N° RG 21/01915 - N° Portalis DBVM-V-B7F-K3A5
N° Minute :
C3
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL DENIAU AVOCATS GRENOBLE
Me Fabrice BARICHARD
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 02 MAI 2023
Appel d'un Jugement (N° R.G. 19/00921) rendu par le Tribunal judiciaire de Grenoble en date du 11 mars 2021, suivant déclaration d'appel du 23 Avril 2021
APPELANTES :
Mme [O] [G]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS - MAF - prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentées par Me Mylène ROBERT de la SELARL DENIAU AVOCATS GRENOBLE, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIM ÉS :
M. [V], [P] [E]
né le 03 Octobre 1948 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 7]
Mme [J] [M] épouse [E]
née le 27 Juin 1951 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentés par Me Fabrice BARICHARD, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle Cardona, présidente
M. Lionel Bruno, conseiller,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 février 2023, Anne-Laure Pliskine, conseillère, qui a fait son rapport, assistée de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seule les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [V] [E] et madame [J] [M] épouse [E] ont confié une mission complète de maîtrise d''uvre à Madame [G], pour l'extension et la surélévation de leur maison individuelle située [Adresse 1], sur la commune de [Localité 7].
Le projet prévoyait la restructuration d'une maison individuelle, comprenant une surélévation du volume existant, ainsi qu'une extension d'un double niveau. Les travaux prévoyaient la déconstruction de la couverture existante et la réalisation d'une structure bois de type ossature pour la surélévation et d'une structure poteaux/poutres pour l'extension.
La maison avant travaux était constituée d'un rez-de-chaussée (garage) et d'un niveau comportant les pièces de vie, donnant sur une terrasse extérieure réalisée en remblai. Dans le cadre des travaux, la terrasse extérieure a été modifiée et réalisée en maçonnerie lourde.
La réception des travaux est intervenue avec réserves le 19 décembre 2007.
Les époux [E] se sont plaints de désordres au printemps 2017 et l'ont signalé à Mme [G] par courrier du 23 avril 2017.
Le 4 mai 2017, Madame [G] a procédé à une déclaration auprès de son assureur, la compagnie MAF et Monsieur [Y] a été mandaté par la compagnie MAF en vue de l'organisation d'une expertise amiable.
Par acte d'huissier en date du 20 février 2019, les époux [E] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Grenoble la MAF et Madame [G] aux visas des articles 1792 du code civil et L.124-3 du code des assurances à titre principal et aux visas des articles 1240 à titre subsidiaire en réparation de leurs préjudices.
Par jugement du 11 mars 2021, le tribunal judiciaire de Grenoble a:
-dit et jugé que Madame [O] [B] (sic) engageait sa responsabilité décennale dans les désordres survenus ;
-dit et jugé mobilisables les garanties dues par la compagnie MAF en sa qualité d'assureur de responsabilité de madame [O] [B] ;
-dit et jugé que Monsieur [V] [E] et madame [J] [M] étaient recevables dans leur action au titre de la garantie décennale contre l'architecte madame [O] [B], et son assureur la MAF ;
-condamné in solidum madame [O] [B], et son assureur la MAF, au paiement de la somme de 25 766,24 euros en réparation des désordres subis par Monsieur [V] [E] et madame [J] [M] avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision,
-condamné madame [O] [B] et son assureur la compagnie MAF à payer in solidum une indemnité de 2 000 euros au profit de Monsieur [V] [E] et madame [J] [M] avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision, au titre du préjudice de jouissance ;
-condamné madame [O] [B] et son assureur la compagnie MAF aux dépens avec distraction au profit des avocats en la cause ;
-condamné madame [O] [B] et son assureur la compagnie MAF à payer in solidum une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Monsieur [V] Monsieur [V] [E] et madame [J] [M].
Par déclaration d'appel du 23 avril 2021, Mme [G] et la MAF ont interjeté appel du jugement.
Dans leurs conclusions notifiées le 4 mai 2022, Mme [G] et la MAF demandent à la cour de:
Vu l'article 1792 du code civil
Vu l'article 2241 du code civil
Vu l'article 1240 du code civil
Vu l'article L. 124-3 du code des assurances
-confirmer le jugement en ce qu'il a :
-juger que ni la MAF ni Madame [G] ne peuvent se voir reprocher un comportement fautif, malicieux et frauduleux à l'égard des époux [E] au sens de l'article 1240 du code civil,
-débouter les consorts [E] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions sur ce fondement,
-réformer le jugement et jugeant à nouveau :
Sur la garantie décennale
-constater que la réception des travaux réalisés par les époux [E] est intervenue le 19 décembre 2007,
-constater que la première demande en justice des époux [E] est intervenue le 20 février 2019.
Par conséquent,
-juger la garantie décennale expirée et prescrites leurs demandes
Sur la prétendue renonciation à la forclusion et l'attitude prétendument fautive de la MAF et de Madame [G],
-constater que les époux [E] étaient au fait de l'expiration de la garantie décennale au 19 décembre 2017 et sont restés inactifs,
-juger que le fait d'ouvrir un dossier sinistre et de mettre en 'uvre une expertise amiable ne constitue pas pour la MAF ou pour Madame [G] une reconnaissance de responsabilité.
-juger qu'il n'appartient pas à la MAF, qui n'est pas l'assureur des consorts [E], ou à Madame [G] d'avertir les époux [E] de l'expiration de la garantie décennale ou de leur conseiller d'agir en justice
Par conséquent,
-juger que ni la MAF ni Madame [G] n'ont renoncé à la forclusion de l'action,
-juger que ni la MAF ni Madame [G] n'ont commis de man'uvres dilatoires ou frauduleuses dans l'organisation de la gestion du sinistre,
-débouter les consorts [E] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions.
Sur le quantum :
-juger que les désordres allégués n'ont fait l'objet d'aucune expertise judiciaire et ni la nature, ni l'origine des désordres, les imputabilités des désordres ne sont connues.
Par conséquent,
-réformer la décision qui a fait droit aux demandes tant au titre des dommages matériels qu'au titre des dommages immatériels consécutifs,
-débouter Monsieur et Madame [E] de leurs demandes tendant à voir porter le préjudice de jouissance à la somme de 3.000 euros,
-réformer la décision qui a alloué à Monsieur et Madame [E] des sommes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner Monsieur et Madame [E] ou tout autre succombant à verser à la MAF et Madame [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de 1ere instance et d'appel, dont distraction au profit de la S.E.L.A.R.L Deniau avocats Grenoble.
Au soutien de leurs demandes, Mme [G] et la MAF énoncent que la demande des époux [E] est forclose pour avoir été intentée plus de dix ans après la réception. Elles déclarent que le fait d'ouvrir un dossier sinistre et de mettre en 'uvre une expertise amiable ne constitue pas pour la MAF une reconnaissance de responsabilité, contrairement à ce que soutient le tribunal, qu'elle ne s'est pas engagée à une quelconque prise en charge.
Subsidiairement, elles sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il n'a retenu aucun comportement fautif à leur encontre. Elles soulignent que les mails de Madame [G], qualifiés de « rassurants » par les demandeurs ne démontrent pas une volonté malicieuse, pas plus qu'une reconnaissance de responsabilité ou d'une quelconque connaissance de l'origine des désordres, qu'ils démontrent simplement sa diligence à transmettre les éléments dont elle dispose.
Elles contestent la matérialité des désordres allégués, qui ne se fondent que sur une expertise amiable et non contradictoire.
Dans leurs conclusions notifiées le 17 juin 2022, les époux [E] demandent à la cour de:
- Vu les pièces versées au débat,
- Vu les motifs sus-exposés,
- Vu les articles 1792 et suivants du code civil,
- Vu l'article L124-3 du code des assurances,
- Vu le comportement de la MAF et de Madame [G] ensuite de la survenance des désordres au domicile des époux [E],
- Vu l'article 2251 du code civil,
- Vu le jugement querellé
-confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, en raison d'une renonciation non équivoque à se prévaloir de la forclusion, à défaut en raison de la déchéance du droit à se prévaloir de la forclusion, sauf à porter la condamnation au titre du préjudice moral et de jouissance à la somme de 3 000 euros.
Subsidiairement,
- Vu l'article 1240 du code civil,
- Vu l'adage Fraus omnia corrumpit,
- Vu les man'uvres de Madame [G] et de la MAF pour laisser croire à une prise en charge des désordres,
- Vu les pièces versées au débat,
-dire et juger que Madame [G] et la MAF ont commis une faute délictuelle à l'égard des époux [E] dans la gestion du sinistre,
-dire et juger que la faute de la MAF et de Madame [G] a trompé les époux [E] dans leurs droits et engage leur responsabilité.
En conséquence,
-confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, sauf à porter la condamnation au titre du préjudice moral et de jouissance à la somme de 3 000 euros.
Dans tous les cas :
-rectifier l'erreur matérielle contenue au jugement rendu par le tribunal judiciaire de Grenoble du 11 mars 2021, RG 19/00921, et dire et juger que le nom [B] est remplacé par le nom [G] à chaque occurrence,
-débouter la Mutuelle des Architectes Français et Madame [G] de toutes leurs demandes contraires aux présentes.
-condamner la société MAF et Madame [O] [G] au paiement in solidum à Monsieur [E] et Madame [M] de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'en tous les dépens d'appel.
Les époux [E] font valoir qu'il s'agit de désordres de nature décennale.
Ils allèguent que le fait d'annoncer la prise en charge d'opérations d'expertise, puis de les organiser en mettant plusieurs mois en parallèle, et même postérieurement à l'acquisition du délai de forclusion, relève d'une renonciation non équivoque à la forclusion, d'autant plus que la responsabilité de l'assurée est présumée par les dispositions des articles 1792 et suivants et que le caractère décennal du désordre ne fait aucun doute.
Ils déclarent que l'assureur a un devoir de réaction ensuite de la déclaration d'un sinistre, et que son inertie dans le but d'acquérir la forclusion est fautive,
Subsidiairement, ils font état d'une responsabilité délictuelle au motif que la compagnie d'assurances et son assurée ont laissé croire à la prise en charge du sinistre dans le cadre de la garantie décennale, dès lors que le sinistre était déclaré.
Enfin, ils font état de leurs préjudices.
La clôture a été prononcée le 28 septembre 2022.
MOTIFS
Sur la recevabilité de la demande
Il importe de rappeler la chronologie des faits compte tenu des arguments invoqués de part et d'autre.
La réception a été prononcée avec réserves le 19 décembre 2007.
Le 23 avril 2017, les époux [E] ont contacté Mme [G] pour l'informer des désordres, lui faire part de leur probable caractère décennal.
Mme [G] a procédé à une déclaration de sinistre auprès de la MAF par courrier en date du 4 mai 2017 en lui demandant ses consignes et a tenu informé les époux [E] de ses démarches par courriel du 10 mai 2017.
La MAF a sollicité l'intervention d'un expert le 19 juin 2017, Mme [G] en a informé les époux [E] le 20 juin 2017 et les a tenus informés du dossier qu'elle constituait à destination de cet expert.
Elle les a ensuite informés le 10 octobre 2017 qu'elle avait vu l'expert et lui avait demandé l'état d'avancement du dossier et justifie de la matérialité de ses démarches, puisqu'elle a effectivement informé l'expert par courriel du même jour qu'elle avait contacté le maçon M.[D] pour qu'il fasse une déclaration à son assurance, lui demandant de faire de même pour lui faire comprendre le caractère urgent de la démarche.
Le 7 décembre 2017, le secrétariat de l'expert a proposé des dates de rendez-vous au mois de janvier 2018.
Par la suite, plusieurs échanges de courriels ont eu lieu entre Mme [G] et les époux [E], ainsi qu'entre Mme [G] et l'expert, notamment un courriel très détaillé du 11 avril 2018 dans lequel elle s'interroge sur l'état d'avancement du dossier et fait état du risque de franchise élevé qui restera à sa charge si le maçon n'est pas dans la cause pour des raisons de forclusion.
Les époux [E] arguent d'une part d'une renonciation à forclusion et d'autre part d'une attitude fautive de l'assureur, énonçant que le fait d'annoncer prendre en charge l'organisation d'une expertise tout en la retardant le plus possible constitue une man'uvre frauduleuse.
Sur la renonciation à se prévaloir de la forclusion
Quelles que soient les allégations des parties sur une éventuelle reconnaissance de responsabilité, il sera rappelé que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l'article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n'est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription. Dès lors, une reconnaissance de responsabilité n'interrompt pas le délai décennal de l'action du maître de l'ouvrage (Cass, 3e civile, 10 juin 2021, n° 20-16.837).
Sur les man'uvres frauduleuses
La MAF ne saurait sérieusement prétendre qu'elle n'était pas au courant de la date de forclusion, puisque dès le courrier de Mme [G] du 4 mai 2017, la date de réception figurait dans le courrier.
Pour autant, l'expert qu'elle a mandaté est un expert qui n'est pas salarié des parties et la preuve n'est pas rapportée de man'uvres frauduleuses ayant conduit l'expert à ne proposer une première réunion que postérieurement à l'expiration du délai de forclusion. L'expert a été désigné courant juin 2017, soit dans un délai raisonnable après réception du courrier de Mme [G] le 4 mai 2017.
Il ne saurait non plus être reproché à Mme [G] d'avoir informé régulièrement les époux [E] de l'état d'avancement du dossier et il n'est nullement démontré qu'elle a agi dans l'intention de tromper ces derniers quant au délai à respecter et aux démarches à accomplir en matière de garantie décennale. Il ne saurait sérieusement lui être reproché de ne pas les avoir avisés du risque de forclusion s'ils n'intentaient pas une action en justice avant le 19 décembre 2017, dès lors qu'elle n'avait pas pour mission de leur dispenser de quelconques conseils juridiques.
Pour ce motif, aucune action sur le fondement de l'article 1240 du code civil ne saurait prospérer.
La forclusion est encourue, le jugement sera infirmé. La demande en rectification d'erreur matérielle sur le nom de Mme [G] est dès lors sans objet.
Les époux [E] qui succombent à l'instance seront condamnés aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement déféré ;
et statuant de nouveau ;
Déclare irrecevable l'action intentée par les époux [E] ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
Condamne les époux [E] aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE