C3
N° RG 21/04348
N° Portalis DBVM-V-B7F-LCMU
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
la CPAM DU TARN
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU LUNDI 15 MAI 2023
Appel d'une décision (N° RG 19/00113)
rendue par le Pole social du TJ de VIENNE
en date du 08 septembre 2021
suivant déclaration d'appel du 04 octobre 2021
APPELANTE :
Organisme CPAM DU TARN prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparante en la personne de Mme [J] [E] [R] régulièrement munie d'un pouvoir
INTIMEE :
S.N.C. [4] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Guy DE FORESTA de la SELAS DE FORESTA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,
Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Chrystel ROHRER, Greffier,
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 février 2023,
M. Jean-Pierre DELAVENAY chargé du rapport, Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller et M. Pascal VERGUCHT, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries.
Et l'affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l'arrêt a été rendu.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 11 septembre 2017, Mme [Y] [L], ouvrière de production embossage au sein de la SNC [4] depuis le 16 mars 1998, a sollicité la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de quatre pathologies dont une « tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite » suivant certificat médical initial du 9 août 2017, objet du présent litige.
Par décision du 5 mars 2018, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) du Tarn a reconnu le caractère professionnel de cette pathologie au titre du tableau n°57 des maladies professionnelles.
L'état de santé de l'assurée a été déclaré consolidé avec séquelles indemnisables au 15 octobre 2018. Un taux d'Incapacité Permanente Partielle (IPP) de 10 % dont 3 % au titre du taux socio-professionnel a été attribué à Mme [L], le 6 décembre 2018, en raison d'une limitation légère de certains mouvements de l'épaule droite chez une droitière.
Le 5 février 2019, la SNC [4] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Vienne aux fins de contestation du taux d'IPP retenu.
Par jugement avant dire droit du 12 janvier 2021, le pôle social du désormais tribunal judiciaire de Vienne a ordonné une consultation sur pièces avec mission pour l'expert de donner son avis sur le taux d'IPP attribué à l'assurée et de préciser l'éventuel taux socio-professionnel.
L'expert désigné, le Docteur [B] [P], a déposé son rapport le 24 mars 2021 et retenu un taux médical de 7 % pour la tendinopathie de l'épaule droite.
Par jugement du 8 septembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne a :
- fixé à 8 % dont 1 % pour le taux socio-professionnel, le taux d'incapacité de Mme [L] opposable à la SNC [4],
- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
- laissé les dépens à la charge de la CPAM du Tarn.
Le 4 octobre 2021, la CPAM du Tarn a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a minoré à 1 % à l'égard de la SNC [4] le taux socio-professionnel, afin que le taux opposable à l'employeur soit de 10 % dont 7 % de taux médical et 3 % de taux socio professionnel.
Les débats ont eu lieu à l'audience du 28 février 2023 et les parties avisées de la mise à disposition au greffe de la présente décision le 15 mai 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La caisse primaire d'assurance maladie du Tarn au terme de ses observations responsives n° 1 reçues le 28 février 2023 et reprises à l'audience demande à la cour de :
- infirmer (partiellement) la décision rendue par le tribunal judiciaire de Vienne le 8 septembre 2021 minorant à 1 % à l'égard de la SNC [4], le taux professionnel attribué à Mme [L].
- confirmer la décision de la caisse du 6 décembre 2018 à l'égard de la SNC [4] fixant à 10 % (dont 3 % de taux professionnel) le taux d'IPP de Mme [L] en réparation des séquelles de la maladie professionnelle « tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite » déclarée le 9 août 2017.
- débouter la SNC [4] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la SNC [4] à lui verser la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La CPAM du Tarn soutient que le taux socio-professionnel de 3 % est justifié au regard des conséquences professionnelles préjudiciables résultant des séquelles de la pathologie déclarée le 9 août 2017.
Elle relève ainsi que Mme [L] était âgée de 51 ans à la date de son licenciement et que selon le médecin du travail, la salariée ne pourra plus exercer d'activité professionnelle nécessitant « l'hyper sollicitation » de son épaule.
Elle expose également que si Mme [L] a déclaré trois autres pathologies le même jour (épicondylite droite et canal carpien bilatéral), il s'avère que la pathologie litigieuse de l'épaule a entraîné les déficits fonctionnels les plus sévères et qu'elle ne pouvait ventiler le taux socio-professionnel sur ces différentes maladies, sous peine d'indemniser plusieurs fois ce préjudice alors que le licenciement est unique.
La SNC [4] selon ses conclusions déposées le 17 février 2023 reprises à l'audience demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- juger que le taux médical attribué à Mme [L] doit être fixé à 5 % dans ses rapports avec la caisse primaire ;
- rejeter les arguments de la caisse primaire d'assurance maladie sur le taux socio-professionnel ;
- constater que le préjudice économique subi par Mme [L] du fait de son inaptitude n'est pas en relation directe et certaine avec sa maladie du 9 août 2017 ;
- constater que la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn ne pouvait attribuer un quelconque taux socio-professionnel de 3 % à Mme [L] ;
- juger que le taux d'incapacité attribué à Mme [L] doit être fixé à 5 % tous préjudices confondus dans ses rapports avec la caisse ;
- à titre subsidiaire et au regard du rapport d'expertise du Dr [P], confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- juger que le taux attribué à Mme [L] doit être fixé à 7 % dans ses rapports avec la caisse ;
- constater que le taux socio-professionnel résultant de l'inaptitude de Mme [L] doit être ventilé entre les quatre maladies déclarées par elle le 9 août 2017 et que la part revenant aux séquelles objets du présent litige ne saurait excéder 1 % ;
- juger en conséquence que le taux d'incapacité de Mme [L] doit fixé à 8 % maximum des ses rapports avec la caisse, tous préjudice confondus.
Elle s'appuie pour l'essentiel pour la critique du taux médical sur le rapport de son consultant, le Dr [G], ayant relevé qu'il n'y a qu'un seul mouvement de l'épaule qui soit limité.
Quant au taux socio professionnel, elle oppose que la preuve d'un licenciement de Mme [L] n'est pas rapportée, ni d'un préjudice économique et qu'à le supposer établi, il conviendrait de reconnaître un lien de causalité entre ce préjudice et les quatre pathologies de l'assurée pour en répartir l'imputation des conséquences sur chacune des maladies et pas seulement l'épaule objet du litige.
Pour le surplus de l'exposé des moyens des parties au soutien de leurs prétentions il est renvoyé à leurs conclusions visées ci-dessus par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1. La SNC [4] dans ses conclusions d'intimée sollicite l'infirmation complète du jugement et la réduction du taux médical qui lui sera opposable de 7 à 5 %. Il doit donc être compris qu'elle a relevé appel incident dudit jugement.
Selon le premier alinéa de l'article L. 434-2 du Code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
Aux termes de l'article R. 434-32 alinéas 1 et 2 du même code, au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l'existence d'une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et le montant de la rente due à la victime ou ses ayants droit. Les barèmes indicatifs d'invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d'incapacité permanente d'une part en matière d'accidents du travail et d'autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au livre IV de la partie réglementaire du code de la sécurité sociale (annexes 1 et 2 du code). Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accident du travail.
Le taux d'incapacité permanente partielle doit être fixé en fonction de l'état séquellaire au jour de la consolidation de la victime, sans que puissent être pris en considération des éléments postérieurs à cette consolidation.
Une majoration du taux dénommée coefficient professionnel, tenant compte des conséquences de l'accident ou de la maladie sur la carrière professionnelle de la victime peut lui être attribué, notamment au regard du licenciement consécutif à l'impossibilité de reclasser la victime, de difficultés de reclassement, du déclassement professionnel, de retard à l'avancement ou de perte de gains.
Enfin selon l'article R. 142-16 du code de la sécurité sociale, la juridiction peut ordonner toute mesure d'instruction qui peut prendre la forme d'une consultation clinique ou sur pièces exécutée à l'audience, par le consultant avisé de sa mission par tous moyens, dans des conditions assurant la confidentialité, en cas d'examen de la personne intéressée.
Au cas présent, une consultation sur pièces a été ordonnée par jugement avant dire droit du 12 janvier 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de Vienne et confiée au Dr [P], lequel a eu communication du rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité établi par le médecin conseil de la caisse.
S'agissant de l'épaule le guide barème contenu à l'annexe I du code de la sécurité sociale pour le blocage et la limitation des mouvements de cette articulation prévoit :
'La mobilité de l'ensemble scapulo-huméro thoracique s'estime, le malade étant debout ou assis, en empaumant le bras d'une main, l'autre main palpant l'omoplate pour en apprécier la mobilité :
- Normalement, élévation latérale : 170° ;
- Adduction : 20° ;
- Anté-pulsion : 180° ;
- Rétro-pulsion : 40° ;
- Rotation interne : 80° ;
- Rotation externe : 60°.
La main doit se porter avec aisance au sommet de la tête et derrière les lombes, et la circumduction doit s'effectuer sans aucune gêne.
Les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain. On notera d'éventuels ressauts au cours du relâchement brusque de la position d'adduction du membre supérieur, pouvant indiquer une lésion du sus-épineux, l'amyotrophie deltoïdienne (par mensuration des périmètres auxiliaires vertical et horizontal), les craquements articulaires. Enfin, il sera tenu compte des examens radiologiques.'
Dominant
Non Dominant
Blocage de l'épaule,
omoplate bloquée
55
45
Blocage de l'épaule,
avec omoplate mobile
40
30
Limitation moyenne de
tous les mouvements
20
15
Limitation légère de
tous les mouvements
10 à 15
8 à 10
Lors de l'examen clinique de Mme [L] du 18 octobre 2018 soit trois jours après la date de consolidation retenue, le médecin conseil de la caisse a constaté :
- une abducation passive de 120 degrés au lieu de 170 ;
- une anté-pulsion passive de 120 degrés au lieu de 180 ;
- une rétro-pulsion de 30 degrés au lieu de 40 ;
- une adduction de 15 degrés au lieu de 20.
Il a donc bien été objectivée une limitation légère de 4 mouvements sur 6 chez une droitière.
Pour le contester, le médecin conseil de la SNC [4] s'appuie sur un compte rendu de consultation au généraliste d'un médecin hospitalier, le Dr [W], qui ayant revu en consultation Mme [L] pour les suites de son arthrite infiltrée le mois dernier, a pu constater que la mobilité passive était parfaite et strictement indolore.
Cette consultation du 13 août 2018, antérieure de deux mois à la date de consolidation retenue et faisant suite à une infiltration récente n'est donc absolument pas de nature à rapporter la preuve de l'absence de séquelles à la date de consolidation ('Si dans quelques mois ou années les mêmes phénomènes douloureux devaient réapparaître, je vous laisse éventuellement envisager d'autres infiltrations. Si celles-ci ne sont pas efficientes, je reste à sa disposition pour évaluer les alternatives').
En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu un taux d'incapacité médical opposable à l'employeur de 7 % tout à fait conforme au barème indicatif.
2. Comme l'a relevé à juste titre la SNC [4] dans la jurisprudence de la CNITAAT auparavant compétente pour statuer sur l'appel des jugements des tribunaux du contentieux et de l'incapacité, un taux socio professionnel peut être accordé en cas de licenciement consécutif à l'inaptitude découlant de la maladie professionnelle.
La caisse primaire d'assurance maladie a justifié en pièces 7 et 8 que Mme [L] a été déclarée le 15 octobre 2018 inapte à son poste d'ouvrière de production à raison d'une contre-indication à toutes les hyper-sollicitations des deux membres supérieurs et licenciée le 14 novembre 2018, selon l'attestation délivrée par cette même société SNC [4], qui ne pouvait l'ignorer et pourtant demande qu'il en soit rapporté la preuve dans le cadre de la présente instance.
Les trois autres pathologies des membres supérieurs de Mme [L] ont été sources de séquelles moindres que l'épaule avec des taux compris entre 2 et 3 % pour des paresthésies de la main gauche (2 %) et de la main droite (3 %) sans atteinte fonctionnelle et une tendinopathie chronique récidivante du coude droit (3 %).
Pour une assurée née en 1967, âgée de 51 ans à la date de consolidation, ayant perdu son emploi sans autres qualifications particulières que manuelles, un taux socio professionnel de 3 % pour des séquelles d'une pathologie de l'épaule évaluées à 7 % n'est nullement excessif.
Le jugement sera donc partiellement infirmé pour porter le taux global à 10 % comprenant 3 % de taux socio professionnel.
3. La SNC [4] succombant supportera les dépens, y compris de première instance.
Il parait équitable d'allouer à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement RG n° 19/00113 rendu le 8 septembre 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne en ce qu'il a fixé à 7 % le taux médical découlant de la maladie tableau 57 du 9 août 2017 de Mme [Y] [L].
Infirme partiellement ce jugement pour porter de 1 à 3 % le taux socio professionnel, soit un taux global de 10 % opposable à la SNC [4] et en ce qu'il a condamné la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn aux dépens de première instance.
Y ajoutant,
Condamne la SNC [4] aux dépens de première instance et d'appel.
Condamne la SNC [4] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Tarn la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles d'appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Chrystel Rohrer, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président