N° RG 20/00637 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KLAK
N° Minute :
C2
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL BSV
la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 13 SEPTEMBRE 2022
Appel d'un Jugement (N° R.G. 16/01888) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 19 décembre 2019, suivant déclaration d'appel du 05 Février 2020
APPELANT :
M. [V] [H]
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 11] (MAROC)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Laure BELLIN de la SELARL BSV, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et la SCP LE RAY BELLINA DOYEN
INTIMÉES :
L'UNION MUTUALISTE POUR LA GESTION DU GROUPE HOSPITALIER MUTUALISTE DE [Localité 10] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, intervenant en qualité de gestionnaire de la Clinique [9] située [Adresse 3]), prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 8]
[Localité 10]
Représentée par Me Delphine DUMOULIN de la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me MASSAL
S.A. MATMUT, venant aux droits de MATMUT ENTREPRISES, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée par Me Delphine DUMOULIN de la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me MASSAL
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'ISERE (CP AM) La CPAM, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
Service Contentieux Général
[Adresse 2]
[Localité 10]
Défaillante
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Emmanuèle Cardona, présidente
Frédéric Dumas, vice-président placé, en vertu d'une ordonnance en date du 9 mars 2022 rendue par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble
Anne-Laure Pliskine, conseillère
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 juin 2022, Emmanuèle Cardona, Présidente chargée du rapport, assistée de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 24 novembre 2011, M.[V] [H] a subi au sein de la clinique [9], dépendant de l'Union mutualiste pour la gestion du groupe hospitalier mutualiste de [Localité 10] (ci-après UMGHM) une méniscectomie totale interne du genou gauche sous arthroscopie, pratiquée par le docteur [C].
Suite à l'apparition d'un syndrome septique, une nouvelle intervention a été réalisée le 12 décembre 2011. La bactériologie a révélé une surinfection à streptocoque du groupe B sans résistance antibiotique.
M.[H] ayant conservé des douleurs importantes, une ponction de l'hydarthrose a été réalisée en juin 2012.
Par ordonnance du 19 juin 2013, le juge des référés de [Localité 10] a ordonné une mesure d'expertise.
L'expert a déposé son rapport le 30 octobre 2014.
Par actes d'huissier en date des 22 et 29 mars 2016, M.[H] a fait assigner l'UMGHM ainsi que son assureur la Matmut et la CPAM de l'Isère devant le tribunal de grande instance de Grenoble.
Par jugement du 19 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Grenoble a:
-débouté M.[H] de toutes ses demandes
-débouté la CPAM de l'Isère de toutes ses demandes
-dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-condamné M.[H] aux dépens, dont distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande.
Par déclaration du 5 février 2020, M.[H] a interjeté appel du jugement en ce qu'il a:
-débouté M.[H] de toutes ses demandes
-débouté la CPAM de l'Isère de toutes ses demandes
-dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-condamné M.[H] aux dépens, dont distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande.
Dans ses conclusions notifiées le 19 janvier 2021, M.[H] demande à la cour de:
Vu l'article L 1142-1 du code de la santé publique,
Vu le rapport d'expertise du Docteur [F].
-infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
-dire et juger que Monsieur [H] a été victime une infection nosocomiale contractée au sein de la clinique [9].
-dire et juger que l'UMGGHM a manqué à son obligation de résultat.
-dire et juger que l'UMGGHM est entièrement responsable des préjudices subis par Monsieur [H].
En conséquence,
-condamner in solidum l'UMGGHM et la société MATMUT à indemniser Monsieur [H] de l'intégralité des préjudices qu'il a subis.
-indemniser Monsieur [H] selon le décompte suivant :
I. Sur les préjudices patrimoniaux
A. Sur les préjudices patrimoniaux temporaires :
- Sur les frais divers : 372,38 euros
- Sur l'assistance par tierce personne temporaire :480 euros
B. Sur les préjudices patrimoniaux permanents : néant
II. Sur les préjudices extrapatrimoniaux
A. Sur les préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
- Sur le déficit fonctionnel temporaire : 380,00 euros
- Sur les souffrances endurées : 6 000 euros
- Sur le préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros
B. Sur les préjudices extrapatrimoniaux permanents
- Sur le préjudice d'agrément : 3 000 euros
En toute hypothèse,
-condamner in solidum l'UMGGHM et la société MATMUT à payer à Monsieur [H] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
-condamner in solidum l'UMGGHM et la société MATMUT aux entiers dépens en ce compris les dépens de référé et les frais d'expertise conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, M.[H] se fonde sur l'article L.1142-1 du code de la santé publique et rappelle qu'une infection est dite nosocomiale si elle apparait au cours ou à la suite d'une hospitalisation et si elle était absente à l'admission de l'hôpital, que tel est le cas en l'espèce, qu'il ne s'agit donc pas d'un aléa thérapeutique, qu'au demeurant, le premier juge a reconnu le caractère nosocomial de l'infection.
