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19/01/2023 | FRANCE | N°21/00933

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 19 janvier 2023, 21/00933


C 2



N° RG 21/00933



N° Portalis DBVM-V-B7F-KYME



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC



la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES>
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 19 JANVIER 2023





Appel d'une décision (N° RG F 19/00183)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 21 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 19 février 2021





APPELANTE :



Association AFIPH, prise en la personne de son président en...

C 2

N° RG 21/00933

N° Portalis DBVM-V-B7F-KYME

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC

la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 19 JANVIER 2023

Appel d'une décision (N° RG F 19/00183)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 21 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 19 février 2021

APPELANTE :

Association AFIPH, prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Josette DAUPHIN de la SELARL DAUPHIN ET MIHAJLOVIC, avocat postulant au barreau de GRENOBLE

et par le cabinet CAPSTAN, du barreau de Lyon

INTIME :

Monsieur [E] [M]

né le 11 Décembre 1958 à [Localité 7]

de nationalité Tunisienne

[Adresse 6]

[Localité 2]

représenté par Me Peggy FESSLER de la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 09 novembre 2022,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargée du rapport et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 19 janvier 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 19 janvier 2023.

EXPOSE DU LITIGE':

M. [E] [M], né le 11 décembre 1958, a été embauché le 1er décembre 1989 en qualité d'agent commercial par l'association familiale de l'Isère Aide Enfants Infirmes Mentaux ' AFIPAIEM, devenue l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées ' AFIPH, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

L'AFIPH est une association régionale gestionnaire d'établissements et de services dédiés à l'accueil et à la prise en charge de personnes en situation de handicap. Elle gère plusieurs établissements dont des établissements et services d'aide par le travail - ESAT.

Elle applique la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Le 1er février 2000, M. [E] [M] a été promu au poste de chef d'atelier 3ème classe, puis, à compter du 1er janvier 2007, au poste de chef d'atelier 2ème classe statut cadre.

Il est ainsi devenu responsable de deux ateliers de montage de l'unité de [Localité 5] et de l'unité de [Localité 8], réunies sur le site de [Localité 4] depuis le 9 avril 2010.

M. [E] [M] a été victime d'une perte d'audition croissante.

Il a travaillé à temps partiel thérapeutique du'2'février 2009 au 28 mars 2009.

Il a été placé en arrêt de travail pour maladie du 26 septembre 2016 au'4'décembre 2016.

Lors de la visite de reprise du 5 décembre 2016, le médecin du travail a prescrit un temps partiel thérapeutique d'une durée de trois mois, et recommandé la mise en place d'un aménagement en télétravail.

Par avenant du 5 décembre 2016 les parties ont défini un temps partiel thérapeutique, renouvelé jusqu'au'4'juin 2017.

En parallèle, M. [E] [M] a obtenu, le 12 janvier 2017, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour la période du 1er août 2016 au 31 juillet 2021.

A l'issue de la période de temps partiel thérapeutique, le 4 juin 2017, M. [E] [M] a été placé en arrêt de travail de manière ininterrompue jusqu'au 31 décembre 2017.

A l'issue de la visite de reprise, le 8 janvier 2018, le médecin du travail a déclaré M.'[E]'[M] inapte à son poste dans les termes suivants': «'Inapte au poste, apte à un autre. Prévoir': 1 jour de télé travail par semaine'; Une aide technique pour le téléphone'; Limiter la présence en atelier et en réunion'; Privilégier un environnement sain, sans stress lié à la production.'».

Le 29 janvier 2018, M. [E] [M] a été classé en invalidité niveau 2 par le médecin conseil de l'assurance maladie.

Le 14 février 2018 M. [E] [M] a refusé deux propositions de reclassement en raison de leur éloignement géographique.

Par courrier en date du 2 mars 2018, M. [E] [M] a été convoqué par l'AFIPH à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 12 mars 2018.

Par courrier recommandé en date du 15 mars 2018, l'AFIPH a notifié à M. [E] [M] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [E] [M] percevait une rémunération brute mensuelle de 3'307,80 euros pour un poste de chef d'atelier, statut cadre, classe 2, niveau 2.

Par requête en date du 25 février 2019, M. [E] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble afin de contester le licenciement pour inaptitude et voir reconnaître que l'exécution fautive du contrat de travail a contribué à la dégradation de son état de santé et à son inaptitude et que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté dans ses recherches de reclassement.

L'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 21 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

- dit le licenciement de M. [E] [M] dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de sécurité,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [E] [M] à la somme de'3'299,02'€ bruts,

- condamné l'association AFIPH à verser à M. [E] [M] les sommes suivantes':

- 55'000,00 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 4'000,00 € nets à titre de dommages et intérêts pour le préjudice retraite subi par M.'[E] [M],

- 1'500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Lesdites sommes avec intérêts de droits à compter de la présente décision,

- débouté M. [E] [M] de ses autres demandes,

- débouté l'association AFIPH de sa demande reconventionnelle,

- condamné l'association AFIPH aux dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 25 janvier 2021 par l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées et sans date par M. [E] [M].

Par déclaration en date du 19 février 2021, l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 23 novembre 2011, l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées ' AFIPH sollicite de la cour de':

Dire et juger que l'association AFIPH n'a pas violé son obligation de sécurité

Dire et juger que l'association AFIPH n'a pas violé son obligation d'adaptation du poste de travail

Réformer la décision sur ce point,

Dire et juger que l'association AFIPH n'a pas violé son obligation de reclassement,

Confirmer la décision sur ce point,

Débouter M. [E] [M] de sa demande de dommages-intérêts pour perte de droits à la retraite,

Réformer la décision sur ce point,

Débouter M. [E] [M] de l'ensemble de ses demandes,

Le condamner à verser à l'association AFIPH 2'000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur appelant conteste tout manquement à ses obligations de sécurité et d'adaptation du poste de travail du salarié, de même que toute violation de son obligation de reclassement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 1er septembre 2022, M.'[E] [M] sollicite de la cour de':

1. Sur la demande formulée au titre de la rupture abusive':

- Confirmer le jugement en ce qu'il a fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M.'[E] [M] à la somme de 3'299,02 € bruts.

- Confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que l'AFIPH avait manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de M. [E] [M],

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que l'AFIPH avait respecté son obligation de reclassement envers M. [E] [M].

- Confirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a considéré que la rupture du contrat de M.'[E] [M] était abusive,

- Infirmer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts alloués par le conseil de prud'hommes,

En conséquence,

- Condamner l'AFIPH à payer à M. [E] [M] la somme de 90'000 € nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2. Sur la demande formulée au titre du préjudice retraite':

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que le salarié a subi un préjudice sur le montant de ses droits à la retraite, du fait de ses arrêts maladie, d'une période de mi-temps thérapeutique et donc de revenus de référence diminués,

- Infirmer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts alloués par le conseil de prud'hommes à ce titre,

En conséquence,

- Condamner l'AFIPH à payer à M. [E] [M] la somme de 10'000 € nets à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice retraite,

- Condamner, enfin, l'AFIPH à verser à M. [E] [M] la somme de 2'500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 septembre 2022. L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 9 novembre 2022 a été mise en délibérée au'19'janvier 2023.

EXPOSE DES MOTIFS

1 ' Sur la contestation du licenciement pour inaptitude

En application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail l'employeur est tenu à l'égard des salariés d'une obligation légale de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et lui interdit, dans l'exercice de son pouvoir de direction, de prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés, et dont il doit en assurer l'effectivité en engageant des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation des salariés sur ces risques et sur les mesures destinées à les éviter ainsi qu'en mettant en place une organisation et des moyens adaptés.

Il incombe à l'employeur, en cas de litige, de justifier avoir pris des mesures suffisantes pour s'acquitter de ses obligations de prévention et de sécurité.

Lorsque l'inaptitude du salarié trouve son origine dans un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Il appartient au juge de rechercher lorsqu'il y est invité, si l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité et, dans une telle hypothèse de caractériser le lien entre la maladie du salarié et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

1.1 ' Sur l'obligation de sécurité

M. [E] [M] avance que l'AFIPH ne lui a remis aucune mesure de protection tels que des bouchons d'oreille ou casques anti-bruit alors qu'il a travaillé pendant plus de vingt années dans un atelier où étaient installées de nombreuses machines générant des nuisances sonores.

D'une première part, l'AFIPH, qui soutient avoir aménagé le bureau du salarié à l'étage, dans un lieu éloigné de l'atelier, ne justifie pas des équipements de protection individuelles remis au salarié alors que celui-ci devait se déplacer régulièrement auprès des équipes dans l'atelier, sans pouvoir se maintenir constamment dans son bureau.

Le rapport de visite du site par le CHSCT le 20 septembre 2021 et les procès-verbaux de réunion du CHSCT établis entre 2013 et 2017, ne mentionnent certes pas de nuisance sonore autre que celle résultant du fonctionnement de la plieuse.

Concernant cette machine, selon un compte-rendu des mesures sonométriques en date du'25'octobre'2013, le médecin du travail précisait que l'activité de la plieuse, d'une durée d'une heure par jour environ, émettait un bruit équivalent à une journée de travail et que «'le niveau d'alerte 80 DBA et le risque de surdité à partir de 85 DBA [étaient] largement dépassés'». Le médecin concluait que le poste de pliage nécessitait le port d'équipements de protection auditifs efficaces, et que les salariés affectés à ce poste devaient être signalés au médecin du travail et bénéficier d'un audiogramme tous les deux ou trois ans.

L'employeur, ainsi informé des risques encourus par les salariés en poste sur cette machine, ne justifie aucunement des équipements mis à disposition de M. [M], ni d'aucune mesure prise pour la protection de sa santé alors que ce dernier était susceptible de se déplacer à proximité de la plieuse dans le cadre de ses fonctions de chef d'atelier.

D'une seconde part, c'est par un moyen inopérant que l'AFIPH fait valoir que le salarié n'avait émis aucune demande en matière de protection auditive, la charge de la preuve des mesures prises pour mettre en place une organisation et des moyens adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs incombant à l'employeur.

D'une troisième part, l'employeur qui produit l'avis du médecin du travail en date du'14'janvier'2013 préconisant «'un téléphone adapté (augmentation des aigus) avec amplification'», justifie de l'avis d'aptitude sans réserve émis par le médecin du travail le'21'mai 2015. En ce qui concerne le téléphone, le salarié précise qu'il a bénéficié d'un casque spécial de 2013 à 2015, jusqu'au changement de téléphonie de l'association. Et, l'employeur produit la facture d'achat d'un casque destiné à M. [M] en mai'2016.

Pour autant le respect des préconisations du médecin du travail sur ce point de 2013 à 2015, ne dispensait pas l'employeur de son obligation de prévenir les risques pour la santé des salariés quant aux nuisances sonores subies, peu important que le médecin du travail n'ait pas expressément recommandé le port d'un casque anti-bruit, d'autant que des risques graves étaient identifiés depuis 2013 s'agissant de la plieuse.

D'une quatrième part, l'AFIPH produit le document unique d'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs de 2010 révisé en 2014 ainsi que celui de 2019, sans que ces documents ne mentionnent l'évaluation du risque d'exposition au bruit. Excepté les mesures faites pour la plieuse en 2013, l'employeur ne produit donc aucun document concernant l'évaluation du risque d'exposition au bruit dans l'atelier, tel que les mesures des niveaux de bruits prévues par les articles R 4433-1 et suivants du code du travail.

Il en résulte que l'AFIPH ne justifie ni avoir identifié les risques, ni avoir pris les mesures nécessaires visant à prévenir les risques résultant de l'exposition au bruit de M.'[E]'[M], en vue de protéger sa santé et notamment d'éviter l'aggravation d'une déficience auditive.

1.2 ' Sur l'adaptation du poste de M. [M]

Aux termes de l'article L 4324-3 du code du travail le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l'employeur, des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur.

Et l'article L 4624-6 du même code énonce que l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite.

Si les rapports des visites médicales du salarié en date des'8'novembre'2011 et 14 janvier 2013, qui relèvent que le salarié présente une perte de l'audition et porte un appareillage auditif, concluent respectivement «'apte avec restriction'» et «'apte avec aménagement de poste'» sans définir les aménagements préconisés, il est établi que l'employeur a aménagé les horaires du salarié par avenant du'5'décembre 2016 dans le cadre du mi-thérapeutique préconisé par le médecin du travail.

Or, dans son avis du 5 décembre 2016, le médecin du travail recommandait la mise en place d'un télétravail en indiquant': «'apte aménagement du poste': temps partiel thérapeutique prescrit sur trois mois. 2 jours et demi par semaine. Il est fortement recommandé de mettre en place un télétravail qui correspondra sur un temps plein si possible, à une journée par semaine'».

Encore, par courrier daté 17 janvier 2017 remis en main propre par le salarié à son employeur, le médecin du travail signalait la persistance des difficultés du salarié lors du travail en atelier et recommandait un changement de poste ou un aménagement du poste en indiquant': «'il a également du mal dans la gestion d'équipe, du fait de fatigue et de problème de concentration pour tenir une conversation, ainsi que pour répondre au téléphone et animer des réunions du fait de son handicap'». Le médecin concluait «'je souhaite qu'un aménagement ou si possible qu'un changement de poste de travail soit envisagé ['] il serait également souhaitable que M.'[M] puisse bénéficier d'au moins une journée de télétravail pour réduire la fatigue liée à ses déplacements'».

Lors de l'entretien professionnel du 1er février 2017, M. [E] [M] demandait d'ailleurs expressément à pouvoir bénéficier d'une adaptation de son poste à son handicap en précisant «'mon état de santé ne me permet plus de gérer un atelier de production et l'équipe de MA'».

Pourtant, alors que l'employeur indiquait, par courrier du 2 février 2017, qu'il réfléchissait aux possibilités d'aménagement du poste, l'AFIPH n'a répondu que par un courrier en date du'25 avril 2017 adressé au médecin au travail, et ne se prononçant que sur la recommandation sur le télétravail pour. Considérant que cette recommandation ne pouvait être mise en 'uvre compte tenu de l'aménagement du temps de travail en place et de la nécessaire présence du salarié sur site, l'AFIPH a alors proposé une prise en charge financière d'une nuitée par semaine pour limiter les déplacements du salarié.

Mais l'employeur ne justifie pas de sa réponse aux préconisations de changement de poste et d'aménagement de poste.

Par courrier du 7 juillet 2017, l'employeur organisait un entretien avec le salarié pour «'aborder avec vous la façon dont vous envisagez votre avenir professionnel au sein de notre association compte tenu de votre état de santé'», sans évoquer les recommandations du médecin du travail.

Finalement, excepté la proposition de prise en charge d'une nuitée présentée en réponse à la préconisation de mise en place d'une journée de télétravail, l'AFIPH ne justifie ni d'une réponse apportée aux recommandations d'aménagement ou de changement de poste, ni des démarches entreprises pour étudier les possibilités d'aménagement du poste de M. [M], ni de ses éventuelles recherches en vue d'un changement de poste.

L'AFIPH échoue à donc démontrer qu'elle a pris en considération les indications du médecin du travail, et ce alors même que ses missions sont dédiées à l'accueil et à la prise en charge de personnes en situation de handicap et qu'elle était informée de la décision prise le'10'janvier'2017 par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées portant reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour la période du 1er août 2016 au 31 juillet 2021.

1.3 ' Sur le lien de causalité entre ces manquements et l'inaptitude du salarié

Il est ainsi jugé que l'AFIPH a manqué de prendre des mesures en vue de prévenir les risques liés aux nuisances sonores dans l'atelier, et qu'elle a ensuite manqué de prendre en considération les recommandations d'aménagement ou de changement de poste émises par le médecin du travail dans le cadre d'un aménagement du temps de travail en mi-temps thérapeutique du salarié alors même que l'association était avisée des difficultés spécifiques de son salarié.

Aussi M. [E] [M], placé en arrêt du travail du 26 septembre 2016 au'4'décembre 2016, devait être à nouveau être placé en arrêt de travail pour maladie du 4 juin 2017 au'31'décembre'2017.

Et l'avis d'inaptitude émis par le médecin du travail le 8 janvier 2018, rédigé comme suit «'Inapte au poste, apte à un autre. Prévoir': 1 jour de télétravail par semaine. Une aide technique pour le téléphone. Limiter la présence en atelier et en réunion. Privilégier un environnement serein, sans stress lié à la production'», révèle que l'état de santé du salarié s'était dégradé en dépit de la mise en 'uvre du mi-temps thérapeutique en décembre 2016.

Cet avis se révèle directement lié aux symptômes décrits par le médecin dans son courrier du'17'janvier 2017 en ce qu'il signalait l'état de fatigue corrélé aux difficultés de concentration générées par le déficit auditif et les empêchements en résultant notamment pour répondre au téléphone ou animer des réunions.

Les carences de l'employeur concernant la prévention des risques liés aux bruits et la prise en compte des recommandations du médecin du travail n'ont donc pu que potentialiser le risque, insuffisamment appréhendé par l'employeur, d'une dégradation de son état de santé à l'origine de son inaptitude.

La dégradation de l'état de santé est encore confirmée par son classement en invalidité de'2ème'catégorie le 29 janvier 2018.

Etant rappelé que le droit du travail est autonome par rapport à celui de la sécurité sociale, il est indifférent que le salarié ne justifie pas de démarches engagées en vue d'une reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie.

En conséquence, M. [E] [M] rapporte la preuve suffisante d'un lien de causalité entre les manquements de l'employeur à ses'obligations de prévention et de sécurité'et l'inaptitude définitive à l'origine de son licenciement, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen tiré d'un manquement à l'obligation de recherche de reclassement.

Confirmant le jugement entrepris, il convient de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par l'AFIPH à M. [E] [M] le'15 mars'2018.

1.4 ' Sur l'indemnisation du préjudice

L'article L.'1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis'; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.

M. [E] [M], qui percevait, au dernier état de la relation de travail, un salaire mensuel moyen de 3'299,02 euros'bruts, disposait d'une ancienneté, au service du même employeur, de'29'années, et peut prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre trois et vingt mois de salaire.

Âgé de 59 ans à la date du licenciement, il justifie avoir bénéficié de l'allocation d'aide au retour à l'emploi jusqu'en octobre 2020 et n'avoir retrouvé aucun emploi avant son admission à la retraite en janvier 2021.

Les faits précédemment exposés caractérisent également l'ampleur du préjudice moral résultant du défaut de prise en compte de son handicap par un employeur agissant spécifiquement dans le domaine de la prise en charge de personnes en situation de handicap.

Le moyen soulevé par le salarié tiré de l'inconventionnalité des barèmes étant inopérant dès lors qu'il a été procédé à une appréciation souveraine des éléments de fait soumis au titre du préjudice subi, il convient, au regard de l'ensemble des éléments précédents, d'infirmer le jugement dont appel et de condamner l'AFIPH à verser à M. [E] [M] la somme de'65'980'euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, le salarié étant débouté du surplus de sa demande.

Le jugement est donc infirmé de ce chef.

2 ' Sur la demande indemnitaire au titre du préjudice de retraite

M. [E] [M] demande la réparation d'un'préjudice'spécifique tenant à un manque à gagner sur ses droits à la'retraite.

Toutefois le préjudice résultant de la perte de chance de cotiser des années supplémentaires à une caisse de retraite est d'ores et déjà pris en compte dans l'indemnisation du préjudice causé par le licenciement.

Par ailleurs, le salarié, qui produit une estimation indicative globale de ses droits à la retraite calculés au 1er janvier 2021, n'étaye pas davantage le préjudice résultant d'une diminution du montant de ses revenus de référence pour le calcul de ses droits de la retraite résultant du fait des périodes d'arrêt maladie et de la période de mi-temps thérapeutique imputables aux manquements de l'employeur.

A défaut de produire les éléments de nature à établir l'étendue de ce préjudice spécifique, le salarié doit être débouté de ce chef de prétention. Le jugement dont appel est donc infirmé de ce chef.

3 ' Sur le remboursement des indemnités à Pôle Emploi

Conformément aux possibilités ouvertes par ces dispositions, il conviendra de faire application d'office de l'article L.1235-4 du code du travail, et de condamner l'AFIPH à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement le 15 mars 2018 au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

4 ' Sur les demandes accessoires

L'AFIPH, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les dépens de première instance et d'appel.

Par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'AFIPH est donc déboutée de ses prétentions au titre des frais irrépétibles.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de M. [E] [M] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'AFIPH à lui payer la somme de'1'500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, de la condamner à lui verser la somme complémentaire de'1'000'euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel dans la limite du montant sollicité.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit le licenciement de M. [E] [M] dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de sécurité,

- condamné l'association AFIPH à verser à M. [E] [M] la somme de 1'500,00 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté l'association AFIPH de sa demande reconventionnelle,

- condamné l'association AFIPH aux dépens.

L'INFIRME pour le surplus

Statuant des chefs du jugement infirmé et y ajoutant,

CONDAMNE l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées ' AFIPH à payer à M.'[E] [M] la somme de'65'980'euros bruts (soixante-cinq mille neuf-cent quatre-vingt euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';

DÉBOUTE M. [E] [M] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice de retraite';

DÉBOUTE M. [E] [M] du surplus de ses demandes';

CONDAMNE l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées ' AFIPH à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [E] [M] du jour de son licenciement le'15 mars 2018 dans la limite de six mois d'indemnités de chômage';

CONDAMNE l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées ' AFIPH à payer à M. [E] [M] une indemnité de'1'000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel';

DÉBOUTE l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées ' AFIPH de sa demande d'indemnisation des frais irrépétibles';

CONDAMNE l'association familiale de l'Isère pour personnes handicapées ' AFIPH aux entiers dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 21/00933
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;21.00933 ?
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