N° RG 21/03750 - N° Portalis DBVM-V-B7F-LAPI
N° Minute :
C2
Copie exécutoire délivrée
le :
à
la SELARL FAYOL ET ASSOCIES
Me Clémence COMPOINT
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE GRENOBLE
2ÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 04 JUILLET 2023
Appel d'un Jugement (N° R.G. 19/03335) rendu par le tribunal judiciaire de VALENCE en date du 03 juin 2021, suivant déclaration d'appel du 26 Août 2021
APPELANTES :
S.A. MMA IARD prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentées par Me France MASSOT de la SELARL FAYOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de VALENCE substitué et plaidant par Me Julie VESSELLA, avocat au barreau de VALENCE
INTIM ÉES :
Mme [J] [I]
née le [Date naissance 2] 1996 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée et plaidant par Me Clémence COMPOINT, avocat au barreau de VALENCE
CPAM DE LA DRÔME prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Localité 8]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle Cardona, présidente,
M. Laurent Grava, conseiller,
Mme Anne-Laure Pliskine, conseillère
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 mai 2023, Laurent Grava, conseiller, assisté de Caroline Bertolo, greffière, a entendu seul les avocats en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 10 février 2014, Mme [J] [I] a été victime d'un accident sur la route alors qu'elle était passagère dans le véhicule conduit par M. [P] [O] (assuré auprès de la compagnie MMA), les intéressés ayant été percutés par une voiture venant en sens inverse.
Les secours intervenus sur place ont dû désincarcérer Mme [I] et la transporter en urgence à l'hôpital de [Localité 8].
Selon le certificat médical de constatations de blessures établi le 11 février 2014, Mme [I] a été admise au centre hospitalier de [Localité 8] avec les lésions suivantes (sous réserve de lésions qui pourraient être révélées ultérieurement) :
'- absence de lésion cranio-cérébrale
- absence de lésion rachidienne
- fracture du tiers moyen de la clavicule droite
- comblement alvéolaire du lobe moyen droit
- fracture de l 'arc postérieur de la 2ème et 3ème cotes droites
- rupture corticale de l"omoplate et la base de l'épine
- fracture comminutive de l'aileron sacré droit avec disjonction de l'articulation sacroiliaque contro-latéral, fracture bilatérale des branches ilio-pubiennes, fracture de la branche ischio-pubienne droite
- fracture bimalléolaire de la cheville droite
- dermabrasions basi-cervicales droites. '
Le compte rendu d'hospitalisation au service de réanimation comporte la conclusion suivante :
'Polytraumatisme avec fractures complexes du bassin mise en traction, fracture bimalléolaire de cheville ostéosynthésée, fractures costales, contusion pulmonaire et myocardique, fracture de clavicule, fracture dentaire, plaies.
Support vasopresseur 24 heures et ventilation mécanique 24 heures.
Syndrome inflammatoire en hausse."
Mme [I] a quitté le service de réanimation pour le service de pédiatrie du centre hospitalier de [Localité 8] le 18 février 2014. Elle est retournée à son domicile le 24 février 2014, faute d'avoir pu obtenir une place dans le service de rééducation fonctionnelle.
Dans le cadre d'expertises amiables diligentées par les sociétés d'assurance des véhicules impliqués, Mme [I] a été examinée à deux reprises par les docteurs [W] et [M].
Ces derniers ont déposé deux rapports d'examen médical les 1er octobre 2014 et 21 septembre 2015.
En cours d'expertise, la compagnie MMA a versé deux provisions à Mme [I], d'un montant total de 7 000 euros.
Le 29 février 2016, suite aux conclusions des rapports des docteurs [W] et [M], la MMA a adressé une offre d'indemnisation à la victime à hauteur de 37 824 euros en sus des sommes versées à titre prévisionnel. Cette offre a été refusée par Mme [I].
Mme [I] a assigné la compagnie MMA en référé expertise le 20 juin 2017.
Par ordonnance en date du 12 juillet 2017, le juge des référés du tribunal judiciaire de Valence a désigné le docteur [H] [G] en qualité d'expert pour procéder à l'examen médical de Mme [I] et a condamné la compagnie d'assurance à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de provision complémentaire.
Le docteur [H] [G] a déposé son rapport d'expertise définitif le 1er juin 2018, retenant l'absence de consolidation de la victime et la nécessité d'un nouvel examen à l'issue d'un délai de 5 ans.
Par actes d'huissier en date des 10 octobre et 21 novembre 2019, Mme [I] a fait assigner la société MMA IARD SA, ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme devant le tribunal judiciaire de Valence afin d'obtenir la réparation de son préjudice corporel.
La société MMA IARD assurances mutuelles est intervenue volontairement dans la procédure, aux côtés de la société MMA IARD SA.
Par jugement en date du 3 juin 2021, le tribunal judiciaire de Valence a :
- Déclaré le présent jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme,
- Déclaré la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD SA in solidum tenues d'indemniser Mme [I] de son entier préjudice corporel.
Avant-dire droit sur la liquidation du préjudice corporel de Mme [I],
- Ordonné une nouvelle expertise médicale ;
- Commis en qualité d'expert le docteur [H] [G],
- Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 à 283 du code de procédure civile, qu'en particulier, il pourra recueillir de toutes personnes informées, des déclarations qu'il aura la faculté de s'adjoindre tous spécialistes de son choix, à charge de joindre leur avis à son rapport,
- Dit que l'expert déposera au greffe du tribunal de Valence, un rapport définitif de ses opérations en double exemplaire au plus tard le 31 décembre 2021 et qu'il devra également adresser un exemplaire de ce rapport à chacune des parties,
- Fixé à 800 euros le montant de la consignation qui devra être versée par Mme [I], au greffe du tribunal, à l'ordre du régisseur d'avances et de recettes, au plus tard le 15, juillet 2021, à valoir sur la rémunération de l'expert,
- Dit, par application de l'article 271 du code de procédure civile, que le défaut de consignation entraînera la caducité de la présente décision,
- Condamné la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD SA in solidum à payer à Mme[I] une provision complémentaire de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel,
- Condamné la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD SA in solidum à payer à Mme [I] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Réservé des dépens,
- Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 10 décembre 2021 à 14 heures pour faire le point sur le déroulement des opérations d'expertise.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 26 août 2021, la société MMA IARD SA et la société MMA IARD assurances mutuelles ont interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- Condamné la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD SA in solidum à payer à Mme [I] une provision complémentaire de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Suivant dernières conclusions notifiées le 25 mai 2022 , les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA demandent à la cour de :
- Réformer le jugement du 03 juin 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Valence en ce qu'il a accordé une provision de 100 000 euros à Mme [I],
Statuant à nouveau :
- Allouer à Mme [I] une provision complémentaire de 30 000 euros,
- Condamner Mme [I] aux dépens de l'appel,
- Débouter Mme [I] de ses demandes plus amples ou contraires.
Au soutien de leurs demandes, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD SA remettent en cause le rapport d'expertise du docteur [G].
Elles allèguent principalement l'absence de consolidation. En effet, elles soutiennent que le taux d'AIPP fixé par le docteur [G] ne prend pas en compte l'ensemble des séquelles alors qu'il est d'usage de globaliser ce taux à la date de consolidation.
Elles mettent ensuite en avant une opération de type 'sleeve' dans le but de perdre du poids que Mme [I] a effectué après l'expertise et qui constitue donc un élément nouveau sur lequel l'expert judiciaire n'a donc pas pu conclure.
Les sociétés remettent également en cause l'obésité hypothalamique et l'hypothyroidie envisagées par le sapiteur. Selon elles, ces pathologies se fondent que sur des hypothèses et seraient des erreurs médico-légales.
En effet, elles soutiennent, concernant l'obésité que la prise de poids résulte d'un syndrome post traumatique et non d'une obésité hypothalamique, pareillement concernant l'hypothyroidie, elles estiment qu'elle est indépendante du fait accidentel.
Dans ses conclusions notifiées le 25 février 2022, Mme [I] demande à la cour de :
- Débouter les compagnies d'assurance MMA assurances mutuelles, MMA IARD assurances de leur demande de réformation du jugement du tribunal judiciaire de Valence du 3 juin 2021
- Condamner les appelants à payer à Mme [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, Mme [I] rappelle qu'à la date du rapport d'expertise son état n'était pas consolidé et que c'est justement à ce titre qu'elle peut seulement se prévaloir d'une provision. Elle indique ensuite que la prise de poids peut caractériser l'obésité hypothalamique.
Elle souligne qu'effectivement l'obésité hypothalamique n'a été envisagée que comme une hypothèse non retenue par le médecin expert dans le quantum de l'AIPP déterminée en fonction des préjudices fixés et qu'elle ne vient donc pas remettre en question la provision allouée par le premier juge.
Elle ajoute qu'il en va pareillement pour l'hypothyroidie.
Les dernières conclusions des sociétés MMA assurances mutuelles et MMA IARD SA ont été signifiées à la CPAM, intimée défaillante, le 7 octobre 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 février 2023.
MOTIVATION
En vertu des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
1.Sur le quantum de la réparation provisionnelle accordée à Mme [I]
Il est rappelé que le droit de Mme [I] à obtenir l'indemnisation intégrale des dommages qu'elle a subi, sur le fondement des articles 1 à 6 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 n'est pas contesté.
L'article L.211-9 du code des assurances codifiant l'article 12 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dispose que 'Quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n'est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l'assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d'indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d'indemnisation qui lui est présentée. Lorsque la responsabilité est rejetée ou n'est pas clairement établie, ou lorsque le dommage n'a pas été entièrement quantifié, l'assureur doit, dans le même délai, donner une réponse motivée aux éléments invoqués dans la demande.
Une offre d'indemnité doit être faite à la victime qui a subi une atteinte à sa personne dans le délai maximum de huit mois à compter de l'accident. En cas de décès de la victime, l'offre est faite à ses héritiers et, s'il y a lieu, à son conjoint. L'offre comprend alors tous les éléments indemnisables du préjudice, y compris les éléments relatifs aux dommages aux biens lorsqu'ils n'ont pas fait l'objet d'un règlement préalable.
Cette offre peut avoir un caractère provisionnel lorsque l'assureur n'a pas, dans les trois mois de l'accident, été informé de la consolidation de l'état de la victime. L'offre définitive d'indemnisation doit alors être faite dans un délai de cinq mois suivant la date à laquelle l'assureur a été informé de cette consolidation.'
Il ressort du rapport d'expertise judiciaire du docteur [G] que l'état de Mme [I] n'était pas consolidé au jour de l'expertise. Les conclusions de ce rapport sont les suivantes :
Nous demandons au tribunal de bien vouloir prendre en compte nos propositions, qui demandent d'indemniser Madame [I], compte tenu de la problématique de sa prise en charge (mise hors circuit des soins), de l'absence de conseil ambulatoire et de son incapacité à démontrer l'importance de son préjudice. Nous avons obtenu des parties de ne pas la consolider mais de la stabiliser pour la réévaluer dans une nouvelle procédure à 5 ans.
Accident survenu le 10 février 2014 touchant une jeune victime de 16 ans (mineure).
Lésions initiales : découverte en coma traumatique, Glasgow 7, dans un état de choc hémorragique.
Elle présente d'autre part :
- une fracture dentaire de la 21
- des dermabrasions basi-cervicales droites
- un fracas complexe du bassin : fracture comminutive de l'aileron sacré, des branches ilio-pubiennes et ischio-pubiennes et une disjonction sacro-iliaque gauche.
- des fractures du dôme (1 ère côte droite 1/3 moyen de la clavicule) des 2 ème et 3 ème côte, de l'omoplate, avec contusion du lobe moyen pulmonaire droit avec présence d'une lésion excavée,
- une fracture bi-malléolaiure de la cheville droite ;
Il est important de signaler que Madame [J] [I] n'a bénéficié que du traitement lésionnel et qu'elle a été « abandonnée » par le centre hospitalier de [Localité 8] par défaut de service adapté.
La date de stabilisation est fixée au 10/02/2016. La date de consolidation devrait être retardée en raison du potentiel évolutif de certaines lésions.
Déficit fonctionnel temporaire :
- DFT 100 % du 10/02 au 1/06/2014
- DFT 75% ou de grade IV du 2/06/2014 au 10/08/2014
- DFT 50% du 11/08/2014 au 10/02/2016
Le recours à une tierce personne est justifié
- de 4 H par jour pour la période de DFT à 100% soit du 25/03 au 1/06/2014
- de 2 H par jour pour la période de DFT à 75% soit du 2/06/2014 au 10/08/2014
- de 1 H par jour pour la période de DFT de 50% soit du 11/08/2014 au 10/02/2016
- de quatre heures par semaine à titre temporaire à compter du 10/02/2016, pour 5 ans
Le taux d'AIPP est de 25% pour les lésions fixées,
Le préjudice esthétique est à 5/7 en période temporaire et à 4/7 à titre définitif.
Les souffrances endurées sont de 5/7.
Le préjudice d'agrément est majeur.
La perte de chance professionnelle est actuellement totale. Elle devra bénéficier d'un coaching spécialisé pour l'aider dans sa recherche d'emploi.
Il existe une perte de chance de mener une grossesse à son terme.
Dans les soins futurs, une réhabilitation physique, psychique et socioprofessionnelle est proposée.
Il faut prévoir des réserves dans l'évolution naturelle des lésions justifiant une réévaluation à distance soit à 5 ans. »
Ainsi, Mme [I] a droit à une réparation provisionnelle.
Concernant le quantum de cette réparation provisionnelle contesté par les appelantes, il est utile de souligner, comme l'indique à juste titre l'intimée, que certains postes de préjudice retenus dans le rapport sont définitifs.
En outre et surtout, même si Mme [I] n'est pas consolidée, l'importance de son préjudice est indéniable. En effet, certains postes de préjudices sont déjà très conséquents, ainsi pour le déficit fonctionnel temporaire, l'indemnisation du recours à la tierce personne, la perte de chance sur le plan professionnel, sachant que Mme [I] était très jeune au moment de l'accident.
En conséquence, même si la consolidation n'est pas acquise, et quand bien même certains postes de préjudices peuvent encore évoluer, la somme provisionnelle de 100 000 euros n'apparaît pas disproportionnée, le jugement sera confirmé.
2. Sur les demandes accessoires.
Il n'est pas inéquitable de condamner les appelantes à verser 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Mme [I].
Les appelantes seront condamnées aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi :
Confirme le jugement du 03 juin 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Valence en ce qu'il a :
Condamné la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD SA in solidum à payer à Mme [I] une provision complémentaire de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel ;
Y ajoutant ;
Condamne la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD SA in solidum à payer à Mme [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société MMA IARD assurances mutuelles et la société MMA IARD SA in solidum aux dépens d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE