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07/03/2024 | FRANCE | N°22/00192

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Ch. sociale -section b, 07 mars 2024, 22/00192


C 2



N° RG 22/00192



N° Portalis DBVM-V-B7G-LF6W



N° Minute :























































































Copie exécutoire délivrée le :





la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET



la SELARL A PRIM

AU NOM DU PEUP

LE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 07 MARS 2024





Appel d'une décision (N° RG 21/00064)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURGOIN JALLIEU

en date du 09 décembre 2021

suivant déclaration d'appel du 10 janvier 2022





APPELANTE :



Madame [Z] [D]

née le 08 Février 1994 à [Localité 6]

de nationalité Fran...

C 2

N° RG 22/00192

N° Portalis DBVM-V-B7G-LF6W

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET

la SELARL A PRIM

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 07 MARS 2024

Appel d'une décision (N° RG 21/00064)

rendue par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURGOIN JALLIEU

en date du 09 décembre 2021

suivant déclaration d'appel du 10 janvier 2022

APPELANTE :

Madame [Z] [D]

née le 08 Février 1994 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

E.U.R.L. ADRIACO, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Sandrine MOUSSY substituée par Me ESCALIER Sandrine, de la SELARL A PRIM, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

M. Jean-Yves POURRET, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l'audience publique du 29 novembre 2023,

Jean-Yves POURRET, conseiller chargé du rapport et Frédéric BLANC, conseiller faisant fonction de président, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, les parties ne s'y étant pas opposées ;

Puis l'affaire a été mise en délibéré au 07 mars 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L'arrêt a été rendu le 07 mars 2024.

EXPOSÉ DU LITIGE

Les sociétés Adriaor et Adriaco, dont la gérante est Mme [GK], exploitent des établissements de restauration rapide sous l'enseigne MacDonald's, situés respectivement à [Localité 7] et à [Localité 4].

La convention collective applicable est celle de la restauration rapide du 18 mars 1988.

Mme [Z] [D] a été embauchée le 13 avril 2015 en qualité d'équipière polyvalente par la société Adriaco suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel pour une durée mensuelle de 104 heures.

Par avenant en date du 1er octobre 2015, la durée de travail a été augmentée à 130 heures.

Mme [D] a bénéficié de trois arrêts de travail au cours de la relation de travail : du 3 au 5 septembre 2015, le 28 octobre 2015 et du 30 juin au 12 juillet 2016.

Par courrier remis en mains propres le 11 juillet 2016, Mme [D] a présenté sa démission à son employeur et a sollicité son départ de l'entreprise au 12 juillet 2016, ce qu'a accepté la société Adriaco.

Par courrier en date du 26 juillet 2016, Mme [D] a indiqué à la société Adriaco que sa démission « doit être considérée comme une prise d'acte de la rupture de [son] contrat de travail et traduit la situation de harcèlement moral et de discrimination lié à l'orientation sexuelle et à la situation familiale, [qu'elle a] subi au sein de [son] entreprise depuis septembre 2015 », ce qu'a contesté la société dans un courrier de réponse en date du 8 août 2016.

Le 26 juillet 2016, Mme [Z] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu d'une demande de requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul en raison du harcèlement moral subi.

La société Adriaco s'est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 9 décembre 2021, le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu a :

DIT ET JUGÉ que Mme [D] n'a fait l'objet d'aucun harcèlement moral ;

DIT ET JUGÉ que la société Adriaco n'a commis aucun manquement dans l'exécution du contrat de travail de Mme [D];

DIT ET JUGÉ que la démission de Mme [D] est sans équivoque ;

En conséquence, DÉBOUTE Mme [D] de l'ensemble de ses demandes ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [D] aux entiers dépens.

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés les 14 et 18 décembre 2021.

Par déclaration en date du 10 janvier 2022, Mme [D] a interjeté appel dudit jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2022, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [D] demande à la cour d'appel de :

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Adriaco de sa demande reconventionnelle tendant à voir condamner Mme [D] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

LE REFORMER pour le surplus et, statuant à nouveau,

JUGER que Mme [D] a été victime d'agissements de harcèlement moral discriminatoire ;

JUGER que la société Adriaco a violé ses obligations de prévention et de sécurité ;

JUGER que la société Adriaco a commis des manquements suffisamment graves de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail ;

REQUALIFIER la démission de Mme [D] en date du 11 juillet 2016 en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul à titre principal, et d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire ;

En conséquence,

CONDAMNER la société Adriaco à verser à Mme [D] les sommes suivantes :

15 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral sur le fondement de l'article L. 1152-1 du code du travail ;

15 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral sur le fondement de l'article L.1152-4 du code du travail ;

1 341,43 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

134,14 euros brut au titre des congés payés afférents,

357,71 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

12 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul à titre principal, et subsidiairement à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNER la société Adriaco à verser à Mme [Z] [D] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la même aux entiers dépens ;

DEBOUTER la société Adriaco de l'intégralité de ses demandes.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 juillet 2022, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Adriaco demande à la cour d'appel de :

