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19/01/2023 | FRANCE | N°21/01055

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 19 janvier 2023, 21/01055


C 9



N° RG 21/01055



N° Portalis DBVM-V-B7F-KYWQ



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :







M. [P], déf. syndical





la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE -

CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 19 JANVIER 2023





Appel d'une décision (N° RG F 19/00887)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 28 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 24 février 2021





APPELANTE :



Madame [V] [Y], épouse [B]

née le 28 septembre 1953 à [Local...

C 9

N° RG 21/01055

N° Portalis DBVM-V-B7F-KYWQ

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

M. [P], déf. syndical

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 19 JANVIER 2023

Appel d'une décision (N° RG F 19/00887)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 28 janvier 2021

suivant déclaration d'appel du 24 février 2021

APPELANTE :

Madame [V] [Y], épouse [B]

née le 28 septembre 1953 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par M. [T] [P] (Défenseur syndical)

INTIMEE :

S.A. LE CREDIT LYONNAIS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,

et par Me Véronique TUFFAL-NERSON de la SCP TNDA, avocate plaidante au barreau de PARIS substituée par Me Nicolas DURAND-GASSELIN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,

DÉBATS :

A l'audience publique du 09 novembre 2022,

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 19 janvier 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 19 janvier 2023.

EXPOSE DU LITIGE':

Mme [V] [B] a été embauchée le 21 juin 1971 par la société Le Crédit Lyonnais (LCL). Au dernier état de la relation contractuelle, elle exerçait les fonctions de conseiller en patrimoine, niveau I (cadre) de la convention collective de la banque.

Mme [V] [B] a obtenu les diplômes médaille d'honneur du travail':

- le 30 janvier 1992, échelon argent, après 20 ans de travail

- le 13 novembre 2001, échelon vermeil, après 30 ans de travail

- le 1er janvier 2007, échelon or, après 35 ans de travail

- le 1er janvier 2012, échelon grand or, après 40 ans de travail

Elle a perçu les gratifications':

- en juin 1996 pour échelon argent

- en juillet 2006 pour échelon vermeil

- en février 2012 pour échelon grand or

Le 19 décembre 2018, Mme [V] [B] a quitté les effectifs de la société Le crédit lyonnais.

Par requête en date du 23 octobre 2019, Mme [V] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins d'obtenir le versement de la gratification liée à l'obtention du diplôme de la médaille du travail échelon or ainsi que des dommages et intérêts en se prévalant d'une discrimination prohibée à raison de l'âge, résultant de l'entrée en vigueur de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011 prévoyant de nouvelles règles de versement des gratifications au moment de l'obtention du diplôme et non plus selon une note relative à un règlement administratif prévoyant un décalage dans le temps entre le diplôme et la perception de la gratification, en particulier la médaille d'or après 35 ans de service, qui ouvrait droit à la perception d'une gratification après 43 ans d'activité, la salariée ne remplissant pas les conditions des stipulations transitoires de l'accord.

La société LCL a excipé d'une fin de non-recevoir tirée de la prescription des prétentions de la partie adverse et contesté au demeurant toute discrimination prohibée.

Par jugement en date du 28 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':

- fixé au plus tard au 1er mai 2011 le point de départ du délai de prescription de 5 ans,

- déclaré irrecevable la demande de Mme [V] [B], introduite le 23 octobre 2019,

En conséquence,

- débouté Mme [V] [B] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la SA Le crédit lyonnais de sa demande reconventionnelle,

- laissé les dépens à la charge de Mme [V] [B].

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 30 janvier 2021 pour Mme [B] et tamponné le 01 février 2021 pour la société LCL.

Par déclaration en date du 24 février 2021, Mme [V] [B] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées le 20 mai 2021, Mme [V] [B] sollicite de la cour de':

Vu les articles L. 1132-1, L. 1133-1, L. 1134-5, L. 3221-3 du code du travail, vu l'accord salarial intervenu chez LCL le 24 janvier 2011, vu les différents arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation,

Contater que la société LCL a violé l'ensemble des dispositions des articles L 1132-1, L 1133-1, L 1132-2 et L 3221-3 du code du travail

Condamner la société LCL à lui verser la somme de 3181,86 euros correspondant à un treizième de la rémunération brute annuelle, au motif que la différence de traitement dont la demanderesse a fait l'objet pour l'obtention de la gratification liée à l'obtention du diplôme de la médaille du travail «'échelon or'» entraîne une discrimination à l'âge, la demande doit bénéficier des mesures fixées par les dispositions de l'article 6 de l'accord salarial du 24 janvier 2011, en vertu des dispositions de l'article L 1134-5 du code du travail et de l'article 2224 du code civil

Condamner la société LCL à lui verser la somme de 2000 euros de dommages et intérêts pour discrimination liée à l'âge de la demanderesse, en vertu des arrêts rendus par la Cour de cassation le 1er février 2017, le 05 mai 2017, le 17 janvier 2018, le 30 janvier 2019, le 09 octobre 2019 ayant entraîné un préjudice financier et moral lié au fait qu'elle aurait dû percevoir cette gratification dès mai 2011 soit depuis près de 9 ans

Assortir cette condamnation des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Grenoble par la partie défenderesse

Condamner la société LCL à lui verser la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner la société LCL aux entiers dépens de l'instance

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 14 septembre 2022, la société Le crédit lyonnais sollicite de la cour de':

A titre principal,

Constater que la déclaration d'appel ne contient aucune demande de réformation concernant les chefs du jugement querellé relatifs à la « prescription » des demandes de Mme [V] [B].

Juger que la Cour n'est donc pas saisie des chefs du jugement relatifs à la « prescription » des demandes de Mme [V] [B].

En conséquence,

Confirmer le jugement dont appel en ce que le conseil de prud'hommes de Grenoble a :

« DÉCLARE irrecevable la demande de Mme [V] [B], introduite le 23 octobre 2019,

En conséquence,

DÉBOUTE Mme [V] [B] de l'ensemble de ses demandes ».

Débouter Mme [V] [B] de l'ensemble de ses demandes

En tout état de cause,

Confirmer le jugement dont appel,

Déclarer Mme [V] [B] irrecevable en ses demandes ;

Débouter Mme [V] [B] de l'ensemble de ses demandes et notamment du paiement de la gratification liée à l'obtention de la « médaille du travail » et de dommages et intérêts ;

Débouter Mme [V] [B] de ses demandes d'exécution provisoire, de paiement d'intérêts légaux, d'anatocisme, de publication et d'affichage du jugement.

A titre reconventionnel,

Condamner Mme [V] [B] à verser à la société Le crédit lyonnais la somme de 1.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [V] [B] aux éventuels dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 15 septembre 2022.

L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 9 novembre 2022.

EXPOSE DES MOTIFS':

Sur l'effet dévolutif de l'appel':

Si au visa de l'article 562 du code de procédure civile, la déclaration d'appel ne défère à la cour d'appel que les dispositions du jugement qui sont expressément critiqués, il en est également ainsi de ceux qui en dépendent.

Or, en l'espèce, la déclaration d'appel de Mme [B] vise, certes, comme chefs de jugement critiqués uniquement ceux l'ayant déboutée de':

- sa demande de versement de la gratification liée à l'obtention de la médaille du travail échelon or en application des dispositions de l'article 6 de l'accord salarial du 24 janvier 2011

- sa demande de dommages et intérêts pour discrimination liée à l'âge ayant entraîné un préjudice financier et moral

- sa demande de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il s'ensuit que la déclaration d'appel ne vise pas les dispositions qui ont':

- fixé au plus tard au 1er mai 2011 le point de départ du délai de prescription de 5 ans

- déclaré irrecevable la demande de Mme [V] [B], introduite le 23 octobre 2019.

Toutefois, les dispositions non visées dans la déclaration d'appel ayant consisté, pour le conseil de prud'hommes, à fixer le point de départ du délai de prescription de l'action et à accueillir la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société LCL sont, dans le cas d'espèce, dans un lien de dépendance avec les autres dispositions visées dans l'acte d'appel puisque':

- dans le dispositif du jugement, le débouté des demandes de Mme [B] est présenté comme la conséquence de l'irrecevabilité retenue par l'emploi de la locution adverbiale «'En conséquence'»

- il existe une contradiction évidente des chefs du dispositif de la décision entreprise ayant consisté à retenir une fin de non-recevoir tirée de la prescription sans examen au fond des demandes pour ensuite débouter Mme [B] au fond de ses demandes.

Il s'ensuit que c'est à tort que la société LCL soutient que la cour d'appel n'est pas saisie des chefs du jugement relatif à la prescription pour en déduire que le jugement doit être purement et simplement confirmé des autres chefs de jugement visés.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la contestation d'un accord collectif':

Tout en se prévalant des règles de compétences d'attribution du conseil de prud'hommes relatifs aux litiges individuels nés de la relation de travail se rapportant à une exception d'incompétence, au demeurant non soulevée in limine litis et partant irrecevable, la société LCL en déduit que Mme [B] serait irrecevable à contester les modalités d'application de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011'; ce qui se rapporte à une fin de non-recevoir.

Pour ce seul motif cette fin de non-recevoir soulevée en visant des dispositions relatives à la compétence d'attribution ne peut qu'être rejetée.

La fin de non-recevoir soulevée est d'autant plus injustifiée, au demeurant, que Mme [B] ne sollicite aucunement l'annulation ou la résolution de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011 mais que les dispositions de celui-ci qu'elle juge discriminatoires à son seul égard ne lui soient pas applicables et partant implicitement lui soient déclarées inopposables.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription':

Il résulte de l'article L. 1134-5 du code du travail que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Les dommages-intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.

Cette disposition législative nationale doit être interprétée de manière conforme à l'article 9 de la directive 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail qui prévoit que':

1. Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu'ils l'estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s'estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l'égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s'être produite se sont terminées.

2. Les États membres veillent à ce que les associations, les organisations ou les personnes morales qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente directive sont respectées puissent, pour le compte ou à l'appui du plaignant, avec son approbation, engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de la présente directive.

3. Les paragraphes 1 et 2 sont sans préjudice des règles nationales relatives aux délais impartis pour former un recours en ce qui concerne le principe de l'égalité de traitement.

L'article 16 de la même directive énonce par ailleurs':

Conformité

Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que:

(')

b) soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l'égalité de traitement qui figurent dans les contrats ou les conventions collectives, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes et des organisations de travailleurs et d'employeurs.

Par ailleurs, n'est pas prescrite l'action d'un salarié à raison d'une discrimination prohibée lorsqu'ils se fondent sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription. (cass.soc.31 mars 2021, 19-22557).

Cette interprétation est conforme à l'article L 1134-8 du code du travail qui énonce dans son alinéa 1er que l'action peut tendre à la cessation du manquement et, le cas échéant, en cas de manquement, à la réparation des préjudices subis de sorte que la prescription ne saurait commencer à courir tant que les faits discriminatoires et leurs effets n'ont pas cessé.

Au cas d'espèce, dès lors que les prétentions de Mme [B] se fonde sur une discrimination prohibée alléguée à raison de l'âge, seules les dispositions de l'article L 1134-5 du code du travail trouvent à s'appliquer s'agissant du régime de la prescription de son action de sorte que la société LCL lui oppose à tort notamment les dispositions des articles L 1471-1 et L 3245-1 du même code.

Par ailleurs, il résulte des écritures de l'intimée elle-même qu'en vertu du dispositif en application précédemment à la signature de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011 entré en vigueur le 01 mai 2011, Mme [B], qui a obtenu la médaille d'Or du travail le 01 janvier 2007 aurait pu percevoir la gratification correspondante en 2014, et plus précisément à compter du 22 juin 2014, date à laquelle elle a eu 43 ans d'activité au sein de l'entreprise.

S'il résulte de l'analyse de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011 que celui-ci se substitue de plein droit à compter de son entrée en vigueur au dispositif précédent et que Mme [B] ne remplissait pas de prime abord les conditions fixées par les stipulations transitoires de l'accord pour prétendre au paiement de la gratification correspondant à la médaille d'or obtenue avant l'entrée en vigueur de cet accord d'entreprise, il est considéré que Mme [B] n'a pas eu pleine et entière connaissance de la discrimination prohibée alléguée à la date de cet accord ou de son entrée en vigueur, peu important l'argumentaire développé par les syndicats dans des tracts syndicaux à ce sujet dont il n'est pas même établi qu'ils ont été portés à sa connaissance ou le prononcé de décisions de justice concernant d'autres salariés dont les premières, émanant de conseils de prud'hommes, datent au demeurant de la fin de l'année 2013, sans alors la moindre unité de jurisprudence et ayant fait pour nombre d'entre elles l'objet de recours.

En effet, dans la fiche intranet du 13 juillet 2012, l'employeur reste parfaitement taisant sur les dispositions transitoires de l'accord.

Celles-ci sont certes évoquées dans une note d'application de février 2011 de l'accord du 24 janvier 2011 mais les conditions de sa diffusion ne ressortent d'aucun élément utile produit aux débats par l'employeur.

Surtout, à la seule lecture de cette note, Mme [B] ne pouvait d'autant moins anticiper de manière certaine la position de son employeur quant au versement de la gratification afférente à la médaille d'or, le cas échéant avec un décalage dans les conditions de l'ancien régime, que l'employeur, après avoir présenté le dispositif transitoire avec un exemple pour un salarié susceptible d'en bénéficier, en précisant que le dispositif transitoire est mis en place pour 2011, n'évoque les règles du non-cumul que pour l'année 2011 alors que Mme [B] n'était pas encore éligible à la perception de la gratification de la médaille d'or au cours de cette année dans l'ancien régime et pas encore au bénéfice de la gratification pour la médaille grand or puisqu'elle a eu 40 ans d'ancienneté au 22 juin 2011 mais le diplôme ne lui a été attribué que le 01er janvier 2012.

Tant la note que l'accord en son article 6.2 n'indiquent pas clairement que les salariés perdront le bénéfice de la gratification différée pour des médailles obtenues avant l'entrée en vigueur de ce dernier s'ils ne remplissent pas les conditions du régime transitoire dont il est vu ensuite que l'une d'entre elles est, par ailleurs, pour le moins hypothétique.

L'accord fait référence à «'un souci d'équité'», au fait que les salariés concernés «'ne pourront toutefois pas en bénéficier dans les mêmes délais dans le cadre du nouveau dispositif'» et non qu'ils en seront définitivement privés sauf s'ils remplissent les deux conditions ensuite énumérées.

De surcroît, la société a décidé d'aménagements complémentaires pour certains salariés non prévus par l'accord en faisant bénéficier, de manière rétroactive, du nouveau dispositif par extension des stipulations transitoires aux salariés ayant acquis 30 et 35 ans de service entre le 1er mai 2010 et le 31 décembre 2010 en ajoutant une condition rétroactive de production du diplôme avant le 1er mai 2011, date d'entrée en vigueur de l'accord, alors que l'accord prévoit «'qu'un collaborateur pourra demander à bénéficier d'une gratification en application du Nouveau dispositif si le nombre d'années de service correspondant à la médaille d'honneur du travail d'Etat demandée est acquis à compter du 1er janvier 2011. L'ensemble des modalités pratiques d'application des présentes dispositions seront décrites dans une note d'information LCL'».

S'agissant des dispositions transitoires, la cour d'appel ne peut qu'observer que l'accord en son article 6.2 évoque la situation de collaborateurs susceptibles, dans le cadre de l'ancien dispositif, de bénéficier d'une gratification en 2011 ou dans les 4 années suivantes, d'une gratification liée à une médaille obtenue au cours d'années précédentes alors que dans la note, l'employeur se limite à évoquer un dispositif transitoire et des règles du non-cumul pour l'année 2011, de sorte que la présentation tronquée et manquant de clarté du dispositif, par l'employeur, sans référence explicite et claire aux «'4 années suivantes'» pour le paiement de gratifications afférentes à des médailles acquises avant 2011, qui plus est en prévoyant de faire rétroagir l'accord non pas au 1er janvier 2011 comme convenu avec les signataires mais au 1er mai 2010 dans certaines hypothèses, a inévitablement introduit une certaine confusion renforcée par le fait que l'accord renvoie lui-même au titre des modalités pratiques à cette note dont le contenu est laissé en définitive à la discrétion de l'employeur.

Dans les faits, Mme [B] a obtenu le bénéfice du versement de la médaille grand or qui lui a été remise le 1er janvier 2012, en février 2012 soit nécessairement après avoir transmis sa médaille d'honneur du travail de l'Etat dans les 12 mois suite la date d'acquisition du nombre d'année de service requis au titre de la gratification demandée dans le respect des stipulations de l'accord collectif du 24 janvier 2011, sans qu'elle eût pu savoir si l'employeur lui aurait alors refusé le paiement de cette gratification si elle avait sollicité le paiement de la gratification correspondant à la médaille d'or au cours de l'année 2011.

En effet, la condition au versement uniquement en 2011 d'une gratification spécifique dans le cadre du dispositif transitoire conventionnel selon laquelle «'les salariés ne percevront aucune gratification au cours des 5 prochaines années'» est pour le moins spéculative et hypothétique.

Eu égard aux hypothèses multiples de rupture du contrat de travail pouvant intervenir avant ce délai de 5 ans nécessairement inconnue pendant l'année 2011 où s'applique le régime transitoire mais encore au fait que l'accord soumet le versement de la gratification demandée à la transmission du diplôme de la médaille dans les 12 mois suivant la date d'acquisition du nombre d'années de service requis, il était parfaitement possible comme en l'espèce qu'un salarié n'ait pas été en situation de cumul possible de deux gratifications au cours de la seule année 2011 envisagée tant par l'accord que par la note de l'employeur et ce d'autant que l'article 6.2 de l'accord se termine en énonçant le principe du versement d'une gratification unique que pour l'année 2011, étant rappelé que Mme [B] eût pu, au cours de cette année, tout au plus faire valoir son diplôme médaille d'or obtenu le 1er janvier 2007.

Au vu de ces circonstances, Mme [B] ne pouvait donc objectivement appréhender avec clarté et certitude la position de la société Le Crédit Lyonnais sur sa situation particulière dès la signature de l'accord du 24 janvier 2011 ou son entrée en vigueur le 1er mai 2011.

Mme [B] n'a ainsi pu acquérir la connaissance du fait que son employeur lui refusait le paiement de la gratification afférente à la médaille d'or qu'à partir de fin juillet 2014 puisque les gratifications étaient versées, dans le précédent dispositif, le mois suivant la date à laquelle les salariés remplissaient la condition de durée d'activité correspondant à chacune des médailles.

Toutefois, le refus de l'employeur de lui verser la gratification correspondante s'est poursuivi jusqu'à ce que la salariée quitte les effectifs de l'entreprise, à la date du 19 décembre 2018 d'après les écritures de l'employeur, dès lors que l'accord d'entreprise litigieux dont l'employeur se prévaut à titre exclusif pour s'opposer sur le fond au paiement de cette gratification a été maintenu pendant toute cette période et n'a pas été déclaré nul ou non avenu.

D'ailleurs, Mme [B] fait à juste titre valoir que ce n'est que par un arrêt du 1er février 2017 que la Cour de cassation, après des jurisprudences divergentes des juridictions du fond, (Soc., 1 février 2017, pourvoi n° 15-13.761) a pour la première fois envisagé que l'accord du 24 janvier 2011 puisse être à l'origine d'une discrimination prohibée indirecte à raison de l'âge, remettant dès lors en cause la position de refus de l'employeur de verser la gratification, y compris de manière différée par rapport à l'obtention du diplôme.

Il s'ensuit que la date de révélation de la discrimination alléguée, caractérisée par une connaissance pleine et entière non pas seulement de la position de l'employeur mais encore de son caractère injustifié, est au plus tôt le 1er février 2017 et qu'au demeurant celle-ci n'avait pas cessé au jour du départ en retraite de Mme [B], de sorte que son action introduite par requête du 23 octobre 2019, soit moins de 5 ans après l'une et l'autre de ces dates, n'apparaît pas prescrite.

Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer Mme [B] recevable en ses prétentions au titre de la discrimination prohibée alléguée visant à obtenir le paiement de la gratification et des dommages et intérêts.

Sur la discrimination indirecte prohibée à raison de l'âge':

En application tant de l'article L1132-1 du code du travail que de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, que de l'article L1133-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi L.2008-496 du 27 mai 2008, un accord collectif ne peut instaurer une différence de traitement fondée sur l'âge qui ne soit objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime et à la condition que les moyens mis en 'uvre pour le réaliser soient appropriés et nécessaires.

Lorsque survient un litige relatif à l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, par application des dispositions de l'article L1134-1 du code du travail, il appartient au salarié de présenter des éléments de fait en laissant supposer l'existence et il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Dès lors, même lorsque la différence de traitement en raison d'un des motifs visés à l'article L.1132-1 du code du travail résulte des stipulations d'une convention ou d'un accord collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, les stipulations concernées ne peuvent être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination.

En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats que les conditions d'obtention de la médaille du travail ont été successivement modifiées, le nombre d'années de service pour obtenir la médaille d'honneur du travail étant fixé à :

' 20 ans pour l'obtention de la médaille d'argent ;

' 30 ans, pour l'obtention de la médaille vermeil ;

' 35 ans pour l'obtention de la médaille d'or ;

' 40 ans pour l'obtention de la médaille grand or.

La convention collective nationale de la banque ne prévoyant pas d'obligation pour l'employeur de verser une gratification à ce titre, il existait au sein de la société Le Crédit Lyonnais (LCL), un usage en vertu duquel les salariés titulaires du diplôme de la médaille du travail, en activité au moment de l'obtention de celle-ci et à celui de la demande, percevaient une gratification correspondant à un pourcentage, variable selon l'échelon, de la rémunération de base annuelle, qui était versée de manière décalée par rapport à la date d'obtention de la médaille, à savoir :

' 25 ans d'activité pour la médaille d'argent ;

' 35 ans d'activité pour la médaille vermeil ;

' 43 ans d'activité pour la médaille d'or ;

' 48 ans d'activité pour la médaille grand or.

A l'issue de la négociation annuelle obligatoire pour l'année 2011, un accord a été signé le 24 janvier 2011, applicable au 1er mai 2011, entre la société Le Crédit lyonnais et deux organisations syndicales, la CFDT et le SNB, prévoyant de nouvelles modalités d'attribution de la gratification liée à l'obtention de la médaille du travail (médaille d'honneur de l'Etat) (article 6.1), les modifications portant sur :

- le montant de la gratification elle-même, en la fixant à l'équivalent d'une mensualité de base exprimée sur la base de 1/13ième de la rémunération brute annuelle (RBA), déterminée en fonction du régime de travail, quelle que soit la médaille d'Etat obtenue (1/12ème pour les cadres hors classification),

- le moment du versement de la gratification, en l'alignant sur le calendrier d'obtention de la médaille d'Etat (20,30,35 et 40 années de service).

L'accord stipule que les conditions générales d'attribution de la gratification sont les suivantes :

- être titulaire du diplôme de la médaille d'honneur de l'Etat,

- être en activité chez LCL au moment de l'obtention de la médaille d'Etat,

- être en activité chez LCL au moment de la demande de gratification,

- avoir transmis à LCL le diplôme de la médaille d'honneur du travail de l'Etat dans les 12 mois suivant la date d'acquisition du nombre d'années de service requis au titre de la gratification demandée.

L'accord prévoit que la gratification sera soumise à la réglementation sociale et fiscale lors de son versement et que les dispositions du présent article se substituent de plein droit à compter de leur date d'entrée en vigueur, soit le 1er mai 2011, à toutes dispositions résultant d'accords collectifs ou de tous autres types d'accords, de décisions unilatérales, de pratiques ou usages applicables aux collaborateurs de LCL en matière de gratification liée à la médaille du travail (médaille d'honneur de l'Etat).

Ainsi, à compter du 1er mai 2011, les gratifications sont versées de manière concomitante à l'obtention de la médaille.

L'accord collectif prévoit, en son article 6.2, des dispositions transitoires entre l'ancien et le nouveau dispositif en 2011, ainsi libellées :

«'Certains collaborateurs étaient susceptibles, dans le cadre de l'ancien dispositif, de bénéficier en 2011 ou dans les 4 années suivantes, d'une gratification liée à une médaille de travail (médaille d'honneur de l'Etat) obtenue au cours d'années précédentes et ne pourront toutefois pas en bénéficier dans les mêmes délais dans le cadre du Nouveau Dispositif.

Au titre du présent accord, afin d'assurer une bonne transition entre l'ancien et le nouveau dispositif mis en 'uvre à compter du 1er mai 2011, et dans un souci d'équité entre les collaborateurs, il est donc convenu de procéder en 2011 à un versement spécifique d'une gratification médaille selon la règle déterminée ci-après.

Sous réserve de la transmission du diplôme de médaille d'honneur du travail d'Etat correspondant, les salariés qui, en application du Nouveau Dispositif et à la date d'entrée en vigueur de ce dernier :

- auraient dû percevoir une gratification au cours des 5 années précédentes,

- ne percevront aucune gratification au cours des 5 prochaines années, bénéficieront du versement d'une gratification médaille d'honneur du travail d'Etat sur la base du montant prévu conformément au présent accord (1/13ème mois) sous réserve qu'ils ne perçoivent pas une gratification en application de l'ancien ou du nouveau dispositif au titre de la même médaille d'honneur du travail d'Etat.

En tout état de cause, un collaborateur ne pourra percevoir en 2011 plus d'une gratification liée à une médaille d'honneur du travail d'Etat.'».

Au soutien de ses prétentions, la salariée invoque une discrimination liée à l'âge en ce que l'application de cet accord d'entreprise du 24 janvier 2011, prévoyant notamment le versement d'une gratification concomitamment à l'obtention d'une médaille du travail à compter du 1er mai 2011, l'a privée du bénéfice de la gratification qu'avec un décalage, elle aurait pu obtenir selon l'usage précédent.

La salariée rapporte d'abord la preuve qu'à titre de récompense pour trente-cinq années de services, elle a obtenu le diplôme de la médaille d'or du travail le 1er janvier 2007 et que selon l'usage que la société reconnaît alors appliquer dans son entreprise, elle devait bénéficier d'une gratification versée au cours de sa quarante-troisième année de services.

La salariée rapporte ensuite que par l'effet de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011, prévoyant le versement de la gratification concomitamment à l'obtention d'une médaille du travail, elle n'a pas perçu la gratification liée à sa médaille d'or.

L'accord d'entreprise du 24 janvier 2011, d'application immédiate, prévoyait certes des stipulations transitoires en faveur des collaborateurs qui auraient dû percevoir une gratification au cours des cinq années précédentes et qui ne devaient percevoir aucune gratification au cours des cinq années suivantes. Mais Mme [B] ne satisfaisant pas à ces conditions cumulatives, elle n'a pas bénéficié des dispositions transitoires.

La salariée en déduit exactement que les salariés ayant comme elle entre 36 et 40 années d'ancienneté à la date de l'entrée en vigueur de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011, et ce faisant relevant d'une même classe d'âge, n'ont jamais pu obtenir de gratification pour l'attribution de la médaille d'or du travail.

La société fait valoir que les nouvelles dispositions ont ouvert à Mme [B] la faculté de percevoir immédiatement la gratification liée à l'attribution de la médaille « grand or » à quarante ans de services alors que dans l'ancien système, elle aurait dû attendre sa quarante-huitième année de service.

Mais ce nouvel avantage, que la société reconnaît uniquement lié à l'attribution de la médaille «grand or», ne justifie pas la privation de la gratification attachée à l'obtention de la médaille d'or du travail.

Ainsi, la société n'apporte aucun élément de nature à établir que la différence de traitement dont Mme [B] a fait l'objet par rapport aux autres médaillés d'or du travail dans l'entreprise, qu'ils aient bénéficié de l'usage ancien, des dispositions nouvelles de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011 ou des dispositions transitoires, différence liée à l'âge, était objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime, la société échouant également à démontrer que les moyens mis en 'uvre étaient appropriés et nécessaires à la réalisation de l'objectif poursuivi.

La salariée est, dès lors, fondée à obtenir le montant qu'elle chiffre précisément à 3161,86 euros bruts au titre de la gratification dont elle a été privée.

Par ailleurs, le fait pour la société LCL de refuser de manière injustifiée le paiement d'une gratification à Mme [B] en lui opposant un accord contenant des stipulations discriminatoires prohibées dont elle n'allègue et encore moins ne justifie avoir pris l'initiative d'une dénonciation a incontestablement causé un préjudice à la fois moral mais encore financier en privant Mme [B] du bénéfice d'une créance de nature salariale depuis de nombreuses années.

Il convient en conséquence de condamner la société LCL à payer à Mme [B] la somme de 2000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation de la discrimination prohibée.

Sur les demandes accessoires':

L'équité commande de condamner la société LCL à payer à Mme [B] une indemnité de procédure de 1000 euros.

Il convient de rejeter le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société LCL, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS';

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi';

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

REJETTE les fins de non-recevoir soulevées par la société Le Crédit Lyonnais

DÉCLARE recevable Mme [B] en son action

DIT que Mme [B] a été victime d'une discrimination indirecte prohibée à raison de l'âge résultant du refus de la société Le Crédit Lyonnais de lui verser la gratification afférente à la médaille du travail or

CONDAMNE la société Le Crédit Lyonnais à payer à Mme [B] les sommes suivantes':

- trois mille cent soixante-et-un euros et quatre-vingt-six centimes (3161,86 euros) bruts au titre de la gratification or

Outre intérêts au taux légal à compter du 24 octobre 2019

- deux mille euros (2000 euros) nets à titre de dommages et intérêts

Outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt

CONDAMNE la société Le Crédit Lyonnais à verser à Mme [B] une indemnité de procédure de 1000 euros

REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Le Crédit Lyonnais aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 21/01055
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;21.01055 ?
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