s'ensuit que la pénalité est due par l'employeur, partie défaillante, qui a refusé de ratifier le contrat de travail aux conditions convenues, de manière injustifiée dès lors qu'il a été vu précédemment que les conditions sont réputées accomplies par sa faute.

La débitrice de la clause pénale ne développe aucun moyen critique sur le montant de la clause pénale et n'invite pas le juge à faire usage, le cas échéant, de son pouvoir modérateur.

Il s'ensuit qu'infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société FC GRENOBLE RUGBY à payer à M. [L] la somme de 100 000 euros à titre de clause pénale.

Sur le préjudice distinct :

M. [L] rapporte la preuve suffisante que la rupture de son contrat à durée déterminée de manière anticipée et injustifiée lui a causé un préjudice distinct de celui d'ores et déjà indemnisé à ce titre à raison des circonstances entourant la rupture, invoquant implicitement leur caractère vexatoire, puisque le club a publié sur son site internet un communiqué, le 30 juin 2018, faisant état de sa situation de santé dans les termes suivants «'Malheureusement lors de sa visite médicale, des problèmes de rachis cervical ont été détectés. Une situation délicate pour le pilier de 36 ans qui risquerait de graves blessures en cas de choc. Des contre-expertises ont été pratiquées et malheureusement confirment l'inaptitude de [A] (') [A] est profondément affecté par cette nouvelle. Nous souhaitons lui témoigner, à lui et à toute sa famille toute notre affection. Le FCG restera proche de lui et l'accompagnera dans les semaines à venir pour l'aider à surmonter cette épreuve'».

Les informations fournies sont, d'une part, inexactes puisqu'il a été vu précédemment que la commission médicale de la ligue nationale du rugby a jugé qu'il n'y avait pas de contre-indication à la poursuite de la pratique du rugby professionnel et d'autre part, il n'est ni allégué et encore moins prouvé que M. [L] aurait donné son accord à la communication au grand public d'informations couvertes par le secret médical.

M. [L] justifie que cette publication est intervenue à un moment où il a été contraint de trouver un autre club dans l'urgence et qu'il a signé un contrat, le 12 septembre 2018, avec le SASP PROVENCE RUGBY à des conditions salariales nettement moins avantageuses avec, notamment, un salaire de l'ordre 3 000 euros, le club évoluant en PRO D2 alors que le club grenoblois devait faire partie du TOP 14 pendant la saison 2018-2019.

Pour autant, le préjudice financier existe certes mais est modéré par le fait que M. [L] admet qu'il a, en définitive, mis fin à sa carrière professionnelle le 30 juin 2020.

Le préjudice moral est, en revanche, conséquent eu égard à la nature des informations divulguées publiquement.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à M. [L] la somme de 15 000 euros nets à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et de rejeter le surplus de la demande de ce chef.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Au visa de l'article 1231-7 du code civil, dès lors que les sommes allouées en principal sont d'un montant laissé à l'appréciation du juge, les intérêts au taux légal ne court qu'à compter de la décision qui les prononce. (cass.23 mars 2022, pourvoi n°21-21717).

Il s'ensuit que les intérêts sur les condamnations porteront intérêt au taux légal pour celles fixées par les premiers juges et confirmées par le présent arrêt à compter du jugement entrepris et que les autres condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

Par ailleurs, au visa de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de dire que les intérêts au taux légal se capitaliseront, dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter du 15 mars 2021, date de la première demande de ce chef.

Sur les demandes accessoires :

L'équité commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à M. [L] une indemnité de procédure de 1 200 euros et de lui accorder une indemnité complémentaire de procédure de 1 500 euros.

Le surplus des prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la SASP FC GRENOBLE RUGBY, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que c'est du fait de la SASP FC GRENOBLE RUGBY que la condition suspensive du pré-contrat relative à l'aptitude médicale à la pratique du rugby professionnel de M.[I] [X] [L] n'a pas pu être réalisée,

- dit que les conditions suspensives sont par conséquent réputées réalisées,

- dit que le contrat de travail devait recevoir application et que la SASP FC GRENOBLE RUGBY ne pouvait le rompre unilatéralement,

- condamné la SASP FC GRENOBLE RUGBY à régler à payer à M.[I] [X] [L] les sommes suivantes :

' 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

' 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SASP FC GRENOBLE RUGBY de sa demande reconventionnelle,

- condamné la SASP FC GRENOBLE RUGBY aux dépens

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la SASP FC GRENOBLE RUGBY à payer M. [I] [X] [L] les sommes suivantes:

-100 000 € (cent mille euros) nets en application de la clause pénale prévue à l'article 7 du pré-contrat signé entre les parties le 28 mai 2018 ;

- 122 724 € (cent vingt-deux-mille sept cent vingt-quatre euros) nets à titre d'indemnité de résiliation anticipée injustifiée

DIT que les intérêts sur les condamnations porteront intérêt au taux légal pour celles fixées par les premiers juges et confirmées par le présent arrêt à compter du jugement entrepris et que les autres condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt

ORDONNE la capitalisation des intérêts, dès lors qu'ils sont dus pour une année entière à compter du 15 mars 2021

DÉBOUTE M. [I] [X] [L] du surplus de ses prétentions au principal

CONDAMNE la SASP FC GRENOBLE RUGBY à payer M. [I] [X] [L] une indemnité complémentaire de procédure de 1 500 euros en cause d'appel

REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la SASP FC GRENOBLE RUGBY aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Blandine FRESSARD, Présidente et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 20/02866
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;20.02866 ?
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