En revanche, il conteste l'existence d'une cause étrangère et souligne que si l'infection nosocomiale est consécutive aux soins dispensés au sein de la clinique, et n'est pas liée à une circonstance extérieure à l'activité de l'établissement, cette infection ne peut pas être considérée comme une cause étrangère exonératoire de responsabilité.
Il fait valoir que la seule constatation d'un terrain favorisant la survenue d'infection ne saurait être retenue pour écarter ou même limiter l'étendue de la réparation, dès lors que l'infection n'a été provoquée ou révélée que par les soins.
Il fait pour le surplus état de ses différents préjudices.
Dans leurs conclusions notifiées le 13 mai 2020, l'UMGHM et la MATMUT demandent à la cour de:
-dire et juger recevable mais mal fondée l'appel de Monsieur [H] ;
-confirmer dans son intégralité le jugement de première instance, rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble en date du 19 décembre 2019 ;
En conséquence,
-rejeter la demande de reconnaissance de la responsabilité de l'UMGHM pour une infection nosocomiale ;
-rejeter toutes les demandes indemnitaires présentées par Monsieur [H] à l'encontre de l'UMGHM et de la MATMUT ;
A titre subsidiaire, si par impossible la cour d'appel réformait le jugement de première instance et reconnaissait la responsabilité de l'UMGHM :
-constater que l'état antérieur du patient a contribué à la survenue de l'infection nosocomiale à hauteur de 50 %,
En conséquence, limiter le droit à indemnisation de Monsieur [H] à hauteur de 50 % des sommes demandées ;
-rejeter la demande présentée au titre des frais divers, du préjudice d'agrément,
-déclarer satisfactoire la somme de 195 euros au titre de l'assistance tierce personne
-déclarer satisfactoire la somme de 174.95 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire personne,
-réduire le montant de la demande présentée au titre des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire.
En tout état de cause,
-condamner Monsieur [H] à payer à l'UMGHM et à la MATMUT, la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens (dont les frais d'expertise) de la procédure de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SELARL Gallizia Dumoulin Alvinerie, avocats.
Les intimés énoncent qu'il ne s'agit pas d'une infection nosocomiale mais d'une complication infectieuse possible mais non prévisible favorisée par le terrain diabétique.
Ils allèguent que l'infection a pour seule cause l'état de santé initial de Monsieur [H], lequel était en outre porteur du germe cause de la surinfection, conduisant au caractère inévitable de l'infection.
Subsidiairement, ils estiment que l'état antérieur du patient a contribué à la survenue de l'infection nosocomiale à hauteur de 50 %.
La CPAM, citée à personne habilitée, n'a pas constitué avocat. L'arrêt sera réputé contradictoire.
En cours de délibéré, il a été demandé au Conseil de M.[H] de communiquer différentes pièces figurant sur le bordereau mais non dans le dossier, mais ce dernier a précisé ne pas être en mesure de communiquer lesdites pièces.
La clôture a été prononcée le 17 novembre 2021.
MOTIFS
Sur la responsabilité de l'UMGHM
Selon l'article L 1142-1 du code de la santé publique, « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ».
Selon l'article R.611-6 du code de la santé publique, « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales »
La preuve du caractère nosocomial de l'infection est à la charge de celui qui l'invoque. La victime doit établir la réalité de l'infection et son caractère nosocomial.
La seule constatation d'un terrain favorisant la survenue d'infection ne saurait être retenue pour écarter ou même limiter l'étendue de la réparation, dès lors que l'infection n'a été provoquée ou révélée que par les soins.
Les conclusions de l'expertise étaient les suivantes :
Pathologie mixte du genou gauche avec :
- Lésion méniscale ouverte de la cave postérieure du ménisque interne.
- Arthropathie dégénérative chronique fémoro-tibiale interne peu évoluée.
- Facteurs aggravants : morphotype 1 genu varum, excès pondéral.
Facteurs favorisant la survenue d'une infection postopératoire : diabète instable.
Intervention de ménisque interne le 24 novembre 2011.
Arthrite septique secondaire précoce (J+15) à germe fécal (streptocoque B) guérie par lavage articulaire et antibiothérapie adaptée.