DIRE ET JUGER régulier mais mal fondé l'appel engagé par Mme [Z] [D] à l'encontre du jugement du Conseil de prud'hommes de Bourgoin Jallieu du 9 décembre 2021 ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a dit et jugé que Mme [Z] [D] n'a pas été victime de harcèlement moral de la part de la société Adriaco ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la société Adriaco a loyalement exécuté le contrat de travail et n'a pas manqué à son obligation de sécurité ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Mme [Z] [D] de toutes demandes de dommages et intérêts au titre de l'exécution de son contrat de travail ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la démission de Mme [Z] [D] est sans équivoque ;

CONFIRMER en conséquence le jugement en ce qu'il a débouté Mme [Z] [D] de sa demande de requalification de sa démission en une prise d'acte de la rupture s'analysant en un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

CONFIRMER également le jugement en ce qu'il a débouté Mme [Z] [D] de ses demandes en lien avec la rupture de son contrat de travail ;

Et statuant à nouveau,

ACCUEILLIR son appel incident ;

INFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté la société Adriaco de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive à l'encontre de Mme [Z] [D] ;

CONDAMNER en conséquence Mme [Z] [D] à payer à la société Adriaco la somme totale nette de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNER également Mme [Z] [D] à payer à la société Adriaco la somme totale nette de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNER Mme [Z] [D] aux éventuels dépens de première instance et d'appel.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l'article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures susvisées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 septembre 2023.

L'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 29 novembre 2023 ; la décision a été mise en délibéré le 7 mars 2024.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur les demandes au titre du harcèlement moral et de la prévention du harcèlement moral :

L'article L.1152-1 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article 1152-4 du code du travail précise que l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique lorsqu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l'absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l'employeur lui-même ou d'un autre salarié de l'entreprise.

Il n'est, en outre, pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le juge de constater la possibilité d'une dégradation de la situation du salarié.

À ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L'article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :

En cas de litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La seule obligation du salarié est d'établir la matérialité d'éléments de faits précis et concordants, à charge pour le juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l'état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.

En l'espèce, Mme [D] ne matérialise pas les éléments de faits suivants :

(1) En premier lieu, Mme [D] produit un document relatif, selon elle, au client mystère et à la façon de les détecter et de les servir, qui manque toutefois de valeur probante en ce qu'aucun élément concret ne permet de rattacher ce document à la Société Adriaco et qu'il n'est pas daté, de sorte qu'elle n'établit pas que les salariés devaient identifier la présence d'un client mystère afin de le traiter correctement en vue d'avoir une bonne appréciation.

(2) En deuxième lieu, s'agissant du manquement à l'obligation de sécurité, la salariée verse aux débats l'attestation de Mme [CN] [K] relative à un incident survenu en septembre 2016 au cours duquel elle a glissé devant le grill et dans laquelle elle indique « par réflexe je pose le bras droit sur le grill pour me rattraper, j'avais une marque formée sur la peau à l'emplacement de la brûlure », photo de la blessure produite à l'appui.

Toutefois, il ressort de ladite attestation que Mme [K] « trouve inadmissible l'utilisation de cette photo prise une semaine après cette brûlure sans peau, pour prétendre que le nettoyage de grill est réalisé sans gants » et que « j'ai jugé moi-même que cette blessure n'entrait pas dans le cadre d'un accident de travail et était de ma seule responsabilité. Les soins pratiqués par moi-même ont été bénéfiques puisque je n'ai aucune séquelle. Je ne peux laisser dire n'importe quoi sur l'entreprise McDonalds de [Localité 4]. Sachez que cette entreprise est en adéquation avec ma déontologie concernant la qualité, la sécurité et l'environnement. »

Et Mme [D] ne produit aucun élément permettant d'établir que Mme [K] serait sous « l'emprise de Mme [GK] » et que son attestation serait de complaisance en faveur de cette dernière.

Dès lors, cet élément de fait propre à Mme [K] n'est pas suffisamment établi et ne permet donc pas de démontrer un manquement à l'obligation de sécurité de la part de la société Adriaco.

(3) En troisième lieu, le seul fait que l'employeur ait porté plainte pour faux témoignages à l'égard des salariés ayant saisi la juridiction prud'homale ne suffit pas à caractériser une hostilité de sa part, quand bien même la plainte a été classée sans suite par le Procureur, dès lors qu'il n'a fait qu'exercer l'un de ses droits et qu'il justifie son dépôt de plainte en raison des témoignages croisés entre les salariés qu'il considère erronés.

(4) En quatrième lieu, le jugement du conseil de prud'hommes dans l'affaire opposant Mme [TX] à la société Adriaor et reconnaissant l'existence d'un harcèlement moral est sans portée probatoire dès lors que la situation individuelle de Mme [TX] est distincte de celle de Mme [D] et ce d'autant que l'employeur a fait appel de cette décision qui n'a dès lors pas de caractère définitif.

(5) En cinquième lieu, les attestations de Mme [Y] [D], de Mme [BM] [T] et M. [WO] n'ont pas de valeur probante :

En raison du lien familial avec Mme [D] pour la première,

Du lien amical et du caractère général pour la deuxième ;

Alors que les difficultés dont fait part Mme [D] aurait commencées, selon son courrier du 26 juillet 2016, à compter du mois de septembre 2015, M. [WO] était uniquement présent jusqu'en juin 2015 ayant été en arrêt de travail à compter du 30 juin, puis licencié en juillet 2015.

(6) En sixième lieu, la salariée n'apporte aucun élément pertinent quant au fait qu'elle devait pointer uniquement les heures planifiées et qu'elle effectuait donc des heures supplémentaires non payées et non comptabilisées, l'attestation de Mme [TX] ne mentionnant pas Mme [D] mais une autre salariée et les SMS versées aux débats ne concernant que Mme [R].

En revanche, Mme [D] objective les éléments de faits développés ci-après.

(1) D'une première part, elle fait valoir dans ses conclusions que la société Adriaco ne justifie d'aucune politique de prévention des risques en matière de harcèlement moral en mettant en avant les points suivants :

Les documents uniques visent simplement le risque d'agression, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel sans aucune précision ;

Les moyens de prévention visent uniquement les risques terroristes, de braquage et de violences ;

Aucune action d'information et de formation n'a été dispensée à la salariée.

(2) D'une deuxième part, la salariée produit une série d'attestations relatives aux conditions d'hygiène au sein de l'établissement, en particulier quant au fait que les salariés n'avaient pas assez d'équipements individuels de protection à disposition.

Mme [H] [S], ancienne salariée de la société, indique « Conditions d'hygiène très limites : une tenue par équipier, un gant de nettoyage pour tous, chiffons de nettoyage usés par la saleté et réutilisés, nourriture transportée dans une voiture entre les deux restaurants. Avant chaque audit, tout était astiqué à la brosse à dent pour rattraper ce qui n'était pas fait au quotidien. »

M. [JC] [X], ancien salarié de la société entre le 20 octobre 2014 et le 31 mars 2015, énonce que « Ce harcèlement se traduisait ['] ainsi qu'une pression qui conduisait à des fautes d'hygiène et de sécurité alimentaire (steak haché périmé servi au client pour limiter les pertes). Concernant l'hygiène du personnel, une seule tenue était mise à disposition des salariés quel que soit leur nombre de jour de travail dans la semaine et quelles que soit les tâches qu'ils ont à effectuer (nettoyage des toilettes, travail en cuisine, nettoyage de la terrasse ou des bouches d'aérations juste au-dessus des lignes de cuisines). De plus, le nettoyage du grill se faisait avec une tenue spécifique pour la protection des salariés. Cependant la tenue composée d'un casque de protection, de gants de protection et d'un tablier était la même pour tout le personnel. »

Mme [E] [SK], ancienne salariée de la société, explique que « En cas de visite de la médecine du travail, inspection des fraudes et tout autre organisme, [B] et nous-même avions reçu l'ordre de Mme [GK] de ne répondre à aucune question et de respecter les procédures qu'elle nous avait faites inscrire sur une feuille dans notre classeur « et que « les conditions de sécurité sont loin d'être réunies au sein des deux restaurants de Mme [GK]. Les formations sont bâclées voire quasi nulles (2 vidéos visionnées au lieu des 4, intégration en plein rush') pas de gants à disposition ou pas suffisamment afin de faire des économies comme nous le répétait souvent Mme [GK] ».

Mme [SK] déclare également que « Le but de Mme [GK] est simplement de faire du chiffre d'affaires au détriment de la santé de ses employés, de leur bien-être mais aussi celui de l'hygiène ou de la formation. Mme [GK] se soucie de la propreté seulement en cas de contrôle, annoncé à l'avance, ainsi qu'en présence du client mystère. »

Mme [NG] atteste, concernant « l'hygiène et les règles à respecter », que :

« Les employés ne disposent que d'une seule tenue et doivent se fournir des chaussures de sécurité à leurs frais en attendant qu'on leur prête une paire de surchaussures » ;

« Les gants pour la manipulation des viandes ne sont pas changés toutes les 2h mais lorsqu'ils sont hors d'usage et il n'y a qu'un pour toutes les viandes au lieu d'un par sac (soit environ 4 ou 5) » ;

« Nous ne disposons pas de gants pour manipuler la salade et les croques McDonalds ils sont utilisés pour remplir les glaçons quand il y en a » ;

« Les gants pour nettoyer les grills sont la même paire pour tous, ils ne sont jamais nettoyés et dégagent donc une odeur infecte et surtout ils ne sont jamais changés que lors de visites de McDonald's France ou en cas de brûlures ou de remarques d'équipiers » ;

« Lorsque Mme [GK] se rend en cuisine afin d'aider, elle ne se lave pas les mains, se rend en tenue civile dans la cuisine sans filet dans les cheveux, sans tablier et en talons et avec ses bagues aux doigts ».

(3) D'une troisième part, Mme [D] produit plusieurs attestations quant à l'existence, selon elle, de pressions, brimades et dénigrements de la part de la gérante, Mme [GK].

Mme [I] [ZG] atteste « avoir vu [Z] être victime de pression de la part de Mme [GK]. En effet, lorsque je mettais [Z] en prise de commande au drive en hiver, Mme [GK] lui interdisait de mettre une veste pour une question d'esthétique. »

Elle ajoute que « Très souvent et selon son humeur, Mme [GK] arrivait quelque après, puis disait à [Z] que son travail n'était pas bien fait et qu'elle devait faire comme ELLE le voulait et non comme la manager le disait. Elle devait donc très souvent tout recommander son travail. [Z] était souvent présente dans le restaurant et lors des périodes creuses, Mme [GK] lui demandait de nettoyer des surfaces déjà propres ou qui venait d'être faites. »

Mme [A] [AL] précise que « A mon arrivée, c'est Mme [D] qui m'a formée aux différents postes dans le McDo mais on ne lui laissait jamais l'occasion de finir car elle était sans cesse interrompue, on lui demandait d'aller faire d'autres tâches en même temps et elle ne pouvait donc pas finir de me former, je devais me débrouiller seule avec les clients sur un poste que je ne connaissais pas. »

Elle déclare également qu'elle a « souvent vu [Z] se faire humilier devant les clients et les autres équipiers sans raison par Mme [GK] ou M. [V]. Elle était sans cesse envoyée au poste lobby pour nettoyer alors que ce poste est pénible. Il doit être effectué par des équipiers différents à chaque fois. J'ai vu [Z] à plusieurs reprises au poste Drive toute la soirée devant la fenêtre sans avoir le droit de mettre une veste car Mme [GK] nous l'interdisait, nous devions rester en T-shirt. »

Mme [C] [P] énonce, en tant que cliente, que « Ayant mangé régulièrement au restaurant McDonald's de [Localité 4], j'ai pu constater des humiliations dont les employés étaient victimes et notamment Mme [D]. J'ai pu observer la gérante fréquemment assise à la table face au comptoir, surveillant tous les faits et gestes de son personnel. Malgré mon temps d'attente long à mon goût, cette personne n'a jamais aidé ses employés. Lorsque j'ai eu l'occasion de manger dans le restaurant, je voyais la gérante crier ouvertement sur son personnel et s'adresser à eux de manière vulgaire (« tu ne comprends rien, « bouge-toi de là ». J'ai vu des employés obligés de frotter un sol déjà propre pour être humiliés, cela me surprenait car le jeu à l'extérieur était lui souvent à nettoyer ».

Mme [GS] [FF] rapporte que « Depuis avril 2016, Mlle [Z] [D] a subi un harcèlement moral. La direction, Mme [GK] [L] et M. [V] [U] (directeur) ont fait dire à un équipier ([KO]) de lui faire la misère. [KO] s'est mis à l'attaquer avec des mots assez violents : tu ne sers à rien, dégage, pourquoi-tu vas te laver les mains, si tu ne sais pas faire, démissionne. Un soir, en avril 2016, M. [V] et [KO] ont dit : ce soir on lui met « le paquet » (sur elle) plusieurs équipiers ont dit que ce n'était pas normal de s'en prendre ainsi à une personne. »

Elle ajoute que « la direction a fini par la positionner en cuisine. Au début Mlle [D] [Z] était promue gestionnaire de stock, puis Mme [GK] [O] l'a reléguée au poste d'équipière cuisine (elle n'a jamais été formée pour la cuisine). Mme [GK] et M. [V], pour eux c'est une punition et comme ils pouvaient l'humilier ».

Elle indique également que « [Z] faisait son travail tout comme il fallait mais pour [KO] ça n'allait jamais. Soit elle allait trop vite, trop doucement, en plus des insultes comme « débile, cotorep, tu ne sers à rien, Handicapée mentale ».

Mme [F] [HX] atteste que « Par la suite, [Z] a été désignée pour passer son temps de travail au même poste qui était le lobby (ménage) pour être mis à l'écart des autres et la pousser à démissionner. »

(4) D'une quatrième part, Mme [D] soutient que Mme [GK] s'immisce régulièrement dans sa vie privée, en particulier dans le cadre de sa relation avec une autre salariée, Mme [B] [NG], qui aurait été mutée dans un autre restaurant du fait de leur relation.

L'employeur soutient que la salariée est dans l'incapacité de prouver que la société Adriaco avait connaissance des détails de sa vie privée, en particulier de sa relation avec une autre salariée.

Il ressort toutefois des différentes attestations produites par la salariée que Mmes [D] et [NG] ne cachaient pas leur relation et que la gérante de l'établissement en avait connaissance.

Ainsi, Mme [HX] atteste que « Etant amies en dehors du McDonald's, j'ai su bien avant que ce soit officiel qu'elle était en couple avec Mme [B] [NG], qui était elle aussi salariée de l'entreprise et qui était notre responsable de zone. Cela a déplu à Mme [GK], car pour elle les managers et les équipiers ne doivent pas se fréquenter et encore moins être en couple ensemble. Pour remédier à ce problème, Mme [NG] a été transférée sur le restaurant de [Localité 7] avec des horaires complétement différents de ceux d'[Z], pour ne plus qu'elles se fréquentent. ».

Mme [FF] indique dans son attestation que « Mme [GK] a appris que [Mme [NG]] était en couple avec une personne qui travaille au Macdo, [O] [GK] a muté [B] à [Localité 7] ».

Mme [R] déclare que « Mme [GK] ne voulait pas qu'une responsable du McDonald's fréquente les équipiers en dehors du restaurant. Mme [GK] disait donc à tous les responsables dont moi-même qu'elle ne supportait pas que Mme [NG] fréquente des subordonnés. Elle s'occupait toujours de sa vie privée ! »

Mme [HX] énonce que « [B] a été par la suite « punie » à [Localité 7] car Mme [GK] a su qu'elle était en couple avec une personne qui travaillait avec elle dans le même restaurant ([Localité 4]) ».

M. [XU] [N] écrit dans son attestation que « J'ai travaillé avec [B] au McDonald's de [Localité 7] elle m'a dit qu'on l'avait envoyé ici pour être recadrée !! Mais lorsqu'elle m'a dit qu'elle était en couple avec une collègue et que Mme [GK] était au courant, j'ai su qu'elle avait été envoyée ici pour la séparer de sa copine, car moi-même en couple avec une collègue, celle-ci a été envoyée sur le restaurant de [Localité 4] car Mme [GK] ne veut pas de couples dans son entreprise ».

Bien que Mme [D] ne produise pas les plannings pertinents, elle précise dans ses conclusions que « la société Adriaco indique qu'au contraire, de mi-septembre à mi-novembre, les horaires de Mme [NG] lui permettaient d'achever sa journée de travail plus tôt, vers 16h30/17h. Concernant Mme [D], elle précise qu'elle travaillait globalement de 9h à 13h et de 18h30 à 21h30. Au-delà des pointages produits par la société Adriaco ['], avec de tels horaires, cette organisation ne pouvait pas leur permettre de disposer de soirées personnelles en commun » (page 19 des conclusions de la salariée).

Finalement, Mme [D] fait valoir que la mise à disposition de Mme [NG] était « parfaitement illégitime alors que la salariée l'a acceptée croyant y être contrainte du fait de son contrat de travail » (page 20 des écritures), étant donné que le contrat de travail liant Mme [NG] à la société Adriaco prévoyait qu'elle « pourra être affectée de manière temporaire à un autre restaurant de la même enseigne. Compte tenu de la nature de ses fonctions, l'employé prend l'engagement d'accepter tout changement de lieu de travail dans les restaurants dépendants de la Direction Régionale Sud-Est McDonald's France ».

Or, un salarié ne peut accepter par avance un changement d'employeur et la clause de mobilité par laquelle le salarié lié par un contrat de travail à une société s'engage à accepter toute mutation dans une autre société, alors même que cette société appartiendrait au même groupe, est nulle (Cass. Soc, 14 décembre 2022, 21-18.633).

Ainsi, compte tenu de ces éléments, il convient de considérer que la mutation de Mme [NG] à compter de janvier 2016 est susceptible de ne pas être étrangère à sa relation avec Mme [D] et par conséquence, que la société Adriaco se serait immiscée dans la vie privée de cette dernière.

Pris dans leur ensemble, ces éléments de fait sont de nature à présumer l'existence d'un harcèlement moral en ce qu'ils reflètent des conditions de travail dégradées et une atteinte portée aux droits du salarié.

En réponse, l'employeur apporte certains éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Ainsi, l'employeur produit un courrier de Mme [Z] [D], daté du 17 juillet 2015, par lequel elle sollicite « de retrouver ses anciens horaires (9h30-13h, 18h30-20h30) afin de pouvoir continuer à exercer [son] activité professionnelle de photographe en plus du Macdo. »

En outre, il ressort des fiches de pointage et d'un tableau récapitulatif des heures travaillées des deux salariées que les salariées travaillaient régulièrement aux mêmes horaires entre juillet 2015 et jusqu'en mars 2016.

Bien que la cour constate qu'elles avaient des jours de repos différents, aucun élément produit par les parties ne permet de constater que les salariées auraient sollicité des jours de repos communs, ni que l'employeur aurait refusé de les leur accorder.

L'employeur produit également des avenants de détachement temporaire des 25 janvier, 28 février et 1er mai 2016, signés par Mme [NG], par lesquels « Conformément à l'article 11 de la Convention collective nationale de la restauration rapide, [NG] [B] donne son accord pour travailler temporairement dans le Restaurant McDonald's Adriaor SARL, [Adresse 2] dans le cadre du remplacement » d'un autre salarié en arrêt maladie.

La cour constate qu'aucune référence n'est faite au sein des avenants à la clause de mobilité du contrat de travail de Mme [NG], de sorte qu'il convient de considérer qu'elle a librement consenti au détachement temporaire.

Il s'ensuit que l'employeur apporte des éléments objectifs suffisants, étrangers à tout harcèlement s'agissant de l'immixtion dans la vie privée de Mme [D].

En revanche, il n'apporte pas les justifications étrangères à tout harcèlement moral concernant les autres faits matérialisés par la salariée en ce que :

(1) D'une première part, concernant l'obligation de prévention du harcèlement moral, il ressort des documents uniques d'évaluation des risques professionnels pour les années 2015 et 2016, produits par l'employeur, que le harcèlement moral et le harcèlement sexuel sont uniquement prévus dans le cadre du « Risque d'agression » et qu'aucun moyen de prévention existant n'est relatif au harcèlement mais uniquement au risque d'agression ou de braquage.

En outre, les fiches de formation complétées par la salariée et les annexes au contrat de travail, produites par l'employeur, ne mentionnent pas le harcèlement moral et aucun élément concret n'est produit concernant le contenu des vidéos sur les formations obligatoires.

Ainsi, l'employeur n'apporte aucun élément pertinent permettant d'établir la mise en 'uvre de mesures concrètes quant à son obligation de prévention du harcèlement moral auprès de ses salariés et dont Mme [D] aurait bénéficiées.

Ce seul manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral, qui ouvre droit à une indemnisation distincte, ne permet certes pas de caractériser de tels agissements mais est de nature à les avoir facilités.

(2) D'une deuxième part, s'agissant des manquements de la société à son obligation de sécurité en matière d'hygiène des salariés, l'employeur produit un procès-verbal d'huissier de justice concernant l'hygiène et la sécurité sur l'établissement de [Localité 4] datant du 22 février 2017, qui manque toutefois de pertinence en ce qu'il est postérieur au départ de Mme [D] de la société dont le courrier de rupture est daté du 11 juillet 2016.

Il verse ensuite aux débats les attestations de deux managers, de la responsable de formation, de la gestionnaire administrative et de la directrice des ressources humaines de la société qui précisent que les normes d'hygiène et de sécurité sont identiques sur les deux établissements gérés par Mme [GK] via les sociétés Adriaco et Adriaor.

Il produit également des photos des équipements spécifiques utilisés par les salariés, les consignes correspondant à différentes procédures affichées au sein des locaux, ainsi que les factures relatives au réapprovisionnement des équipements de protection individuelle pour les années 2014, 2015 et 2016 et les factures relatives au carrelage antidérapant installé au sein du restaurant.

Il verse aux débats les attestations de formation en tant que référent hygiène et sécurité alimentaire de trois salariés de la société.

La société Adriaco produit également les comptes-rendus de la Brand Standard Visit du 13 octobre 2015 et du 8 juin 2016 qui précisent que « l'ensemble du restaurant est parfaitement propre » et que « les équipements sont très bien entretenus ».

Il convient toutefois de considérer que ces audits ont une faible valeur probante quant à l'hygiène et la sécurité des salariés, dès lors qu'ils sont prévus et annoncés à l'avance à la société.

De la même manière, les comptes-rendus de suivi du client mystère et les résultats de l'application « mcdoetmoi » manquent de pertinence en ce qu'ils ne mentionnent pas la question de l'hygiène en cuisine et de celle des salariés, mais uniquement du drive, de la salle de restauration et des toilettes.

L'employeur produit des photos relatives, selon lui, à la formation « lavage des mains », mais qui manquent de valeur probante en ce qu'elles ne sont pas datées et que les seules factures relatives à ces formations ne permettent pas d'en établir le contenu.

L'employeur ne produit aucun autre élément pertinent quant au fait que les salariés ont à leur disposition une seule paire de gant de nettoyage qu'ils doivent partager et donc qu'ils n'ont pas leurs propres EPI.

Ainsi, quand bien même l'employeur établit suffisamment la propreté générale du restaurant, il n'apporte aucun élément objectif suffisant étranger à tout harcèlement quant à l'hygiène, la sécurité de ses salariés et leurs équipements de protection individuelle.

(3) D'une troisième part, s'agissant des brimades et propos dégradants et humiliants, contrairement à ce qu'avance l'employeur, il importe peu que la salariée ne se soit « jamais plainte d'un harcèlement moral ni même d'une quelconque difficulté pendant l'intégralité de sa relation contractuelle » (page 23 des écritures), ni qu'elle n'ait pas informé le médecin du travail ou son médecin traitant des faits allégués (page 24 des écritures).

Par ailleurs, l'employeur produit les attestations, difficilement lisibles, d'une équipière polyvalente, d'un manager et de la directrice des ressources humaines de la société, qui manquent toutefois de pertinence en ce qu'ils n'attestent pas des déplacements de la gérante, mais uniquement du fait qu'ils avaient régulièrement des réunions hebdomadaires avec elle concernant la gestion de l'entreprise.

Il verse également aux débats l'attestation de Mme [L] [DT], gestionnaire administrative, qui indique qu'elle travaille « en relation directe avec Mme [GK] » et que cette dernière a régulièrement « des réunions à [Localité 5] ou même dans d'autres pays ».

Elle n'apporte aucun élément quant au fait qu'elle « exerce la majeure partie de ses fonctions administratives et gestionnaires au sein des bureaux dédiés à cet effet » à [Localité 7].

Toutefois, les absences occasionnelles de Mme [GK] ne permettent pas, en soi, d'écarter les faits allégués quant aux remarques désobligeantes et dégradantes à l'encontre de Mme [D].

D'autre part, la société fait valoir que les attestations produites par la salariée sont mensongères. Toutefois, le courrier anonyme produit par l'employeur quant au fait qu'un « complot » se serait organisé contre la gérante de la société n'a aucune valeur probante en l'absence d'éléments d'authenticité, tel qu'une date ou un courrier d'envoi, de sorte qu'il ne permet pas d'écarter les attestations produites par Mme [D] en considérant le fait qu'elles proviennent de salariés en litige avec la société.

Et le moyen selon lequel Mme [NG] aurait rédigé une attestation alors qu'elle n'était pas présente est inopérant dès lors que ladite attestation concerne un autre litige actuellement pendant devant la présente cour.

