N° RG 20/00085 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KJLI
N° Minute :
C4
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la S.E.L.A.R.L. LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY
Me Hassan KAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Appel d'un Jugement (N° R.G. 18/00492) rendu par le Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE en date du 16 septembre 2019, suivant déclaration d'appel du 27 Décembre 2019
APPELANTE :
S.A.R.L. SOCIETE HOTELIERE DE [Localité 7] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Alexis GRIMAUD de la S.E.L.A.R.L. LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, et plaidant par Me TEISSEDRE, avocat au barreau de la SEINE ST DENIS
INTIMÉE :
S.A.R.L. LA CROIX DU SUD prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et plaidant par Me Hassan KAIS, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Emmanuèle Cardona, présidente
Anne-Laure Pliskine, conseillère,
Frédéric Dumas, vice-président placé, en vertu d'une ordonnance en date du 9 mars 2022 rendue par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 mai 2022, Frédéric Dumas, vice-président placé, qui a fait son rapport, assisté de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seul les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par acte sous seing privé du 20 novembre 2012 la société à responsabilité limitée Société Hôtelière de [Localité 7] a consenti un bail commercial à la S.A.R.L. La Croix du Sud sur des locaux sis [Adresse 2] (38) pour une durée de neuf années moyennant un loyer mensuel de 5 000 euros.
L'article IV du contrat de location prévoit que le preneur devra rembourser au bailleur tous les impôts, taxes et contributions dont le bailleur est redevable à un titre quelconque.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 septembre 2017 le conseil de la Société Hôtelière de [Localité 7] a vainement mis en demeure la société La Croix du Sud de lui payer la somme de 49 716, 83 euros T.T.C. au titre de la taxe foncière et de la taxe AS Pique Pierre des années 2012 à 2016.
Selon exploit du 11 janvier 2018 la Société Hôtelière de [Localité 7] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Grenoble la société La Croix du Sud aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 49 716, 83 euros au titre de la taxe foncière et de la taxe AS Pique Pierre pour les années 2012 à 2016 outre l'expulsion de la défenderesse.
Suivant jugement du 16 septembre 2019 le tribunal a :
- débouté la Société Hôtelière de [Localité 7] de ses demandes,
- condamné la Société Hôtelière de [Localité 7] à payer à la société La Croix du Sud une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Le 27 décembre 2019 la Société Hôtelière de [Localité 7] a interjeté appel du jugement.
Saisi de conclusions d'incident par la société La Croix du Sud, qui a soulevé la nullité de la déclaration d'appel pour vice de fond aux motifs que le gérant de la société Hôtelière de [Localité 7] était décédé le 7 septembre 2019 et n'avait pu valablement représenter la personne morale lors de son appel, le conseiller de la mise en état, soulignant que par délibération du 16 décembre 2019 MM. [F] et [M] [R] avaient été désignés par la société CEGHR en tant que co-gérants de la société Hôtelière de [Localité 7] en remplacement de leur père décédé, a par ordonnance juridictionnelle du 15 décembre 2020 débouté la société La Croix du Sud de ses demandes et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions l'appelante demande à la cour de réformer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :
- condamner la société La Croix du Sud à lui payer la somme de 49 716,83 euros, dues au titre du contrat de bail commercial en date du 20 décembre 2012, correspondant au remboursement de la taxe foncière et de la taxe AS Pique Pierre pour les années 2012 à 2019 ainsi qu'aux intérêts légaux dus sur cette somme à compter de la mise en demeure du 21 septembre 2017,
- condamner la société La Croix du Sud à lui payer le montant des intérêts de retard capitalisés dus en application de l'article 1153 du code civil,
- condamner en tout état de cause la société La Croix du Sud à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions la Société Hôtelière de [Localité 7] expose que :
- la nullité soulevée par l'intimée, fondée sur le décès du gérant à la date de la déclaration d'appel, a déjà été rejetée par l'ordonnance juridictionnelle du conseiller de la mise en état dont il convient de reprendre les motifs,
- la créance issue du non-paiement de la taxe foncière et de la cotisation AS Pique et Pierre pour l'année 2012 est née avec la signature du contrat de bail en date du 1er novembre 2012, soit postérieurement au 21 septembre 2012, de sorte que sa créance au titre de l'année 2012 trouve sa source dans un fait juridique postérieur au 21 septembre 2012 et ne saurait donc être prescrite,
- la taxe foncière peut être mise à la charge du preneur dès lors que le bail lui impute le remboursement de toutes les taxes sauf à dénaturer le sens d'une telle clause ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation,
- la société La Croix du Sud ne s'est pas acquittée de la taxe foncière et de la taxe AS Pique Pierre pour les années 2012 à 2016, qu'elle devait lui rembourser, outre le montant dû au titre de la taxe foncière et de la taxe AS Pique Pierre pour les années 2017, 2018 et 2019.
En réplique l'intimée conclut à ce que la cour :
- à titre principal déclare nulle la déclaration d'appel formée le 27 décembre 2019 au nom de la Société Hôtelière de [Localité 7],
- à titre subsidiaire déclare prescrite la demande de la Société Hôtelière de [Localité 7] au titre de la taxe foncière et de la cotisation syndicale pour l'année 2012,
- rejette les demandes formulées au titre des cotisations syndicales de 2012 et 2013, ainsi que les taxes foncières de 2014 et 2015 en raison de l'absence de toute preuve quant au montant dont le paiement est sollicité,
- juge que la taxe foncière et la cotisation syndicale ne sont pas à charge du preneur,
- déboute en conséquence la Société Hôtelière de [Localité 7] de toutes ses demandes,
- la condamne en tout état de cause à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
La société La Croix du Sud fait valoir que :
- la déclaration d'appel du 27 décembre 2019 est entachée d'une nullité de fond dans la mesure où son gérant, M. [H] [R], était décédé depuis le 7 septembre 2019 et qu'aucun acte de régularisation n'est intervenu,
- la mise en demeure lui ayant été notifiée le 21 septembre 2017 les demandes adverses sont irrecevables pour les obligations antérieures au 21 septembre 2012, soit la taxe foncière 2012 due au 1er janvier 2012 et la taxe AS Pique Pierre 2012 représentant un total de 1 920,83 euros,
- une interprétation stricte du contrat en faveur du locataire doit être opérée en application de l'ancien article 1162 du code civil,
- contrairement aux affirmations adverses la loi 'Pinel' de 2014 n'est pas applicable car le bail litigieux a été conclu avant le 3 novembre 2014 et les dispositions légales alors en vigueur ne prévoyaient pas que la taxe foncière pouvait être imputée au locataire,
- en tout état de cause le contrat de location ne stipule aucune clause claire et précise concernant les impositions, et encore moins la taxe foncière liée à la propriété et non à la jouissance d'un bien et qui ne fait habituellement pas partie des taxes récupérables sur les locataires,
- il en est de même de la cotisation due à l'association syndicale dont elle ne fait pas partie.
L'instruction a été clôturée suivant ordonnance du 15 septembre 2021.
MOTIFS
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
Sur la nullité de la déclaration d'appel
L'article 118 du code de procédure civile dispose que les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
Selon l'article 117 du même code constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte notamment le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale.
Ainsi que rappelé précédemment, le conseiller de la mise en état a relevé que, par délibération du 16 décembre 2019, MM. [F] et [M] [R] avaient été désignés par la société CEGHR en tant que co-gérants de la société Hôtelière de [Localité 7] en remplacement de leur père décédé et que le KBIS avait été mis à jour puisque les nouveaux gérants y figuraient.
A l'appui de sa demande de nullité la société La Croix du Sud ne soulève aucun nouveau moyen.
En conséquence la demande de l'intimée sera rejetée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes au titre de l'année 2012
En application de l'article L110-4 du code de commerce les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
En l'espèce le bail a été conclu entre les parties le 20 novembre 2012 avec effet rétroactif au 1er novembre 2012.
La Société Hôtelière de [Localité 7] ayant mis en demeure la société La Croix du Sud d'avoir à lui régler des sommes au titre de la taxe foncière et de la taxe AS Pique Pierre, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 septembre 2017, toutes celles dues antérieurement au 21 septembre 2012 sont par conséquent prescrites.
En revanche les créances dont l'appelante réclame le règlement sont nées à compter du 1er novembre 2012 et les taxes dont elle demande le paiement le sont, pour 2012, au prorata de l'occupation des lieux, soit pour les mois de novembre et décembre.
La demande de la Société Hôtelière de [Localité 7] n'étant pas prescrite il conviendra de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par l'intimée.
Sur les demandes principales
L'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Les anciens articles 1156, 1159 et 1162 du même code, en vigueur jusqu'au 30 septembre 2016, énoncent en outre que l'on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes, et que ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage dans le pays où le contrat est passé, étant précisé que dans le doute la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation.
Par ailleurs l'article 1400 - I du code général des impôts énonce notamment que toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire.
En ce qui concerne la taxe de l'association syndicale de Pique Pierre à [Localité 6] la trésorerie de [Localité 5] - [Localité 7] précise dans ses avis de paiements que 'tous les propriétaires se trouvant dans le périmètre de l'Association font obligatoirement partie de celle-ci et sont assujettis à une redevance annuelle qui est perçue comme un impôt direct, sous peine de poursuites et de frais de commandement...'
En l'espèce le paragraphe IV - 14° des conditions générales du bail consenti par la Société Hôtelière de [Localité 7], relatif aux impôts et taxes, stipule en particulier que :
'Le Preneur remboursera au Bailleur tous impôts, taxes et contributions dont le Bailleur est redevable à un titre quelconque...
Pour la première année civile, le Preneur s'acquittera des impôts dont il est redevable au prorata temporis à compter de la prise d'effet du présent bail...
De façon générale, le Preneur acquittera exactement toutes contributions, impôts ou taxes actuellement existants ou qui viendraient à être créés dans l'avenir.'
Force est ainsi de constater que la charge de remboursement qui pèse contractuellement sur le preneur résulte d'une formule générale quant aux impôts et taxes dus par le bailleur à un titre quelconque.
Or, pour engager le preneur, la stipulation litigieuse requérait nécessairement clarté et précision s'agissant du règlement de taxes auxquels sont assujettis les immeubles, ce que la clause ne mentionne pas, et dont sont redevables les propriétaires alors qu'il ne ressort nullement des pièces produites que le paiement de telles taxes soit usuellement mis à la charge des locataires.
Au regard de l'ambiguïté qui le caractérise le paragraphe IV - 14° des conditions générales doit par conséquent être interprété en faveur du locataire, la société La Croix du Sud, laquelle ne peut avoir contracté l'obligation de rembourser au bailleur le montant des taxes dont il est redevable en tant que propriétaire pour les motifs précédemment exposés.
Il conviendra dans ces conditions de débouter la Société Hôtelière de [Localité 7] de l'intégralité de ses demandes et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Sur les demandes annexes
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais exposés pour faire valoir ses droits devant la cour. La Société Hôtelière de [Localité 7] sera donc condamnée à lui verser une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante qui succombe sera en outre condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Rejette l'exception de nullité de la déclaration d'appel soulevée par la S.A.R.L. La Croix du Sud,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription partielle de la demande de la S.A.R.L. Société Hôtelière de [Localité 7],
Confirme le jugement du 16 septembre 2019 du tribunal de grande instance de Grenoble en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la S.A.R.L. Société Hôtelière de [Localité 7] à verser à la S.A.R.L. La Croix du Sud une indemnité de 2 500 euros (deux mille cinq consorts euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la S.A.R.L. Société Hôtelière de [Localité 7] aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière, Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE