N° RG 20/01400 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KNCQ
C6
N° Minute :
Copie Exécutoire délivrée
le :
à
la SCP ALPAZUR AVOCATS
Me Guillaume PIALOUX
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES
ARRET DU MARDI 27 SEPTEMBRE 2022
APPEL
Jugement au fond, origine tribunal de grande instance de Gap, décision attaquée en date du 26 novembre 2019, enregistrée sous le n° 13/01446 suivant déclaration d'appel du 24 mars 2020
APPELANTS :
M. [X] [A]
né le 24 Novembre 1946 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
Mme [B], [H], [R] [A]
née le 13 Janvier 1950 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 8]
[Localité 5]
tous deux représentés par Me Jean-pierre AOUDIANI de la SCP ALPAZUR AVOCATS, avocat au barreau des HAUTES-ALPES substituée et plaidant par Me Anne VALLEE, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
INTIMEES :
Mme [T] [A] épouse [V]
née le 2 Septembre 1941 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 1]
Mme [L] [V]
née le 01 Juillet 1972 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 2] -
[Localité 1]
toutes deux représentées par Me Guillaume PIALOUX, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
Mme [K] [V]
née le 02 Octobre 1974 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Christophe GUY de la SELARL BGLM, avocat au barreau des HAUTES-ALPES
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DELIBERE :
Mme Anne BARRUOL, Présidente,
Mme Martine RIVIERE, Conseillère,
M. Philippe GREINER, Conseiller honoraire,
DEBATS :
A l'audience publique du 24 mai 2022, M. Philippe Greiner, conseiller, chargé du rapport, assisté de Mme Abla Amari greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions et Me Vallée en sa plaidoirie, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour, après prorogation du délibéré.
De l'union entre [U] [A] et [P] [I] sont nés quatre enfants, [T] [A] épouse [V], [B], [Y] et [X] [A].
[U] [A] est décédé le 23/11/1983 et son épouse le 17/05/2002, cette dernière ayant légué à [T] [V] et [Y] [A] la quotité disponible, par moitié chacun.
[Y] [A] est décédé sans postérité le 06/01/2009, instituant légataires universelles les filles de [T] [V], [K] et [L] [V].
Entre temps, une procédure de partage avait été engagée les 1er et 08/02/2000 devant le tribunal de grande instance de Gap concernant la succession de [U] [A], une expertise étant ordonnée par jugement du 11/04/2001 tandis que par jugement du 25/07/2007, les opérations de partage ont été étendues à la succession de [P] [I], les appartements de Gap occupés par [B] et [Y] [A] leur étant attribués préférentiellement, avec mise à leur charge d'une indemnité d'occupation.
Sous l'égide de Maîtres [J] et [N], notaires, les parties se sont rapprochées et ont conclu par acte sous seings privé un accord les 31/07 et 07/08/2009, aux termes duquel il est stipulé notamment que :
- l'accord a trait à la liquidation et au partage des successions confondues de [U] [A] et [P] [I] ;
- les parties abandonnent les voies judiciaires et renoncent aux dispositions ordonnées par le jugement du 25/07/2007 ;
- il est procédé amiablement au partage de la succession, l'actif étant de 1.033.400 euros les droits de [B] et [X] [A] étant fixés à 226.056 euros chacun, ceux de [Y] [A] et [T] [V] à 290.643 euros chacun ;
- l'immeuble sis à [Adresse 10], doit être vendu au prix de 500.000 euros et au minimum, de 450.000 euros ;
- l'imeuble sis à [Adresse 6], est attribué en indivision à [B] [A] pour 391/1000èmes et à [X] [A] pour les 609/1000èmes restants ;
- le local de [Adresse 7], revient à [T] [V], mais grevé d'un usufruit temporaire jusqu'au 01/02/2015 au bénéfice de [B] [A], le surplus des droits des parties étant réglé par le produit de la vente du bien de la rue Notre-Dame ;
- l'accord doit être réitéré par acte authentique dans le mois de la vente de cet immeuble ;
- si l'un des indivisaires venait à refuser de signer l'acte de partage, il pourra y être contraint par voie de justice.
Cet accord a été réitéré par acte authentique les 28/01 et 25/02/2010.
Par acte du 24/02/2012, M.[X] et Mme [B] [A] ont assigné [T] [V] et ses deux filles [K] et [L] [V] devant le tribunal de grande instance de Gap, en complément de part pour cause de lésion de plus du quart de la succession sur le fondement de l'article 889 du code civil.
Une expertise a été ordonnée par le juge de la mise en état le 19/03/2014, qui se concluera par un rapport de carence du 16/10/2017.
Par jugement du 26/11/2019, le tribunal a déclaré irrecevable l'action en complément de part, rejeté l'action en nullité du partage et condamné in solidum [X] et [B] [A] à payer à Mme [K] [V] 2.000 euros à titre de dommages-intérêts et à chacune des trois parties défenderesses 2.500 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 24/03/2020, [X] et [B] [A] ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs conclusions n° 2 du 04/06/2021, ils concluent à la réformation du jugement déféré et demandent à la cour de :
- dire l'action en complément de parts recevable et à titre principal, ordonner une expertise aux fins de quantification précise de la lésion subie par les appelants à l'occasion du partage des 28/01 et 25/02/2010 ;
- subsidiairement, constater la lésion subie par les appelants au titre du partage notarié signé le 28/01 et 25/02/2010 et condamner en conséquence, solidairement et à tout le moins in solidum, les consorts [V] au titre de la réduction à intervenir, à concurrence de la somme de 489.315,43 euros ;
- encore plus subsidiairement, dire que le consentement à l'accord transactionnel de [X] et [B] [A] a été vicié en raison des manoeuvres des consorts [V] ;
- prononcer la nullité de l'acte de partage du 25/02/2010 compte tenu du dol inhérent à celui-ci et son inopposabilité à [X] et [B] [A] et ordonner l'ouverture des opérations de partage en y incluant les 489.315,43 euros non révélés à l'occasion du partage ;
- en tout état de cause, dire que le comportement fautif des consorts [V] leur a causé un préjudice qu'il convient de réparer ;
- condamner les consorts [V] à payer chacun 10.000 euros de dommages-intérêts à [X] et [B] [A] ainsi que 2.000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- débouter les consorts [V] de leurs demandes et déclarer irrecevables comme tardives les conclusions de [T] [A].
Ils font valoir en substance que :
- le point de départ de la prescription de deux ans doit être fixé au 25/02/2010, leur action n'étant pas prescrite comme ayant été engagée le 24/02/2012 ;
- une transaction est nulle en l'absence de contreparties ;
- l'accord intervenu n'a pas mis fin à l'ensemble des contestations nées ou à naître, n'ayant pas visé l'ensemble des biens objets de l'indivision ;
- une expertise doit être ordonnée ;
- des loyers ont été encaissés sans qu'il en soit rendu compte et des sommes perçues pour plus de 50.000 euros, d'autres règlements n'ayant pu être identifiés, un récapitulatif aboutissant à une somme de 489.315,43 euros ;
- quelques jours seulement avant le décès de [P] [A], il a été procédé à un changement de noms de bénéficiaires des contrats d'assurance-vie au profit de [T] [V] et de [Y] [A], à la rédaction d'un testament à leur profit alors que la testatrice ne savait pas rédiger en français, et un bail commercial a été signé ;
- ces éléments leur étaient inconnus au moment du partage, ce qui vicie l'accord transactionnel;
- ils n'ont jamais reçu le détail du passif de la succession.
Par ordonnance du 07/10/2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables comme tardives les conclusions de Mme [K] [V].
Mmes [T] et [L] [V], dans leurs conclusions du 07/06/2021, concluent à la confirmation du jugement entrepris, au débouté des demandes des appelants et réclament reconventionnellement 5.000 euros chacune de dommages-intérêts pour procédure abusive et 7.000 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la prescription de l'action en complément de part
Selon l'article 889 du code civil, ' lorsque l'un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature. Pour apprécier s'il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l'époque du partage. L'action en complément de part se prescrit par deux ans à compter du partage'.
Contrairement aux affirmations des appelants, l'acte à prendre en considération n'est pas l'acte authentique du 25/02/2010, mais celui signé les 31/07/2009 et 07/08/2009. En effet, dans cet acte sous seings privés, les parties ont déclaré procéder amiablement au partage des deux successions des parents. Si un second acte, authentique cette fois, a été signé en 2010, c'est parce que l'accord initial prévoyait la vente d'un bien immobilier, sis [Adresse 10], les parties s'étant engagées à 'réitérer leur consentement pour le partage ainsi convenu par acte authentique'. Dès lors qu'il ne s'est agi que d'une simple réitération du consentement des parties, le second acte n'a fait que conforter le premier et n'y a pas ajouté.
Le point de départ de la prescription doit ainsi être fixé qu 07/08/2009, soit plus de deux ans avant l'engagement de l'action en complément du 24/02/2012.
C'est donc exactement que le premier juge a considéré l'action prescrite, en relevant que le second acte n'avait que pour objet d'assurer l'effectivité de la publicité foncière à l'égard des tiers, et ne constituait pas une condition de validité du partage.
Sur l'autorité de la chose jugée du partage
L'acte des 28 janvier et 25 février 2010 stipule dans son paragraphe VIII intitulé 'abandon des voies judiciaires - protocole d'accord du 7 août 2009 ' : 'depuis lors, les parties ont convenu d'abandonner les procédures judiciaires en cours et de mettre fin entre elles à tous les litiges ci-dessus évoqués relatifs au partage des successions de M. et Mme [U] [A]', en précisant que 'chacune des parties s'interdit dans l'avenir tout recours ou action contre les autres à ce sujet puisque les comparants ont convenu d'appliquer purement et simplement la transaction intervenue entre eux, sous la médiation des notaires soussignés, aux termes du protocole d'accord sous seing privé réalisé entre elles suivant acte en date à [Localité 5] du 7 août 2009 dont l'original demeurera annexé aux présentes' .
C'est ainsi que l'acte indique qu'il a été procédé à un 'partarge forfaitaire et transactionnel - article 2044 du code civil', et que dans la troisième partie de l'acte 'droits des parties', il est mentionné dans un paragraphe 'Transaction' que 'sous la médiation de Mes [J] et [N], notaires, un accord est intervenu entre les héritiers de M. et Mme [U] [A], (..) pour mettre fin à tous litiges entre eux sur les modalités de la cessation de l'indivision existant entre eux ; le présent partage ayant lieu en exécution d'un protocole d'accord signé par les parties (..) le 31 juillet 2009 et 7 août 2009, également sous la médiation des deux notaires susnommés, qui ont accordé les parties :
- sur l'évaluation des immeubles de la succession,
- sur une application distributive du jugement précité,
- et sur la mise en vente de l'immeuble [Adresse 10]'.
C'est donc bien l'ensemble des opérations de comptes, liquidation et partage des deux successions qui est visé dans ce partage transactionnel, d'autant que les dispositions de l'article 2044 ancien du code civil sont rappelées, qui précisent que 'la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître'.
Dès lors, conformément à l'article 2052 ancien, la transaction intervenue a, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et ne peut être attaquée pour cause d'erreur de droit ni pour cause de lésion.
Sur la nullité du partage pour cause de dol
C'est vainement que les appelants invoquent la nullité de l'acte, puisque :
- les parties se sont faites des concessions réciproques, les consorts [V] ayant renoncé aux attributions préférentielles dont ils bénéficiaient suite au jugement, les parties s'étant accordées sur la vente de l'immeuble de la [Adresse 10] ainsi que sur les évaluations des immeubles ;
- les appelants avaient à cette époque tous les renseignements utiles quant à la composition de l'actif des successions, et les éléments dont ils font état aujourd'hui (pièce n° 48) étaient déjà connus d'eux au moment de la signature des actes (avantages en nature de 1983 à 1992, évaluation de l'immeuble de la [Adresse 11], contestation du montant de loyers) ;
- les discussions se sont déroulées sur de nombreux mois et ont été menées sous l'égide de deux notaires, après que deux rapports d'expertise aient été déposés par M. [C] [G] le 04/03/2002 et 27/07/2004, ce qui ôte tout vice du consentement pouvant affecter le partage transactionnel ;
- l'existence de manoeuvres dolosives n'est pas démontrée, d'autant que celles invoquées n'ont pas de lien avec la transaction (écriture en français d'un testament par la défunte, changement des bénéficiaires d'un contrat d'assurance vie).
Dans ces conditions, c'est exactement que le premier juge a considéré qu'aucune réticence dolosive n'était imputable aux consorts [V], la preuve de détournements de fonds ou de dissimulation d'actifs n'étant pas apportée.
Le jugement déféré sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions, y compris celles relatives aux demandes accessoires.
Sur les autres demandes
* les dommages-intérêts pour procédure abusive
S'il est de principe que toute faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité des plaideurs, encore faut-il que soit caractérisée l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice, la défense à une action en justice constituant un droit et ne dégénérant en faute qu'en cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, il a déjà été répondu point par point par le premier juge aux objections des appelants, qui en cause d'appel, n'ont pas produit de nouveaux éléments, susceptibles de démontrer la véracité de leurs allégations. Les appelants ont ainsi relevé appel avec légèreté, et cette faute sera sanctionnée par l'octroi à Mmes [T] et [L] [V] de la somme de 1.000 euros pour chacune à titre de dommages-intérêts.
* sur les frais irrépétibles
De même, l'équité commande une application modérée des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles exposés en cause d'appel par Mmes [T] et [L] [V], à qui il sera alloué une somme globale de 1.500 euros.
* les dépens
La décision de première instance étant confirmée, les appelants seront condamnés aux dépens.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne M. [X] [A] et Mme [B] [A] à payer à Mmes [T] et [L] [V] les sommes suivantes :
- 1.000 euros chacune à titre de dommages-intérêts ;
- 1.500 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile ;
Les condamne aux dépens ;
Autorise Maître Pialloux, avocat au barreau des Hautes Alpes, à recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;
PRONONÇÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
SIGNÉ par la présidente Anne Barruol et par la greffière Abla Amari, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La greffière La Présidente
A. AMARI A. BARRUOL