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07/02/2023 | FRANCE | N°20/04141

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 07 février 2023, 20/04141


C1



N° RG 20/04141



N° Portalis DBVM-V-B7E-KVLT



N° Minute :

















































































Copie exécutoire délivrée le :





Me Anaïs FAURE



la SELARL NICOLAU AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COU

R D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A



ARRÊT DU MARDI 07 FEVRIER 2023





Appel d'une décision (N° RG 20/00059)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 20 novembre 2020

suivant déclaration d'appel du 18 décembre 2020





APPELANTE :



Madame [C] [X]

née le 02 Juillet 1957 à [Localité 3] (59)

de nationalité Française

[Adre...

C1

N° RG 20/04141

N° Portalis DBVM-V-B7E-KVLT

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

Me Anaïs FAURE

la SELARL NICOLAU AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 07 FEVRIER 2023

Appel d'une décision (N° RG 20/00059)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCE

en date du 20 novembre 2020

suivant déclaration d'appel du 18 décembre 2020

APPELANTE :

Madame [C] [X]

née le 02 Juillet 1957 à [Localité 3] (59)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Anaïs FAURE, avocat au barreau de VALENCE,

INTIMEE :

ASSOCIATION DE MOYENS RETRAITE COMPLEMENTAIRE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Alexia NICOLAU de la SELARL NICOLAU AVOCATS, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,

et par Me Marie-Chrystel PICAN de la SELARL VERDUN VERNIOLE, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS, substituée par Me Barbara BENOSIO, avocat au barreau de PARIS,

plaidé par Me BENOSIO,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,

Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 10 octobre 2022,

Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère faisant fonction de Présidente ou Conseillère chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 13 décembre 2022, prorogé au 07 février 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 07 février 2023.

Exposé du litige :

Le 24 février 1986, Mme [X] a été embauchée par l'INRS en qualité d'aide permanencière par contrat à durée indéterminée.

Le 1er janvier 2005, l'INRS est devenu le groupe CHABROL MEDERIC, ce dernier a alors repris son contrat de travail.

A partir du juillet 2008, le contrat de travail de Mme [X] a été repris par l'ASSOCIATION DES MOYENS DE RETRAITE COMPLEMENTAIRE (ci-après l'AMRC).

L'AMRC est spécialisée dans le secteur d'activité de la gestion des retraites complémentaires.

Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [X] occupait le poste de conseillère retraite CICAS (Centre d'Information Conseil et Accueil des Salariés), statut employé niveau 3 C.

Le 18 mars 2016, Mme [X] a été victime d'un accident de travail.

Le 12 janvier 2018, le médecin du travail a constaté l'inaptitude avec dispense de tout reclassement de cette dernière.

Le 26 janvier 2018, l'AMRC a convoqué par courrier Mme [X] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 16 février 2018.

Le 23 février 2018, l'AMRC a notifié à Mme [X] son licenciement pour inaptitude sans possibilité de reclassement.

Le 8 octobre 2019, Mme [X] a saisi le Conseil de prud'hommes de Valence afin d'obtenir la condamnation de son ancien employeur à lui payer une somme à titre de dommages et intérêts au titre d'un harcèlement moral.

Par jugement du 20 novembre 2022, le Conseil de prud'hommes de Valence a :

Débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes,

Débouté l'AMRC de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner Mme [X] aux dépens de l'instance.

La décision a été notifiée aux parties et Mme [X] en a interjeté appel.

Par conclusions du 15 mars 2021, Mme [X] demande à la cour de :

Dire recevable et particulièrement bien fondé l'appel interjeté,

En conséquence, réformer le jugement entrepris,

A titre principal,

Dire et juger que l'employeur a commis des faits de harcèlement moral à son égard,

Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 90 000 euros nets,

A titre subsidiaire,

Dire et juger que l'employeur n'a pas exécuté de manière loyale le contrat de travail,

Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 90 000 euros nets,

En tout état de cause,

Fixation de la moyenne des salaires : 3 032,10 euros bruts,

Indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile : 5 000 euros.

Par conclusions du 1er juin 2021, l'AMRC demande à la cour d'appel de :

La recevoir dans ses prétentions, l'y dire bien fondée et y faisant droit,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de prud'hommes de Valence en date du 20 novembre 2020 en ce qu'il a débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes,

Débouter Mme [X] de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions,

Condamner Mme [X] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande au titre du harcèlement moral :

Moyens des parties,

Mme [X] allègue avoir subi une situation de harcèlement moral sur son lieu de travail caractérisée par :

Il lui a été imposé de travailler dans un bureau sans ouverture sur l'extérieur, dépourvu d'aération et de ventilation, ce dont elle s'est plainte auprès de sa hiérarchique, sans réaction de sa part,

Elle a été victime d'une inégalité de traitement en matière de rémunération,

Elle s'est vu imposer des objectifs irréalisables,

Il n'était pas possible de réaliser les tâches qui lui étaient confiées dans le temps qui lui était imparti, et son employeur lui a reproché des dépassements d'horaires,

Elle a été inscrite à un stage devant avoir lieu à des dates où elle avait posé des congés validés par sa hiérarchie,

Elle a été victime d'un accident du travail (malaise) sur son lieu de travail lors d'une réunion du 18 mars 2016 et emmenée aux urgences.

L'AMRC conteste tout fait de harcèlement et fait valoir que Mme [X] n'a jamais dénoncé des faits de harcèlement moral ni exercé son droit de retrait, ni pris acte de la rupture du contrat de travail, ni sollicité la résiliation du contrat au tort de l'employeur, et enfin n'a pas contesté son licenciement dans le délai de prescription.

S'agissant du harcèlement moral allégué par la salariée, l'AMRC expose que la salariée ne présente aucun élément laissant présumer l'existence d'un tel harcèlement. Elle soutient que la salariée n'a jamais fait l'objet d'abus, de menaces et de mesures d'humiliation répétées et délibérées dans des circonstances liées au travail, soit sur son lieu de travail, soit dans des situations liées au travail.

Réponse de la cour,

L'article L. 1152-1 du code du travail prévoit qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Sur la matérialité des faits allégués au titre du harcèlement moral :

S'agissant de l'allégation de la salariée selon laquelle la salariée aurait été amenée à exercer ses fonctions dans un bureau sans ouverture sur l'extérieur, et dépourvu d'aération et de ventilation, Mme [X] verse aux débats :

Une attestation d'une ancienne collègue de travail, Mme [H], du 3 mars 2021, dans laquelle celle-ci indique notamment que le bureau de Mme [X] était dépourvu de fenêtre et de ventilation à l'arrivée dans les locaux, et que les travaux ont été réalisés tardivement ; Mme [H] ajoute qu'à chacune de ses absences, elle proposait à Mme [X] d'occuper son bureau, qui était équipé d'une fenêtre ;

Un courriel de la salariée adressé à M. [G], responsable du CICAS de la Drôme, daté du 19 mai 2014, dans lequel Mme [X] se plaint de l'absence de renouvellement d'air dans son bureau, de l'absence de fenêtre ouvrant sur l'extérieur, et de l'impossibilité de renouveler l'air, la salariée évoquant la situation dans laquelle elle se trouve de devoir recevoir les assurés dans un espace confiné, et alléguant que l'employeur manque à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail ;

Un courriel du syndic de l'immeuble adressé à M. [G] daté du 1er septembre 2014, duquel il ressort que le syndic, lors d'une visite accompagnée d'une entreprise de travaux, a constaté un problème d'absence d'entrée d'air dans deux bureaux (fenêtres fixes), et le remplacement par l'employeur de cloisons et portes bois d'origine, par des cloisons modulables et des portes entièrement jointées ; le syndic indique prendre en charge la poste d'une VMC, mais demande à l'employeur de modifier les portes qu'il a lui-même fait installer, celles-ci étant trop étanches et empêchant le renouvellement de l'air ;

Un courriel de relance de la salariée adressé à M. [G] le 30 octobre 2014 ;

Un échange de courriels entre le responsable du CICAS de la Drôme, M. [G], le syndic de l'immeuble, et un entrepreneur, datant de la fin de l'année 2014 et du début de l'année 2015 portant sur un projet d'installation d'une VMC double flux, et sur le déplacement de « l'imposte dans le hall actuellement placé à l'extérieur vers le cendrier ».

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la salariée a averti son employeur au cours du mois de mai 2014 qu'elle souffrait de l'absence de renouvellement de l'air dans son bureau, que ce problème a été constaté par le syndic de l'immeuble en septembre 2014, que l'employeur a entrepris des travaux d'installation d'une entrée d'air, mais que le problème a persisté, jusqu'à l'installation d'une VMC double flux et le déplacement de l'entrée d'air dans le courant de l'année 2015. Ce fait est établi.

S'agissant de l'inégalité alléguée de rémunération, Mme [X] produit :

Un courrier de son employeur daté du 2 juillet 2014 dans lequel celui-ci lui annonce une augmentation de 3,35 % de sa rémunération à compter du 1er juin 2014 ;

Deux courriels du 9 et 24 janvier 2017 adressés à Mme [J], responsable RH, dans lesquelles elle demande des explications sur le fait qu'elle n'a obtenu aucune augmentation, prime ou promotion en 2016 ;

Un courriel en réponse de Mme [J] daté du 8 février 2017 dans lequel celle-ci indique à la salariée qu'elle a bénéficié d'une augmentation mensuelle de 70 euros bruts en juin 2014 récompensant son implication dans le travail, et que les managers disposent d'une enveloppe pour évaluer le positionnement de leurs collaborateurs, par rapport à l'ensemble des collaborateurs positionnés sur le même emploi, Mme [J] invitant la salariée à consulter M. [G] pour « échanger sur ses réalisations 2015 » ;

Un courriel de Mme [X] adressé à Mme [J] du 17 mars 2017, dans lequel la salariée se plaint d'avoir été exclue de la répartition de l'enveloppe 2016 sur objectifs 2015, indiquant avoir déjà rencontré ce problème en 2011, Mme [X] évoquant son arrêt de travail à la suite du décès de son conjoint ; Mme [X] ajoute que l'augmentation de 2014 était générale et non individuelle, que sa seule augmentation individuelle remonte à 2007, et se plaint explicitement de subir une inégalité de traitement par rapport à des collaborateurs positionnés sur un même emploi avec des performances similaires ;

Trois courriels adressés à Mme [J] du 8 mars, 11 avril et du 24 avril 2018, dans lesquels la salariée demande à la responsable RH si elle est définitivement exclue de l'enveloppe collective distribuée entre ses collèges en 2016 pour les objectifs 2015, et à ce qu'il lui soit transmis le document d'évaluation de ses compétences et qualités professionnels au cours de l'année 2015 ;

Un courriel du 20 avril 2018 et un courrier du 25 avril 2018 de Mme [J], par lesquels celle-ci indique à la salariée qu'elle n'est pas en mesure de lui adresser le compte-rendu de son entretien annuel 2016, celui-ci n'ayant pas pu avoir lieu, étant programmé le 21 mars 2016 et la salariée étant en arrêt de travail à compter du 19 mars 2016 ;

Un courriel du 16 juillet 2018 adressé par la salariée à Mme [J] réitérant sa demande de communication de ses résultats d'activité et d'objectifs de l'année 2015.

L'ensemble de ces éléments sont suffisants pour retenir que la salariée n'a obtenu aucune revalorisation de salaire ou prime en 2016 sur son activité de l'année 2015, qu'elle a sollicité à plusieurs reprises auprès de la direction des ressources humaines des explications sur cette situation et qu'il lui soit communiqué ses résultats d'activité et d'objectifs au titre de l'année 2015, cette situation pouvant laisser supposer une inégalité de traitement salarial au titre d'une prime versée en 2016 en fonction des objectifs réalisés au cours de l'année 2015.

Ce fait est établi.

S'agissant du caractère irréalisable des objectifs qui lui auraient été imposés, la salariée produit un courriel du jeudi 10 décembre 2015 à 11h49, lui communiquant ses objectifs pour la même semaine du 7 au 12 décembre, la salariée indiquant par ailleurs qu'une absence pour la journée du 11 décembre avait été acceptée. Mme [X] produit également un courriel du même jour adressé au responsable, M. [G], dans lequel elle indique que son objectif pour cette semaine est impossible à tenir, et se plaint du nombre toujours plus important de dossiers à traiter demandés par la hiérarchie. L'employeur ne produit aucun courriel en réponse.

La salariée établit ainsi que des objectifs pour la semaine du 7 au 12 décembre lui ont été communiqués à la fin de la semaine, alors qu'il ne lui était plus possible de les remplir, la salariée étant par ailleurs en absence acceptée par l'employeur le lendemain du jour où les objectifs lui ont été communiqués.

Ce fait est établi.

S'agissant des dépassements d'horaires, Mme [X] produit un document intitulé « DRH ' Demandes de correction Wintime », duquel il ressort que la salariée a demandé une correction d'horaires pour la journée du 23 février 2016, au motif d'une permanence à [Localité 4], et que cette demande a été refusée par M. [G] le 7 mars 2016, avec le commentaire suivant : « Dépassement important à commenter ».

Ce fait est établi.

S'agissant de son inscription à un stage durant une période de congés acceptée, Mme [X] produit un courrier de convocation à un stage ayant lieu à [Localité 5] du 29 au 30 mars 2016, ainsi qu'une capture d'écran le 9 mars 2016 d'un message texte de M. [G] informant la salariée de ce stage pour la période du 29 au 30 mars 2016, M. [G] indiquant qu'il sait que Mme [X] est en congés à ces dates, mais qu'il n'y a pas d'autres dates disponibles.

Ce fait est établi.

La salariée produit une déclaration d'accident du travail survenu le 18 mars 2016 à 16h00, l'employeur ayant indiqué que la salariée avait fait un malaise sur son lieu de travail habituel lors d'une réunion d'équipe animée par le manager, P. [G], avec la précision suivante : « Pleurs, tremblements, n'arrivait pas à s'exprimer, se cognait la tête sur son bureau », et que la salariée a été transportée à l'hôpital de [Localité 6].

Ce fait est établi.

La salariée justifie d'une dégradation de sa santé concomitante aux faits établis par la production des éléments suivants :

Des attestations de paiement des indemnités journalières de l'Assurance maladie, desquels il ressort que la salariée a été en arrêt de travail à compter du jour de son accident du travail, le 18 mars 2016, jusqu'à la fin du mois de janvier 2018, soit jusqu'à sa déclaration d'inaptitude ;

Le dossier médical auprès de la médecine du travail que le médecin du travail, duquel il ressort que, lors d'une visite du 17 avril 2016 faisant suite à son arrêt de travail pour accident du travail du 18 mars 2016, le médecin du travail a porté à son dossier la mention : « Epuisement professionnel » ;

Un courrier du Docteur [I], neurologue, du 29 novembre 2017, adressé à la médecine du travail, dans lequel celui-ci indique que la patiente est en arrêt de travail pour un « burn out, avec un passé personnel et professionnel relativement difficile », et que Mme [X] doit, d'après lui, être suivi par un psychiatre pour pouvoir espérer une amélioration de son état ; et « qu'au « niveau professionnel, (') cette personne ne peut travailler ni à temps partiel ni à temps plein, pour les deux ans à venir et (qu'il) faudra s'orienter vers un arrêt de travail définitif avec une prise en charge de type invalidité jusqu'à la retraite » ;

Une attestation du Mme [R], psychologue clinicienne en poste au centre hospitalier de [Localité 6], du 10 janvier 2018, qui indique suivre la salariée depuis un an et demi pour « dépression réactionnelle en lien avec son milieu professionnel », et que si la salariée a vécu « d'autres événements dramatiques dans sa vie privée », elle « a développé certains symptômes (phobie sociale, trouble du sommeil, syndrome dépressif') suite à des évènements précis concernant son travail, évènements particuliers qui lui ont causé un véritable traumatisme » ;

Un courrier du 29 août 2018 du Dr [N], médecin du travail, dans lequel celui-ci indique que l'avis d'inaptitude du 12 janvier 2018 fait directement suite à un arrêt de travail pour accident du travail ayant durée du 18 mars 2016 au 11 janvier 2018, et que, « dans ces conditions, l'origine professionnelle de l'inaptitude semble logique ».

Il résulte de l'examen des faits établis susvisés pris dans leur ensemble, des éléments précis et concordants permettant de supposer que Mme [X] a subi des agissements répétés de la part de son employeur pouvant caractériser un harcèlement moral ayant engendré une dégradation importante de ses conditions humaines, matérielles et relationnelles de travail avec pour conséquence un état de santé dégradé.

Il incombe dès lors à l'employeur de démontrer que les faits établis sont étrangers à tout harcèlement moral.

S'agissant de la décision de placer la salariée dans un bureau dépourvu de fenêtre et de renouvellement d'air, il est sans pertinence que la salariée ait attendu plusieurs mois pour se plaindre de cette situation (courriel envoyé en mai 2014 alors que l'emménagement dans le bureau a eu lieu en janvier 2014), dès lors que l'employeur ne conteste pas que le bureau de la salariée était bien dépourvu de système de ventilation et de renouvellement d'air et ne comportait aucune fenêtre ouvrant sur l'extérieur.

L'AMRC, qui cherche incidemment ici à soutenir que la salariée serait de mauvaise foi dans ses allégations de mal être lié à cette situation, échoue à en faire la démonstration.

Au surplus, il ne peut être valablement soutenu par l'AMRC que le bureau de la salariée ne rencontrait aucun problème de renouvellement d'air, alors qu'il ressort d'un courriel du 1er septembre 2014, produit par la salariée, que le syndic de l'immeuble a lui-même constaté l'absence d'entrée d'air dans le bureau de Mme [X], et a relevé que l'employeur avait modifié les lieux en installant des portes entièrement jointées, empêchant la circulation de l'air.

L'employeur, qui soutient que c'est à tort que Mme [X] allègue que l'entrée d'air qui a été installée lors des premiers travaux entrepris en septembre 2014 a été placée au niveau du cendrier extérieur, ne produit pas d'éléments suffisamment probants pour convaincre la cour que tel n'était pas le cas, alors que la salariée verse pour sa part aux débats un échange de courriel de la fin de l'année 2014 dans lequel il est fait mention d'une « intervention concernant le déplacement de l'imposte dans le hall actuellement placé à l'extérieur vers le cendrier ».

Il est sans incidence que la salariée n'ait pas décidé de saisir le CHSCT de la situation, dès lors que l'employeur a été informé du mal-être ressenti par la salariée du fait de la situation d'absence de renouvellement d'air et de ventilation dans son bureau, cette alerte étant suffisante pour l'obliger à prendre les mesures propres à faire cesser la situation rencontrée par la salariée potentiellement préjudiciable à sa santé.

S'il ne peut être retenu que l'employeur aurait tardé à agir pour résoudre le problème de renouvellement d'air dans le bureau de la salariée, les délais dans lesquels ont eu lieu les interventions ne paraissant pas déraisonnables compte tenu de la nécessaire intervention du syndic de l'immeuble, l'AMRC ne produit toutefois aucun élément et ne fournit aucune explication permettant de justifier pour quelles raisons elle n'a pas pris de dispositions pour changer la salariée de bureau durant les mois qui se sont écoulés entre la première alerte de la salariée en mai 2014 et la réalisation effective des travaux dans le courant de l'année 2015.

Eu égard à l'ensemble de ces constatations, il y a lieu de retenir que l'AMRC ne justifie pas par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral son omission de changer de bureau la salariée durant le temps nécessaire à la réalisation des travaux permettant d'assurer un renouvellement efficace de l'air, à l'origine d'une situation durable sur plusieurs mois de mal-être au travail de la salariée.

S'agissant de l'inégalité de traitement alléguée par la salariée, l'AMRC ne produit aucun élément permettant de démontrer qu'il aurait fourni à la salariée les éléments demandés sur son activité au titre de l'année 2015. Il ne produit pas non plus d'élément contredisant la salariée sur le fait qu'une enveloppe collective a bien été distribuée entre les collaborateurs en 2016 au titre de l'activité de l'année 2015, et ne démontre pas que la salariée aurait perçu une somme à ce titre au cours de l'année 2016.

L'AMRC qui soutient dans ses écritures que, s'agissant de l'enveloppe dont disposent les managers pour verser une prime aux salariés qu'ils supervisent, des critères objectifs ont été mis en place, à savoir l'expérience professionnelle, l'investissement et la performance du salarié dans l'emploi, ne produit aucun élément faisant la démonstration de l'existence de critères objectifs en vigueur dans l'entreprise et devant être suivis par les managers pour répartir cette enveloppe entre leurs subordonnés.

Par ailleurs, l'AMRC ne verse aux débats aucun élément permettant de démontrer de quelle manière l'enveloppe de 2016 au titre des résultats de l'année 2015 a été répartie au sein du service dont relevait la salariée.

L'AMRC ne verse aucun document justifiant ainsi de l'absence de versement d'une somme issue de cette enveloppe à la salariée.

Enfin, l'AMRC, qui allègue que l'attribution des primes se fait notamment sur les résultats du salarié au cours de l'année écoulée, ne peut exciper de l'absence d'entretien préalable de la salariée en 2016, en raison de son arrêt de travail, pour justifier l'absence de versement de documents analysant les résultats et les performances de la salariée au cours de l'année 2015, ces documents devant être préparés en amont et étant, dans tous les cas, nécessaires pour que le manager puisse répartir l'enveloppe entre ses différents collaborateurs.

Il est sans incidence que la salariée ait bénéficié d'augmentations de salaire collectives régulièrement, que sa rémunération globale soit supérieure au salaire minimum conventionnel, et qu'elle perçoive une rémunération équivalente à celle perçue par ses collègues ayant la même classification qu'elle, dès lors que l'allégation d'inégalité de traitement de la salariée ne porte que sur l'absence de versement d'une prime en 2016 au titre de l'année 2015.

En conséquence, l'AMRC échoue à justifier l'absence de versement d'une prime cette année par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral.

S'agissant des objectifs irréalisables, l'AMRC produit plusieurs tableaux de suivi d'activité des salariés exerçant les mêmes fonctions que Mme [X], desquels il ressort que la salariée se voyait confier une charge de travail équivalente à celle de ses collègues de travail.

Toutefois, s'agissant des objectifs pour la période du 7 au 12 décembre 2015 communiqués à la salariée à la fin de la semaine, l'employeur, qui allègue que ces objectifs ne constituaient qu'un outil de pilotage, dont le non-respect n'entraînait aucune conséquence négative pour la salarié, ne produit aucun élément permettant d'en faire la démonstration.

Il doit par ailleurs être relevé que l'employeur ne produit aucun courriel en réponse au courriel de la salariée du 10 décembre 2015, dans lequel celle-ci se plaint auprès de sa hiérarchie de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de réaliser les objectifs fixés pour cette semaine, en raison de leur communication tardive, et du nombre toujours plus important du nombre de dossiers à traiter.

En conséquence, l'AMRC échoue à justifier la communication tardive des objectifs de la salariée pour la période du 7 au 12 décembre 2015 par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral.

S'agissant des dépassements d'horaires, il ressort de la « Demandes de correction » produite par la salariée pour cette journée que la salariée n'a fourni aucune explication dans la rubrique « Commentaire » à l'exception de la mention « permanence [Localité 4] », que son supérieur hiérarchique a refusé la demande en indiquant « Dépassement important à commenter ».

Il n'est pas contesté par la salariée qu'elle n'a pas transmis à sa hiérarchie le courrier adressé à M. [G], daté du 18 mars 2016, dans lequel celle-ci conteste son refus de prendre en compte son dépassement d'heure, justifie la réalité des horaires qu'elle a déclarés, et se plaint d'un « rythme infernal », d'un « taux de stress élevé », et du fait qu'il n'est pas toujours possible de respecter des horaires dans le cadre d'une activité qui consiste principalement à recevoir des gens en rendez-vous, et d'une organisation et d'une pression qui la rendent moins productive et entraînent un désinvestissement professionnel.

La salariée ne produit aucun autre élément permettant de démontrer qu'elle aurait fourni des explications à son supérieur hiérarchique pour le dépassement d'horaires le 23 février 2016.

Elle ne produit par ailleurs aucune autre demande de correction comportant des explications précises, qui se seraient vues opposer un refus de la part de l'employeur.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le refus de l'employeur d'accepter la demande de correction d'horaires pour la journée du 23 février 2016, dès lors qu'il était accompagné d'une demande adressée à la salariée d'apporter un complément d'information et que la salariée ne justifie pas avoir apporté d'explications, est justifié par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral.

S'agissant de l'inscription de la salariée à une formation durant une période de congés acceptée par sa hiérarchie, il ne ressort pas explicitement du message texte de M. [G] du 9 mars 2016 que la salariée avait la possibilité de maintenir ses congés et de ne pas participer à la réunion.

L'employeur ne produit aucun élément permettant de démontrer, comme il l'allègue, qu'aucune autre date de formation n'était disponible.

Il est sans incidence qu'une autre salariée que Mme Mme [X] était également dans la même situation qu'elle.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de retenir que l'AMRC ne justifie pas par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement moral de la décision d'inscrire la salariée à une formation à des dates tombant sur des congés déjà acceptés et validés.

L'AMRC ne produit aucun élément permettant de démontrer qu'il n'existerait aucun lien entre le malaise de la salariée survenu au cours d'une réunion avec M. [G] du 18 mars 2016, et ses conditions de travail, et que ce malaise trouverait exclusivement son origine dans des causes extérieures à son activité professionnelle.

Il résulte de ces constatations que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Mme [X] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est donc établi.

Compte tenu des circonstances et de la dégradation démontrée de l'état de santé de la salariée qui en a découlé, laquelle a nécessité un arrêt de travail de plusieurs mois accompagné d'un traitement sous antidépresseurs, il convient de réparer le préjudice subi par Mme [X] en condamnant son employeur à lui payer la somme de 10 000 euros. Il y a dès lors lieu d'infirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement entrepris est infirmé sur les dépens et confirmé sur les frais irrépétibles.

L'AMRC, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté l'AMRC de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que Mme [X] a subi un harcèlement moral sur son lieu de travail,

CONDAMNE l'AMRC à payer à Mme [X] les sommes suivantes :

10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE le surplus des prétentions des parties,

CONDAMNE l'AMRC aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Jean-Pierre Delavenay, Président, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 20/04141
Date de la décision : 07/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-07;20.04141 ?
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