L'expert énonce que les soins prodigués par le docteur [C] ont été consciencieux, attentifs et conformes aux règles de l'art et données acquises de la science médicale. Aucun manquement ni défaut d'information dans la prise en charge n'est retenu.
L'expert fait état d'un aléa thérapeutique au motif que la complication infectieuse n'était pas prévisible, avec un risque accidentel inhérent à l'acte médical, chez un sujet diabétique instable et qui ne pouvait être maîtrisé.
Toutefois, et en application de l'article L.1142-1 du code de la santé publique précité, les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
Or en l'espèce, à supposer l'existence d'un aléa thérapeutique, étant observé que l'expert ne précise pas en quoi la complication n'était pas prévisible, cet aléa thérapeutique ne répond pas à la définition d'une cause étrangère, puisqu'il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une infection postopératoire, ainsi définie par l'expert.
En conséquence, l'UMGHM est responsable du dommage, le jugement sera infirmé.
Les intimés font état d'une faute de l'appelant, mas ne rapportent pas la preuve que le comportement du patient présente un caractère fautif. Il est de jurisprudence constante que l'indemnisation d'une victime ne saurait être limitée en raison de ses seules prédispositions, dès lors que l'infection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. Un risque connu de complication qualifié d'aléa thérapeutique ne constitue pas une cause étrangère exonératoire de responsabilité (Cass 1ère civ, 14 avril 2016, 14-23.909 ).
Il n'y a donc pas lieu de dire que l'état antérieur du patient a contribué à la survenue de l'infection nosocomiale à hauteur de 50 %.
Sur les préjudices
A titre liminaire, il sera relevé que les débours n'ont pas été communiqués en cause d'appel, la CPAM n'ayant pas constitué avocat, toutefois, ils ont été communiqués en première instance ainsi qu'en atteste le jugement, qui indiquait qu'elle sollicitait la somme de 3 365, 95 euros au titre des dépenses engagées.
I. Sur les préjudices patrimoniaux
A. Sur les préjudices patrimoniaux temporaires :
Sur les frais divers : 372,38 euros
M.[H] fait état de frais de transport pour se rendre à deux reprises à l'expertise ainsi que chez son conseil.
Les frais de péage ne sont pas avérés faute de pièce justificative, la demande est rejetée.
Sur l'assistance par tierce personne temporaire
L'expert a conclu à la nécessité d'avoir recours à une tierce personne à raison d'une heure par jour pendant un mois.
La somme sollicitée par M. [H], correspondant à un taux horaire de 16 euros, apparaît adaptée et il sera fait droit à cette demande.
II. Sur les préjudices extra-patrimoniaux
A. Sur les préjudices extra-patrimoniaux temporaires
Sur le déficit fonctionnel temporaire
L'expert a retenu un déficit fonctionnel total du 13 décembre au 15 décembre 2011 un déficit fonctionnel partiel à hauteur de 25 % pendant un mois, puis de 10 % pendant deux mois et demi.
La somme sollicitée de 380 euros est adaptée au vu des circonstances de l'espèce, il sera fait droit à cette demande.
Sur les souffrances endurées
L'expert a retenu un taux de 3/7, une somme de 4 000 euros sera allouée à M.[H].
- Sur le préjudice esthétique temporaire :
L'expert l'a évalué à 2/7 pendant un mois, du fait de l'utilisation de deux cannes pendant un mois. Une somme de 400 euros sera octroyée à M.[H].
B. Sur les préjudices extra-patrimoniaux permanents
Sur le préjudice d'agrément
Il ne saurait être reproché à M.[H] de verser aux débats des photographies et attestations de membres de sa famille, alors que l'indemnisation d'un préjudice d'agrément ne suppose nullement de rapporter la preuve de l'inscription à des clubs de loisirs, et qu'il est classique que les activités sportives soient pratiquées en famille, que par conséquent, seul l'entourage proche de M.[H] est en capacité de témoigner des activités précédemment exercées.
En conséquence, il lui sera alloué la somme de 1 500 euros.
L'UMGHM et la Matmut qui succombent à l'instance seront condamnées in solidum aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement déféré et statuant de nouveau ;
Dit que l'UMGGHM est entièrement responsable des préjudices subis par M. [H] ;
Condamne in solidum l'UMGHM et la Matmut à verser à M.[H] les sommes de
- 372,38 euros au titre des frais divers
-480 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire
-380 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
-4 000 euros au titre des souffrances endurées
-400 euros u titre du préjudice esthétique temporaire
-1 500 euros au titre du préjudice d'agrément
-2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la l'UMGHM et la Mamut aux entiers dépens qui incluront les frais d'expertise.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE