N° RG 22/00003 -
N° Portalis DBVM-V-B7G-LILJ
C1
N° Minute : 16
Notifications faites le
22 NOVEMBRE 2022
copie exécutoire délivrée
le 22 NOVEMBRE 2022 à :
Me BRENGARTH
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
DÉCISION DU 22 NOVEMBRE 2022
ENTRE :
DEMANDEUR suivant requête du 07 Mars 2022
M. [L] [Z]
né le [Date naissance 2] 1994 à [Localité 7] (SUISSE)
[Adresse 3]
[Localité 1] (SUISSE)
comparant en personne, assisté de Me BRENGARTH de l'AARPI BOURDON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
ET :
DEFENDEUR
M. L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
représenté par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocats au barreau de GRENOBLE substituée par Me Floris RAHIN, avocat au barreau de GRENOBLE
EN PRÉSENCE DU MINISTÈRE PUBLIC
pris en la personne de M. MULLER, avocat général
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Octobre 2022,
Nous, Patrick BEGHIN, conseiller délégué par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble par ordonnance du 13 septembre 2021, assisté de Valérie RENOUF, greffier, les formalités prévues par l'article R 37 du code de procédure pénale ayant été respectées,
Avons mis l'affaire en délibéré et renvoyé le prononcé de la décision décision à la date du 22 novembre 2022, ce dont les parties présentes ou représentées ont été avisées.
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M. [Z], né le [Date naissance 2] 1994, poursuivi selon la procédure de comparution immédiate du chef d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger en France, a été placé en détention provisoire le 24 avril 2018 et écroué à la maison d'arrêt de [Localité 6] puis de [8] à compter du 26 avril 2018.
Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire le 3 mai 2018 par jugement du tribunal correctionnel de Gap du même jour.
Par arrêt du 9 septembre 2021, devenu définitif (certificat de non-pourvoi du 11 mars 2022), la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Grenoble, infirmant le jugement de condamnation du 13 décembre 2018, a relaxé M. [Z].
Par requête reçue au greffe de la cour d'appel le 7 mars 2022, M. [Z] a sollicité la réparation du préjudice que lui a causé sa détention et demandé :
- 2 500 euros au titre de son préjudice moral,
- 4 000 euros au titre du préjudice matériel,
- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
S'agissant de son préjudice moral, il souligne que sa détention a été ordonnée suite à une simple manifestation pacifique, et il fait valoir qu'il n'avait jamais été incarcéré auparavant, qu'il a subi des conditions de détention dégradées à la maison d'arrêt de [Localité 6] puis au centre pénitentiaire des [8] où, étant végétarien, il n'a pu manger à sa faim, que sa détention l'a éloigné de sa famille, laquelle a été très affectée, et que son éthique et ses relations avec ses proches ont été durablement perturbées, et son image et sa réputation atteintes.
S'agissant de son préjudice matériel, il fait valoir, d'une part, qu'il était maître-nageur et qu'il a subi du fait de la détention une perte de salaire de près de 3 300 euros, d'autre part, que sa famille a avancé des frais importants pour qu'il puisse subir le moins possible sa détention.
Par conclusions déposées le 17 mai 2022, l'agent judiciaire de l'Etat offre la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral de M. [Z], et il sollicite le rejet de la demande au titre du préjudice matériel et la réduction de la somme demandée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
S'agissant du préjudice moral, il observe que la détention de M. [Z], subie à l'âge de 23 ans, alors qu'il était célibataire et sans enfant et qu'il n'avait jamais été incarcéré, a duré neuf jours, et que le requérant ne justifie pas de conditions de détention anormales.
S'agissant du préjudice matériel, il fait valoir que M. [Z] ne justifie pas d'un contrat de travail au moment de son incarcération, ni d'un emploi qui aurait dû commencer durant sa détention, de sorte qu'il ne peut se prévaloir que d'une perte de chance d'obtenir un emploi, dont il ne démontre pas la réalité.
Par conclusions déposées le 2 juin 2022, le ministère public propose que le préjudice moral de M. [Z] soit réparé par une indemnité de 2 500 euros, et il conclut au rejet de la demande au titre du préjudice matériel et à l'allocation de la somme sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur le préjudice moral, il observe qu'il s'est agi pour M. [Z] d'une première incarcération à subie à un jeune âge et alors que sa famille vivait en Suisse.
Sur le préjudice matériel, il fait valoir que M. [Z] ne justifie pas qu'il travaillait au moment de son incarcération et qu'il ne démontre pas l'existence d'une perte de chance.
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SUR CE,
Il résulte des articles 149 à 150 du code de procédure pénale qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive. Cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté.
Par ces textes, le législateur a instauré le droit pour toute personne d'obtenir de l'État réparation du préjudice subi à raison d'une détention provisoire fondée sur des charges entièrement et définitivement écartées, étant précisé que cette réparation ne s'étend pas à l'indemnisation du préjudice éventuellement lié aux obligations auxquelles la personne a été soumise pendant le temps du contrôle judiciaire.
Sur la recevabilité de la requête
La requête en réparation a été formée dans les conditions de temps et de forme prescrites par les articles 149-2 et R. 26 du code de procédure pénale et est ainsi recevable.
Sur la liquidation des préjudices
Sur la durée de la détention indemnisable
M. [Z] a été détenu du 24 avril au 3 mai 2018, soit pendant une durée fixée par l'ensemble des parties à neuf jours.
Sur l'indemnisation du préjudice moral
Le sentiment d'incompréhension et d'injustice né, au regard de la personnalité et des engagements de M. [Z], des poursuites exercées contre lui, dans les circonstances de l'espèce, du chef d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger en France ne peut, en lui-même, constituer un préjudice réparable au titre de l'article 149 du code de procédure pénale.
En outre, seul le préjudice personnel de M. [Z] peut être réparé.
M. [Z], de nationalité suisse, a subi à l'âge de 23 ans une première détention en France alors qu'il était domicilié en Suisse où il avait toutes ses attaches. Il a été séparé de sa famille et de ses proches, éloignés de ses lieux de détention, et sans contacts avec eux.
Le choc carcéral qu'il a subi doit être apprécié au regard de la personnalité et de la situation qui était la sienne avant sa mise sous écrou et, à ce titre, le choc émotionnel que les membres de sa famille et ses amis ont décrit avoir eux-mêmes ressenti à l'annonce de son incarcération reflète la mesure de ce choc carcéral.
Par ailleurs, si M. [Z] ne justifie pas qu'il avait des habitudes alimentaires qui n'ont pu être respectées par l'administration pénitentiaire, il a néanmoins subi un transfert d'établissement, de la maison d'arrêt de [Localité 6] au centre pénitentiaire de [8], qui a nécessairement été source d'insécurité quant à sa détention, et il y a également lieu de tenir compte du rapport de la deuxième visite de la maison d'arrêt de [Localité 6] établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, selon lequel il n'existait pas dans cet établissement de cellule arrivant en 2016 et les cellules occupées par plus de deux personnes n'étaient pas équipées d'un mobilier adapté, les conditions de détention invoquées au centre pénitentiaire de [8] n'étant en revanche pas établies à la date de la détention considérée.
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En revanche, M. [Z] ne justifie pas par les pièces qu'il produit que sa détention a, spécialement après sa libération, eu des conséquences particulières dans ses rapports sociaux ou professionnels, et qu'elle a ainsi porté une atteinte spécifique à son honneur et à son image. Il ne justifie enfin pas qu'il a dû suivre une psychothérapie.
Ceci étant, et compte tenu de la durée de la détention, il convient de faire droit à la demande de M. [Z] et de lui allouer la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur l'indemnisation du préjudice matériel
M. [Z] ne produit pas de contrat de travail en tant que maître-nageur ni de promesse d'embauche. La date à laquelle il devait commencer l'emploi invoqué, ou celle à laquelle il a pu commencer à travailler après sa libération ne sont donc pas établies. Sur ce point, il y a lieu de relever que si ses grands-parents ont indiqué qu'il devait commencer son travail le 1er mai 2018, il a lui-même déclaré lors de l'enquête sociale rapide que son emploi devait débuter le 11 mai 2018.
Faute de contrat de travail ou de bulletin de paie, sa perte alléguée de revenus n'est ni certaine ni déterminable, non plus la perte de chance d'en percevoir.
De la même façon, à défaut de justificatif contraire, les frais engagés pour lui par sa famille du fait de sa détention, qui ne sont au demeurant justifiés par aucune pièce, ne constituent pas un préjudice personnel de M. [Z].
M. [Z] ne permet donc pas de vérifier le principe et l'évaluation du préjudice dont il demande réparation à hauteur de 4 000 euros. Il y a en conséquence lieu de rejeter sa demande au titre du préjudice matériel.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il apparaît conforme à l'équité d'allouer à M. [Z] une somme de 1 500 euros en remboursement des frais de procédure qu'il a dû exposer pour présenter sa demande en réparation.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
Rejetons la demande formée au titre du préjudice matériel,
Allouons à M. [L] [Z] la somme de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral ainsi que celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Laissons les dépens à la charge du Trésor public.
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Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Patrick BEGHIN, conseiller délégué par la première présidente de la cour d'appel de Grenoble et par Valérie RENOUF, greffier.
Le greffier Le conseiller délégué