C 9
N° RG 21/01945
N° Portalis DBVM-V-B7F-K3EF
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET
la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 16 MARS 2023
Appel d'une décision (N° RG 20/00804)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 29 mars 2021
suivant déclaration d'appel du 27 avril 2021
APPELANTE :
Madame [V] [T]
née le 02 Mars 1966 à BOURBON L'ARCHAMBAULT (38160)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocate au barreau de GRENOBLE substituée par Me Anaïs BIANCHI, avocate au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
S.A.S. CLINIQUE [5], prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 janvier 2023,
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 16 mars 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 16 mars 2023.
EXPOSE DU LITIGE':
Mme [V] [T], nouvellement diplômée, a été recrutée en qualité d'infirmière diplômée d'état (IDE) le 5 juin 2002 par la société par actions simplifiée Clinique [5] statut technicienne, coefficient 270.
Par courrier en date du 28 janvier 2003, compte tenu de l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention collective au 1er janvier 2003, l'employeur a informé la salariée que sa classification était désormais Infirmière DE, filière soignant, niveau T, groupe A, coefficient de départ 246 et d'ancienneté 246.
La convention collective de la fédération de l'hospitalisation privée est applicable au contrat de travail.
En juin 2004, la salariée a été affectée au bloc opératoire.
Compte tenu de la technicité particulière de cette nouvelle fonction, en septembre 2006, l'employeur a accordé à Mme [T] un passage au groupe B et un coefficient 267.
Mme [T] est demeurée au coefficient 267 jusqu'en février 2012, date à laquelle elle a progressé au coefficient 270 puis évoluer ensuite régulièrement pour atteindre, dans le dernier état de la relation contractuelle, le coefficient 289.
Par courrier en date du 26 juillet 2018 à son employeur, Mme [T] a indiqué que son coefficient devrait en réalité être 298, en tenant compte de la progression qui aurait dû intervenir chaque année au cours des années 2007 à 2011.
Par lettre du conseil de Mme [T] en date du 22 octobre 2018, il a de nouveau été demandé à l'employeur de régulariser le coefficient à 298.
Par courrier du 06 novembre 2018, l'employeur a répondu que, conformément à l'article 90-5-3 de la convention collective applicable, se prévalant d'un avis d'interprétation de la commission paritaire nationale de conciliation, Mme [T] aurait dû se voir appliquer, en septembre 2016, au moment du changement de groupe, le coefficient 257 mais que suite à une erreur du service paie, elle a d'ores et déjà bénéficié du coefficient 267.
Par requête en date du 27 novembre 2018, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble aux fins d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Mme [T] a été en arrêt de travail à compter du 12 mars 2019.
Par courrier du 08 avril 2019, Mme [T] a pris acte de la rupture du contrat de travail à raison du refus de son employeur de régulariser son coefficient, se prévalant d'un traitement différencié à son détriment par rapport à d'autres collègues.
Par lettre du 23 avril 2019, la société Clinique [5] a considéré que les allégations à l'appui de la prise d'acte sont infondées.
Mme [T] a modifié ses prétentions aux fins de voir dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenir diverses indemnités de rupture et la réparation d'un préjudice moral.
La société Clinique [5] s'est opposée aux prétentions adverses.
Par jugement en date du 29 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':
- constaté que la SAS Clinique [5] n'a commis aucun manquement susceptible de caractériser une faute suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail de Mme [T] à ses torts,
- constaté que la SAS Clinique [5] a exécuté loyalement le contrat de travail de Mme [V] [T],
- dit que la prise d'acte de Mme [V] [T] produit les effets d'une démission.
- débouté Mme [V] [T] de l'ensemble de ses demandes.
- débouté la SAS Clinique [5] de sa demande relative aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.
La décision a été notifiée par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 02 avril 2021 pour la société Clinique [5] et à une date non précisée s'agissant de Mme [T].
Par déclaration en date du 27 avril 2021, Mme [T] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Mme [V] [T] s'en est remise à des conclusions transmises le 24 janvier 2022 et demande à la cour d'appel de':
VU les dispositions de l'article L.1471-1 et suivants du code du travail
INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
JUGER que la Clinique [5] a méconnu les dispositions de la convention collective relatives à l'ancienneté.
REQUALIFIER la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
CONDAMNER la Clinique [5] à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
- 2 530,67 € à titre de rappels de salaire sur la période de novembre 2015 à novembre 2018, outre la somme de 253,06 € de congés payés afférents ;
- 5 000 € nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;
- 15 000 € nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de retraite ;
- 8210,17 € net à titre d'indemnité de licenciement ;
- 3 534,70 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 353,47 € brut au titre des congés payés afférents ;
- 35 000,00 € net, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.
DEBOUTER la Clinique [5] de sa demande tendant à obtenir la condamnation de Madame [T] à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les dépens.
La société Clinique [5] s'en est rapportée à des conclusions transmises le 25 octobre 2021 et entend voir':
Dire et juger l'appel interjeté par Mme [V] [T] non justifié,
En conséquence,
Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Grenoble le 29 mars 2021,
Débouter Mme [V] [T] de l'ensemble de ses demandes,
La Condamner au paiement de la somme de 2.000,00 €, au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures sus-visées.
La clôture a été prononcée le 24 novembre 2022.
EXPOSE DES MOTIFS':
Sur les prétentions au titre du coefficient':
Premièrement, si l'interprétation donnée par une commission paritaire conventionnelle du texte d'une convention collective n'a pas de portée obligatoire pour le juge, ce dernier peut, après analyse du texte, faire sienne l'interprétation de la commission.
En l'espèce, la juridiction prud'homale était saisie de l'interprétation de l'article 90-5-3 de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 aux termes duquel « Le déroulement de carrière garanti est limité aux coefficients du groupe tels que résultant des grilles de classification. En cas de changement de niveau ou de groupe, le salarié sera reclassé dans ce nouveau niveau ou groupe, au moins au coefficient immédiatement supérieur à celui qu'il détenait précédemment. L'ancienneté dans ce nouveau coefficient sera égale à ce qu'il détenait dans le coefficient précédent. Les mêmes modalités s'appliqueront en cas de changement de position. ».
Après avoir constaté l'ambiguïté du texte s'agissant de la question de savoir si l'ancienneté maintenue au salarié à la suite d'un changement de niveau ou de groupe était l'ancienneté du salarié dans l'entreprise ou l'ancienneté acquise dans le cadre du dernier coefficient qui lui était affecté, le conseil de prud'hommes, s'appuyant sur l'analyse suivie dans l'avis par la commission nationale paritaire d'interprétation du 13 avril 2013, sans lui conférer un effet obligatoire, a considéré à bon droit que l'ancienneté à prendre en considération dans le cadre d'un changement de niveau ou de groupe était celle correspondant à l'ancienneté acquise dans le coefficient qui lui était affecté antérieurement à ce changement. (voir cass.soc. 27 mai 2020, pourvoi n° 19-10.886).
Il s'ensuit que Mme [T] développe un moyen non fondé selon lequel elle aurait dû, en application stricto sensu de la convention collective, être classée à tout le moins au coefficient 264 lors de son passage, en septembre 2006, au groupe B, alors que l'interprétation nécessaire de la clause ambigüe de l'article 90-5-3 de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée conduit à considérer que la salariée aurait dû au moins bénéficier du coefficient 257.
Deuxièmement, si la classification d'un salarié est déterminée au regard des fonctions principalement exercées, les parties peuvent toutefois convenir d'une classification du salarié supérieure à celle correspondant aux fonctions réellement exercées.
Il appartient, dans cette hypothèse, au salarié d'établir qu'une qualification supérieure à celle résultant des fonctions réellement exercées lui a été attribuée ou reconnue par l'employeur.
La volonté de l'employeur de surclasser son salarié est écartée lorsque l'erreur relative au surclassement est établie.
En l'espèce, si Mme [T] développe un moyen non fondé quant à l'interprétation qu'il y a lieu de faire de la convention collective, elle rapporte pour autant la preuve qui lui incombe que l'employeur a entendu en septembre 2006 la surclasser en tenant compte de son ancienneté dans l'entreprise lors de son changement de groupe.
En effet, il appert que Mme [T] a alors bénéficié du coefficient 267 lors de son passage au groupe B.
D'une première part, Mme [T] avance à juste titre que le bénéfice du coefficient juste supérieur en cas de passage du groupe A au groupe B correspond au minimum conventionnel mais que l'employeur peut parfaitement accorder au salarié un coefficient supérieur, tenant compte de l'ancienneté de la salariée dans l'entreprise puisque l'article 90-5-3 précité de la convention collective indique que le salarié changeant de groupe est classé au moins dans le coefficient immédiatement supérieur à celui dont il bénéficiait auparavant, l'adverbe «'au moins'» impliquant que les parties peuvent convenir d'un coefficient supérieur, tenant compte de l'ancienneté acquise dans l'entreprise.
D'une seconde part, Mme [T] démontre également que l'erreur alléguée par l'employeur du service paie quant au coefficient, en septembre 2006, n'est aucunement établie.
En effet, la société Clinique [5] met en avant de manière affirmative cette erreur du service de paie dans son courrier du 06 novembre 2018.
Toutefois, dans ses conclusions d'appel en page n°11, elle se prévaut d'une explication différente puisqu'évoquant un problème de paramétrage et non une erreur d'un de ses préposés.
Dans des échanges de courriels du 22 août 2018 avec la fédération de l'hospitalisation privée, l'employeur est, au demeurant, moins affirmatif quant à l'existence d'une erreur du service paie et n'avance aucunement un problème de paramétrage puisqu'il indique certes «'TB254/267, erreur de notre technicienne de paie de l'époque qui s'est trompée en appliquant l'article 90-5-3 sur le changement de groupe, elle a saisi sur le logiciel 267 au lieu de 257, puisqu'à l'époque notre salariée au vu de son ancienneté était en TA 246/256 donc en appliquant le coefficient tout de suite supérieur à celui d'avant nous aurions dû appliquer 254/257'» mais donne ensuite une explication présentée de manière hypothétique pour justifier que le coefficient a été bloqué de septembre 2006 à août 2011 dans les termes suivants «'notre responsable de paie a dû s'apercevoir de son erreur quelque temps après et au lieu de faire une rectification, a simplement bloqué l'évolution du coefficient de septembre 2006 à août 2011, le temps de retrouver l'ancienneté 254/267.'».
La cour ne peut qu'observer, sans inverser la charge de la preuve, que la société Clinique [5] ne produit aucun élément émanant du service paie ou document technique mettant en évidence des difficultés de paramétrage du service paie et que, surtout, elle n'a jamais fait état de cette erreur alléguée, en particulier en 2007 et 2008, auprès de la salariée pour expliquer le blocage de son coefficient et ce n'est, en définitive, que douze années plus tard, en réponse à une demande expresse de Mme [T], que des justifications, au demeurant évolutives et en partie hypothétiques, ont été données par la société Clinique [5].
Le fait que Mme [T] eût pu prétendre non au coefficient 267 mais uniquement 264 si l'employeur, qui s'en défend désormais, avait tenu compte de son ancienneté dans l'entreprise lors de son passage du groupe A au groupe B, n'apparaît pas décisif et pertinent pour établir une erreur du service paie dès lors que le changement de groupe est intervenu en septembre 2006 alors que l'employeur fait état d'une affectation au bloc opératoire dès le mois de juin 2004 dans ses conclusions d'appel (page n°2).
Surtout, si la pièce n°14 de Mme [T] correspondant à des bulletins de paie d'avril/mai 2009 d'une autre salariée n'apparaît pas pertinente pour invalider toute erreur de la société Clinique [5] alors que l'employeur concerné est la société Clinique des Alpes, sa pièce n°28, à savoir des bulletins de paie de juillet et août 2018 d'un autre salarié de la société Clinique [5] mettant en évidence pour une infirmière lors du changement de groupe le passage d'un coefficient 246/272 à 254/281 alors que le coefficient minimal aurait dû être de 275 de sorte que l'employeur a repris l'ancienneté de ce salarié dans le groupe A lors du passage au groupe B, permet clairement d'écarter tout problème de paramétrage ou d'erreur du service paie allégué par la société Clinique [5].
A ce titre, la société Clinique [5] développe un moyen parfaitement inopérant tenant au fait que le salarié en question ne serait pas dans la même situation que Mme [T] alors que celle-ci n'invoque pas le principe à travail égal/salaire égal mais, sans inverser la charge de la preuve, l'employeur n'explique aucunement la raison pour laquelle, douze ans après le changement de groupe de Mme [T], il a continué comme il l'avait fait pour cette dernière à appliquer un coefficient largement supérieur au minimum imposé par la convention collective pour un autre salarié'; ce que celle-ci autorise et envisage même dès lors qu'elle fait référence au coefficient qui doit être à tout le moins accordé au salarié changeant de groupe, impliquant que l'employeur peut comme en l'espèce choisir d'attribuer un coefficient plus important pour tenir compte de l'ancienneté acquise dans l'entreprise dans le cadre du nouveau groupe.
En conséquence, infirmant le jugement entrepris et faisant application des stipulations de l'article 90-3-5 de la convention collective applicable s'agissant de l'évolution à l'ancienneté du coefficient, il convient de condamner la société Clinique [5] à payer à Mme [T] la somme de 2530,67 euros bruts à titre de rappel de salaire sur le coefficient conventionnel sur la période de novembre 2015 à novembre 2018, outre 253,06 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Sur l'indemnisation au titre du préjudice moral':
Au visa de l'article L. 1222-1 du code du travail, Mme [T], qui ne peut certes pas demander dans le cadre de la procédure prud'homale l'indemnisation des conséquences sur sa santé résultant du manquement de l'employeur au paiement du salaire dû dès lors qu'il existe une procédure spécifique de reconnaissance de maladie professionnelle et le cas échéant de faute inexcusable, a pour autant subi un préjudice moral à raison du refus persistant de l'employeur de régulariser la situation à compter du 26 juillet 2018, date de la réclamation de la salariée à ce titre.
Il convient, par infirmation du jugement entrepris, tenant compte de la durée de seulement quelques mois jusqu'à la rupture pendant laquelle le préjudice a été subi, d'allouer à Mme [T] la somme de 2000 euros nets à titre de dommages et intérêts de ce chef et de la débouter du surplus de ses demandes à ce titre.
Sur la prise d'acte':
La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il reproche à son employeur.
Elle n'est soumise à aucun formalisme en particulier mais doit être adressée directement à l'employeur.
Elle met de manière immédiate un terme au contrat de travail.
Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
A défaut, la prise d'acte est requalifiée en démission.
Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié et ne peuvent pas en laisser de côté : l'appréciation doit être globale et non manquement par manquement.
Par ailleurs, il peut être tenu compte dans l'appréciation de la gravité des manquements de l'employeur d'une éventuelle régularisation de ceux-ci avant la prise d'acte.
En principe, sous la réserve de règles probatoires spécifiques à certains manquements allégués de l'employeur, c'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire, s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.
Lorsque la prise d'acte est justifiée, elle produit les effets selon le cas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul de sorte que le salarié peut obtenir l'indemnisation du préjudice à raison de la rupture injustifiée, une indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité de licenciement, qui est toutefois calculée sans tenir compte du préavis non exécuté dès lors que la prise d'acte produit un effet immédiat.
Par ailleurs, le salarié n'est pas fondé à obtenir une indemnité à raison de l'irrégularité de la procédure de licenciement.
En l'espèce, le manquement de l'employeur au paiement du salaire convenu est établi.
Cette faute contractuelle présentait au jour de la notification de la lettre de prise d'acte du 08 avril 2019 une gravité telle qu'elle a empêché la poursuite du contrat de travail dès lors qu'à cette date, l'employeur, nonobstant les demandes réitérées de la salariée a refusé de régulariser la situation et ce d'autant, plus que Mme [T] a motivé sa prise d'acte notamment à raison du fait qu'elle a indiqué avoir appris que des collègues avaient pu bénéficier de ce qu'elle a considéré comme une application correcte de la convention collective et à tout le moins d'une reprise de leur ancienneté dans leur coefficient'; ce que sa pièce n°28 établit, la société Clinique [5] opposant un moyen sans portée tenant à des situations différentes alors que la salariée n'invoque pas le principe à travail égal/salaire égal mais l'application conforme de la convention collective par l'employeur et surtout, la pratique de celui-ci d'accorder un surclassement lors du passage du groupe A au groupe B tenant compte de l'ancienneté dans l'entreprise.
Il convient, en conséquence, par infirmation du jugement entrepris de dire que le courrier de prise d'acte du 08 avril 2019 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de débouter la société Clinique [5] de sa demande tendant à voir requalifier la prise d'acte en démission.
Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail':
Premièrement, dès lors que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [T] a droit à une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3534,70 euros bruts, outre 353,47 euros bruts au titre des congés payés afférents ainsi qu'à une indemnité conventionnelle de licenciement de 8210,17 euros, la société Clinique [5] ne développant aucun moyen en défense quant aux modalités de calcul desdites sommes.
Deuxièmement, au visa des articles L 1235-3 et L 1235-3-2 du code du travail, au jour de la rupture injustifiée de son contrat de travail, Mme [T] avait 17 ans d'ancienneté, préavis compris et un salaire de l'ordre de 1767,35 euros bruts.
Elle justifie avoir retrouvé immédiatement un emploi au CHU de Grenoble, certes à temps partiel, sans qu'elle ne prouve la date à laquelle elle est repassée à temps plein puisqu'il est produit uniquement les fiches de paie d'avril 2019 et de juillet 2020.
Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 10604 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la débouter du surplus de sa demande de ce chef, le moyen développé au titre de l'inconventionnalité des plafonds de l'article L 1235-3 du code du travail étant en l'espèce inopérant dès lors qu'il a été procédé à une appréciation souveraine du préjudice subi pour un montant inférieur.
Troisièmement, s'agissant du préjudice de droits à retraite, outre que Mme [T] n'explicite pas si elle rattache ses prétentions à l'exécution fautive du contrat de travail ou à la rupture, étant relevé que dans ce dernier cas, l'indemnité allouée au titre de la rupture injustifiée couvre ce préjudice, force est de constater qu'elle ne justifie aucunement du montant sollicité de sorte que le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef.
Sur les demandes accessoires':
L'équité commande de condamner la société Clinique [5] à verser à Mme [T] une indemnité de procédure de 2000 euros.
Le surplus des prétentions des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejeté.
Au visa de l'article 696 du code de procédure civile, infirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société Clinique [5], partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS';
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande au titre du préjudice de retraite
Statuant à nouveau,
REQUALIFIE la prise d'acte selon lettre du 08 avril 2019 de Mme [T] à la société Clinique [5] en licenciement sans cause réelle et sérieuse
DÉBOUTE la société Clinique [5] de sa demande de requalification de la prise d'acte en démission
CONDAMNE la société Clinique [5] à payer à Mme [T] les sommes suivantes':
- deux mille cinq cent trente euros et soixante-sept centimes (2530,67 euros) bruts à titre de rappel de salaire de novembre 2015 à novembre 2018 sur coefficients
- deux cent cinquante-trois euros et six centimes (253,06 euros) bruts à titre de congés payés afférents
- trois mille cinq cent trente-quatre euros et soixante-dix centimes (3534,70 euros) bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- trois cent cinquante-trois euros et quarante-sept centimes (353,47 euros) bruts au titre des congés payés afférents
Rappelle que les intérêts au taux légal sur ces sommes courent à compter du 25 septembre 2020
- deux mille euros (2000 euros) nets à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral
- dix mille six cent quatre euros (10604 euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Rappelle que les intérêts au taux légal sur ces deux sommes courent à compter du prononcé du présent arrêt
DÉBOUTE Mme [T] du surplus de ses prétentions au principal
CONDAMNE la société Clinique [5] à payer à Mme [T] une indemnité de procédure de 2000 euros
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la société Clinique [5] aux dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président