C 2
N° RG 21/01978
N° Portalis DBVM-V-B7F-K3G3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE
la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 16 MARS 2023
Appel d'une décision (N° RG 15/01113)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRENOBLE
en date du 20 avril 2021
suivant déclaration d'appel du 28 avril 2021
APPELANT :
Monsieur [M] [Y]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
Société Semitag SA devenue la société M Tag SPL , prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent CLEMENT-CUZIN de la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 janvier 2023,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère chargé du rapport et M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président, ont entendu les parties en leurs plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 16 mars 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 16 mars 2023.
EXPOSE DU LITIGE
M. [M] [Y] a été embauché le 3 janvier 1977 par la société anonyme (SA) Société d'Economie Mixte des Transports Publics de l'Agglomération Grenobloise ' SEMITAG, devenue la société publique local (SPL) M TAG, sans avoir régularisé de contrat de travail écrit.
En dernier lieu, M. [M] [Y] exerçait les fonctions de conducteur-receveur.
Le 5 octobre 2000, M. [M] [Y] a fait l'objet d'un premier arrêt de travail pour maladie d'origine professionnelle, suivis de plusieurs périodes de suspension de son contrat de travail.
M. [M] [Y] a été placé en arrêt de travail pour cause de maladie professionnelle du'15'août 2007 au 6 mai 2010, puis pour maladie simple jusqu'au 30 août 2010.
M. [M] [Y] a ensuite repris le travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique jusqu'au'23 septembre 2010.
Il a été placé en arrêt, en raison d'un accident du travail, du 25 septembre 2010 au'9'novembre'2010, puis jusqu'au 16 décembre 2014.
A l'issue d'une première visite de reprise en date du 17 décembre 2014 puis de la seconde visite de reprise du 5 janvier 2015, le médecin du travail l'a déclaré inapte à tous les postes.
Par courrier recommandé en date du 22 janvier 2015, la société Semitag a informé M. [M] [Y] de son impossibilité de le reclasser.
Par courrier en date du 23 janvier 2015, M. [M] [Y] a été convoqué par la société'Semitag à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 février 2015.
Par lettre en date du 6 février 2015, la société Semitag a notifié à M. [M] [Y] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement et lui a adressé ses documents de fin de contrat le 11 février 2015.
Par requête visée au greffe le 26 mai 2015, M. [M] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble d'une demande dirigée contre la SA Semitag aux fins d'obtenir paiement de rappels de salaire, d'indemnités de congés payés et de dommages et intérêts pour non maintien du salaire et absences de cotisations versées aux organismes sociaux, contestant les déductions d'indemnités journalières opérées par l'employeur à partir du 1er avril 1987 contrairement à un usage en vigueur au sein de l'entreprise.
La société Semitag s'est opposée aux prétentions adverses.
M. [M] [Y] a été admis au bénéfice de la retraite à compter du 1er avril 2017.
Par jugement en date du 20 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Grenoble a':
- déclaré la demande de M. [M] [Y] recevable car non prescrite,
- débouté M. [M] [Y] de l'intégralité de ses demandes.
- débouté la SA SEMITAG de sa demande reconventionnelle.
- condamné M. [M] [Y] aux dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 21 avril 2021 par M. [M] [Y] et le 22 avril 2021 par la société Semitag.
Par déclaration en date du 28 avril 2021, M. [M] [Y] a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 novembre 2022, M.'[M] [Y] sollicite de la cour de':
Vu l'article L. 1222-1 du code du travail ;
Vu la directive 2003/88/CE en son article 7 ;
Vu les pièces versées aux débats ;
Vu les jurisprudences de la Cour de cassation.
- Déclarer M. [M] [Y] recevable en son appel, fins et conclusions,
- Dire et juger que la fin de l'usage imposé par la SA SEMITAG relative aux modalités d'indemnisation des périodes d'arrêts de travail à compter du 1er avril 1987 lui est inopposable'; qu'en modifiant les modalités de cette indemnisation l'employeur a modifié la structure de la rémunération du salarié et de ce fait modifié le contrat de travail ;
- Dire et juger que M. [M] [Y] avait un droit individuel acquis au maintien des conditions de son indemnisation au titre des arrêts maladie ;
- Dire et juger que M. [M] [Y] bénéficiait bien au moment de son embauche d'un usage de maintien intégral de sa rémunération et de garantie de la période de carence qui ne pouvait être dénoncé que conformément aux modalités fixées par la jurisprudence ;
- Constater que la modification mise en 'uvre a impacté de manière considérable les conditions de la cotisation réglée auprès de la Caisse de retraite au détriment de M. [M] [Y];
- Constater que M. [M] [Y] n'a pas été rempli de l'intégralité de ses droits à congés payés conformément aux dispositions de la directive 2003/88/CE en son article 7 ;
- Constater que la SA SEMITAG a manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi ;
- Constater que M. [M] [Y] a subi de nombreux et importants préjudices irrémédiables à la suite de la violation par la SA SEMITAG de ses obligations contractuelles ;
En conséquence, Infirmer intégralement le jugement déféré ;
- Ordonner la régularisation des cotisations auprès de la CARSAT pour la période de juin 2012 à février 2015 et remise des fiches de paie correspondantes ;
- Condamner la SA SEMITAG à un rappel d'indemnités de congés payés de juin 2012 à février'2015 : 9 554.25 €
- Condamner la SA SEMITAG à des dommages et intérêts pour non-maintien du salaire, rappel de congés payés et incidences financières': 90 000.00 €
- Assortir ces condamnations des intérêts légaux de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Grenoble pour les sommes à caractère salarial et à compter de la notification de la décision à intervenir pour les autres ;
- Condamner la SA SEMITAG à payer à M. [M] [Y] la somme de 3 000.00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner encore la même aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2022, la société Semitag SA devenue la société M TAG SPL, sollicite de la cour de':
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- débouté M. [M] [Y] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné M. [M] [Y] aux dépens.
Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré la demande de M. [M] [Y] recevable car non prescrite ;
- débouté la SA SEMITAG de sa demande reconventionnelle.
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que les demandes de versement de cotisations à la CARSAT, de rétablissement des bulletins de salaire, et de versement de dommages-intérêts à hauteur de 90.000 euros présentées par M. [M] [Y] à l'encontre de la SEMITAG sont prescrites ;
- Dire et juger que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 n'est pas d'applicabilité directe à l'égard de la SA SEMITAG ;
- Dire et juger que M. [M] [Y] a été rempli de ses droits en matière de congés payés ;
Et en conséquence,
- Débouter M. [M] [Y] de l'ensemble de ses réclamations ;
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que les demandes de M. [M] [Y] sont mal fondées ;
- Dire et juger l'absence d'usage consistant au maintien intégral de la rémunération des salariés en absence maladie, d'origine professionnelle ou non, sans déduction des indemnités journalières de sécurité sociale ;
- Dire et juger que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 n'est pas d'applicabilité directe à l'égard de la SA SEMITAG ;
- Dire et juger que M. [M] [Y] a été rempli de ses droits en matière de congés payés ;
Et en conséquence,
- Débouter M. [M] [Y] de sa demande à titre d'indemnité de congés payés et à titre encore subsidiaire, limiter la demande de M. [M] [Y] de rappels de salaire à titre de congés payés à un montant de 5.299,71 euros ;
- Débouter, en conséquence, M. [M] [Y] de l'ensemble de ses autres réclamations ;
En tout état de cause,
- Débouter M. [M] [Y] de sa demande au titre des intérêts au taux légal ;
- Condamner M. [M] [Y] à verser à la SA SEMITAG la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- Condamner M. [M] [Y] à verser à la SA SEMITAG la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article'455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 novembre 2022.
L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 25 janvier 2023, a été mise en délibérée au'16'mars 2023.
EXPOSE DES MOTIFS
1 ' Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes
L'article 2224 du code civil, tel que modifié par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du'22'septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Suivant 'l'article L. 3245-1'du code du travail'dans sa rédaction issue de la'loi nº 2013-504 du'14'juin 2013, entrée en vigueur le 16 juin 2013 :
L'action en paiement ou en répétition du salaire se'prescrit'par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le'contrat'de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du'contrat.
Selon'l'article 21-V de la loi nº 2013-504 du 14 juin 2013, les dispositions du nouvel'article L.'3245-1'du code du travail's'appliquent aux'prescriptions'en cours à compter de la promulgation de la loi, sans que la durée totale de la'prescription'puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans.
Ce délai de'prescription's'applique notamment aux demandes de rappels de salaires au titre du'maintien'de salaire en cas d'arrêt maladie et aux demandes de'congés payés'afférents.
Il résulte de la combinaison des articles L. 3245-1 et L. 3242-1 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.
La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, il convient au préalable d'analyser les prétentions formulées par M. [M] [Y].
Premièrement, le salarié présente une demande tendant au paiement d'un rappel d'indemnités de congés payés pour la période de juin 2012 jusqu'à son licenciement le 7 février 2015, fondée sur un droit au maintien des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat pour maladie ou accident d'origine professionnel qu'il revendique, qui relève des règles de prescription des demandes salariales définies par l'article L. 3245-1 du code du travail.
Or, M. [M] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Grenoble le'26'mai'2015 d'une demande de rappel d'indemnités de congés payés sur la période de juin 2012 à février 2015 de sorte que ces prétentions sont comprises dans le délai triennal de la prescription.
Deuxièmement, le salarié présente une demande indemnitaire «'pour non-maintien du salaire, rappel de congés payés et incidences financières'» qui tend à obtenir la réparation d'un'préjudice'financier global évalué à 90'000 euros, résultant d'une part de l'incidence d'une baisse de sa rémunération sur les cotisations de l'employeur auprès des organismes sociaux, en reprochant à la société Semitag d'avoir manqué de maintenir l'intégralité de son salaire pendant ses périodes d'arrêt maladie entre le'7'octobre'2000 et le'1er'avril'2017, évalué à'71'604,22'euros, et d'avoir manqué de lui verser des indemnités de congés payés sur la période «'antérieure à 2012'et située entre'2000 et 2012'».
S'agissant de la réparation du préjudice résultant d'une réduction de son niveau de pension de retraite, le salarié reproche à la société Semitag d'avoir modifié un usage, constitutif d'un avantage acquis, consistant à garantir la rémunération des salariés en arrêt de travail sans déduction du montant correspondant aux indemnités journalières versées par la sécurité sociale dans le cadre de la subrogation, en cas de suspension de leur contrat de travail pour maladie, et ayant eu pour effet de réduire l'assiette de calcul des cotisations versées auprès de l'organisme de retraite, avec un impact sur la constitution de ses droits et son niveau de pension.
La société Semitag soutient à tort que cette demande d'indemnisation est soumise aux dispositions de l'article L. 3245-1.
En effet, cette action tend, non pas à obtenir l'exécution d'une obligation née du contrat de travail, ni le paiement d'une créance salariale, mais la réparation d'un préjudice causé par la faute de l'employeur.
Elle vise à obtenir réparation du préjudice résultant d'insuffisances dans le versement des cotisations aux organismes de retraite de sorte qu'elle est soumise à la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil tel que le soutient M. [M] [Y].
Aussi le préjudice né de la perte des droits correspondant aux cotisations non versées au régime de retraite ne devenant certain qu'au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pensions, la prescription ne courre qu'à compter de cette date.
Le salarié avait certes connaissance du fait que la société Semitag calculait les cotisations de retraite sur le salaire, après déduction des indemnités journalières au moins depuis la remise du bulletin de salaire d'octobre 2000 qui mentionne que le calcul des cotisations était effectué sur le montant de rémunération brute, déduction faite des indemnités journalières de sécurité sociale.
Toutefois, c'est à la date de liquidation de ses droits à pension que s'est révélé le préjudice allégué, consistant en une minoration de ses avantages vieillesse, et ce même si cette demande a été présentée le 26 mai 2015 antérieurement à la liquidation des droits à retraite en date du'1er'avril'2017.
Ce chef de prétention, présenté à hauteur de'71'604,22'euros n'est donc pas atteint par la prescription.
De même, s'agissant du surplus de cette demande indemnitaire, le salarié reproche à la société Semitag d'avoir manqué de lui verser des indemnités de congés payés sur la période «'antérieure à 2012'et située entre'2000 et 2012'» et sollicite réparation du préjudice financier en résultant non pas au titre du bénéfice de rémunération dont il a été privé mais au titre de son incidence sur les cotisations vieillesse versées par l'employeur.
Cette prétention ne vise donc pas à obtenir le paiement des indemnités de congés payés atteintes par la prescription triennale mais la réparation d'un préjudice causé par une faute de l'employeur de sorte qu'elle est également soumise à la prescription quinquennale de droit commun.
Ce chef de prétention n'est pas atteint pas la prescription et les fins de non-recevoir tirées de la prescription des prétentions doivent donc être rejetées.
Le jugement déféré, qui a statué sur la recevabilité d'une seule des prétentions, doit être infirmé de ce chef.
2 ' Sur la demande en rappel d'indemnités de congés payés de juin 2012 à février 2015
Selon l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une directive lie les Etats membres destinataires quant au résultat à atteindre et, dans un litige opposant un particulier à un Etat membre, les dispositions claires et précises d'une directive peuvent être appliquées directement et imposer au juge national d'écarter une disposition nationale contraire (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74).
Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, arrêt du 19 janvier 1982, Becker, C-8/81, points 23 à 25), lorsque les autorités communautaires ont, par voie de directive, obligé les Etats membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales de le prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire. Il en découle que l'Etat membre qui n'a pas pris, dans les délais, les mesures d'exécution imposées par la directive ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement par lui-même des obligations qu'elle comporte. Dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées, à défaut de mesures d'application prises dans les délais, à l'encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu'elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l'égard de l'Etat.
Tel est le cas des dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88 (CJUE, arrêt du'24'novembre'2012, Dominguez, C-282/10, point 36), qui énoncent que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne a jugé (CJCE, arrêt du 26 février 1986, Marshall, C-152/84, point 49), que, lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d'une directive à l'encontre de l'Etat, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier, employeur ou autorité publique. En effet, il convient, d'éviter que l'Etat ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi admis que des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d'une directive pouvaient être invoquées par les justiciables à l'encontre d'organismes ou d'entités qui étaient soumis à l'autorité ou au contrôle de l'Etat ou qui disposaient de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (CJCE, arrêt du 12 juillet 1990, C-188/89, Foster E.A, points 18 à 20) ;
Ainsi, doivent être assimilées à l'État, aux fins de l'application directe d'une directive, les personnes morales de droit public faisant partie de l'État au sens large, ou les entités soumises à l'autorité ou au contrôle d'une autorité publique, ou encore celles qui ont été chargées, par une telle autorité, d'exercer une mission d'intérêt public et dotées, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (arrêt du 10 octobre 2017, [I], C-413/15, points 34 et 35).
En l'espèce, M. [M] [Y] se prévautde'l'article 7 de la'directive'2003/88/CE du 4 novembre 2003 pour revendiquer le bénéfice de congés payés pendant la période de suspension du contrat de travail pour motif professionnel, supérieure à une durée ininterrompue d'un an, terme prévu par'l'article L.3141-5, 5º du code du travail, qui définit les périodes considérées comme période de travail effectif sur lesquelles repose l'acquisition des droits à congés payés.
Contestant l'invocabilité de cette directive à son encontre, la société Semitag prétend que les conditions de cet effet direct ne sont pas réunies puisqu'elle-même ne serait pas directement contrôlée par une autorité publique et qu'elle ne disposerait pas de prérogatives'exorbitantes'de droit commun.
D'une première part, il ressort de l'extrait du contrat de délégation de service public du réseau de transport public urbain versé aux débats et conclu avec le Syndicat mixte des transports en commun (SMTC) devenu le Syndicat mixte des mobilités de l'aire grenobloise (SMAAG) que la société Semitag s'est vu confier la délégation d'exploitation du réseau de transports en commun de la ville de [Localité 4] et qu'elle a été chargée, en vertu d'un acte de l'autorité publique, d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt général.
En effet, aux termes de ce contrat le Syndicat, autorité délégante,'a notamment pour prérogative de définir la politique générale des transports, les orientations et l'organisation des transports urbains.
S'il peut s'appuyer sur les propositions du délégataire, il reste seul décisionnaire de la consistance des services à offrir pour répondre aux mieux aux besoins de déplacements des habitants.
En outre, la société Semitag n'est pas autorisée à fixer de sa propre autorité les tarifs du service de transport mais uniquement de faire une proposition soumise à l'homologation du Syndicat.
Encore, le Syndicat, qui assure le contrôle de la gestion du service délégué, le respect des obligations contractuelles, la conformité des services effectués par rapport au contrat et les résultats d'exploitation du service public, dispose d'un droit permanent d'accès et de contrôle sur l'ensemble des documents se rapportant à l'exécution du service public délégué et peut procéder à toutes vérifications qu'il estime utiles pour s'assurer que le service délégué est exploité conformément au contrat de délégation, la société Semitag ne pouvant opposer aucun refus à ces vérifications ou audits.
Dans ces conditions, il n'est pas déterminant que la société Semitag soit constituée sous forme d'une société par actions de droit privé, que ses organes de direction ne sont pas liés par des instructions émanant d'autorité publique, et que les membres de son conseil d'administration représentant l'actionnariat public ne peuvent imposer une décision, dès lors qu'il est démontré que l'autorité publique délégante exerce un contrôle permanent sur son activité.
D'une seconde part, la société Semitag qui conteste disposer de pouvoirs exorbitants, admet cependant que certains de ses agents du réseau de transport public sont habilités par la loi et le règlement à constater les contraventions et à transiger conformément aux'articles 529-4,'529-5 du code de procédure pénale'et 23 et 24 du'décret 2016-541 du 3 mai 2016.
Ces prérogatives spécifiques, même si elles sont ne sont exercées que par certains agents assermentés, caractérisent nécessairement l'existence de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers.
En conséquence, il résulte des énonciations précédentes que la Semitag est un organisme chargé, en vertu d'un acte de l'autorité publique, d'accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d'intérêt public et disposant à cet effet de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, qui peut donc se voir opposer les dispositions précises et inconditionnelles de l'article 7 de la'directive 2003/88/CE.
Sur ce fondement, M. [M] [Y] revendique le paiement une indemnité compensatrice de congé payé calculée sur la base de soixante-quinze jours de congés payés acquis au cours de période de juin 2012 au 7 février 2015 pendant laquelle il était placé en arrêt de travail de manière continue.
Pour s'opposer à cette demande la société Semitag excipe du moyen tiré de ce que le principe d'une durée de congé annuel de quatre semaines ne serait pas absolu compte tenu de la perte des droits à congés du fait de la durée écoulée et de la limite d'un droit au report de congé payé de quinze mois.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 22 novembre 2011, aff. C-214/10 KHS AG c Schulte) au regard de la finalité même du droit au congé annuel payé, directement conféré par le droit de l'Union à chaque travailleur, un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, empêché par le droit national de prendre son congé annuel payé durant ladite période, ne saurait avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période.
S'agissant de la période de report au-delà de laquelle le droit au congé annuel payé peut s'éteindre en cas de cumul de droits au congé annuel payé, la cour de justice de l'Union européenne juge qu'il y a lieu d'apprécier, au regard de l'article 7 de la directive 2003/88, si ladite période peut raisonnablement être qualifiée de période au-delà de laquelle le congé annuel payé est dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos (CJUE, arrêt du 22 novembre 2011, aff C-214/10 KHS).
La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne précise qu'afin de respecter ce droit dont l'objectif est la protection du travailleur, toute période de report doit tenir compte des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve le travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives. Ainsi, ladite période doit notamment garantir au travailleur de pouvoir disposer, au besoin, de périodes de repos susceptibles d'être échelonnées, planifiables et disponibles à plus long terme. Toute période de report doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée. Cette même période doit aussi protéger l'employeur d'un risque de cumul trop important de périodes d'absence du travailleur et des difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l'organisation du travail (CJUE, arrêt du 22 novembre 2011, aff. C-214/10 KHS AG c Schulte).
Si des dispositions ou pratiques nationales peuvent ainsi limiter le cumul des droits au congé annuel payé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d'une période de report à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée, l'article L. 3141-5, 5°, du code du travail a pour objet de limiter à un an la période pendant laquelle un salarié en arrêt de maladie pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle peut acquérir des droits à congés payés et non d'organiser la perte de droits acquis qui n'auraient pas été exercés au terme d'un délai de report (Soc, 22 juin 2016, n° 15-20.111, Soc, 21 septembre 2017, n°16-24.022).
En l'absence de dispositions définissant une période au-delà de laquelle le congé annuel payé est dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos, M. [M] [Y] est en droit de réclamer une indemnité compensatrice de congés payés égale à quatre semaines par an pendant le temps de son arrêt de travail pour maladie professionnelle.
En arrêt maladie d'origine professionnelle depuis le 25 septembre 2010 jusqu'à son licenciement pour inaptitude par courrier du 6 février 2015, il a donc acquis, à raison de sa seule qualité de travailleur et peu important ses absences, sur une période de 32 mois, de juin 2012 à février 2015, un total de 66,5 jours de congés payés par application de la directive européenne.
Il a donc droit à une indemnité compensatrice de congés payés non pris de 8'471,90 euros bruts (66,5 x 127,397)
Le jugement entrepris est, dès lors, infirmé et la société Semitag condamnée à payer à M. [M] [Y] cette somme, l'appelant étant débouté du surplus de sa demande de ce chef.
3 ' Sur la demande d'indemnisation du préjudice au titre du non-respect du maintien de salaire et de la durée des congés payés annuels
3.1 ' Sur le manquement de l'employeur tiré d'une modification unilatérale du contrat de travail
L'usage correspond à une pratique habituelle suivie dans l'entreprise et prend la forme d'un avantage supplémentaire accordé aux salariés ou à une catégorie d'entre eux par rapport à la loi, aux accords collectifs ou au contrat.
Pour qu'une pratique acquière la valeur contraignante d'un usage dont les salariés pourront se prévaloir, certaines conditions doivent être remplies à savoir celles tenant à la constance, à la généralité et à la fixité de cette pratique.
La constance, la généralité et la fixité de la pratique doivent permettre d'établir la volonté non-équivoque de l'employeur de s'engager envers ses salariés et de leur octroyer un avantage. En outre, ces trois conditions sont cumulatives.
Si ces conditions ne sont pas remplies, l'avantage'accordé est une simple libéralité qui relève, à chaque fois, du pouvoir discrétionnaire de l'employeur.
S'agissant de la dernière de ces trois conditions, il est de principe que l'avantage en cause doit présenter une certaine fixité tant dans les conditions auxquelles les salariés peuvent y prétendre que dans ses modalités de calcul, ce qui suppose que ces conditions et modalités de calcul obéissent à des règles prédéfinies, constantes et reposant sur des critères objectifs et que l'avantage ainsi que sa valeur ne dépendent pas du pouvoir discrétionnaire de l'employeur ou de conditions subjectives ou aléatoires.
Enfin, la charge de la preuve repose sur le salarié tant de l'existence que de l'étendue de l'usage dont il se prévaut.
En l'espèce, M. [M] [Y] se prévaut d'un usage, suivi dans l'entreprise jusqu'au'1er'avril'1987, consistant pour l'employeur à avoir garanti la rémunération des salariés en arrêt de travail sans déduction du montant correspondant aux indemnités journalières versées par la sécurité sociale dans le cadre de la subrogation, en cas de suspension de leur contrat de travail pour maladie, et avoir versé les cotisations auprès de l'organisme de retraite sur la base de cette rémunération, sans déduction des indemnités journalières.
Pourtant les bulletins de paie versés aux débats par le salarié et l'employeur pour la période entre janvier 1979 et mars 1987 ne permettent pas de constater la constance d'une telle pratique dès lors que le montant des indemnités journalières versées par la sécurité sociale est porté en déduction de la rémunération brute mensuelle sur plusieurs de ces bulletins.
Aussi, M. [M] [Y] se limite à produire les bulletins de paie de quatre autres salariés de l'entreprise sans que ces seuls éléments ne soient suffisants pour démontrer la généralité d'une pratique s'appliquant à une collectivité de salariés. L'octroi discrétionnaire d'un'avantage'à des salariés pris individuellement, à des dates différentes et sans règle précise, ne permet pas de caractériser un'usage's'imposant à l'employeur.
Finalement le salarié s'abstient de produire tout autre élément susceptible de caractériser un usage ou d'établir que l'employeur aurait reconnu le caractère contraignant d'une telle pratique.
L'existence de l'usage allégué n'étant pas démontrée, les moyens développés au titre de l'absence de dénonciation d'un tel usage sont inefficients, de même que le moyen tiré d'une incorporation de l'usage au contrat de travail.
Par ailleurs, M. [M] [Y] revendique le bénéfice de l'existence d'un avantage individuel acquis mais manque de justifier d'un accord collectif appliqué au sein de l'entreprise, définissant un tel avantage, qui aurait été dénoncé sans être remplacé par un nouvel accord, au sens de l'article L. 2261-13 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.
Il s'en déduit que M. [M] [Y], échoue à démontrer que la société Semitag aurait procédé à une modification unilatérale du contrat de travail à compter du 1er avril 1987 et fautivement cessé de verser des cotisations retraites calculées sur le montant de la rémunération mensuelle brute intégrant les indemnités journalières versées par la sécurité sociale.
Par voie de conséquence, il doit être débouté de la demande indemnitaire tendant à obtenir la réparation du préjudice financier résultant d'un tel manquement.
Partant, M. [M] [Y] est également débouté de sa demande tendant à la régularisation des cotisations auprès de la CARSAT pour la période de juin 2012 à février 2015 et de sa demande tendant à la remise des fiches de paie correspondante. Le jugement déféré est donc confirmé de ce chef.
3.2 ' Sur le manquement de l'employeur tiré du défaut de paiement des congés payés pendant les périodes d'absence pour maladie situées entre 2000 et 2012
Il est jugé que le salarié a réclamé à bon droit une indemnité compensatrice de congés payés par application de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 pendant le temps de son arrêt de travail pour maladie professionnelle sur la période postérieure à juin 2012 non prescrite.
M. [M] [Y], qui a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie antérieurement à juin 2012, sollicite réparation du préjudice financier résultant de l'incidence sur ses droits à la retraite, du défaut de paiement des indemnités de congés payés qu'il n'a pas perçues entre 2000 et 2012.
Toutefois, il ne produit aucun élément pertinent susceptible d'établir qu'il n'a pas été rempli de ses droits à congés payés acquis pendant ses périodes d'arrêt de travail successives.
Faute de preuve du préjudice allégué, il doit être débouté de ce chef de prétention, par confirmation du jugement déféré.
4 ' Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive
Au visa des articles 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile, M. [M] [Y] ayant été déclaré recevable et bien fondé en certaines de ses demandes, la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société Semitag n'est pas fondée et doit être rejetée.
5 ' Sur les demandes accessoires
Infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société Semitag, succombant partiellement à l'instance, aux dépens de première instance et d'appel et dit que l'équité et les situations économiques respectives des parties justifient que la société intimée soit condamnée, par application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel, à verser à M. [M] [Y] la somme de 2'000 euros, la société intimée étant déboutée de sa demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a':
- débouté M. [M] [Y] de sa demande en dommages et intérêts
- débouté la société Semitag de sa demande reconventionnelle,
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant des chefs du jugement infirmé et y ajoutant,
REJETTE les fins de non-recevoir tirées de la prescription';
DECLARE recevables les prétentions de M. [M] [Y] ;
CONDAMNE la société Semitag SA devenue la société M Tag SPL à payer à M. [M] [Y] la somme de 8'471,90 euros bruts (huit mille quatre cent soixante-et-onze euros et quatre-vingt-dix centimes) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés non pris entre juin 2012 et le 7 février 2015';
DEBOUTE M. [M] [Y] de sa demande en dommages et intérêts en réparation d'un préjudice financier';
DEBOUTE M. [M] [Y] de sa demande en paiement des cotisations dues à la CARSAT';
DEBOUTE M. [M] [Y] de sa demande de remise des fiches de paie';
DEBOUTE la société Semitag SA devenue la société M Tag SPL de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive';
CONDAMNE la société Semitag SA devenue la société M Tag SPL à payer à M. [M]'[Y] la somme de 2'000 euros (deux mille euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
DEBOUTE la société Semitag SA devenue la société M Tag SPL de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
CONDAMNE la société Semitag SA devenue la société M Tag SPL aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président