N° RG 20/01672 - N° Portalis DBVM-V-B7E-KN6T
C4
Minute N°
Copie exécutoire
délivrée le :
Me Emmanuelle PHILIPPOT
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 16 MARS 2023
Appel d'un jugement (N° RG 19/00024)
rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GAP
en date du 15 mai 2020
suivant déclaration d'appel du 08 juin 2020
APPELANT :
M. [R] [Z] [P] [V]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 2]
représenté par Me Emmanuelle PHILIPPOT, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMÉS :
Me [E] [F] es qualité de liquidateur judiciaire de la SCI Champ-de-Mars
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE
PROCUREUR GENERAL
PALAIS DE JUSTICE
[Adresse 7]
[Localité 4]
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée à Madame Françoise BENEZECH, substitut général, qui a fait connaître son avis
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 janvier 2023, M. BRUNO conseiller, a été entendu en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,
Faits et procédure :
1. La Sci Champ de Mars, dont monsieur [P] [V] a été le gérant, ayant son siège social à [Localité 6], a été assignée le 9 février 2018 par la Banque Populaire Rhône Alpes afin d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire. Après l'ouverture de cette procédure, le tribunal de grande instance de Gap a prononcé la liquidation judiciaire de cette société par jugement du 18 mai 2018 et maître [F] a été nommé aux fonctions de liquidateur.
2. Le 12 novembre 2019, maître [F] a assigné monsieur [P] [V] devant le tribunal de grande instance, sur le fondement des articles L651-2, L653-4 et suivants du code de commerce, afin de':
- juger que le gérant de la société civile a commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société';
- le condamner à payer entre les mains du liquidateur la somme de 217.392,41 euros au titre de l'insuffisance d'actif';
- de prononcer à son encontre une faillite personnelle d'une durée de 10 années';
- de lui interdire en conséquence de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 10 ans';
- de lui interdire toute fonction publique élective pour une durée de cinq ans';
- de lui ordonner de procéder à sa radiation du registre du commerce et des sociétés pour l'ensemble des sociétés dont il assure la gestion dans le délai d'un mois à compter du jugement';
- de le condamner à lui payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens';
- d'ordonner toutes les mesures de signification, publicité et transcription requise par la loi';
- d'ordonner l'exécution provisoire.
3. Par jugement du 15 mai 2020, le tribunal judiciaire de Gap a':
- débouté [R] [Z] [P] [V] de sa demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité tendant à voir déclarer inconstitutionnelle une disposition légale «'dans sa portée jurisprudentielle'»';
- déclaré monsieur [P] [V] entièrement responsable, par ses fautes de gestion, de l'insuffisance d'actif de la Sci Champ de Mars, s'élevant à la somme de 217.392,41 euros';
- condamné monsieur [P] [V] à payer à maître [F], mandataire liquidateur de la société civile, la somme de 217.392,41 euros au titre du montant de cette insuffisance d'actif';
- prononcé pour une durée de 10 ans la faillite personnelle de monsieur [P] [V]';
- interdit à monsieur [P] [V] en conséquence, de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de 10 ans';
- ordonné à monsieur [P] [V] de procéder à sa radiation du registre du commerce et des sociétés, pour l'ensemble des personnes morales dont il assure la gestion et ceci dans le délai d'un mois à compter du jugement';
- condamné monsieur [P] [V] à supporter les entiers dépens de l'instance, et à payer à maître [F] en sa qualité de mandataire à la liquidation de la Sci Champ de Mars, une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
- ordonné toutes les mesures de signification, publicité et transcription requises par la loi';
- ordonné l'exécution provisoire';
- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure de liquidation.
4. Monsieur [P] [V] a interjeté appel de cette décision le 8 juin 2020. Par ordonnance juridictionnelle du 3 juin 2021, le président de la chambre commerciale de la cour d'appel de Grenoble a rejeté la demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité tenant à l'imprescriptibilité des fautes servant de fondement à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, demande formée par monsieur [P] [V].
5. Par arrêt du 8 juillet 2021, la chambre commerciale de la présente cour a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Gap du 15 mai 2020 ayant notamment':
- ordonné l'extension à la société civile immobilière Horizon de la procédure de liquidation judiciaire de la Sci Champ de Mars';
- jugé que les opérations de liquidation judiciaire se poursuivront sous patrimoine commun';
- jugé que la Sas Les Mandataires poursuivra les fonctions de liquidateur judiciaire.
6. L'instruction de la présente procédure a été clôturée le 30 septembre 2021. Cependant, par arrêt du 28 octobre 2021, la cour a rouvert les débats afin que les parties s'expliquent sur les conséquences de l'extension de cette procédure, notamment au regard des éléments d'actifs et de passifs de ces deux sociétés, ainsi que sur le passif résiduel persistant éventuellement. La cour a renvoyé les parties et la cause devant le conseiller de la mise en état et a réservé les dépens. Une nouvelle ordonnance de clôture a été prononcée le 15 décembre 2023.
Prétentions et moyens de monsieur [P] [V]':
7. Selon ses conclusions remises le 27 avril 2022, il demande, au visa des articles L651-2, L653-4 et L653-5 du code de commerce':
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions';
- en conséquence, de débouter la Sas Les Mandataires de toutes ses demandes';
- de la condamner à lui payer 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Il expose':
8. - qu'il a été le dirigeant de la Sci Champ de Mars, constituée en 2004 avec [I] [J], cette société exerçant une activité d'acquisition et de gestion de patrimoine immobilier'; qu'il est également gérant de la société [P] [V] Promotion, laquelle exerce une activité de marchand de biens'; que cette dernière société est la gérante de la Sci Horizon, constituée en 2006 avec la société Comalp, ayant pour activité la construction d'un ou de plusieurs immeubles en vue de leur vente en totalité ou en fractions, l'acquisition de tous terrains en vue de leur construction';
9. - qu'à la fin de l'année 2006, la Sci Horizon a lancé un programme immobilier sur la commune de Risoul'; qu'une crise grave est survenue en 2007, avec un retournement généralisé des marchés immobiliers'; que cela a entraîné une annulation massive des contrats de réservation et donc des dépôts de garantie y attachés, privant la Sci Horizon d'une source de financement et compromettant les opérations de construction';
10. - que devant achever au plus vite l'opération, il s'est rapproché de sa banque afin de solliciter un financement pour le compte de la Sci Horizon'; que la Banque Populaire a refusé de lui accorder ce financement supplémentaire, mais lui a fait néanmoins souscrire un prêt pour le compte de la Sci Champ de Mars, en date du 11 décembre 2007, affecté sur le papier à la construction d'un bâtiment de trois logements sur la commune de Briançon'; qu'elle lui a ainsi conseillé d'achever les travaux sur Risoul pour pouvoir vendre les appartements de la Sci Horizon, dont le prix aurait permis ensuite de construire les appartements de la Sci Champ de Mars, ces conseils spéculant sur une amélioration du marché';
11. - que le contexte économique ne s'est pas rétabli comme espéré, de sorte que la vente des appartements de la Sci Horizon s'est révélée laborieuse et totalement ruineuse pour le concluant, alors que l'activité de la Sci Champ de Mars a été totalement suspendue';
12. - concernant la possibilité pour le liquidateur d'agir, s'agissant du délai prévu par l'article L651-2 du code de commerce concernant le délai de trois ans imparti à compter de l'ouverture de la liquidation judiciaire, qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de Cassation du 8 avril 2015 que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est indépendante de l'action spéciale en responsabilité ouverte par l'article L.225-254 du code de commerce contre les dirigeants d'une société anonyme et de l'action générale en responsabilité civile extracontractuelle et se prescrit, aux termes de l'article L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce, par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, sans considération de la date de commission des fautes de gestion reprochées au dirigeant poursuivi;
13. - que le concluant se voit poursuivi en responsabilité pour insuffisance d'actif par assignation du 12 novembre 2019, suite à la liquidation judiciaire de la Sci Champ de Mars, pour une prétendue faute de gestion commise en 2007'; que la faute reprochée n'a pas été dissimulée, de sorte que la découverte du grief n'est pas intervenue que très récemment'; que l'action civile aux fins de recouvrement de la créance s'avère prescrite'; que le liquidateur judiciaire a imaginé détourner les règles traditionnelles en matière de recouvrement de créance pour engager directement la responsabilité du dirigeant social, alors qu'elle est fondée sur un fait qui devrait être prescrit en vertu des règles du responsabilité de droit commun'; que la présente action ne saurait concerner des faits prescrits au sens des article 2224 du code civil et L225-254 du code de commerce';
14. - que l'article L.651-2, alinéa 3, dans la portée qui lui est donnée par la Cour de Cassation, n'a jamais été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel'; que la contestation est sérieuse au regard de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi devant être la même pour tous'; que le législateur ne peut instaurer une différence de traitement dans une hypothèse de situations similaires'; que l'interprétation de la Cour de Cassation a pour conséquence de rendre la faute du dirigeant imprescriptible au moyen d'une procédure spéciale, ce qui instaure une rupture d'égalité dans la justice et devant la loi';
15. - que selon l'article 16 de la Déclaration de 1789, toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution'; que cela implique l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties'; que la possibilité de voir rechercher sa responsabilité sur des mêmes faits, prescrits en vertu des règles générales de procédure et imprescriptibles en vertu d'une règle spéciale, ne garantit pas l'équilibre des droits des parties';
16. - que si le liquidateur judiciaire tente de se prévaloir de l'absence de sérieux de la question posée au regard du fait que, selon son analyse, les faits n'auraient été découverts que lors de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, ces faits sont parfaitement avérés en comptabilité depuis l'année 2007, puisque les comptes sociaux ont été régulièrement établis et déposés jusqu'à cette date, ce que reconnaît le liquidateur'; qu'il ne peut ainsi se prévaloir d'un délai de prescription qui lui est spécifique alors que les faits litigieux sont opposables aux tiers depuis 13 ans'; que le liquidateur n'a pas estimé devoir engager un quelconque recouvrement de créance de même qu'il n'a pas positionné son action au plan pénal en l'état d'une identique prescription.'; que sa position repose sur une imprescriptibilité de fait, ce qui est source d'une insécurité juridique tout à fait manifeste et d'une rupture d'égalité évidente';
17. - sur le fond, que si le liquidateur soutient que le concluant a commis des fautes de gestion en raison de l'absence de déclaration de la cessation des paiements, alors que le tribunal a estimé que constitue une faute de gestion l'absence de déclaration avant même l'engagement de la procédure par la Banque Populaire, cependant, la date de cette cessation des paiements a été fixée au 14 juin 2017, date de l'assignation délivrée par la banque, et n'a fait l'objet d'aucun report'; qu'en outre, cette absence de déclaration doit être volontaire, ce dont le liquidateur ne justifie pas'; que s'il indique que le dirigeant aurait dû être alerté par la procédure de saisie immobilière initiée par la banque, il est néanmoins établi que le concluant avait la perspective de vendre le bien immobilier de gré à gré, ce qu'a retenu le juge de l'exécution'; que ce n'est que suite à l'absence de réalisation de la vente amiable que la procédure d'adjudication a été poursuivie'; qu'ainsi, la procédure collective n'a pas été ouverte après l'échec de la procédure de saisie immobilière, d'autant que la Banque Populaire n'a finalement pas requis la vente, de sorte que le juge de l'exécution a, le 16 mars 2017, prononcé la caducité du commandement'; que la banque a alors fait délivrer l'assignation le 14 juin 2017 pour l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire';
18. - que s'agissant de la souscription d'un prêt bancaire non conforme à l'intérêt social, ce prêt a été souscrit en 2007, soit 13 ans en arrière'; que toute action le concernant est ainsi prescrite'; qu'en outre, aucun détournement de fonds n'est démontré'; que ce prêt a été contracté afin de permettre la construction de trois logements sur la commune de Briançon, mais que les fonds ont finalement permis l'achèvement des travaux de la Sci Horizon, afin de pouvoir vendre les logements, afin de poursuivre ensuite les travaux concernant les trois logements'; que ceci n'a pas été dissimulé au créancier, mais a permis de le désintéresser, même si finalement les logements n'ont pu être construits de sorte que la Sci Champs de Mars a cédé le terrain nu'; que le concluant n'a pas eu la volonté de favoriser une autre personne morale dans laquelle il était intéressé';
19. - concernant une tenue irrégulière de la comptabilité, que si le tribunal a retenu qu'aucune comptabilité n'a été établie depuis la création de la Sci Champs de Mars jusqu'à l'exercice 2014, puis postérieurement à 2017, cependant la tenue d'une comptabilité n'est pas obligatoire pour les sociétés civiles immobilières'; que la Sci Champs de Mars a produit en première instance la comptabilité qu'elle avait cependant tenue sans y être obligée';
20. - s'agissant du quantum de l'insuffisance d'actif, que l'article L651-2 du code de commerce ne prévoit pas la mise à la charge du dirigeant social l'intégralité de l'insuffisance constatée, mais d'une quote-part en fonction des fautes commises'; qu'en matière de société civile, l'insuffisance d'actif sera supportée par les associés au prorata de leur détention du capital social'; qu'ainsi, si le concluant doit faire l'objet d'une sanction, il ne peut être amené à supporter deux fois le passif social';
21. - s'agissant du prononcé de la faillite personnelle, que le tribunal n'a retenu que le fait pour le concluant d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, pour favoriser une personne morale dans laquelle il était intéressé directement'; qu'au regard de ce qui précède, concernant l'absence de faute, le jugement sera réformé';
22. - que si le liquidateur expose que le concluant n'aurait que très peu collaboré avec les organes de la procédure, pour ne plus finalement répondre aux demandes de pièces justificatives, ce défaut de collaboration s'apprécie à l'aune de la mauvaise foi du débiteur, ainsi que du caractère délibéré et systématique de tels agissements'; que ce défaut de coopération n'est pas caractérisé, ni systématique, ni animé d'une volonté d'obstruction évidente'; qu'il a été expliqué pourquoi les bilans n'ont pu être communiqués'; que le concluant, âgé de plus de 70 ans, s'est retiré depuis des décennies du monde des affaires et vit loin du département des Hautes-Alpes, avec des difficultés de santé'; qu'il n'a pas fait preuve de mauvaise foi.
Prétentions et moyens de la Sas Les Mandataires, prise en la personne de maître [F] ès-qualité de liquidateur de la Sci Champ de Mars':
23. Selon ses conclusions remises le 26 janvier septembre 2022, elle demande, au visa des articles L651-2 et suivants, L653-4 et L653-5 et suivants du code de commerce':
- de débouter l'appelant de toutes ses demandes et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions';
- en conséquence, de condamner l'appelant à payer à la concluante ès-qualités, la somme de 217.392,41 euros au titre du montant de l'insuffisance d'actif';
- de prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre de [R] [Z] [P] [V] pour une durée de 10 années';
- d'interdire ainsi à monsieur [P] [V] de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pendant une durée de 10 années';
- d'ordonner à monsieur [P] [V] de procéder à sa radiation du registre du commerce et des sociétés pour l'ensemble des sociétés dont il assure la gestion et ceci dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir';
- de condamner l'appelant, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à la concluante ès-qualités, la somme de 5.000 euros au titre de la procédure suivie devant le tribunal judiciaire et celle 6.000 euros au titre de la procédure suivie devant la cour, outre les entiers dépens.
Elle expose':
24. - que l'objet de la société civile était l'acquisition de tous biens et droits immobiliers, l'administration et exploitation de ces biens, s'agissant d'une société civile immobilière de construction-vente, avec pour objet d'acquérir, de construire puis revendre un bien immobilier dans le but de réaliser une plus-value, avec un capital de 1.000 euros divisé en 100 parts sociales de 10 euros réparties entre monsieur [P] [V] et madame [I] [J], chacun pour moitié';
25. - que lors de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, [R] [Z] [P] [V] s'est montré peu coopératif et assez évasif sur les éléments d'actif ou de passif de la société, et surtout, sur d'éventuels flux financiers avec d'autres sociétés dont il était associé, notamment la société civile immobilière Horizon'; que la procédure collective a rapidement mis en évidence que la Sci Champ de Mars avait souscrit un prêt bancaire auprès de la Banque Populaire pour un montant de 275.000 euros, et que cette somme avait été versée à une autre société de [R] [Z] [P] [V], la Sci Horizon';
26. - que monsieur [P] [V] est en outre à la fois le gérant et l'associé unique de la Sarl [P] [V] Promotion, laquelle est la gérante de la Sci Horizon, constituée par la Sarl [P] [V] Promotion et la société Comalp';
27. - que le 18 février 2019, la concluante lui a indiqué que lors de l'ouverture de la procédure, il n'avait transmis aucune comptabilité de la Sci Champ de Mars au motif que la société n'avait plus d'activité depuis 10 ans'; que cependant l'expert-comptable de cette société lui a transmis les bilans établis par ses soins au titre des exercices 2014 à 2016, desquels il ressort que figurent à l'actif des créances pour': exercice 2014': 263.090 euros, exercice 2015': 263.190 euros, exercice 2016': 263.290, 00 euros'; que l'expert-comptable a indiqué que cette écriture correspondait à une dette de la Sci Horizon, sans plus de précision'; que la concluante a demandé à l'appelant de lui adresser tout justificatif concernant cette créance due à la Sci Champ de Mars et de formuler une proposition de remboursement des sommes dues par la Sci Horizon dont il est le gérant';
28. - que par courrier reçu par la concluante 5 avril 2019, monsieur [P] [V] a invoqué des difficultés liée à la crise immobilière, et a reconnu avoir privilégié la Sci Horizon au détriment de la Sci Champ de Mars, afin de finir de financer les travaux de la Sci Horizon pour pouvoir vendre les appartements terminés de celle-ci;
29. - que le même jour, la concluante a demandé à monsieur [P] [V] des explications complémentaires quant au solde bancaire de la Sci Horizon, aux lots vendus par elle ou encore aux circonstances expliquant la non-réalisation du projet immobilier de la Sci Champ de Mars'; que les 24 juin et le 30 juillet 2019, la concluante a relancé une nouvelle fois monsieur [P] [V] pour obtenir les précisions demandées et surtout connaître les modalités de remboursement envisagées par la Sci Horizon'; qu'en l'absence de réponse, elle a en conséquence assigné l'appelant devant le tribunal de grande instance de Gap pour voir prononcer sa condamnation à supporter le passif et sa faillite personnelle';
30. - concernant la confirmation de la condamnation prononcée pour insuffisance d'actifs, que cette responsabilité est fondée sur l'existence de fautes de gestion du dirigeant et ceci par référence à l'attitude qu'aurait eu un dirigeant normalement avisé, exerçant les mêmes fonctions dans les mêmes conditions'; que cette action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire';
31. - qu'en l'espèce, il y a insuffisance d'actif lorsque le passif antérieur est supérieur à l'actif réalisé ou réalisable'; que concernant la société Champ de Mars, le passif total déclaré représente une somme de 287.392,41 euros'; que l'état des créances, déposé le 24 septembre 2018 au greffe du tribunal de Gap, n'a jamais été contesté par monsieur [P] [V]'; que les seuls actifs sont constitués par le prix de vente du seul bien immobilier de la Sci Champ de Mars, consistant en un terrain situé à Briançon d'une valeur de 70.000 euros'; qu'il existe ainsi une insuffisance d'actif de 217.392,41 euros';
32. - que suite à l'extension de la procédure à la Sci Horizon, l'insuffisance d'actif reste inchangée, puisque l'administration fiscale a indiqué le 6 décembre 2021 qu'il n'existe aucun actif immobilier au profit de cette société'; qu'aucun compte bancaire n'est ouvert'; qu'ainsi, l'insuffisance d'actif de la Sci Champs de Mars n'est pas diminuée par des actifs de la Sci Horizon';
33. - que si l'appelant conteste le montant de cette insuffisance d'actif, en soutenant que l'unique créancier serait la Banque Populaire et que celle-ci ne ferait pas état des ventes intervenues sur les appartements de la Sci Horizon, dont il doit être observé qu'elles n'ont été poursuivies que dans le but de désintéresser au maximum la banque, et soutient que le créancier a perçu de la Sci Horizon des sommes qu'il a affectées au remboursement du prêt accordé à la Sci Champ de Mars le 11 décembre 2007, de sorte que le passif tel qu'allégué n'est pas sincère, on ignore quels actifs de la Sci Horizon auraient été vendus et à quel prix, aucune pièce n'étant versée aux débats à ce titre et on voit mal comment la banque aurait pu diminuer sa créance sur Ia Sci Champ de Mars au moyen de fonds provenant de la Sci Horizon, l'appelant ne fournissant aucune explication sur ces points ;
34. - que si l'appelant soutient que l'insuffisance d'actif n'existerait pas au motif que figurerait à l'actif du bilan de la Sci Champ de Mars une créance sur la Sci Horizon, celle-ci est manifestement irrécouvrable, alors que si la Sci Horizon l'avait payée, la Sci Champ de Mars n'aurait jamais fait l'objet d'une liquidation judiciaire'; qu'en outre, une créance à recouvrer ne peut pas être prise en considération sauf en présence d'une créance dont le remboursement est certain et dont on connaît les délais de paiement';
35. - que si l'appelant soutient aussi qu'il existerait un risque qu'il supporte deux fois la charge du passif social, d'abord en sa qualité d'associé et ensuite en cas de condamnation en responsabilité pour insuffisance d'actif, cet argument n'est pas sérieux puisque le liquidateur ne poursuivra jamais deux fois le paiement du passif social surtout contre le même débiteur'; que si la créance du liquidateur venait à s'éteindre du fait d'un paiement, il ne serait plus habilité à en poursuivre un quelconque recouvrement';
36. - concernant les fautes de gestion commises par l'appelant, qu'il n'a pas, en premier lieu, déclaré la cessation des paiements, puisque le redressement judiciaire a été ouvert sur assignation de la Banque Populaire, en raison d'une procédure de saisie immobilière engagée contre la Sci Champ de Mars par commandement de payer du 5 décembre 2013 puis assignation en vente forcée du 10 mars 2014 et d'une audience d'adjudication (infructueuse faute d'enchérisseur) le 16 mars 2017'; que cette procédure de saisie aurait pourtant dû alerter l'appelant car concernant le seul actif immobilier de la Sci Champ de Mars'; qu'en outre, il s'est prévalu d'une absence d'activité depuis 10 années'; que l'appelant n'a pas tenu de comptabilité depuis l'exercice 2017, étant précisé que les exercices précédents montrent déjà un chiffre d'affaires de 0 euro et un résultat net systématiquement négatif'; qu'ainsi le tribunal a justement estimé que l'absence de déclaration de cessation des paiements était fautive';
37. - que si l'appelant indique que la date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal au 14 juin 2017, date de l'assignation en redressement judiciaire, et qu'elle n'a fait l'objet d'aucun report, cette identité de date n'a aucun effet puisque celle retenue par le tribunal aurait mis monsieur [P] [V] à l'abri des reproches si elle correspondait aussi à celle de la déclaration de cessation des paiements, qui, du coup, n'aurait pas pu être qualifiée de tardive'; qu'en l'espèce, ce n'est pas la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements qui est reprochée à l'appelant, mais son inexistence';
38. - que si l'appelant soutient ne pas avoir procédé à une déclaration de cessation des paiements dans la mesure où une procédure de saisie immobilière était en cours, mais qu'il avait la perspective de vendre le bien immobilier concerné de gré à gré, il n'explique pas pourquoi, après l'échec de la vente amiable puis de la vente aux enchères faute d'enchérisseur, il ne s'est pas empressé de procéder à la déclaration de cessation des paiements, constatant que la situation de la Sci Champ de Mars était définitivement obérée'; qu'en l'absence de réaction du gérant pendant encore trois mois après l'échec de la vente aux enchères, la Banque Populaire a été obligée d'assigner la Sci Champ de Mars aux fins d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire';
39. - qu'un prêt bancaire non conforme à l'intérêt de la société du Champ de Mars a augmenté artificiellement son endettement, puisque la procédure collective a mis en évidence que la société a souscrit un prêt auprès de la Banque Populaire suivant acte notarié du 11 décembre 2007 pour un montant de 275.000 euros dont l'objet était la construction d'un bâtiment de trois logements pour de la location sur [Localité 6]'; que cette somme a été en réalité versée à l'autre société de monsieur [P] [V], la Sci Horizon, laquelle a également pour associé la société [P] [V] Promotion et la Sarl Comalp, avec pour gérant la société [P] [V] Promotion, elle-même dirigée par monsieur [P] [V], associé unique';
40. - que cette dette de la société Horizon à l'égard de la société Champ de Mars n'est pas contestée et figure dans les documents comptables'; que le 15 novembre 2017, l'avocate de madame [I] [J], associée de la Sci Champ de Mars, avait alerté le président du tribunal de commerce de Gap sur le fait que les fonds provenant du prêt bancaire avaient vraisemblablement été détournés par monsieur [P] [V] au profit de la Sci Horizon'; que cette utilisation du prêt bancaire consenti à la Sci Champ de Mars constitue un véritable détournement de fonds commis par son dirigeant et ceci au profit d'une autre structure dans laquelle il était intéressé et dont il assurait indirectement la gestion via la société [P] [V] Promotion';
41. - que relancé par le concluant, l'appelant a reconnu l'absence de réalisation du projet immobilier de la Sci Champ de Mars et avoir utilisé les fonds de cette société pour les mettre à disposition de la Sci Horizon, en raison des difficultés de la Sci Horizon survenues suite à la crise immobilière'; qu'il a indiqué que la Banque Populaire lui a suggéré de finir de financer les travaux de la Sci Horizon pour pouvoir vendre les appartements terminés, afin de pouvoir ensuite terminer les appartements de la Sci Champ de Mars'; qu'il a précisé qu'en raison de la chute du marché, il a vendu difficilement et presque à moitié prix tous les appartements de la Sci Horizon';
42. - qu'il est ainsi établi qu'en souscrivant un emprunt bancaire qui devait servir a la réalisation d'un programme immobilier constituant son objet social mais qu'en transférant le montant à une autre société, monsieur [P] [V] a artificiellement augmenté le passif de la Sci Champ de Mars tout en rendant strictement impossible la réalisation du programme envisagé';
43. - qu'il ne rentrait pas dans l'objet social de la Sci Champ de Mars de souscrire un prêt pour en reverser le montant à une autre société'; que l'argumentation de l'appelant sur l'immixtion de la banque avec une volonté délibérée de l'établissement bancaire de mélanger les deux sociétés confine à l'opportunité, n'étant étayée par aucun élément de preuve alors même que si la banque avait conseillé un tel montage, il appartenait au dirigeant de le refuser'; que ce n'est pas tant la souscription de ce prêt qui pose problème que l'utilisation des fonds eux-mêmes et leur détournement au profit de la Sci Horizon';
44. - que si l'appelant soutient que souscrire un prêt au nom d'une société et le mettre à disposition d'une autre société dépendant du même groupe, ne serait pas contraire à l'intérêt social, la rémunération du prêt suffisant, à elle seule, à justifier d'un intérêt social, la Sci Champ de Mars n'a jamais tiré le moindre avantage du crédit octroyé alors qu'elle a subi une procédure de redressement puis de liquidation judiciaire, avec la Banque Populaire comme seul créancier (passif constitué à 99 % par l'emprunt bancaire) et n'a jamais pu réaliser son objet social, subissant la vente de son seul bien immobilier tout en conservant, à son passif, une dette qui n'a profitée qu'à la Sci Horizon'; qu'il y a eu ainsi des relations financières anormales entre les deux sociétés, alors que l'une d'elles s'est dépouillée, sans aucun motif sérieux, d'un de ses actifs pour permettre à l'autre, ayant un objet recoupant le sien, de réaliser le même objectif';
45. - ainsi, que dans son arrêt du 8 juillet 2021 relatif à l'extension à la Sci Horizon de la procédure de liquidation judiciaire de la Sci Champ de Mars, la cour a jugé que cette dernière a été privée de toute capacité de mener à bien son propre projet de construction et d'en percevoir les fruits, alors que d'une part, il n'est pas rapporté la preuve qu'elle a retiré un quelconque profit de l'opération immobilière de la Sci Horizon, que d'autre part, elle en a, en réalité, supporté les risques, notamment de mévente, et enfin qu'il est manifeste qu'elle a assumé seule la charge de remboursement du prêt, ce qui a directement conduit à l'ouverture de sa procédure collective sur l'assignation de la Banque Populaire qui est le principal créancier';
46. - que l'appelant a commis des fautes concernant la tenue de la comptabilité, ce qui justifie une action en responsabilité pour insuffisance d'actif'; qu'ainsi, les derniers bilans établis sont ceux des exercices 2014 à 2016 alors qu'aucune comptabilité n'a plus été tenue à partir de l'exercice 2017'; que le défaut de tenue de comptabilité prive le dirigeant social du moyen de percevoir l'évolution réelle de la situation financière de la société et lui enlève tout moyen de contrôle de la rentabilité de la personne morale'; que le tribunal judiciaire a retenu que cette situation constituait une faute de gestion qui devait être retenue contre monsieur [P] [V]';
47. - que si l'appelant considère que la tenue d'une comptabilité n'est pas obligatoire pour les sociétés civiles immobilières, cela ne concerne cependant que les sociétés civiles immobilières simples, alors que la Sci Champ de Mars est une société civile immobilière de construction-vente (SCCV) qui a l'obligation de tenir une véritable comptabilité commerciale conforme au plan comptable professionnel des promoteurs de construction immobilière (CNC, avis de conformité du 12 juillet 1984), puisque ces sociétés présentent de nombreux particularismes comptables tels que l'inscription des immeubles en stock et non en immobilisation, que de nombreux frais (publicité, aménagement de bureaux de vente, rémunération du promoteur, frais financiers pendant la période de construction, etc.) peuvent être déduits'; que cette comptabilité doit tenir compte des acomptes versés, du prix soldé lors de la délivrance à l'acquéreur, outre les frais de garantie financière (garantie d'achèvement notamment)';
48. - que cette obligation de tenir une comptabilité est expressément prévue par l'article 25 des statuts de la Sci Champ de Mars, qui imposent de tenir une comptabilité régulière, avec obligation, pour la gérance, de dresser, à la clôture de chaque exercice, l'inventaire des divers éléments de l'actif et du passif existant à cette date ainsi que le compte de résultat et le bilan'; que ces statuts prévoient que ces documents sont soumis à l 'approbation des associés dans le délai de 6 mois à compter de la clôture de l'exercice';
49. - concernant la confirmation de la mesure de faillite personnelle, en application de les articles L653-4 et suivants du code de commerce, que cette mesure est justifiée par le fait que l'appelant a disposé des biens de la personne morale comme des siens propres, en détournant les fonds provenant d'un prêt bancaire au profit d'une autre société dont il était lui-même associé et dont il assurait indirectement la gestion, ce que reconnaît l'appelant et ce qui correspond également à l'usage des biens ou du crédit de l'entreprise à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement';
50. - qu'il y a eu également un détournement de l'actif et une augmentation frauduleuse du passif de la personne morale par la souscription d'un emprunt bancaire et l'affectation des fonds à une autre personne morale sans contrepartie ni justification comptable ou juridique';
51. - qu'il y a eu une absence de tenue de comptabilité puisque le dernier bilan est celui de l'exercice 2016, alors qu'il n'y a eu aucun bilan pour l'exercice 2017 ni aucune ébauche de comptabilité pour l'exercice 2018 et ceci alors que la Sci Champ de Mars était une société civile immobilière de construction-vente (SCCV)';
52. - que la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise
commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale';
53. - que la concluante ne soutient plus en appel le défaut de coopération aux opérations de la procédure collective, motif qui n'a pas été retenu par le tribunal et qui n'est plus soutenu par la concluante devant la cour.
Prétentions et moyens du ministère public':
54. Selon ses conclusions remises le 6 octobre 2021, et dont les parties ont eu connaissance avant l'ouverture des débats, il indique que la procédure concernant la Sci Champ de Mars a connu une évolution en raison de l'arrêt du 8 juillet 2021 confirmant le jugement du tribunal de Gap du 15 mai 2020 ayant prononcé l'extension de la procédure collective à la Sci Horizon.
55. Il relève que par arrêt du 8 mars 2017, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a énoncé que si une même personne a été le dirigeant de plusieurs personnes morales, l'insuffisance d'actif pouvant être mise à sa charge doit comprendre celle de l'ensemble des personnes morales dont cette personne a été le dirigeant et auxquelles la procédure de liquidation judiciaire a été étendue, sur le fondement d'une confusion de patrimoines.
56. Constatant que les parties ne s'expliquent pas sur l'incidence de l'extension de la procédure collective sur la caractérisation de l'insuffisance d'actif, il s'en rapporte à l'appréciation de la cour, un sursis à statuer ou une réouverture des débats paraissant seuls à même de garantir le prononcé d'une décision qui n'entrera pas en contradiction avec la procédure parallèle.
*****
57. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION ':
1) Concernant le bien fondé de l'action de la Sas Les Mandataires au regard de la prescription':
58. Selon l'article L651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. Ce texte dispose que l'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
59. Si monsieur [P] [V] soutient que ce texte est contraire tant aux principes nationaux qu'internationaux concernant la prescription, il n'a cependant pas sollicité de la cour qu'elle déclare l'action de la Sas Les Mandataires irrecevable en raison d'une prescription. En outre, par ordonnance juridictionnelle du 3 juin 2021, la présidente de la présente chambre, chargée de la mise en état, a jugé que la chambre commerciale de la Cour de Cassation a décidé, par arrêt du 8 avril 2015, que cette action se prescrivait à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire, sans considération de la date de commission des fautes reprochées au dirigeant. Il a également été indiqué, dans cette ordonnance, que l'action prévue par l'article L651-2 est spécifique en ce que le point de départ de la prescription ne peut être que la date du prononcé de la liquidation judiciaire, qu'elle impose par ailleurs que soit établie l'existence de l'insuffisance d'actif, qu'elle ne se confond pas ainsi avec les actions pénales et civiles pouvant être par ailleurs intentées contre le dirigeant, et qu'ainsi, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes. Le magistrat chargé de la mise en état a également retenu que cette action ne pouvant être déclenchée avant la liquidation judiciaire, opposer une prescription des fautes du dirigeant alors que le droit à agir du liquidateur ou du ministère public n'est pas né et que l'action ne peut être engagée, reviendrait à faire remonter le point de départ de la prescription avant que le titulaire de l'action ait pu avoir connaissance de son droit, ce qui n'est pas légitime. Il en a retiré que cette action n'est pas imprescriptible, et que la question prioritaire de constitutionnalité présentée par monsieur [P] [V] n'est pas sérieuse et n'a pas à être transmise au Conseil Constitutionnel.
60. La cour, dans sa formation de jugement, ne peut que reprendre ces motifs pertinents, d'autant que l'appelant ne forme pas de demande tendant à déclarer l'action de la Sas Les Mandataires irrecevable car prescrite. Suite au prononcé de la liquidation judiciaire de la Sci Champ de Mars par jugement du 18 mai 2018, l'action engagée par le liquidateur judiciaire est recevable, ayant été engagée dans les trois ans suivant l'ouverture de la liquidation judiciaire, les dispositions spécifiques du code de commerce dérogeant aux articles 2224 du code civil et L225-254 du code de commerce, et n'étant pas contraires ni à l'article 16 de la Déclaration de 1789 ni à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le jugement n'a pas lieu d'être infirmé à ce titre, et ce moyen de monsieur [P] [V] ne peut qu'être rejeté.
2) Concernant la contribution de monsieur [P] [V] à l'insuffisance d'actif':
61. Le tribunal a retenu que le passif de la Sci Champ de Mars est de 287.392,41 euros, composé de la créance hypothécaire de la Banque Populaire, sauf 89,05 euros au titre d'une créance chirographaire, alors que la réalisation des actifs n'a permis que de recouvrer 70.000 euros au titre de la vente d'un terrain nu, de sorte qu'il existe une insuffisance d'actif de 217. 392,41 euros. La cour indique que le montant de cette insuffisance n'est pas contesté par l'appelant, alors que l'extension de la procédure à la Sci Horizon ne l'a pas modifié.
62. Concernant les fautes imputées à monsieur [P] [V], le tribunal a énoncé que la procédure concernant la Sci Champ de Mars a été déclenchée sur l'assignation de la Banque Populaire le 9 février 2018, après l'échec d'une procédure de saisie immobilière engagée en 2013, clôturée par un jugement de caducité du commandement de payer du 6 mars 2017, et qu'il résulte de l'absence de déclaration de cessation des paiements par le gérant de la Sci Champ de Mars qu'une faute de gestion a été commise, puisque l'appelant se prévaut de la crise immobilière survenue en 2008, qui l'aurait empêcher de mener à bien ses projets, avec pour conséquence l'aggravation du passif de la Sci Champ de Mars en raison des intérêts du prêt consenti par la Banque Populaire.
63. La cour ne peut qu'approuver cette motivation, peu important le fait qu'aucun report de la date de cessation des paiements ne soit intervenu, puisqu'il est reproché à monsieur [P] [V] de n'avoir effectué aucune déclaration de cessation des paiements. En la cause, il résulte du jugement du juge de l'exécution de Gap du 16 mars 2017 qu'un commandement de payer valant saisie immobilière a été signifié le 5 décembre 2013 par la Banque Populaire à l'encontre de la Sci Champ de Mars, dont il n'est pas contesté qu'il était fondé sur le défaut de règlement du prêt immobilier consenti en 2007. Selon ce jugement, la banque a déclaré ne pas requérir la vente en raison de la carence d'enchérisseur. De ce fait, le juge a prononcé la caducité de ce commandement. Il en résulte que depuis la fin de l'année 2013, l'appelant ne pouvait ignorer les difficultés financières de la Sci Champ de Mars, d'autant que les bilans réalisés entre 2007 et 2014 indiquent que les résultats de la société
étaient tous négatifs, avec un fonds de roulement structurellement négatif. Enfin, l'appelant reconnaît également devant la cour que la crise immobilière survenue en 2008 a eu pour conséquence l'aggravation du passif de la Sci Champ de Mars, sans qu'il fasse état d'aucune mesure prise en faveur de cette société, afin de faire face à cette situation.
64. Le tribunal a ensuite retenu à faute la souscription du prêt, non conforme à l'intérêt de la Sci Champ de Mars, puisque selon l'acte authentique du 11 décembre 2007, la Banque Populaire a consenti un prêt de 275.000 euros, destiné à la construction d'un bâtiment de trois logements en vue de leur location, au TEG de 5,631970'% . Le tribunal a également constaté un prêt de trésorerie accordé par la Sci Champ de Mars le 17 janvier 2008, destiné à assister la Sci Horizon dans la finalisation de la construction en cours. Les premiers juges ont relevé que monsieur [P] [V] est intervenu tant en qualité de gérant de la Sci Champ de Mars, que de la société [P] [V] Promotion, associée et gérante de la Sci Horizon, de sorte que la véritable cause du prêt accordé par la Banque Populaire à la Sci Champ de Mars était de permettre à la Sci Horizon, personne morale dans laquelle monsieur [P] [V] avait un intérêt direct, de bénéficier d'une trésorerie, ce qu'a reconnu monsieur [P] [V] dans un courrier du mois d'avril 2019 adressé au mandataire judiciaire, par lequel il impute la responsabilité de ce montage au conseiller financier de la Banque Populaire, tout en admettant ne disposer d'aucune preuve à cet égard.
65. Sur ce point, la cour constate également que bien que la situation de la Sci Champ de Mars était déficitaire en 2007, selon le bilan produit, une convention de trésorerie sous seing privé a été signée par l'appelant, en sa qualité de gérant de la Sci Champ de Mars et de la Sci Horizon, afin d'assister cette dernière dans la finalisation de la construction en cours, sans que cette convention n'ait prévu le montant de cette aide, ni les conditions du remboursement des avances accordées. Cette convention vient compléter le prêt souscrit par la Sci Champ de Mars auprès de la Banque Populaire, dont il est constant qu'il a été affecté à la Sci Horizon, alors que son objet était de financer une opération de construction par la Sci Champ de Mars, laquelle n'a finalement pas eu lieu en raison des déboires de la Sci Horizon. Ainsi que relevé par le tribunal, aucun élément n'indique que la banque ait été à l'origine de ce montage. L'appelant ne conteste pas le détournement de ce prêt afin de financer une autre société dans laquelle il était intéressé en qualité d'associé et de gérant au travers la société [P] [V] Promotion. Aucun lien n'existait entre la Sci Champ de Mars et la Sci Horizon, puisqu'il n'est ni allégué, ni établi, que ces sociétés faisaient parties d'un groupe de société. Dans son courrier non daté adressé à maître [F], l'appelant a reconnu que les travaux commencés par la Sci Horizon ont été terminés grâce au prêt accordé à la Sci Champ de Mars. Il en résulte que monsieur [P] [V] a sciemment agi afin de favoriser une personne morale dans laquelle il avait un intérêt direct, au préjudice de la Sci Champ de Mars, alors que cette opération n'avait pour elle aucun intérêt et n'était pas conforme à son objet social, même au travers d'un groupe de sociétés dont la preuve n'est pas rapportée.
66. Le tribunal a retenu en dernier lieu qu'il est établi qu'aucune comptabilité n'a été tenue par la Sci Champ de Mars depuis sa création en 2004 jusqu'à l'exercice 2014, puis non plus postérieurement à l'exercice 2017, alors que les bilans produits démontrent que la créance de la Sci Champ de Mars sur la Sci Horizon a été comptabilisée, et que s'agissant d'une créance à court terme, elle aurait pu être recouvrée dans l'année de sa création, ce qui constitue un élément supplémentaire de la mauvaise foi de monsieur [P] [V].
67. La cour constate que monsieur [P] [V] a produit une comptabilité de la Sci Champ de Mars sur les années 2007 à 2014. Il est constant qu'une comptabilité a de nouveau été établie à partir de 2017. Concernant les années manquantes, il résulte des articles 24 et suivants des statuts de la Sci Champ de Mars que chaque exercice social commence le 1er juillet pour finir le 30 juin de
chaque année, qu'il est tenu au siège social une comptabilité régulière, avec l'inventaire des éléments d'actif et de passif, l'établissement d'un compte de résultat ainsi qu'un bilan, avec un rapport sur la situation de la société et sur son fonctionnement, ces documents devant être soumis à l'approbation des associés dans le délai de six mois suivant la clôture de l'exercice. En la cause, le grief retenu par le tribunal est parfaitement établi, nonobstant l'objet de la Sci Champ de Mars, puisque les statuts liant monsieur [P] [V] ont prévu l'établissement d'une comptabilité. L'absence de comptabilité sur les années 2015 et 2016 a privé monsieur [P] [V] d'éléments lui permettant d'apprécier la situation exacte de la société avec le recours éventuel à une déclaration de cessation des paiements, sinon à la mise en 'uvre de mesures permettant d'assurer la pérennité de la société.
68. Le tribunal de commerce a ainsi justement conclu que ces fautes sont entièrement constituées, et que l'appelant a fait des biens et du crédit de la Sci Champ de Mars un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, pour favoriser la Sci Horizon dans laquelle monsieur [P] [V] était intéressé directement en qualité de gérant.
69. La cour ne peut également que confirmer le montant de la contribution mise à la charge de l'appelant par les premiers juges, puisque les fautes reprochées ont entraîné la déconfiture de la Sci Champ de Mars, dont le passif définitif est composé, dans sa presque totalité, par la créance immobilière de la Banque Populaire. Monsieur [P] [V] ne peut soutenir que sa condamnation revient à lui faire supporter deux fois le passif de la Sci Champ de Mars, puisqu'en cas de paiement de la somme mise à sa charge, il ne sera pas recherché au titre de sa contribution en sa qualité d'associé.
3) Sur la condamnation prononcée au titre de la faillite personnelle':
70. Selon l'article L653-4 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
71. En la cause, il est établi par les motifs développés plus haut que monsieur [P] [V] a fait des biens et du crédit de la Sci Champ de Mars un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, pour favoriser la société Horizon, et par là-même la société [P] [V] Promotion, dans lesquelles il était intéressé directement. Le tribunal a écarté le défaut de coopération du gérant avec les organes de la procédure, et la Sas Les Mandataires a abandonné ce grief. La
gravité des faits ainsi démontrés justifie la mesure de faillite personnelle de monsieur [P] [V], ainsi que l'interdiction de gérer pendant une période de dix années. Le jugement déféré sera ainsi confirmé sur ce point.
72. Le jugement déféré a fait une exacte application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, et sera confirmé sur les sommes mises à la charge de monsieur [P] [V] à ces titres. Succombant en son
appel, monsieur [P] [V] sera condamné à payer à la Sas Les Mandataires la somme complémentaire de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu l'arrêt de la présente cour ayant étendu à la Sci Horizon la procédure de liquidation judiciaire concernant la Sci Champ de Mars';
Vu les articles L651-2 et suivants, L653-4 et L653-5 et suivants du code de commerce';
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour';
y ajoutant';
Condamne monsieur [P] [V] à payer à la Sas Les Mandataires la somme complémentaire de 4.000 euros au titre des frais exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne monsieur [P] [V] aux dépens exposés en cause d'appel';
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente