C3
N° RG 20/03009
N° Portalis DBVM-V-B7E-KR6Z
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU MARDI 29 NOVEMBRE 2022
Appel d'une décision (N° RG 17/00867)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de GRENOBLE
en date du 31 août 2020
suivant déclaration d'appel du 1er octobre 2020
APPELANTE :
SNC [5], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Denis ROUANET de la SELARL BENOIT - LALLIARD - ROUANET, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
La CPAM DE L'ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
Service Contentieux Général
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparante en la personne de Mme [C] [W] [L], régulièrement munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
Assistés lors des débats de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, en présence de Mme Rima AL TAJAR, Greffier stagiaire lors de l'appel des causes
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 octobre 2022,
M. Jean-Pierre DELAVENAY chargé du rapport, Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller et M. Pascal VERGUCHT, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries,
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [X] [M], électricien depuis le 3 mars 2014 au sein de la société [5] (ci-après dénommée société [5]), a été retrouvé sans vie le 11 janvier 2017 sur un chantier à [Localité 6].
Le certificat médical initial établi le même jour mentionne «une plaie cervicale hémorragique ayant entraîné le décès du patient».
Le lendemain des faits, la société [5] a procédé à la déclaration d'accident du travail accompagnée d'un courrier de réserves estimant que les circonstances de l'accident n'avaient aucun lien direct avec l'activité exercée par la victime.
Le 6 avril 2017, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de l'Isère a notifié sa décision de prendre en charge cet accident mortel au titre de la législation professionnelle.
Le 31 juillet 2017, la société [5] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble d'un recours à l'encontre de la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire de l'Isère rejetant sa demande aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge.
Par jugement du 31 août 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble a :
- débouté la société [5] de son recours en inopposabilité,
- déclaré opposable à la société [5] la décision de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident mortel dont M. [M] a été victime le 11 janvier 2017,
- condamné la société [5] aux dépens.
Le 1er octobre 2020, la société [5] a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée, par lettre recommandée avec accusé de réception, le 7 septembre 2020.
Les débats ont eu lieu à l'audience du 6 octobre 2022 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 29 novembre 2022.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Selon ses conclusions déposées au greffe le 8 septembre 2022 et reprises oralement à l'audience, la société [5] demande à la Cour de :
- infirmer le jugement rendu le 31 août 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Statuant à nouveau,
- constater que l'activité professionnelle de M. [M] n'a joué aucun rôle dans la survenance de son suicide,
- dire que la présomption d'imputabilité est détruite par la preuve contraire qu'elle rapporte,
en conséquence,
- juger inopposable à son encontre la décision de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, le suicide de M. [M].
Selon ses conclusions parvenues au greffe le 6 octobre 2022 et reprises oralement à l'audience, la CPAM de l'Isère demande à la Cour de :
- confirmer le jugement rendu le 31 août 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble,
- constater qu'elle a respecté les dispositions légales,
- juger que c'est à bon droit qu'elle a déclaré opposable à la société [5] la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident mortel dont a été victime M.[M].
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
En application de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, toute lésion, qu'elle soit physique ou psychique, survenue au temps et au lieu de travail doit être considérée comme trouvant sa cause dans le travail, sauf s'il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail.
En l'espèce, M. [M] a mis fin à ses jours le 11 janvier 2017 alors qu'il se trouvait sur un chantier de réhabilitation de logements à [Localité 6]. Selon la déclaration d'accident du travail établie le lendemain par l'employeur, les horaires de travail de la victime le jour des faits, étaient les suivants : 8h-12h ; 13h-17h.
Dans le cadre de l'enquête administrative diligentée par la caisse primaire, M. [B], en sa qualité de chef d'entreprise, a indiqué que «c'est vers midi que le corps de M. [M] a été découvert par un façadier» dans un appartement témoin.
Quant à M. [D], binôme intérimaire de la victime, interrogé sur le lieu de découverte du corps, il a déclaré que M. [M] «devait récupérer le matériel nécessaire aux incorporations pour lesquelles il avait été appelé dans cet appartement témoin».
Au vu de ces éléments, le suicide de M. [M] est bien survenu au temps et au lieu du travail.
Au soutien de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge, la société [5] prétend que les conditions de réalisation du suicide de M. [M] manifestent son intention de se soustraire à la surveillance de son employeur puisque le geste a été commis, selon ses dires, «dans un lieu situé à l'écart de ceux où il était amené à effectuer sa prestation de travail».
Cependant, il ressort du procès-verbal de constatation rédigé après l'audition du chef d'entreprise que M. [M] a été contacté vers 9h30 par l'entreprise de gros oeuvre pour qu'il vienne réaliser des incorporations dans les communs, ce qui faisait partie de ses missions, et que M. [B] a été contacté vers 10h30 car les ouvriers étaient dans l'attente de ce salarié.
En outre, comme il a été observé, pour exécuter son travail, M. [M] récupérait le matériel nécessaire dans l'appartement témoin où son corps sans vie a été découvert.
Dès lors rien ne permet de remettre en cause le fait qu'au moment où il a commis son geste, M. [M] était bien toujours sous l'autorité et donc soumis au pouvoir de direction de son employeur.
En tout état de cause, la présomption d'imputabilité au travail de l'accident mortel dont a été victime M. [M] sur son lieu de travail s'applique. Il appartient, en conséquence, à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.
Pour tenter de détruire cette présomption, la société [5] fait valoir que les conditions de travail du salarié n'ont joué aucun rôle dans la survenance du suicide, vraisemblablement lié, selon elle, à une fragilité psychologique de M. [M].
Mais à l'appui de ses assertions, la société [5] se limite tout d'abord à relever que M. [M] ne s'était pas plaint de son travail auprès de ses collègues et que ses conditions d'évolution professionnelle étaient bonnes, indiquant par exemple que lui avait été confiée la responsabilité de son binôme intérimaire, M. [D].
Ensuite M. [S], conducteur de travaux et responsable hiérarchique de M. [M], atteste que « tout était dans l'ordre et le chantier avançait correctement depuis au moins trois mois » de sorte que, d'après l'employeur, les objectifs étaient restés identiques et réalisables.
Toutefois ni l'absence de plainte du salarié sur ses conditions de travail, ni l'absence de pression alléguée, ne constituent des éléments suffisants de nature à établir l'existence d'une cause étrangère au travail de la lésion.
La société [5] affirme également que « M. [M] était fréquemment dans une sorte d'état plus ou moins dépressif conjugué à un caractère habituel aussi mystique qu'introverti et mû par la recherche permanente d'un idéal parfait inatteignable » pour en déduire que son salarié était fragile psychologiquement. Elle relève d'ailleurs que, dans le cadre de l'enquête administrative, M. [D] a déclaré que « depuis le début de la semaine, il avait vu que M. [M] était plus triste ».
Cependant il ressort aussi de ce rapport que, d'après Mme [M], veuve de la victime, « son époux n'était pas dépressif chronique, qu'il n'avait jamais évoqué le suicide » et surtout elle n'a pas fait état de difficultés d'ordre personnel ou familial.
Elle a par ailleurs déclaré que son époux était une personne très perfectionniste ayant du mal à lâcher prise, le travail faisant partie de leur vie privée et qu'il lui faisait quotidiennement part de façon détaillée de ses journées de travail et que malgré la satisfaction qu'il retirait à gérer les chantiers, il était stressé de la situation.
En tout cas, l'employeur ne procède que par voie d'affirmations et de suppositions lorsqu'il prétend que M. [M] a commis un acte réfléchi et volontaire, mûri depuis plusieurs jours et pour des motifs totalement indépendants de son travail.
Aucun des éléments soulevés par la société [5] n'étant de nature à rapporter la preuve d'une cause étrangère au travail à l'origine de la lésion survenue au temps et au lieu du travail, la décision du 6 avril 2017 de la CPAM de l'Isère de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident mortel dont a été victime M. [M] lui sera déclarée opposable par voie de confirmation.
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société [5] qui succombe sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré,
Condamne la société [5] aux dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président