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07/02/2023 | FRANCE | N°20/04222

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section a, 07 février 2023, 20/04222


C1



N° RG 20/04222



N° Portalis DBVM-V-B7E-KVRH



N° Minute :

















































































Copie exécutoire délivrée le :





la SELARL BGLM



Me Catherine MOINEAU

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'AP

PEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 07 FEVRIER 2023





Appel d'une décision (N° RG 19/00075)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GAP

en date du 30 novembre 2020

suivant déclaration d'appel du 24 décembre 2020





APPELANTE :



Madame [U] [W]

née le 24 Août 1976 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1...

C1

N° RG 20/04222

N° Portalis DBVM-V-B7E-KVRH

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL BGLM

Me Catherine MOINEAU

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section A

ARRÊT DU MARDI 07 FEVRIER 2023

Appel d'une décision (N° RG 19/00075)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GAP

en date du 30 novembre 2020

suivant déclaration d'appel du 24 décembre 2020

APPELANTE :

Madame [U] [W]

née le 24 Août 1976 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Corinne PELLEGRIN de la SELARL BGLM, avocat au barreau de HAUTES-ALPES,

INTIMEE :

S.A.R.L. CLARIOND, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Catherine MOINEAU, avocat au barreau de HAUTES-ALPES,

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,

Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 octobre 2022,

Mme Gaëlle BARDOSSE, Conseillère chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 13 décembre 2022, prorogé au 07 février 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 07 février 2023.

Exposé du litige :

La société CLARIOND est une filiale de la société AMBULANCES [X] et ces deux sociétés sont gérées par M. [T] [X]. Ces deux sociétés ont conclu une convention de prestation de service dans le cadre de laquelle la société AMBULANCES [X] assure la régulation des transports et l'aiguillage des chauffeurs ambulanciers des deux sociétés.

Mme [W] été engagée par la SARL CLARIOND en qualité d 'ambulancière avec un premier contrat à durée déterminée le 4 septembre 2017 auquel se succéderont d'autres contrats à durée déterminée jusqu'au 11 décembre 2018 pour conclure un contrat à durée indéterminée à la date du 7 janvier 2019.

Un avertissement daté du 17 juin 2019 lui est notifié, réceptionné le 10 juillet 2019, pour utilisation personnelle de son véhicule professionnel pendant ses heures de travail.

Le 4 juillet 2019, Mme [W] a été placée en arrêt de travail.

Mme [W] se trouvait toujours en arrêt de travail lorsqu'elle a notifié à son employeur, le 23 septembre 2019, la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail pour harcèlement moral.

Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Gap le 10 octobre 2019 aux fins de voir juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail s'analyse en un licenciement aux torts de l'employeur et que ce licenciement, intervenu durant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail, est nul.

Par jugement du 30 Novembre 2020, le conseil des prud'hommes de Gap, a :

- Dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme [W] n'est pas justifiée et ne s'analyse pas en un licenciement aux torts de l'employeur,

- Dit que le licenciement est prononcé pour une cause réelle et sérieuse. 

- Dit que le harcèlement moral de l'employeur la SARL CLARIOND à l'égard de Mme [W] n'est pas caractérisé.

Dit que le harcèlement sexuel de M. [M] à l'égard de Mme [W] n'est pas avéré. 

- Débouté Mme [W] de l'ensemble ses demandes, fins et conclusions.

- Condamné Mme [W] à régler la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure Civile.

- Mis les entiers dépens de l'instance à la charge de Mme [W].

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La décision a été notifiée aux parties et Mme [W] en a interjeté appel.

Par conclusions du 16 septembre 2022, Mme [W] demande à la cour d'appel de :

- Réformer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de GAP en date du 30 novembre 2020 en toutes ses dispositions,

- Constater que la société CLARIOND s'est rendue coupable d'harcèlement moral et sexuel à son encontre,

- Dire et juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail du 23 septembre 2019 s'analyse en un licenciement aux torts de l'employeur,

- Qualifier ce licenciement aux torts de l'employeur, intervenu durant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail, de licenciement nul,

- Condamner la société CLARIOND à lui payer les sommes suivantes :

A titre de l'indemnité compensatrice de préavis (2 mois) : 4 764 euros

A titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents : 476,40 euros

A titre de l'indemnité de licenciement (1/10 mois de salaire par année d'ancienneté) 1 191euros

A titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (12 mois) : 28 584 euros

- Condamner la société CLARIOND à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 02 septembre 2022 la SARL CLARIOND demande à la cour d'appel de :

- Confirmer en son intégralité le Jugement du Conseil de prud'hommes de GAP,

En conséquence,

- Dire et juger que la société CLARIOND n'a pas commis d'agissements constitutifs de harcèlement moral à l'égard de Mme [W],

- Dire et juger que Mme [W] n'a pas été victime d'agissements constitutifs de harcèlement sexuel de la part de M. [M],

- Dire et juger que les griefs imputés à la société CLARIOND, par Mme [W] sont infondés,

- Débouter Mme [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- Requalifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [W] en une démission,

Statuant de nouveau,

Condamner Mme [W] à payer à la société CLARIOND une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel et la condamner aux entiers dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI :

Sur la demande de requalification de la prise d'acte en une rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur :

Moyens des parties :

Mme [W] expose qu'au vu des manquements de l'employeur, la prise d'acte aux torts de l'employeur est fondée et doit produit les effets d'un licenciement nul et soutient que le harcèlement moral est caractérisé par plusieurs faits :

Un recours abusif aux CDD : elle s'est vue imposer 14 contrats successifs a durée déterminée, avant d'être finalement embauchée en CDI, après 13 mois de précarité ; elle ne savait pas parfois si elle retravaillerait le lendemain et elle a, malgré cela, accepté la signature du CDI parce que le secteur propose peu d'offres d'emploi et la dégradation des conditions de travail a eu lieu progressivement,

Des pressions permanentes, des heures supplémentaires, une absence de pause :

Faute de salariés en nombre suffisant, les salariés étaient soumis à une pression inadmissible, l'employeur le reconnait dans une note d'information du CCC (société [X]) ; cette difficulté concerne bien la société employeur CLARIOND filiale de la société [X] puisque ces deux sociétés sont gérées par M. [X],

Les pauses étaient régulièrement refusées pour le déjeuner et les salariés accomplissaient de nombreuses heures supplémentaires dans des conditions de stress et de pression dangereuse pour leur santé. Ses feuilles de route hebdomadaires démontrent l'amplitude d'une journée de travail pouvant aller jusqu'à 53 heures de travail par semaine, les heures supplémentaires ont été rémunérées mais le temps de pause n'était que de 20 à 30 minutes par jour,

Le ton employé par l'employeur dans les SMS durant les déplacements renforçait le stress et elle ne pouvait pas refuser de faire des heures supplémentaires en cas de rendez-vous personnel sans subir des reproches. Parfois alors qu'elle avait fini sa journée, il lui était demandé de faire une nouvelle course et elle ne pouvait plus s'exprimer sans subir des réponses cinglantes, Des clients attestent de son professionnalisme mais encore du fait que les conditions de travail se sont dégradées. Lorsqu'elle a annoncé un arrêt de travail, elle s'est vue traitée de « sale pute » ;

Des transports illicites : il lui a été demandé de faire des transports « taxi » alors qu'elle n'avait pas encore le permis de conduire taxi et elle faisait alors ces transports en VSL sans avoir la carte professionnelle. L'employeur lui demandait de faire des transports au laboratoire en même temps que des patients, ce qui est interdit, et elle n'avait aucune formation ou qualification pour le faire,

Un avertissement et une mise en demeure injustifiés :

L'avertissement du 17 juin 2019 reçu le 10 juillet 2019, pour avoir utilisé le véhicule professionnel à des fins personnelles, est sans fondement. Elle avait demandé l'autorisation de sa hiérarchie sans obtenir de réponse et le patient lui avait demandé de faire ce trajet avec elle jusqu'à CARRO où elle-même devait faire une course. L'employeur admet qu'il est possible de faire une course personnelle pendant le temps de pause et elle n'a pas mis des frais de péage ou d'essence supplémentaires à la charge de l'employeur ou de la CPAM ; Cet avertissement alors qu'elle était en accident de travail est une façon de l'accabler et de lui mettre la pression pour qu'elle taise les pratiques inadmissibles et illégales de l'entreprise,

La mise en demeure du 14 aout 2019, de reprendre le travail ou de donner un certificat médical dans les 24 heures, alors qu'elle avait remis l'arrêt de prolongation dès le 1er aout à M. Clariond, un mois après l'avertissement, avait pour but de la sanctionner et de la contraindre à sortir des effectifs.

L'envoi tardif des documents de fin de contrat : Remis plus de 3 mois après la rupture du contrat, l'employeur prétendant que la salariée devait venir les chercher à l'entreprise alors qu'elle avait indiqué, qu'étant en arrêt de travail mais encore en raison du comportement de l'employeur à son égard, elle ne se déplacerait pas. Les documents n'ont été envoyés qu'après courrier officiel de l'avocat.

Une atteinte à son état de santé :

Elle n'a jamais fait l'objet d'aucun arrêt de travail malgré les conditions de travail difficiles qui lui étaient imposées jusqu'à son accident du travail le 3 juillet 2019, dont le caractère professionnel était reconnu par la CPAM le 10 septembre 2019.

Ces agissements répétés ont eu un impact sur sa santé physique et mentale et sont la cause de l'accident du travail subi le 3 juillet 2019. Elle a déploré des douleurs incessantes au niveau de son épaule droite et depuis janvier 2019, elle suivait des séances de kinésithérapies, ce que son employeur n'ignorait pas. Elle a fait l'objet d'une visite médicale de la médecine du travail en février 2019 mais l'employeur a continué de lui imposer des conditions de travail insoutenables jusqu'à son accident du travail le 03 juillet 2019

Sur le plan moral, elle a connu un véritable « burn out » ;

Sur le harcèlement sexuel, Mme [W] expose :

M. [M] tenait régulièrement des propos inadmissibles à l'égard de ses collègues féminines, n'hésitant pas à faire des remarques sur leur physique, à poser les mains sur elles de façon parfaitement déplacée,

M. [M], M. [A] et M. [L] [X] ('ls de M. [T] [X]), ainsi que M. [X] lui-même, tenaient des propos grossiers et indélicats à l'égard de leur personnel. Plus particulièrement M. [M], pour qui l'usage des propos grivois et obscènes est une pratique tout à fait courante,

Le fait que M. [M] soit salarié de la société AMBULANCE [X] ne permet pas d'écarter la qualification de harcèlement sexuel, des lors qu'il est cadre et régulateur pour les sociétés [X]/CLARIOND et qu'il a, au regard de son ancienneté et de son rôle hiérarchique, un lien de hiérarchie effectif avec les salariés, et une certaine emprise, étant l'interlocuteur numéro 1 en l'absence très fréquente de M. [X] qui occupe de multiples autres fonctions (membre de la chambre du commerce, formateur ambulancier etc..),

M. [M] l'a traité de « sale pute », le 04 juillet 2019 par SMS, et le M. [X] gérant de la société Clariond n'a pas réagi. Le classement sans suite de sa plainte n'enlève pas le comportement injurieux et sexiste de M. [M] ; l'employeur n'a pas pris les mesures utiles.

La société Clariond expose que les manquements ne sont pas démontrés, la prise d'acte produit donc les effets d'une démission. Elle conteste les griefs de harcèlement moral et de harcèlement sexuel et expose sur le harcèlement moral :

Sur le recours aux CDD : ce grief n'a jamais été évoqué dans la lettre de prise d'acte et la salariée qui se plaint d'une dégradation de ses conditions de travail a pourtant accepté de signer un CDI ;

Sur la dégradation des conditions de travail : Ce grief n'a pas non plus été évoqué lors de la prise d'acte ni durant l'exécution du contrat de travail. Si certaines semaines nécessitaient plusieurs heures supplémentaires, d'autres étaient moins chargées permettant à la salariée de commencer plus tard ou terminer plus tôt ;

Sur l'allégation de transports illicites : S'agissant du transport de sang, les ambulanciers doivent être mobilisés pour effectuer les transports prévus et notamment du transport de sang, dès lors que leur employeur détient l'agrément pour le faire et la salariée a bénéficié d'une formation interne sur le transport de sang. S'agissant du transport de personnes, la salariée n'a jamais été affectée à la conduite d'un véhicule de taxi avant d'obtenir son permis de conducteur de taxi ;

Sur l'avertissement du 17 Juin 2019 et la mise en demeure d'aout 2019 : Elle a été sanctionnée pour avoir, sans accord préalable de son employeur, utilisé le véhicule professionnel à des fins personnelles aux frais de son employeur et de la CPAM et a comptabilisé ce temps de pause comme du temps de travail effectif rémunéré par son employeur. Sur la mise en demeure du 14 août 2019, la salariée n'avait pas adressé son arrêt de travail postérieur au 1er août 2019 ;

Sur la communication des documents de fin de contrat : Ils étaient prêts dès le 07 octobre 2019 et la salariée a abusivement refusé de venir les chercher alors que le salaire est quérable et qu'elle devait rendre ses tenues.

Sur l'atteinte alléguée à sa santé : elle n'est pas établie, la salariée a été déclarée apte sans restriction, n'a jamais subi de pression et surtout ne s'est jamais plainte de ses conditions de travail et la société a émis des réserves sur les circonstances de son accident du travail auprès de la CPAM. La société CLARIOND avait malgré tout accepté de la dispenser de la conduite d'ambulances, véhicule qu'elle conduit actuellement dans son nouvel emploi.

S'agissant des faits de harcèlement sexuels allégués, l'employeur expose que Mme [W] ne peut se prévaloir d'un prétendu comportement concernant d'autres salariés qu'elle. M. [M] n'a jamais adopté de comportement déplacé envers ses collègues comme celles-ci en attestent et au surplus, les prétendus gestes allégués par la salariée, s'ils ont réellement existé, n'ont jamais été portés à la connaissance de M. [X], le Gérant de la société AMBULANCES [X]. Le SMS d'insulte était en fait un commentaire impulsif sur l'arrêt de travail de la salariée, M [M] transférant en fait le sms de Mme [W] en y ajoutant cette insulte. Il s'en est excusé par téléphone. Ce salarié n'était pas celui de Clariond il a été demandé à la société Ambulances de prendre des mesures et le salarié a été sanctionné d'une mise à pied de 3 jours.

Réponse de la cour :

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des manquements invoqués à l'encontre de son employeur.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture entraîne la cessation immédiate du contrat de travail.

La prise d'acte produit soit l'effet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié le justifient ou d'un licenciement nul lorsque les manquements reprochés à l'employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement, soit enfin l'effet d'une démission si les griefs invoqués ne sont pas justifiés.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.

Le harcèlement moral n'est en soi, ni la pression, ni le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes de gestion ou le rappel à l'ordre voire le recadrage par un supérieur hiérarchique d'un salarié défaillant dans la mise en 'uvre de ses fonctions.

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Suivants les dispositions de l'article L 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral; dans l'affirmative, il appartient ensuite à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne dispensent pas celle-ci d'établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu'elle présente au soutien de l'allégation selon laquelle elle subirait un harcèlement moral au travail.

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce, Mme [W] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, par lettre de son conseil en date du 23 septembre 2019. Elle énonce avoir exercé de manière « dévouée » ses fonctions et que suite à l'annonce de son arrêt de travail par SMS du 04 juillet 2019, elle a reçu le même jour « un sms de la part de son supérieur hiérarchique M. [M] particulièrement insultant et humiliant qui constitue en outre un outrage sexiste libellé en ces termes : « sale pute » ». Elle déplore l'absence de réaction de l'employeur exposant Aux termes de cette lettre de prise d'acte, Mme [W] fait valoir que le « flou total sur la prétendue sanction disciplinaire qui aurait été prise » (envers M. [M]) ne lui permettent pas de réintégrer l'entreprise, ne pouvant travailler sous les ordres de M. [M]. Le concernant, elle dénonce en outre des propos sexistes réguliers envers des collègues.

Elle dénonce enfin l'avertissement notifié pour une faute qu'elle conteste, la mise en demeure du 04 août 2019 (pour absence de dépôt de la prolongation de son arrêt de travail) infondée et fait valoir que « ce comportement s'apparente à du harcèlement moral, particulièrement inacceptable au regard des faits dont Mme [W] a été victime ».

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, contrairement à une lettre de licenciement. Dès lors, contrairement au fait conclu par l'employeur, Mme [W] peut invoquer d'autres manquements dans le cadre de la procédure prud'homale, à charge pour le juge d'analyser l'ensemble des griefs.

