C 9
N° RG 21/02009
N° Portalis DBVM-V-B7F-K3J2
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY
la SCP PYRAMIDE AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 16 MARS 2023
Appel d'une décision (N° RG F20/00113)
rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURGOIN JALLIEU
en date du 13 avril 2021
suivant déclaration d'appel du 29 avril 2021
APPELANTE :
S.A.S. PATHEON FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE - CHAMBERY, avocat postulant au barreau de GRENOBLE,
et par Me Loïc HERON de la SELARL MGG LEGAL, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Claire CHESNEAU, avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [V] [S]
né le 01 Décembre 1987 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Philippe ROMULUS de la SCP PYRAMIDE AVOCATS, avocat au barreau de VIENNE substitué par Me Fanny CIONCO, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 janvier 2023,
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargé du rapport et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;
Puis l'affaire a été mise en délibéré au 16 mars 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L'arrêt a été rendu le 16 mars 2023.
EXPOSE DU LITIGE':
M. [V] [S], né le 1er décembre 1987, a été embauché le 15 octobre 2018 par la société par actions simplifiée (SAS) Patheon France suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'adjoint du responsable de production, statut cadre, groupe 7, niveau A de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.
Par courriel en date du 31 juillet 2019, M. [V] [S] a évoqué un entretien de la veille avec son supérieur hiérarchique et a dénoncé à sa direction les propos selon lui discriminatoires tenus par son responsable hiérarchique lors d'une réunion du 4 juillet 2019.
Par courrier en date du 7 août 2019, M. [V] [S] a été convoqué par la SAS Patheon France à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 août 2019.
Par lettre en date du 2 septembre 2019, la SAS Patheon France a notifié à M. [V] [S] son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Par courrier recommandé en date du 12 septembre 2019, M. [V] [S] a demandé des précisions sur son licenciement ainsi que des pièces justificatives. Par courrier en date du 27 septembre 2019, la SAS Patheon France a répondu à M. [V] [S].
En date du 26 septembre 2019, M. [V] [S] et la SAS Patheon France se sont rencontrés dans l'optique d'une résolution amiable du conflit.
Par courrier en date du 2 octobre 2019, la SAS Patheon France a refusé de conclure une transaction d'un montant équivalent à 8 mois de salaire avec le salarié, position qu'elle a réitérée par courrier en date du 25 octobre 2019.
Estimant son licenciement discriminatoire, M. [V] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu par requête en date du 5 mars 2020 aux fins de voir dire son licenciement nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'obtenir la réparation de ses préjudices.
La SAS Patheon France s'est opposée aux prétentions adverses.
Par jugement en date du 13 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu a':
- dit et jugé que le licenciement de M. [V] [S] est nul.
- condamné la SAS Patheon à verser à M. [V] [S] la somme de 24.922 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (6 mois)
- condamné la SAS Patheon à verser à M. [V] [S] [V] la somme de 4.153, 73 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté
- débouté M. [V] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire.
- condamné la SAS Patheon à verser à M. [V] [S] de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- débouté M. [V] [S] de sa demande de remise d'un bulletin de paies, d'une attestation pôle emploi et d'un certificat de travail rectifiés le tout sous astreinte,
- débouté M. [V] [S] de sa demande d'exécution provisoire du présent jugement.
- condamné la SAS Patheon aux entiers dépens
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes, tant principales, que subsidiaires, qu'infiniment subsidiaire, que reconventionnelles.
Par déclaration en date du 29 avril 2021, la SAS Patheon France a interjeté appel à l'encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 3 février 2022, la SAS Patheon France sollicite de la cour de':
Vu les articles et la jurisprudence précités,
A titre principal,
Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu du 13 avril 2021 en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le licenciement de M. [V] [S] est nul ;
- Condamné la SAS Patheon France à verser à M. [V] [S] la somme de 24. 922 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (6 mois) ;
- Condamné la SAS Patheon France à verser à M. [V] [S] la somme de 4.153,73 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté ;
- Condamné la SAS Patheon France à verser à M. [V] [S] 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la SAS Patheon France aux entiers dépens ;
- Débouté la SAS Patheon France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu du 13 avril 2021 en ce qu'il a :
- Débouté M. [V] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire ;
- Débouté M. [V] [S] de sa demande de remise d'un bulletin de paie, d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail rectifiés le tout sous astreinte ;
- Débouté M. [V] [S] de sa demande d'exécution provisoire du jugement ;
- Débouté M. [V] [S] de toutes ses autres demandes, tant principales que subsidiaires, qu'infiniment subsidiaires.
Statuant à nouveau :
A titre principal,
- Débouter M. [V] [S] de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- Limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à 4.153,66 euros bruts, en application du plafond prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail ;
- Limiter les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté ou à une rupture vexatoire à de plus justes proportions ;
En tout état de cause,
- Condamner, M. [V] [S] à payer à la SAS Patheon France une somme de 5.000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2022, M. [V] [S] sollicite de la cour de':
1/ Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu le 13 avril 2021 en ce qu'il a :
« '
Dit et jugé que le licenciement de M. [V] [S] est nul
Condamné la SAS Patheon à verser à M. [V] [S] la somme de 24 922 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul (6 mois)
Condamné la SAS Patheon à verser à M. [V] [S] la somme de 4.153,73 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté
Condamné la SAS Patheon à verser à M. [V] [S] la somme de 1.000 euros de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamné la SAS Patheon aux entiers dépens' »
2/ Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de de Bourgoin-Jallieu le 13 avril 2021 en ce qu'il a :
« Débouté M. [V] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture vexatoire
Débouté M. [V] [S] de sa demande de remise de bulletin de paies, d'une attestation pôle emploi et d'un certificat de travail rectifiés le tout sous astreinte.
Débouté M. [V] [S] de toutes ses autres demandes, tant principales que subsidiaires, qu'infiniment subsidiaires. »
3/ En conséquence
A titre principal
Juger que le licenciement notifié à M. [V] [S] le 2 septembre 2019 est un licenciement nul.
Condamner la SAS Patheon France au paiement des sommes suivantes :
- 24.922,00 € nets (6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
12.461,00 € nets (3 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté,
- 24.922,00 € nets (6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour rupture vexatoire.
A titre subsidiaire
Juger que le licenciement notifié à M. [V] [S] le 2 septembre 2019 est un licenciement sans cause réelle et sérieuse Condamner la SAS Patheon France au paiement des sommes suivantes :
- 8307,33 € nets (2 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 12.461,00 € nets (3 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté,
- 24.922,00 € nets (6 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour rupture vexatoire.
En tout état de cause
Condamner la SAS Patheon France au paiement de la somme de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner la SAS Patheon France aux entiers dépens.
Condamner la SAS Patheon France à remettre à M. [V] [S], un bulletin de paie, une attestation destinée à Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document manquant ou erroné, qui commencera à courir passé un délai de 15 jours suivant la date de notification de l'arrêt à intervenir.
Juger que la Cour de céans se réservera la compétence pour liquider la dite astreinte.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 24 novembre 2022.
L'affaire, fixée pour être plaidée à l'audience du 25 janvier 2023.
EXPOSE DES MOTIFS':
Sur la nullité du licenciement à raison de la dénonciation d'une discrimination prohibée à raison du sexe:
L'article L1132-1 du code du travail prévoit que':
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.
L'article L 1132-3 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés.
Aux termes de l'article L. 1132-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés. En vertu de l'article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de discrimination ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
L'employeur supporte la charge de la preuve de la mauvaise foi du salarié dans sa dénonciation d'une discrimination prohibée.
En l'espèce, premièrement, M. [S] n'allègue et encore moins ne justifie d'élément de fait laissant présumer qu'il a fait l'objet d'une discrimination prohibée à raison du sexe dès lors que les victimes alléguées desdits faits sont, selon sa dénonciation à l'employeur dans un courriel du 31 juillet 2019, les salariées de sexe féminin de l'entreprise et en particulier, Mme [Z], pressentie lors d'une réunion du 04 juillet 2019 pour occuper un poste vacant de conducteur de ligne, l'auteur désigné de propos discriminatoires étant M. [G], son supérieur hiérarchique, responsable de production.
Deuxièmement en revanche, il démontre les faits suivants':
- dans un courriel du 31 juillet 2019 à M. [M], directeur des opérations, avec M. [G] en copie, ce dernier étant, en sa qualité de responsable de production, son supérieur hiérarchique direct, il a dans un premier temps évoqué un entretien qu'ils ont eu la veille, lors duquel ses supérieurs lui ont fait part du fait qu'ils étaient extrêmement contents de son travail, tout en lui notifiant quelques points de mécontentement, sans lui préciser lesquels, et lui ont proposé un «'nouveau challenge'», à savoir la remise en ordre des activités de production les vendredi/samedi/dimanche. Selon ses dires, il leur a indiqué qu'il acceptait de prendre la suite de M. [U] sous trois conditions, à savoir le maintien de son titre d'adjoint de responsable de production, de son indice 7A et le paiement de primes afférentes à ces jours. Dans un deuxième temps, le salarié a évoqué une réunion en date du 04 juillet 2019 au cours de laquelle, M. [G], en présence de Mme [D] (RH production) et de M. [T] (directeur financier) lui a demandé si un poste de conducteur de ligne était pourvu'; ce à quoi, il a répondu que la personne la plus qualifiée était Mme [Z]. M. [S] a ensuite prêté à M. [G] les propos suivants «'comment peut-on prendre une femme comme conductrice de ligne'''»'; ce qui a suscité, soutient-il, la surprise des personnes présentes. M. [S] a terminé sa correspondance en considérant qu'il s'agissait d'une discrimination prohibée à raison du sexe et s'est proposé d'adresser ce courriel à la direction Europe de Thermofisher
- alors que M. [S] partait en congés, au soir du 31 juillet 2019, il a reçu un courrier daté du 07 août 2019 de convocation à un entretien préalable à un licenciement avec dispense d'activité du 12 au 20 août 2019, dont un compte-rendu dactylographié et non signé est produit aux débats. Le salarié s'est ensuite vu notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle par courrier daté du 02 septembre 2019. A ce titre, il appert que les parties ne produisent pas un exemplaire de la lettre de licenciement dans les mêmes termes. Pour autant, l'exemplaire produit par M. [S] en pièce n°2 correspond incontestablement à une combinaison d'extraits de deux courriers s'agissant du feuillet n°6, ainsi que le soutient à juste titre la société Patheon dans ses écritures.
En effet, les pages de la lettre de licenciement sont toutes paraphées par son signataire, à savoir Mme [A] [X], directrice des ressources humaines. Or, la signature figurant sur la page n°6 de l'exemplaire du salarié est différente et appartient en réalité à M. [Y], directeur général, et fait partie d'un courrier ultérieur qu'il a adressé au salarié le 25 octobre 2019.
Pour autant, dans l'exemplaire de la lettre de licenciement produit par l'employeur, et seul retenu probant par la juridiction quant à son contenu, l'employeur, après avoir énuméré dans le détail les motifs de l'insuffisance professionnelle reprochée au salarié et fait part de sa décision de lui notifier son licenciement pour cette cause, lui a exposé dans deux ultimes paragraphes du courrier qu'il contestait sa dénonciation de faits discriminatoires dans les termes suivants':
«'Par ailleurs, nous tenons particulièrement à contester vos dires de votre courriel du 31 juillet 2019 sur la prétendue discrimination envers les femmes en précisant, après avoir entendu les personnes présentes à la réunion, que M. [G] n'a jamais tenu les propos que vous lui prêtez et que le poste de conductrice de ligne a bel et bien été pourvu par une femme. Et à ce poste ce n'est aucunement une nouveauté dans notre entreprise, ni dans le service de M. [G].
Aussi, à moins que votre courriel du 31 juillet 2019, dont nous contestons l'intégralité des dires, démontre une totale inconscience de votre propre insuffisance professionnelle, nous nous interrogeons sur la raison d'un tel questionnement le lendemain d'un entretien avec votre supérieur hiérarchique qui s'est déroulé le 30 juillet 2019 à propos de vos difficultés professionnelles et alors que ces soit-disant faits remontraient au 04 juillet 2019. Nous vous rappellerons pour finir que M. [G] n'est en rien le décisionnaire dans votre procédure de licenciement, la décision relevant de la Direction en la personne de M. [N] [Y], Senior Director, General Manager.'».
- l'affirmation de l'employeur, dans la lettre de licenciement selon laquelle le responsable de production n'aurait tenu aucun propos s'agissant du recrutement d'une femme à un poste de conducteur de ligne lors de la réunion du 04 juillet 2019 est certes susceptible d'être corroborée par une attestation de M. [T], toutefois assez succincte, le témoin se limitant à indiquer que «'je n'ai constaté aucun fait ni aucun commentaire discriminatoire à l'égard des femmes'». Toutefois, M. [S] soutient à juste titre que le témoignage de Mme [D] est discordant d'un point de vue factuel, indépendamment de l'appréciation subjective que le témoin porte sur les propos de M. [G] puisqu'elle a relaté les faits suivants': «'Au cours de cette réunion, un point d'avancement du recrutement de conducteur de ligne au service conditionnement a été fait. A cette occasion, M. [S] et moi-même avons informé M. [G] et M. [T] qu'un poste aurait été pourvu par une femme. M. [G] a manifesté spontanément son étonnement en précisant que dans sa précédente entreprise, il n'y avait pas de femme à ce poste. Précisons que ce poste est technique. Le réglage de machines intéresse plus fréquemment des hommes que des femmes. M. [G] s'est exprimé en confiance, sans volonté de nuire. Il n'a d'ailleurs aucun droit de véto sur les profils de conducteur de ligne que nous recrutons, n'intervient pas dans ce process de recrutement. Au cours de cette réunion, je ne me suis pas sentie visée en tant que femme. En tant que référente harcèlement sexuel sur le site et par la nature de mon poste, je suis particulièrement sensible et vigilante à toute forme de discrimination dans l'exercice de mon travail et notamment sur l'égalité homme/femme. Je garantis que s'il y avait eu un motif légitime d'intervenir, je l'aurais fait mais tel n'est pas le cas.'»
- quoique ce document non signé a une valeur probante relative et doit être pris avec précaution pour émaner d'une partie ou à tout le moins d'une personne en charge de l'assister lors d'un entretien préalable à une mesure de licenciement, il convient de relever que M. [S] a produit aux débats en pièce n°17 un compte-rendu de l'entretien préalable du 20 août 2019 lors duquel étaient présents, M. [G], Mme [X], M. [S] et M. [W], l'assistant. Or, si la première partie traite effectivement des faits d'insuffisance professionnelle alléguée reprochée au salarié de manière relativement détaillée, il est ensuite abordé dans le détail la dénonciation qu'a faite M. [S] de faits de discrimination prohibée à raison du sexe. Il est alors prêté des propos à Mme [X] tenant au fait qu'elle a questionné M. [S] sur le fait de savoir s'il avait ou non transmis son courriel à la direction Europe, lui a reproché de ne pas être venu lui en parler, lui a demandé s'il s'agissait d'une attaque frontale de son manager et considérant que cela remettait en cause la confiance envers lui. Selon ce document, Mme [X] aurait également été avisée des faits par Mme [D] à la fin de la réunion mais qu'il se serait agi uniquement d'une interprétation de la part de M. [S], précisant avoir été rassurée par M. [T] sur le fait que les propos avaient été tenus sur le ton de la «'rigolade'». Il est également rapporté des déclarations de M. [G] selon lesquelles l'email l'aurait touché, qu'il n'était ni 'macho' ni misogyne et que sa question était légitime «'puisque là où j'étais avant certains postes ne pouvaient être occupés par des femmes'»
- il est également versé aux débats un échange de correspondances en date des 15 et 25 octobre 2019 entre M. [S] et M. [Y], directeur général, aux termes duquel le premier soutient notamment que la véritable cause de son licenciement est la dénonciation d'une discrimination prohibée à raison du sexe'; ce que le second dément, contestant les faits, indiquant que le poste a été pourvu par une femme et que sous la direction de M. [G], des femmes occupaient déjà ce poste auparavant et considérant que': «'l'utilisation de cet argument qui vient seulement après deux courriers et une réunion alors qu'il serait selon vous la case de votre licenciement, montre bien que vous ne considérez cela que comme un atout dans votre manche, que vous aviez soigneusement anticipé, pour appuyer vos prétentions indemnitaires. Il en résulte que cette dénonciation n'était bel et bien qu'une grossière manipulation aux motivations toutes autres que la défense du droit des femmes.'», lui reprochant ensuite d'avoir eu à son tour un comportement misogyne à l'égard de Mme [X].
Il s'en déduit que M. [S] démontre de manière suffisante, d'une première part, qu'il a dénoncé des faits de discrimination prohibée à raison du sexe concernant au moins une autre salariée, dans les jours qui ont précédé l'engagement de la procédure de licenciement, d'une seconde part, que l'employeur fait expressément référence à cette dénonciation dans la lettre de licenciement, non pas certes sous forme de grief explicite fondant le licenciement mais pour contester les faits et s'interroger pour autant sur les motivations du salarié, d'une troisième part, que cette dénonciation a été manifestement longuement évoquée lors de l'entretien préalable, d'une quatrième part, que les parties ont de nouveau abordé'le sujet lors de la négociation ultérieure avortée visant à un règlement amiable du litige et d'une cinquième part, que l'employeur fait lui-même un lien, quoiqu'il s'en défende, de manière contemporaine à la procédure de licenciement et non pas uniquement dans le cadre du contentieux ultérieur, entre la dénonciation du salarié, qu'il considère comme manifestement infondée et de mauvaise foi, et la procédure de licenciement, en mettant en avant qu'il s'agit d'un procédé du salarié visant à obtenir la nullité du licenciement et une indemnisation supérieure au plafond du barème d'indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse, étant observé qu'il est particulièrement significatif que l'employeur ait répondu au salarié dans le cadre de la lettre de licenciement sur ce point et non de manière distincte.
En outre et surtout, l'employeur qui reproche au salarié une insuffisance professionnelle ne se prévaut et ne justifie d'aucune mise en garde préalable adressée au salarié, l'attestation de M. [G] évoquant tout au plus des discussions à la fin de la période d'essai, que l'entreprise a décidé de ne pas rompre.
Or, l'employeur n'explique aucunement les raisons pour lesquelles, à supposer les insuffisances professionnelles de M. [G] avérées au point qu'il envisageait une mesure de licenciement pour cette raison, son supérieur hiérarchique a décidé d'organiser un entretien manifestement de recadrage, quoique M. [S] s'en défende dans son courriel du 31 juillet 2019, puisque reconnaissant à tout le moins qu'il lui a été fait part d'un mécontentement sur son travail et étant manifestement en position défensive en posant comme condition que le nouveau poste allégué comme proposé à cette occasion soit au moins au même niveau de classification, pour ensuite engager un peu plus d'une semaine après, alors que le salarié était dans l'intervalle en congés payés, une procédure de licenciement avec dispense d'activité.
La cour d'appel ne peut qu'observer que le seul évènement intervenu au cours de ce bref laps de temps est le courriel du 31 juillet 2019 du salarié au directeur des opérations avec copie à son supérieur hiérarchique retraçant à la fois l'entretien mais également dénonçant des faits de discrimination prohibée, qui n'a donné lieu à une réponse de l'employeur que dans la lettre de licenciement.
Il s'ensuit que preuve suffisante est rapportée par M. [S] d'un lien certain au moins partiel entre sa dénonciation de faits de discrimination prohibée à raison du sexe et la mesure de licenciement prise à son égard pour une insuffisance professionnelle alléguée.
L'employeur développe en défense un moyen inopérant tenant au fait que les faits de discrimination à raison du sexe ne sont pas établis au vu de la personne choisie pour le poste de conducteur de ligne et des recrutements réalisés par M. [G] alors même qu'il ne rapporte pas la preuve suffisante qui lui incombe que la dénonciation de M. [S] a été faite de mauvaise foi puisqu'il a été vu précédemment que la réunion litigieuse s'était bien tenue et qu'il y avait à tout le moins une base factuelle aux faits avancés par le salarié au vu des propres pièces de l'employeur et en particulier de l'attestation de Mme [D], qui a confirmé que M. [G] avait effectivement discuté du fait que le poste à pourvoir de conducteur de ligne allait l'être par une femme, nonobstant l'interprétation subjective qui en a été faite par le témoin, en discordance avec l'affirmation de l'employeur dans la lettre de licenciement selon laquelle M. [G] n'avait jamais tenu les propos qu'il lui prêtait.
En conséquence, il est jugé, par confirmation du jugement entrepris, que le licenciement notifié par la société Patheon France à M. [S] par courrier du 02 septembre 2019 est nul à raison du fait qu'il est au moins en partie lié de manière certaine à sa dénonciation de faits de discrimination prohibée, l'employeur étant défaillant dans la preuve qui lui incombe de la mauvaise foi du salarié.
Au visa de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Patheon France à payer à M. [S] la somme de 24922 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, correspondant au minimum de 6 mois de salaire brut.
Sur le manquement à l'obligation de loyauté':
Sous couvert d'un manquement à l'obligation de loyauté au visa de l'article L. 1222-1 du code de procédure civile, M. [S] reproche en réalité à son employeur d'avoir engagé une procédure de licenciement visant à le sanctionner à raison de la dénonciation de faits de discrimination prohibée, qui fait d'ores et déjà l'objet d'une indemnisation au titre des dommages et intérêts alloués pour licenciement nul.
Infirmant le jugement entrepris, il convient en conséquence de débouter M. [S] de sa demande indemnitaire de ce chef.
Sur la remise d'un bulletin de salaire et de documents de rupture rectifiés':
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris de ce chef par adoption de motifs en l'absence de tout moyen critique élevé par M. [S] du chef du jugement entrepris l'ayant débouté de cette demande.
Sur les circonstances vexatoires de la rupture':
Premièrement, M. [S] ne justifie pas qu'il aurait été encouragé dans son travail lors d'une réunion du 30 juillet 2019 alors même qu'il a été vu précédemment qu'il ressortait de son courriel du lendemain qu'il avait manifestement fait l'objet d'un entretien de recadrage au point qu'il était envisagé une mutation sur un autre poste qui ne s'analysait aucunement en une promotion puisque le salarié, manifestement en situation défensive, quoiqu'évoquant un nouveau «'challenge'», mettait comme condition à son acceptation le maintien de sa classification actuelle.
Deuxièmement, le courriel de Mme [X] du 3 septembre 2019 ne comporte pas la pièce jointe relative à un communiqué allégué actant du départ de l'entreprise de M. [S], de sorte que ce dernier n'établit pas avoir fait l'objet d'un procédé d'information humiliant lors de son licenciement à l'égard des autres collaborateurs.
Troisièmement, le fait que les parties ne soient pas parvenues à une solution amiable après la notification du licenciement ne saurait être rattaché et caractérisé des circonstances vexatoires entourant le licenciement, y compris s'agissant des propos tenus à cette occasion, la cour ne pouvant au demeurant qu'observer la grande liberté de ton dont M. [S] a fait preuve dans son courrier du 15 octobre 2019.
Quatrièmement, aucune pièce ne vient établir que M. [S] aurait été empêché de récupérer ses affaires personnelles par son employeur, dont il n'offre pas même un descriptif succinct et que celles-ci auraient fait l'objet d'une destruction.
Cinquièmement, M. [S] ne rapporte pas la preuve de l'appel et du contenu de celui-ci dont il se prévaut pendant ses congés du 06 août 2019 de Mme [B], étant ajouté que celle-ci est présentée comme déléguée du personnel et que l'employeur ne saurait voir sa responsabilité engagée à raison des actes entrepris par les représentants du personnel dans le cadre de l'exercice de leur mandat.
Sixièmement, le fait que M. [S] n'ait pas pu dire au revoir à son équipe nonobstant l'absence de faute fondant le licenciement n'est pas avéré, l'employeur l'ayant dispensé d'activité mais rien n'indiquant que M. [S] ait pris l'initiative de contacter ses collaborateurs et en ait été empêché par la direction.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [S] de ses prétentions au titre des circonstances vexatoires entourant le licenciement.
Sur les demandes accessoires':
L'équité commande de confirmer l'indemnité de procédure allouée par les premiers juges à M. [S] à hauteur de 1000 euros et de débouter les parties du surplus de leurs prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société Patheon France, partie perdante, aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS';
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel, et après en avoir délibéré conformément à la loi';
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Patheon France à payer à M. [S] la somme de 4153,73 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
DÉBOUTE M. [S] de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
DIT n'y avoir lieu à application complémentaire des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel
CONDAMNE la société Patheon France aux dépens d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président