C3
N° RG 21/03525
N° Portalis DBVM-V-B7F-LAA4
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Séverine OPPICI
la CPAM DE SAVOIE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU LUNDI 24 AVRIL 2023
Appel d'une décision (N° RG 20/00027)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambery
en date du 14 juin 2021
suivant déclaration d'appel du 12 août 2021
APPELANTE :
Madame [T] [M] [W]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Séverine OPPICI, avocat au barreau de BOURGOIN-JALLIEU, substitué par Me Gaëlle ACHAINTRE, avocat au barreau de CHAMBERY
INTIMEE :
CPAM DE SAVOIE, pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
comparante en la personne de Mme [E] [Z], régulièrement munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Chrystel ROHRER, Greffier et de Mme [B] [X], greffier stagiaire en pré-affectation
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 février 2023,
M. Jean-Pierre DELAVENAY chargé du rapport, Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller et M. Pascal VERGUCHT, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs observations et dépôts de conclusions.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [T] [M] [W] a été engagée à compter du 3 février 2006 en qualité d'agent de service, puis de chef d'équipe par la société [6].
Le 24 mai 2018, Mme [W] a établi auprès de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de la Savoie une déclaration de maladie professionnelle suivant certificat médical initial du 7 mars 2018 faisant état d'une « tendinopathie chronique des deux épaules. Demande de reconnaissance en MP. IRM en attente ».
La condition relative à la liste limitative des travaux n'étant pas remplie, la caisse a transmis le dossier au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) de [Localité 7] Rhône-Alpes.
En l'absence d'avis rendu par le CRRMP, la caisse primaire a notifié à l'assurée, le 12 novembre 2018, un rejet provisoire de prise en charge de la pathologie déclarée.
Suivant avis du 25 avril 2019, le CRRMP de [Localité 7] Rhône-Alpes a considéré qu'il n'existait pas de lien direct entre la maladie et l'activité professionnelle.
Le 14 janvier 2020, Mme [W] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry de deux recours distincts à l'encontre des deux décisions de la commission de recours amiable de la caisse primaire, notifiées le 19 novembre 2019 maintenant le refus de prise en charge d'une part, de la tendinopathie de l'épaule gauche du 7 mars 2018 et, d'autre part, de la tendinopathie de l'épaule droite du 7 mars 2018.
Par jugement du 14 juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry a :
- joint les deux recours n°s 20/00027 et 20/00028 sous le seul numéro 20/00027 ;
- débouté Mme [W] de ses demandes tendant à voir prises en charge, au titre de la législation professionnelle, les maladies déclarées le 24 mai 2018 « tendinopathie chroniques des deux coiffes des rotateurs » dont elle est atteinte et dont la première constatation médicale a été fixée au 19 janvier 2018,
- condamné Mme [W] à payer à la CPAM de la Savoie la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [W] aux entiers dépens,
- débouté les parties de toute autre demande plus ample ou contraire.
Le 12 août 2021, Mme [W] a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 16 juillet.
Les débats ont eu lieu à l'audience du 7 février 2023 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 24 avril 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme [T] [M] [W], selon ses premières conclusions d'appel, notifiées par RPVA le 11 février 2022, reprises à l'audience, demande à la cour de :
- déclarer son appel recevable,
- infirmer et réformer le jugement rendu le 14 juin 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry en ce qu'il a :
- débouté Mme [W] de ses demandes tendant à voir prises en charge, au titre de la législation professionnelle, les maladies déclarées le 24 mai 2018 : tendinopathie chroniques des deux coiffes des rotateurs dont elle est atteinte et dont la première constatation médicale a été fixée au 19 janvier 2018,
- condamné Mme [W] à payer à la CPAM de la Savoie la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [W] aux entiers dépens,
- débouté les parties de toute autre demande plus ample ou contraire.
Statuant à nouveau,
- constater et ordonner que la pathologie déclarée à la CPAM le 7 mars 2018, à savoir une tendinopathie de l'épaule gauche, relève bien d'une maladie professionnelle déclarée au tableau n° 57 du code de la sécurité sociale,
En conséquence,
- infirmer l'avis rendu par la commission de recours amiable de la CPAM du 19 novembre 2019,
- débouter la CPAM de la Savoie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires,
- condamner la CPAM à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient qu'elle souffre bien de deux maladies professionnelles reconnues au titre du tableau n°57 exerçant depuis 2006 des tâches répétitives et pénibles. Elle considère que si les tâches ménagères n'occupent pas une part prépondérante, elles présentent néanmoins un caractère habituel.
Elle explique que, dans le cadre de ses fonctions de chef d'équipe, elle a été amenée à effectuer des tâches ménagères lors de remplacements d'agents de services absents et donc à effectuer régulièrement des trajets en voiture, à porter différentes charges (dont des bidons de nettoyage de 5 litres et le matériel nécessaire au travail des collaboratrices).
Elle affirme avoir réalisé des travaux comportant des efforts des bras ou mouvements d'élévation des bras dans le cadre de ses fonctions et rappelle que le médecin du travail lui a délivré un avis d'inaptitude le 9 octobre 2019 en ces termes : « inapte au poste actuel ainsi qu'à tout travail comportant efforts des bras ou mouvement d'élévation des bras (manutention de produits, travaux de nettoyage ».
La caisse primaire d'assurance maladie de la Savoie n'a pas conclu en appel et est présumée, selon l'article 954 du code de procédure civile, s'approprier les motifs du jugement ayant approuvé l'avis négatif du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, en l'absence d'élément nouveau apporté par la requérante.
MOTIVATION
Dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er juillet 2018, applicable au litige l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale prévoit que :
'(...) Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1".
L'article R 142-24-2, pris en application dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2019 dispose quant à lui : 'Lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une maladie dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L 461-1, le tribunal recueille préalablement l'avis d'un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du cinquième alinéa de l'article L 461-1".
La caisse a instruit deux demandes de prise en charge d'une rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM de l'épaule gauche et droite selon certificat médical initial unique du 7 mars 2018 pour les deux pathologies, avec une date de première constatation le 19 janvier 2018.
La liste limitative des travaux susceptible de provoquer ces maladies, prévue au tableau 57 A des maladies professionnelles, comporte les travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction :
* avec un angle supérieur ou égal à 60 degrés pendant au moins deux heures par jour en cumulé ;
* ou avec un angle supérieur ou égal à 90 degrés pendant au moins une heure par jour en cumulé.
Mme [W] a été promue chef d'équipe à partir de 2010, ce qui ne la destinait normalement plus à effectuer les gestes décrits ci-dessus dans l'exercice de ses fonctions pour des durées cumulées importantes.
Elle-même, dans le questionnaire d'enquête qu'elle a rempli, a indiqué consacrer environ 7 heures par jour à la conduite automobile pour visiter les chantiers et être amenée à se servir occasionnellement d'une autopolisseuse, d'une monobrosse et à transporter des bidons de 5 litres, ce qui n'implique pas forcément non plus des décollements significatifs des bras le long du corps, mais aussi à effectuer des remplacements de collègues absentes pour les prestations de nettoyage, impliquant alors fréquemment les gestes nocifs décrits au tableau 57 A.
La caisse, après enquête, a estimé que la condition relative à l'exposition journalière au risque n'était pas réalisée, d'où la saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en application des dispositions de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale précité.
Pour rapporter la preuve contraire, l'appelante produit un avis d'inaptitude du 9 octobre 2019 du médecin du travail faisant suite à son arrêt de travail ininterrompu depuis le 18 janvier 2018, l'estimant inapte à tout travail comportant des efforts des bras ou mouvements d'élévation des bras (manutention de produits, travaux de nettoyage).
Elle en déduit à contrario qu'elle était donc bien exposée à ces gestes nocifs dans ses fonctions antérieures pour être déclarée inapte à celles-ci.
D'autre part elle verse aux débats le témoignage d'une collègue de travail, comptable, admettant qu'elle ne se déplaçait pas sur les chantiers mais attestant que :
'En cas d'une absence imprévue d'un agent sur un site, Mme [W] s'efforçait de passer de nombreux appels pour trouver un(e) remplaçant(e). Il arrivait qu'elle soit dans l'obligation d'effectuer elle-même la prestation de nettoyage du fait de n'avoir personne pour la faire. En effet, ces prestations étaient programmées à des horaires de fermeture des entreprises et il était difficile de pouvoir reporter celles-ci. Elle me citait souvent les remplacements qu'elle faisait elle-même.
Mme [W] alimentait ces chantiers en rasants (ndr : sorte de têtes de balais avec serpillère intégrée) et produits de nettoyage (dont bidon de 5l). Lorsqu'elle passait au bureau et que j'étais présente et disponible, je ne manquais pas d'aller l'aider à vider son véhicule voyant avec quelles difficultés elle portait ses sacs cabas remplis de rasants mouillés. Je m'efforçais de porter les charges les plus lourdes pour soulager ses bras enflés. Elle chargeait et déchargeait son véhicule de société pour assurer la rotation des rasants pour ces chantiers et les alimenter en produits'.
Le tribunal a retenu à bon droit que ces deux seuls éléments ne démontrent pas qu'elle effectuait quotidiennement des mouvements entraînant un décollement des bras par rapport au corps de plus de 60 degrés au moins deux heures par jour ou de plus de 90 degrés au moins une heure par jour, de sorte que la présomption d'imputabilité prévue à l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale en cas de réunion des conditions du tableau ne pouvait être retenue.
En revanche, en présence d'un différend médical le tribunal ne pouvait que désigner, avant de statuer, un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles par application de l'article R142-24-2 précité.
Le jugement déféré sera donc infirmé et, avant dire droit, il sera ordonné la désignation pour avis d'un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Il sera sursis à statuer également dans l'attente de cet avis sur les demandes au titre des frais irrépétibles et dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement et publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement RG n° 20/00027 rendu le 14 juin 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Chambéry.
Statuant à nouveau,
Avant dire droit,
Désigne le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche Comté, [Adresse 2] avec mission de dire s'il existe un lien direct entre les maladies 'rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM épaules gauche et droite tableau 57 A' - et le travail habituel de Mme [T] [M] [W].
Rappelle aux parties la faculté de présenter des observations au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (D 461-29 code de la sécurité sociale).
Sursoit à statuer.
Dit que l'instance sera reprise à la requête de la partie la plus diligente ou d'office après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Réserve les dépens.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Kristina Yancheva, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président