S'agissant des faits de harcèlement moral, Mme [W] fait état de plusieurs manquements de l'employeur.

Sur le recours qualifié d'abusif aux CDD, il convient de rappeler qu'au terme de l'article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Ces dispositions ont été édictées dans un souci de protection du salarié, seul celui-ci peut se prévaloir de leur inobservation. Par ailleurs, en application des articles L. 1243-13 et suivants du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée, à défaut de stipulations conventionnelles, est renouvelable deux fois pour une durée déterminée. La durée du renouvellement, ajoutée à la durée du contrat initial ne peut excéder 18 mois.

Il est établi que Mme [W] a été recrutée par la société Clariond par un premier CDD du 04 septembre 2017, la relation de travail se poursuivant par 13 autre CDD, le dernier contrat étant signé le 07 novembre 2018. Tous ces contrats ont tous été conclus « à terme précis » pour remplacement d'un salarié absent pour congés ou maladie.

A compter du 5ème contrat, signé le 1er janvier 2018 toujours « à terme précis », la salariée est recrutée pour remplacer Mme [E] en arrêt maladie. Elle va signer, sans discontinuer, 8 autres CDD jusqu'au dernier en date du 07 novembre 2018 pour le même motif.

La cour observe que Mme [W] a donc remplacé durablement, pendant 9 mois, une salariée absente pour maladie sans que le CDD n'indique qu'il s'agissait d'un arrêt longue maladie. Les délais entre ces contrats étaient variables et de fait généraient une absence de stabilité de sa situation salariale. Le manquement est établi.

Sur le grief de pressions, d'heures supplémentaires et d'absence de pause, Mme [W] produit pour étayer la matérialité de ce manquement 5 feuilles de route portant sur 5 semaines de travail durant les mois de juillet 2018 (alors qu'elle était en CDD), février 2019, mars 2019, mai 2019 et juillet 2019 ; Il en ressort qu'elle effectue un temps de travail supérieur à celui prévu à son contrat de travail de 35 heures. Il ressort de ce même contrat que la salariée s'est engagée à faire des heures supplémentaires et elle admet que celles-ci ont été rémunérées.

Cependant, le fait qu'elle accomplissait régulièrement des heures supplémentaires, fait non contesté, est invoquée par la salariée à l'appui d'un manquement plus général, celui de la pression imposée par l'employeur pour accomplir le plus de courses possibles sans pause.

Mme [W] produit à ce sujet des échanges de SMS (de mars, avril, novembre 2018) avec le régulateur, rédigés en majuscule, comportant parfois des mots grossiers et dont le ton peut effectivement être qualifié de péremptoire ou à tout le moins directif. Mme [W] est notamment interrogée de manière insistante sur son trajet et son temps de route.

Dans l'un des SMS, Mme [W] sollicite le 23 avril 2018 une pause à 12h48 et il lui est répondu qu'elle doit attendre d'arriver à [Localité 4] en raison de l'appel d'un autre client. Lors d'un autre SMS du 27 juillet 2018, il est clairement sous-entendu qu'elle n'aurait pas remis à l'employeur le règlement d'une course dans la bannette dédiée.

Le 12 mars 2018, elle indique qu'elle devait terminer à 17 heures mais il lui est répondu « oui théoriquement, ça dépend du boulot aussi, quand on a pas le choix on a pas le choix c'est le boulot quoi ».

Mme [W] produit encore deux attestations de patiente (Mme [H] et Mme [I]) qui relatent, toutes deux, avoir constaté une dégradation, courant 2019, des conditions de travail de la salariée, des appels incessants du coordinateur ou messages « retard sur la mission », un rythme de travail important, l'absence de pause. L'une d'elle indique que M. [X] « transporte du bétail qui n'a pas le droit à la parole ». Mme [W] établit la matérialité de ce manquement.

Sur le grief de transporst illicites, Mme [W] évoque tout d'abord le fait qu'elle accomplissait des transports « taxi de voyageur », en VSL, alors qu'elle n'avait pas encore le permis de conducteur taxi. Elle produit des instructions par SMS de l'employeur pour opérer des courses avec la mention « taxi » en novembre 2018 et une copie de sa carte professionnelle de conducteur de taxi délivrée le 07 février 2019. La matérialité de ce manquement est établie.

S'agissant du transport illicite de sang, Mme [W] verse des instructions par SMS avec la mention SANG et se fonde sur les dispositions de l'arrêté du 24 avril 2002 relatif aux bonnes pratiques de transport de prélèvements, produits et échantillons issus de sang humain. Cet arrêté ne prévoit pas, contrairement au fait conclu par Mme [W], qu'elle devait elle-même être titulaire d'un agrément pour effectuer de tels transports, cet agrément étant délivré à la société employeur. Cependant, il y est fait mention que les transporteurs doivent suivre une formation et Mme [W] argue n'en avoir suivi aucune. La matérialité de ce manquement est établie.

Sur le fait qu'elle a subi des pressions via deux avertissements injustifiés, Mme [W] produit tout d'abord l'avertissement du 17 juin 2019, réceptionné le 10 juillet 2019. Il lui est fait grief d'avoir le 20 mai 2019, en utilisant le véhicule professionnel et durant le temps de travail, effectué un transport à des fins personnelles sans autorisation de l'employeur. Mme [W] justifie avoir demandé l'autorisation par SMS le 20 mai à 13h06 et avoir accompli ce déplacement sans avoir obtenu de réponse à sa demande. Mme [W], qui a certes contesté cet avertissement, par courrier du 30 septembre 2019, mais qui n'en sollicite pas l'annulation dans la présente procédure, n'apporte aucun élément permettant de constater que ce déplacement, non prévu dans son planning, a été accompli durant le temps de pause ainsi que conclu et non durant le temps de travail ou encore que les patients transportés aient sollicité ce transport. Cet avertissement est donc fondé et la matérialité du manquement n'est pas établie.

S'agissant de la mise en demeure du 14 août 2019, l'employeur a intimé à la salariée « soit de reprendre votre travail, soit de fournir un certificat de travail dans les 24 heures suivant la réception de cette lettre », le premier arrêt de travail étant arrivé à échéance le 1er août 2019. Mme [W] répond à cette lettre par mail du 19 août pour indiquer qu'elle aurait apporté en main propre la prolongation de son arrêt et indique joindre le document en question. Elle admet, dans ses écritures, qu'elle a pu remettre par erreur en main propre une mauvaise version de l'arrêt de travail. Cette mise en demeure, sans contact préalable, alors que la salariée est en arrêt apparaît effectivement soudaine et injustifiée, l'employeur ayant manifestement conscience lors de l'arrêt de prolongation, alors que la salariée était déjà en arrêt de travail, qu'en réalité elle venait remettre sa prolongation de l'arrêt initial. La matérialité du manquement est établie.

Sur l'envoi des documents de fin de contrat qualifié de tardif, il est établi que la salariée ne les a obtenus qu'en décembre 2019, soit plus de trois mois après la prise d'acte et suite à la réclamation des documents par son conseil par lettre du 09 décembre 2019. Pourtant, dès octobre 2019, Mme [W] avait exprimé une demande auprès de M. [X] pour un envoi des documents à son domicile. Ce dernier lui répond par mail du 22 octobre qu'il lui remettra le solde de tout compte (SIC) « en mains propres » alors qu'aucune obligation légale n'impose au salarié de venir chercher les documents en question. La matérialité de ce manquement est établie.

Sur son état de santé, Mme [W] a fait l'objet d'un arrêt du travail à compter du 03 juillet 2019 pour « douleurs de l'épaule droite et cervico lombaires-impotence fonctionnelle de l'épaule droite » et justifie faire l'objet d'un suivi par un kinésithérapeute depuis janvier à Juillet 2019 mais ne démontre pas que son employeur avait connaissance du motif de ses absences. Elle verse en outre une fiche de suivi du 28 février 2019 « à conserver par le salarié » par la médecine du travail réalisée lors d'une « visite d'information et de prévention » et la lettre remise le même jour par laquelle l'infirmier lui délivre des conseils pour améliorer sa situation, ayant relevé la présence d'un TMS. L'arrêt de travail n'a été reconnu comme un accident du travail et pris en charge par la CPAM à ce titre qu'à compter du 10 septembre 2019 et Mme [W] ne démontre pas avoir alerté son employeur au sujet de douleurs ou de difficultés à exercer son emploi.

Mme [W] n'établit donc pas la matérialité d'un lien entre ses douleurs à l'épaule pour lesquelles elle a ensuite été opérée et son travail mais encore avoir alerté son employeur à ce sujet. La matérialité de ce manquement n'est pas établie.

Mme [W] produit par ailleurs, pour étayer cette fois des conséquences des manquements allégués sur son état psychique, un certificat médical d'un médecin généraliste qui relève une « anxiété secondaire à des problèmes relationnels avec son employeur (se dit moralement harcelée par celui-ci) ». Il est donc établi que Mme [W], à la période de la prise d'acte a présenté une anxiété médicalement constatée.

S'agissant des faits de harcèlement sexuel dénoncés, Mme [W] dénonce tout d'abord des propos et comportement sexualisés de M. [N] [M] envers des collègues féminines. A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le harcèlement sexuel peut notamment consister en un harcèlement environnemental ou d'ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables.

En l'espèce, La cour relève tout d'abord que les pièces produites par la salariée ne permettent pas d'établir la matérialité de faits ou de propos concernant le gérant et son fils ou M. [A], celles-ci ne concernant que M. [M].

S'agissant de M. [M], il n'est pas contesté qu'il est employé par la société [X] dont M. [T] [X] est le gérant, ce dernier est aussi le gérant de la filiale la société Clariond. Une convention de prestation de service a été signée entre les deux sociétés, la société [X] assurant la régulation et l'aiguillage des ambulanciers des deux sociétés. Le centre de régulation se trouvait à [Localité 6] (siège des AMBULANCES [X]), site au sein duquel M. [M] assume les fonctions de « responsable du service de régulation ». Cette fonction, conduit de fait la salariée à recevoir des instructions de la part de M. [M]. La cour observe au surplus, que les contacts et le lien de subordination pouvant exister entre M. [M] et Mme [W] ressortent notamment du fait qu'elle lui adresse le SMS du 04 juillet l'avisant de son arrêt de travail.

Sur les propos ou attitudes de M. [M] envers d'autres salariées, Mme [W] verse un échange de SMS avec un contact nommé « une employée [X] », du 24 juillet et du 10 septembre 2019, qui évoquent les problèmes d'épaule de la salariée. Mme [W] lui demande le 10 septembre « coucou miss, ça va ' Y en a qui se sont détendus ou pas ' ou encore des gestes déplacés ' ». Son interlocutrice lui répond « coucou ça va merci et toi ' Oh que non c'est toujours tendu niveau ambiance. Après les gestes déplacés pour ma part c'est terminé depuis que je me suis pris la tête avec [N] et bien contente !!!Après les paroles ça parle toujours mal derrière le dos des autres ».

Mme [W] argue en outre avoir entendu M. [M] déclarer lors de la distribution du papier WC « Je t'en donne un peu plus parce qu'à [Localité 1] vous avez le cul irrité », surnommer une secrétaire prénommée [J] « natachatte », qualifier le prénom d'une salariée (Mme [B] [Y]) de prénom de « salope », évoquer le « beau cul » d'une autre salariée (Mme [F]). Elle fait encore état du fait que M. [M] pouvait toucher la poitrine de certaines salariées et évoque la situation de Mme [S]. Envers elle, Mme [W] indique que M. [M] lui aurait déclaré « on te donne des tenues, par contre il faut que tu les essaies devant nous ».

M. [R] atteste à ce sujet en indiquant avoir reçu les confidences d'une salariée ([G] [S]), ou encore que des propos « salasses » étaient tenus à propos de salariées. Mme [W] verse par ailleurs des échanges de SMS avec ce salarié avant l'établissement de l'attestation. Il en ressort que M. [R] indique avoir reçu de telles confidences, Mme [S], ambulancière, lui ayant confié que M. [M] lui avait touché les seins sans qu'elle n'ose le dénoncer par crainte de représailles, compte tenu du fait qu'elle a dû réintégrer la société n'ayant plus de travail ailleurs. Il ajoute que « beaucoup de femmes » qui ont fait l'objet de remarques désobligeantes n'ont pas osé en parler de peur de perdre leur travail et ne pouvant pas prétendre à un poste similaire car l'entreprise de M. [X] étant la seule dans la région.

Enfin, il est matériellement établi que suite à son SMS du 04 juillet 2019, informant M. [M] de son arrêt maladie, il lui a répondu, ainsi qu'à 3 autres personnes de l'entreprise dont M. [X] le gérant, « sale pute ! ».

Mme [W] établit donc la matérialité de faits de harcèlement sexuel consistant en des propos ou comportements sexistes tenus envers elle et au sein de l'entreprise dans laquelle elle exerçait.

Il résulte de l'examen de l'ensemble des faits établis susvisés pris dans leur ensemble, des éléments précis, concordants et répétés permettant de présumer que Mme [W] a subi des agissements répétés de la part de son employeur pouvant caractériser un harcèlement moral et sexuel. Il incombe par conséquent à l'employeur de démontrer que les faits ainsi établis sont étrangers à tout harcèlement moral et sexuel.

S'agissant du recours aux CDD, outre les arguments sur le fait que la salariée ne s'est jamais plainte de sa situation et a fini par signer un CDI, la société expose que ces CDD ont été renouvelés en raison de l'absence d'une salariée malade. Il n'est versé aucun justificatif de maladie de cette salariée, Mme [E] dont il n'est pas contesté que cette absence a perduré. Durant 9 mois, Mme [W] a occupé le poste de la même salariée, occupé les mêmes fonctions. Ce remplacement, via 13 CDD, alors que l'employeur ne justifie pas objectivement de la raison pour laquelle il a maintenu la salariée dans une situation de salariat « précaire » au lieu de lui proposer plus rapidement un CDI, avait donc en réalité pour objet et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de cette dernière, maintenant la salariée dans une situation de précarité.

Sur les conditions de travail, la pression alléguée par la salariée en raison du rythme de travail, la société CLARIOND, sur laquelle repose la charge de la preuve en matière de prise des temps de pause, se limite à produire un extrait du compte facebook de la salariée montrant qu'elle prend une pause à [Localité 5] à « prado beach » le 20 juillet 2018. Ne sont produites que des attestations de salariés indiquant que l'employeur leur réglait les heures supplémentaires et leur accordait des pauses. Ces seules attestations non circonstanciées, eu égard au lien de subordination existant entre les attestants et l'employeur ne peuvent suffire à démontrer le respect des temps de pause concernant la salariée. De même, aucun planning, aucune autre feuille de route, que celles produites par la salariée, ne sont versées par la société CLARIOND venant corroborer le fait conclu selon lequel « si certaines semaines nécessitaient l'accomplissement d'heures supplémentaires (toutes payées !!!) d'autres semaient étaient en revanche nettement moins chargées ».

Enfin, sur le ton et les termes employés par le régulateur pour s'adresser à la salariée, aucun moyen n'est développé pour les expliquer ou les justifier. L'employeur verse un recueil de remerciements concernant la qualité du travail des ambulanciers de l'entreprise ou de M. [X] et argue, sans le démontrer, que l'une des clientes qui atteste en faveur de Mme [W] est une amie tandis que l'autre serait « une patiente mécontente ».

Sur les transports de sang, la société CLARIOND allègue de la délivrance d'une formation et produit une attestation du gérant, M. [X] selon laquelle une formation était dispensée par le personnel du site à « chaque nouvelle recrue ». Il est encore versé une fiche de procédure à suivre pour le transport de sang qui évoque une formation à dispenser auprès du personnel. Ces éléments, qui ne comportent aucune date, aucun nom des salariés ayant reçu la formation, ne permettent pas à la cour de se convaincre que la salariée a effectivement suivi la formation en question.

Sur la réalisation de transports « taxi » par Mme [W] alors qu'elle n'était pas titulaire du permis, la Société Clariond produit une attestation de M. [T] [X], [L] [X], M. [A] et de M. [M] qui indiquent que la salariée n'a jamais été affectée à la conduite d'un véhicule taxi. La Cour observe que Mme [W] affirme avoir fait des transports taxis en VSL et non en véhicule taxi et que ces attestations ne permettent pas d'expliquer les messages reçus par la salariée, dont elle produit les photographies, sur lesquels figurent à 3 reprises des mentions de « courses taxis », l'employeur demeurant taisant dans ses écritures à ce sujet.

Sur la mise en demeure du 14 août 2019, la société Clariond admet que la salariée a remis en mains propres à M. Clariond un arrêt de travail qui n'était pas celui de prolongation et qu'elle a régularisé la situation après la mise en demeure. Il n'est apporté aucune explication au fait qu'une mise en demeure soit faite à la salariée, dont il n'est pas contesté qu'elle n'a jamais été en arrêt maladie auparavant, plutôt qu'un contact informel (mail ou appel). Cette mise en demeure, juridiquement autorisée, apparaît cependant disproportionnée dans le contexte dans laquelle elle intervient. Ainsi le 04 juillet, la salariée, en arrêt de travail, a été qualifiée de « sale pute » par le responsable de la régulation et elle écrit le même jour un mail à son employeur dans lequel elle lui indique qu'elle ne peut pas laisser passer ces propos, cette atteinte à sa dignité « correspondant à du harcèlement moral ».

Sur les faits de harcèlement sexuels, le comportement de M. [M] envers le personnel féminin, l'employeur produit, outre des attestations d'ambulanciers faisant état de l'absence de difficultés avec M. [M] et de son professionnalisme, une dizaine d'attestations de salariées qui affirment n'avoir jamais rencontré de difficultés avec M. [M].

S'agissant des salariées évoquées par Mme [W] et M. [R], la société Clariond produit aussi leurs attestations, certaines d'entre elles attestant plusieurs fois :

Mme [F], citée par la salariée, dément avoir eu des « problèmes de harcèlement » de la part de M. [M],

Mme [Y] [B] (dont le prénom aurait été dénigré par M. [M]) atteste, à deux reprises, n'avoir subi aucun comportement ou propos déplacé et indique qu'elle envisage de déposer plainte contre Mme [W],

Mme [G] [S] atteste à deux reprises le 29 mars 2021 pour démentir avoir subi des gestes déplacés M. [M] dont elle qualifie les propos de « sarcastiques plutôt que grivois ». Elle ajoute ne pas avoir été contrainte, comme conclu par la salariée, de réintégrer l'entreprise et établir l'attestation en question sans pressions ou menaces.

S'agissant des attestations versées par l'employeur, la cour observe que le lien de subordination entre les rédacteurs et l'employeur ne peut être démenti. Par ailleurs, il n'est pas contesté que deux des salariées ont un lien de famille avec M. [X] ou M. [M]. Sur la probité de certaines attestations, elle peut être mise en doute par la confrontation des pièces produites par les parties.

Ainsi M. [P], qui atteste à deux reprises dont le 25 mars 2021 pour indiquer qu'il ne rencontre aucun problème avec l'employeur et n'avoir subi aucune pression lors de la rédaction de la première attestation en juin 2020 et que Mme [W] serait manipulatrice, a cependant écrit par SMS à la salariée en mars 2021 que « ça me fait vraiment chier que c en arrivé là et que c toi qui malheureusement subi. J'avais dit clairement a [T] que je ne voulais pas être trop méler et je t'avoue qu entre tt et les aragement qui me faisait j'ai fait ça mais pas chaud à 100% ' »' Dans l'attestation du 25 mars 2021, il explique ce SMS en indiquant qu'il ne « peut pas le nier » mais « que ces quelques mots ou quelques phrases sont tout simplement une forme d'hypocrisie » qu'il utilise tous les jours afin de concilier certaine relation ».

Concernant M. [R], l'employeur argue qu'il aurait signé l'attestation sans la lire sous la pression de Mme [W]. Il ressort pourtant de leurs échanges SMS précédant l'attestation que M. [R] n'ignorait pas ce qui allait être écrit, qu'il affirme bien avoir été le confident d'une salariée et exprimé clairement avoir été le témoin de propos déplacés qualifiés de « salasses envers les femmes ». Dans ces SMS il indique notamment « [G] va sûrement nier ce qu'on va dire pour pas se faire virer. Mais moi je sais qu'elle me l'avait dit et qu'elle s'en était plaint », ce à quoi Mme [W] répond « ok ça marche, [C] et [B] niait tout aussi. Aucun courage ». M. [R] lui répond alors ceci « ben tu vois le premier truc que [T] a dit avant de l'embauche et c'est apparamment tu as dit à [U] que tu t'étais fait toucher les seins ».

Il ne ressort ainsi aucune contrainte de Mme [W] sur M. [R] et s'il est confirmé par ces échanges que Mme [W] met en forme l'attestation qui sera signée par lui, elle lui en soumet le contenu et lui écrit notamment qu'elle ne souhaite pas lui faire tenir des propos qui ne seraient pas les siens.

Enfin, dans son attestation établie pour la société Clariond le 02 avril 2021, M. [R] se limite à indiquer que la salariée a « déformé quelques propos » sans préciser lesquels et sans s'expliquer sur la teneur des SMS échangés avec Mme [W]. La cour observe au surplus que le conseil de Mme [W] écrit le 30 mars 2021 à Me Moineau, conseil de la société Clariond pour lui exprimer ses interrogations suite au contact téléphonique de l'employeur pour faire pression sur M. [R].

Concernant les attestations de Mme [G] [S] de mars 2021, il n'est pas contesté qu'elle est employée de la société lorsqu'elle les rédige et en mars 2019 elle adresse un SMS en mars 2019 par lequel elle sollicite d'être de nouveau embauchée par l'entreprise. Elle adresse un mail à [Z] [X] le 04 décembre 2020, soit après l'audience et le jugement du Conseil des prud'hommes, dans lequel elle indique être effondrée et ne pas « arriver à s'en remettre », [N] ne l'ayant pas appelée et elle ajoute « je suis une personne très très sensible et j'ai besoin qu'il m'appelle pour régler cela car cela m'affecte énormément car je l'apprécie beaucoup ses qualités pro et humaines et ce n'est pas possible pour mois qu'il pense le contraire' j'aimerai bien parler à [T] aussi afin qu'il sache que jamais je n'ai dénigré la main qui m'a nourrit ». Ces éléments confirment, au-delà du lien de subordination, la fragilité de son témoignage.

La Cour observe par ailleurs que les arguments et moyens développés par l'employeur, pour contester les faits de harcèlement moral mais surtout les faits de harcèlement sexuel sont particulièrement centrés sur la moralité ou la fiabilité de la salariée, laquelle n'a pourtant pas fait l'objet de rappels à l'ordre ou sanction avant l'avertissement de juin 2019.

Ainsi, sur les qualités professionnelles de la salariée, les éléments négatifs versés par la société Clariond sont démentis par les pièces versées par la salariée. Ainsi l'attestation de M. [D] sur les carences professionnelles de Mme [W] est contredite par le fait que Mme [W] a démissionné (sans avoir été sanctionnée pour des manquements) et que cet employeur était contre cette démission. Le fait attesté par M. [K] selon lequel la salariée n'était pas « à sa place » durant une formation exprimant des doléances, ne correspond pas aux termes de l'appréciation portée par cette même personne sur la salariée lors de l'évaluation du stage en question.

Les allégations, par ailleurs non démontrées, portant sur la vie amoureuse de la salariée ou autres allusions au fait qu'elle userait de ses « charmes », ne permettraient pas d'objectiver, sans autres éléments les corroborant, un comportement sexiste de la part d'un employeur.

Il appert de ce qui précède, que la société employeur, qui ne démontre pas avoir pris des mesures de préventions en matière de faits de harcèlement moral mais encore de harcèlement sexuels argue surtout d'une mauvaise foi de la salariée, d'un comportement séducteur ou manipulateur sans en apporter la preuve.

S'agissant particulièrement du grief de propos sexistes ou déplacés, l'insulte envers la salariée qualifiée de « sale pute » proférée par M. [M], quelle qu'en soit la raison et même s'il peut lui être donné acte qu'il n'entendait pas s'adresser directement à la salariée démontre objectivement un positionnement problématique de M. [M] envers Mme [W]. La cour relève au surplus que M. [M] n'éprouve aucune retenue à s'exprimer ouvertement ainsi à propos d'une salariée ambulancière dans le cadre d'un échange avec son employeur.

S'agissant de la réaction de l'employeur face à ces propos ouvertement dénigrants et sexistes, il est produit dans la présente procédure une lettre de mise à pied datée du 10 septembre 2019, tendant à confirmer qu'une procédure disciplinaire a été engagée, il n'est pas contestable que la salariée (directement concernée) n'en a pas été tenue informée.

La Cour observe cependant que les faits litigieux ont eu lieu le 04 juillet 2019 et par un mail du 04 juillet, produit par l'employeur, Mme [W] faisait état à son employeur du fait que M. [M] a déjà eu « auparavant des propos oralement très déplacés envers » elle et certaines de ses collègues. Le conseil de la salariée a écrit à l'employeur le 30 aout 2019 pour dénoncer ce comportement. Il n'est donc pas démontré que l'employeur a immédiatement réagi envers M. [M], puisque la sanction est intervenue après le courrier de l'avocat de la salariée.

Ce comportement, mis en relation avec la teneur des SMS provenant de la régulation dont M. [M] était le responsable, interroge d'une manière plus générale sur le management exercé au sein de l'entreprise CLARIOND via des injonctions données à la salariée, sur un ton peu amène, afin qu'elle accomplisse les courses dans un délai performant.

L'employeur échoue ainsi à démontrer que tous les faits matériellement établis par Mme [W] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral et sexuel sont établis.

Par voie d'infirmation du jugement entrepris, compte tenu des circonstances et de la dégradation démontrée de l'état de santé de la salariée qui en a découlé, pour laquelle le médecin a diagnostiqué en septembre 2019 une anxiété secondaire, il convient de réparer le préjudice subi par Mme [W] en condamnant son employeur à lui payer la somme de 15 000 euros.

Sur la rupture du contrat de travail, les faits de harcèlement moral et de harcèlement sexuels sont donc établis et leur gravité empêchaient la poursuite du contrat de travail. En effet, le dernier manquement jugé établi d'injure sexiste et l'absence de réaction rapide et adaptée de l'employeur justifiaient la rupture immédiate de la relation de travail.

La prise d'acte doit donc produire les effets d'un licenciement nul.

La société Clariond est condamnée à payer à Mme [W] au tire de la rupture du contrat de travail les sommes suivantes :

4 764 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de compensatrice ainsi qu'à 476,40 euros de congés payés afférents,

1 191euros au titre de l'indemnité de licenciement.

Sur les demandes accessoires :

Il convient d'infirmer la décision de première instance s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

La société Clariond est condamnée à payer à Mme [W] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle est en outre condamnée aux dépens de première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE Mme [W] recevable en son appel,

INFIRME le jugement déféré en toutes ces dispositions,

STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,

DIT que les faits de harcèlement moral et de harcèlement sexuel sont établis,

DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail notifiée par Mme [W] le 23 septembre 2019 à la société CLARIOND produit les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE la société CLARIOND à payer à Mme [W] les sommes suivantes :

15 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

4 764 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de compensatrice, ainsi qu'à 476,40 euros de congés payés afférents,

1 191 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

Y ajoutant,

CONDAMNE la société CLARIOND à payer à Mme [U] [W] la somme de 2 500 € à sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

CONDAMNE la société CLARIOND aux dépens de première instance et en cause d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Jean-Pierre Delavenay, Président, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section a
Numéro d'arrêt : 20/04222
Date de la décision : 07/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-07;20.04222 ?
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