De surcroît, l'employeur produit une série d'attestations de salariés de la société Adriaco ayant travaillé sur la même période que Mme [D], manquant toutes de pertinence ou de valeur probante :

M. [CG] indique qu'il travaillait au restaurant de St-Etienne de St-Geoirs, alors que Mme [D] était positionnée sur le restaurant de [Localité 4] ;

Mmes [OT] et [J], et M. [M] attestent dans des termes similaires ne jamais avoir entendu Mme [GK] dire « Ferme ta gueule » à un autre salarié sans plus de précision, en particulier quant à Mme [D] ;

MM. [W], [G] et [DD] attestent simplement ne jamais avoir entendu Mme [GK] insulter ou manquer de respect à un autre collaborateur.

Ainsi, ces attestations demeurent insuffisantes en ce qu'aucune ne mentionne Mme [D]. Elles ne permettent donc pas d'écarter les brimades et propos dégradants allégués à l'encontre de celle-ci.

De la même manière, les courriers de remerciement et les lettres de démission, produits par l'employeur, ne permettent pas d'écarter l'existence de brimades à l'encontre de Mme [D], quand bien même les salariés remercient Mme [GK], en ce qu'ils mentionnent simplement l'ambiance générale et ne précisent aucun élément quant à la salariée.

Le bilan produit par l'employeur qu'il attribue à Mme [TX] manque d'authenticité en ce qu'il n'est pas daté ni signé, le seul fait d'attacher la carte d'identité de Mme [TX] à la lettre ne permettant pas de s'assurer qu'elle soit l'auteur de cette lettre.

Finalement, l'employeur soutient que les brimades évoquées par la salariée et dans les attestations produites ne constituent pas des brimades, mais seulement des faits qui « s'inscrivent dans le cadre d'une relation de travail normale » (pages 32 et 33 des conclusions).

Toutefois, l'employeur n'apporte aucun élément permettant de justifier que le fait d'interdire aux salariés de porter une veste, y compris en hiver, lorsqu'ils sont au drive constitue une directive légitime et justifiée par les intérêts de l'entreprise, quand bien même cette interdiction concernerait l'ensemble des salariés, dont faisait partie Mme [D], étant observé que l'employeur peut certes imposer le port d'un uniforme pour des raisons commerciales mais qu'il doit fournir un vêtement adapté aux conditions climatiques.

De plus, l'employeur n'évoque aucun moyen en réponse quant au fait que Mme [D] n'était pas formée pour les postes en cuisine au moment où celle-ci y a été positionnée.

Et quand bien même le lobby constitue l'une des zones parmi lesquelles la salariée était amenée à travailler, la société n'apporte aucun élément quant au fait que Mme [D] y était plus régulièrement désignée que ses collègues, aucun élément n'étant versée à ce titre par la concluante.

Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'employeur n'apporte aucun élément objectif étranger à tout harcèlement quant à l'existence de brimades et de propos dégradants et humiliants à l'encontre de Mme [B] [D].

(4) D'une quatrième part, l'employeur soutient que la salariée ne fait pas état d'une dégradation de son état de santé, celle-ci ne produisant aucune attestation et aucun certificat médical à ce titre et les arrêts de travail de Mme [D] au cours de la relation de travail n'étant pas expliqués par la salariée.

Toutefois, la dégradation effective de l'état de santé de la salariée n'est pas une condition nécessaire à la caractérisation du harcèlement moral, l'existence de mauvaises conditions de travail mettant en péril la santé de la salariée étant suffisante.

Or, il ressort de l'accumulation des éléments précédents que Mme [D] a subi une dégradation de ses conditions de travail.

Dès lors, il résulte de l'ensemble des énonciations précédentes que l'employeur n'apporte pas les justifications étrangères suffisantes à tout harcèlement qu'il convient, par infirmation du jugement entrepris, de déclarer que Mme [D] a été victime d'un harcèlement moral par la société Adriaco.

En conséquence, compte tenu des faits subis par la victime et de la durée du harcèlement, il convient de condamner la société Adriaco à verser à Mme [D] la somme de 6 000 euros net au titre du harcèlement moral.

En outre, en application de l'article L. 1152-4 du code du travail, il convient de condamner la société Adriaco à verser à Mme [D] la somme de 1 500 euros net au titre de l'obligation de prévention du harcèlement moral.

Le jugement entrepris est donc infirmé de ces chefs.

Sur la demande au titre de la rupture du contrat de travail :

D'une première part, la démission émise sans réserve peut être assimilée à une prise d'acte. Tel est le cas lorsqu'elle est remise en cause ultérieurement par le salarié, en raison de manquements qu'il impute à son employeur, le juge doit analyser cette démission en une prise d'acte si des circonstances antérieures ou contemporaines à la rupture la rendent équivoque. S'agissant de la contemporanéité du litige entre le salarié et l'employeur à la démission sans réserve, rendant celle-ci équivoque, s'analyse comme toute contestation émise par le salarié dans les jours, les semaines et, jusqu'à tout le moins, deux mois après la démission.

Plus précisément, lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet ultérieurement en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

D'une seconde part, la prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il reproche à son employeur.

Elle n'est soumise à aucun formalisme en particulier mais doit être adressée directement à l'employeur.

Elle met de manière immédiate un terme au contrat de travail.

Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

A défaut, la prise d'acte est requalifiée en démission.

Pour évaluer si les griefs du salarié sont fondés et justifient que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement, les juges doivent prendre en compte la totalité des reproches formulés par le salarié et ne peuvent pas en laisser de côté : l'appréciation doit être globale et non manquement par manquement.

Par ailleurs, il peut être tenu compte dans l'appréciation de la gravité des manquements de l'employeur d'une éventuelle régularisation de ceux-ci avant la prise d'acte.

En principe, sous la réserve de règles probatoires spécifiques à certains manquements allégués de l'employeur, c'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire, s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.

Lorsque la prise d'acte est justifiée, elle produit les effets selon le cas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul de sorte que le salarié peut obtenir l'indemnisation du préjudice à raison de la rupture injustifiée, une indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité de licenciement, qui est toutefois calculée sans tenir compte du préavis non exécuté dès lors que la prise d'acte produit un effet immédiat.

Par ailleurs, le salarié n'est pas fondé à obtenir une indemnité à raison de l'irrégularité de la procédure de licenciement.

En l'espèce, si le courrier de démission de Mme [D] en date du 11 juillet 2016 n'est certes pas motivé, la salariée a justifié sa démission dans un courrier postérieur en date du 26 juillet 2016 précisant que sa démission « doit être considérée comme une prise d'acte de la rupture de mon contrat de travail et traduit la situation de harcèlement moral et de discrimination lié à l'orientation sexuelle et à la situation familiale, [qu'elle a] subi au sein de [l']entreprise depuis septembre 2015 ».

Or, il résulte des énonciations précédentes que Mme [D] a été victime d'un harcèlement moral et aucun élément ne permet de démontrer que ce dernier n'avait pas continué malgré la démission de sa compagne en avril 2016.

Ainsi, ces manquements suffisamment graves et contemporains de la démission rendaient impossible la poursuite du contrat de travail, de sorte que la démission de Mme [D] du 11 juillet 2016 doit s'analyser en une prise d'acte.

Finalement, en application de l'article L. 1152-3 du code du travail, il convient en conséquence de requalifier la prise d'acte en licenciement nul, le jugement entrepris étant infirmé à ce titre.

Sur les prétentions afférentes à la rupture :

Premièrement, la prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul, en application de l'article L. 1234-5 du code du travail, Mme [D] est bien fondée à solliciter la condamnation de la société Adriaco à lui payer les sommes suivantes :

1 341,43 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 134,14 euros brut au titre des congés payés afférents ;

357,71 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement.

Secondement, au visa des articles L. 1235-3-1 et L. 1235-3-2 du code du travail, il y a lieu de condamner la société Adriaco à payer à Mme [D] la somme de 8 500 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, étant observé que Mme [D] percevait un salaire mensuel à hauteur de 1 341,43 euros brut, qu'elle avait une ancienneté de plus d'un an et qu'elle s'abstient de justifier de sa situation ultérieure à l'égard de l'emploi.

Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef.

Sur la demande de la société au titre de la procédure abusive :

Aux termes des articles 32-1 et 559 du code de procédure civile, en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamnée à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui lui seraient réclamés.

L'abus d'agir en justice peut également être sanctionné sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Mme [D] ayant obtenu gain de cause sur une partie au moins de ses prétentions, la société Adriaco ne rapporte pas la preuve d'une faute de cette dernière dans l'exercice de son droit d'agir en justice.

Confirmant le jugement déféré, elle est déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les demandes accessoires :

La société Adriaco, partie perdante à l'instance au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d'en supporter les entiers dépens.

Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [D] l'intégralité des sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de condamner la société Adriaco à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En conséquence, la demande indemnitaire de la société au titre des frais irrépétibles qu'elle a engagé est rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l'appel et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a :

Débouté la société Adriaco de ses demandes au titre de la procédure abusive et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

DIT que Mme [Z] [D] a été victime d'un harcèlement moral ;

REQUALIFIE la démission par courrier du 12 avril 2016 de Mme [Z] [D] en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul ;

CONDAMNE la société Adriaco à payer à Mme [Z] [D] les sommes suivantes :

6 000 euros (six mille euros) net à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

1 500 euros (mille cinq cents euros) net à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement moral ;

1 341,43 euros brut (mille trois cent quarante et un euros et quarante-trois centimes) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 134,14 euros brut (cent trente-quatre euros et quatorze centimes) au titre des congés payés afférents ;

357,71 euros net (trois cent cinquante-sept euros et soixante-et-onze centimes) au titre de l'indemnité légale de licenciement.

8 500 euros (huit mille cinq cents euros) brut au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

DÉBOUTE Mme [Z] [D] du surplus de ses prétentions au principal ;

DÉBOUTE la société Adriaco de sa demande au titre de la procédure abusive ;

CONDAMNE la société Adriaco à payer à Mme [Z] [D] la somme de 3 000 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Adriaco de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Adriaco aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Ch. sociale -section b
Numéro d'arrêt : 22/00192
Date de la décision : 07/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-07;22.00192 ?
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