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17/07/2024 | FRANCE | N°22/04147

France | France, Cour d'appel de Grenoble, Chbre des aff. familiales, 17 juillet 2024, 22/04147


N° RG 22/04147 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LSZX



C6



N° Minute :



















































copie certifiée conforme délivrée

aux avocats le :









Copie Exécutoire délivrée

le :










aux parties (notifiée par LRAR)





aux avocats
















AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES



ARRET DU MERCREDI 17 JUILLET 2024







APPEL

Jugement au fond, tribunal judiciaire de Vienne, décisions attaquées en date du 6 octobre 2022, enregistrées sous les n° 20/00110 et 20/00354 suivant déclaration d'appel du 6 et 21 novembre 2022



APPELANTE DU JUGEMENT ...

N° RG 22/04147 - N° Portalis DBVM-V-B7G-LSZX

C6

N° Minute :

copie certifiée conforme délivrée

aux avocats le :

Copie Exécutoire délivrée

le :

aux parties (notifiée par LRAR)

aux avocats

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE DES AFFAIRES FAMILIALES

ARRET DU MERCREDI 17 JUILLET 2024

APPEL

Jugement au fond, tribunal judiciaire de Vienne, décisions attaquées en date du 6 octobre 2022, enregistrées sous les n° 20/00110 et 20/00354 suivant déclaration d'appel du 6 et 21 novembre 2022

APPELANTE DU JUGEMENT N °RG 20/00110

INTIMEE ET APPELANTE INCIDENT DU JUGEMENT N°RG 20/00354

Mme [R] [G] épouse [V]

née le [Date naissance 8] 1976 à [Localité 17]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

représentée par Me Josselin CHAPUIS de la SELARL AVOCATS CHAPUIS ASSOCIES (ACA), avocat au barreau de Vienne

INTIMES

Madame [X] [G] épouse [I],

née le 19/02/1960 à [Localité 18],

[Adresse 5],

INTIMEE DU JUGEMENT N °RG 20/00110

APPELANTE DU JUGEMENT N°RG 20/00354

Madame [J] [G] épouse [N],

née le 26/03/1950 à [Localité 12],

[Adresse 7],

APPELANTE DU JUGEMENT N°RG 20/00354

Madame [C] [I] épouse [U],

née le [Date naissance 1]/1985 à [Localité 15], demeurant [Adresse 4]

[Adresse 4],

INTIMEE DU JUGEMENT N °RG 20/00110

APPELANTE DU JUGEMENT N°RG 20/00354

Monsieur [A] [I],

né le [Date naissance 2]/1992 à [Localité 15], demeurant [Adresse 10]

[Adresse 10],

APPELANT DU JUGEMENT N°RG 20/00354

Tous représentés par Me Jérémy ZANA de la SELARL ZANA ET ASSOCIES, avocat au barreau de VIENNE, postulant

et par Me Samuel CORNUT, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DELIBERE :

Mme Anne BARRUOL, Présidente,

Mme Martine RIVIERE, Conseillère,

M. Philippe GREINER, Conseiller honoraire,

DEBATS :

A l'audience publique du 10 avril 2024,M. Philippe Greiner, conseiller, chargé du rapport, assisté de MC Ollierou, greffière a entendu les avocats en leurs conclusions, les parties ne s'y étant pas opposées, conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile. Il en a été rendu compte à la cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour, après prorogation du délibéré.

[M] [G] (décédé le [Date décès 9]/2015) et son épouse [Y] [O] [T] (décédée le [Date décès 3]/ 2018) ont eu trois enfants :

- [X] [G] épouse [I], mère de [C] [U] et de [A] [I];

- [J] [N];

- [B] [G], décédé en 1983, père de [R] [G] épouse [V].

Mme [V] a intenté devant le tribunal judiciaire de Vienne deux actions, la première, par assignation du 22/01/2020, à l'encontre de Mmes [I] et [U] aux fins de les voir justifier de la gestion des comptes bancaires de [M] et [Y] [O] [G] et en rapport à la succession de diverses sommes (instance 20/110), la seconde, par actes des 06, 10 et 11/03/2020, à l'encontre de Mmes [I], [N] et [U] et de M. [A] [I], en rapport à la succession d'assurances vie (instance 20/354).

Par jugement du 06/10/2022 rendu dans l'instance n° 20/110, le tribunal a principalement :

- dit qu'il n'y a pas lieu d'enjoindre à [X] [I] et à [C] [U], sous astreinte, de justifier de la gestion des comptes bancaires [14] et [13] de [M] [G] et [Y] [T] ;

- rejeté les demandes générales formées par [R] [V] tendant à ce qu'il soit ordonné aux défenderesses, en leur qualité de mandataires, de rapporter à la succession 'toutes les sommes non justifiées' depuis l'exercice de leur mandat, à ce qu'il soit jugé que [X] [I] s'est rendue coupable de recel successoral et qu'elle ne pourra prétendre à aucune part dans 'les biens ou les droits détournés ou recelés', et à ce qu'il soit jugé que [C] [U] s'est rendue coupable de captation d'héritage et qu'elle ne pourra prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou captés ;

- rejeté les demandes de rapport à succession des sommes de 50.100 euros et 21.126 euros par [X] [I] et [C] [U] ;

- rejeté la demande de rapport à succession de la somme de 16.768 euros par [C] [U] ;

- dit que [X] [I] devra rapporter aux successions réunies de ses parents la somme de 16.768 euros sans qu'il y ait lieu de lui appliquer sur cette somme la sanction de l'article 778 du code civil ;

- rejeté les demandes en dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage.

Par jugement du même jour, dans l'instance 20/354, le tribunal a notamment :

- rejeté la demande de nullité pour vice de consentement des contrats d'assurance vie souscrits par [Y] [T] à compter de 1994 et les changements de clause bénéficiaire postérieurs à la souscription desdits contrats ;

- dit que les primes versées par [Y] [T] sur les différents contrats d'assurance-vie dont elle était titulaire, entre août 2015 et le 06/11/2015 pour un montant total de 171.684,82 euros devront être réintégrées à l'actif successoral pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible;

- rejeté la demande d'application des sanctions de recel successoral à la somme précitée ;

- rejeté les demandes de dommages-intérêts ;

- condamné in solidum [J] [N], [X] [I], [C] [U] et [A] [I] à verser à Mme [V] 2.500 euros au titre del'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, avec distraction au profit de la Selarl Avocats Chapuis et Associés.

Par déclaration du 06/12/2022, Mmes [N], [I] et [U] ainsi que M. [I] ont relevé appel à l'encontre de cette dernière décision n° 20/354.

Par déclaration du 06/11/2022, Mme [V] a interjeté appel de la décision n° 20/110.

Par ordonnance du 28/09/2023, les deux instances ont été jointes.

Dans leurs conclusions n° 2, Mmes [N], [I] et [U] et M. [A] [I] (les consorts [G]) demandent à la cour de :

- débouter Mme [V] de son appel incident ;

- juger qu'ils n'ont seulement perçu que quelques sommes d'argent valant présents d'usage durant l'existence de [M] et [Y] [G] ;

- juger qu'ils ont été totalement dévoués à leurs parents et grands-parents ;

- juger que Mme [V] a complètement délaissé ses grands-parents à compter de 2014, ne s'est pas rendue aux obsèques de son grand-père pas plus qu'elle n'a rendu visite à sa grand-mère à l'issue, préférant lui faire un procès et continuant de s'acharner sur les autres membres de la famille et sur elle jusqu'à sa mort ;

- juger que [Y] et [M] [G], puis [Y] [G] seule, ont choisi librement les bénéficiaires de leurs contrats d'assurance-vie ;

- juger que leurs choix quant aux bénéficiaires des contrats d'assurance-vie, ont été effectués en pleine capacité dans le respect de leur volonté ;

- juger que Mme [V] ne démontre pas que les choix faits par [Y] et [M] [G], puis [Y] [G] seule, quant aux bénéficiaires des divers contrats d'assurance-vie, seraient entachés d'un quelconque vice du consentement;

- juger que Mme [V] a commis un abus procédural du fait de sa mauvaise foi et de son intention fautive qui doivent être sanctionnés par des dommages-intérêts et la condamner au paiement de la somme de 5.000 euros ;

- condamner Mme [V] aux dépens ;

- confirmer le jugement déféré pour le surplus et condamner Mme [V] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Ils exposent en substance que :

- [Y] et [M] [G] ont toujours assuré seuls leurs décisions concernant la gestion de leur argent ;

- les procurations données à [X] [I] en 2010 et à [C] [U] en 2007 sur deux comptes bancaires n'étaient prévues qu'au cas où les titulaires des comptes seraient dans l'incapacité de gérer, ce qui ne s'est pas avéré ;

- des cahiers ont été tenus pour retracer la comptabilité ;

- Mme [V] s'est vue attribuer en 2009 par son grand-père dans un partage de terrains constructibles, une parcelle d'une valeur de 120.000 euros sur laquelle elle a fait édifier sa maison ;

- les époux [G] n'ont plus voulu que Mme [V] soit bénéficiaire d'une assurance-vie ;

- les changements de bénéficiaires ne sont pas consécutifs à un vice du consentement ;

- les primes versées ne sont pas manifestement exagérées ;

- l'action menée par Mme [V] est fautive et doit être sanctionnée par des dommages-intérêts.

Dans ses conclusions récapitulatives après joncion du 25/03/2024, Mme [V] demande à la cour de :

Sur l'appel du jugement sur la reddition de comptes (n° 20/110) :

- dire que Mmes [X] [I] et [C] [U] ont la qualité de mandataire de [M] et [Y] [G] et qu'elles doivent rendre compte de leur gestion ;

- constater qu'elles ont détourné à leur profit la somme de 101.900 euros ;

- dire que Mme [I] s'est rendue coupable de recel successoral et qu'elle ne peut prétendre à aucune part dans les biens recelés ;

- dire que Mme [U] s'est rendue coupable de captation d'héritage et ne peut prétendre à aucune part sur les biens détournés ou captés ;

- condamner in solidum Mmes [I] et [U] à rapporter la somme de 101.900 euros , à savoir :

* 43.060 euros au titre des chèques indiqués 'virement, retrait, avance' ;

* 12.100 euros au titre des chèques [13] édités mais non justifiés par les mandataires ;

* 7.700 euros au titre des retraits effectués en distributeur [13] sans justificatif ;

* 20.000 euros au titre des virements effectués en juin 2012 à partir du compte [13] sans justificatif fourni ;

* 8.790 euros au titre des chèques [14] édités mais non justifiés ;

* 10.250 euros au titre des retraits [14] sans aucun justificatif ;

- prononcer la sanction du recel successoral pour la somme de 101.900 euros à l'encontre de Mme [I] ;

- la condamner à rapporter la somme de 16.769 euros au titre des donations non déclarées et ce, avec la sanction de l'article 778 du code civil ;

- condamner Mme [U] à rapporter aux successions des époux [G] la donation perçue en 2010 pour les travaux de sa maison et ce, afin de vérifier l'atteinte éventuelle à la réserve héréditaire ;

- en tout état de cause, condamner in solidum Mmes [U] et [I] au paiement de 1.073,28 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier outre 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Sur l'appel du jugement sur les assurances-vie n° 20/354 :

- ordonner le retrait des pièces n° 76, 69, 70, 83, 85, 90, 115 et 143 des appelants;

- prononcer la nullité des contrats et avenants pour défaut de consentement libre et éclairé de [Y] [T] concernant les changements de bénéficiaires relatifs aux contrats Lionvie Liberté, Lionvert Equateur 2, Prédige, Predissime 9 ainsi que tout avenant ou contrat d'assurance-vie souscrit entre le 20/05/2014 et le décès de [Y] [G] ;

- condamner à rapporter aux successions les primes d'assurance-vie perçues par :

* Mme [I], pour 137.565,17 euros ;

* Mme [N], pour 137.565,17 euros ;

* Mme [U] pour 10.139,47 euros ;

* M. [A] [I] pour 10.151,41 euros ;

- prononcer la sanction du recel successoral pour Mmes [I] et [N] et dire qu'elles ne pourront prétendre à aucune part dans les biens ou les droits rapportés à la succession ;

- à titre subsidiaire, ordonner la réintégration des primes manifestement excessives versées par [Y] [T] sur les contrats d'assurance-vie dont elle était titulaire entre août et novembre 2015 pour un montant de 171.684,82 euros pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible et l'éventuelle action en réduction ;

- prononcer la sanction du recel successoral pour Mmes [I] et [N] ;

- en tout état de cause, condamner in solidum Mme [I], [N], [U] et M. [A] [I] au paiement de 6.699,57 euros pour son préjudice financier outre 3.300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

- prononcer la sanction du recel successoral pour Mmes [I] et [N] ;

- en tout état de cause, condamner les consorts [G] in solidum au paiement de la somme de 6.699,57 euros en réparation de son préjudice financier, de 3.300 euros au titre des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile exposés en cause d'appel, ainsi qu'aux dépens.

Elle expose en substance que :

- Mmes [U] et [I] revêtent la qualité de mandataires des défunts en raison des procurations qui leur avaient été données et de la possibilité d'utiliser leur carte bancaire, du fait de leur connaissance du code ;

- elles ont utilisé leurs pouvoirs pour détourner des fonds, profitant de l'incapacité des époux [G], un projet de placement d'[Y] [T] en unité Alzheimer étant formé le 04/09/2016 ;

- c'est ainsi que des mouvements de fonds importants n'apparaissent pas sur les cahiers de comptes ;

- des changements de bénéficiaires d'assurance-vie sont intervenus au moment où l'état de santé des époux [G] était fortement altéré ;

- à titre subsidiaire, les primes versées sont manifestement excessives.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes tendant à voir juger que les consorts [G] ont été dévoués à leurs parents et grands-parents et que Mme [V] a délaissé ses grands-parents à compter de 2014

Pour être recevable, le demandeur à une action en justice doit justifier d'un intérêt à agir, en vertu de l'article 31 du code de procédure civile, l'exercice de l'action devant être susceptible de lui procurer un avantage. En l'espèce, ces demandes n'ont aucune incidence sur le règlement de la succession des époux [G] et il n'appartient pas au juge de porter une appréciation morale sur le comportement des parties. Dès lors, ces demandes formulées dans le dispositif des conclusions des consorts [G] seront déclarées irrecevables.

Sur le retrait des pièces versées par les consorts [G] n° 76, 69, 70, 83, 85, 90, 115 et 143 ;

Mme [V] fait valoir que le retrait de ces pièces doit être ordonné, au motif qu'il s'agit d'attestations émanant de personnes ayant agi de concert pour dissimuler un complot destiné à leur permettre de s'enrichir à son détriment.

Ces pièces ont été soumises à la discussion contradictoire des parties et Mme [V] a été en mesure d'en contester la véracité. Dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

Sur l'exécution des mandats donnés à Mmes [I] et [U]

Les 1er, 6 et [Date naissance 2]/2014, les services de gendarmerie de [Localité 15] ont procédé à l'audition de [Y] [O] [T], [X] [I] et [C] [U] dans le cadre de l'instruction d'une ouverture de tutelle demandée par Mme [V].

Il en résulte que :

- [Y] [O] [T] déclare avoir donné procuration à sa fille [X] afin qu'elle lui retire de l'argent en cas de besoin, tandis que sa petite fille [C] s'occupe de ses comptes, précisant qu'elle-même et son mari ont un regard sur ceux-ci ;

- Mme [I] déclare avoir une procuration sur le compte du [14] à [Localité 16] sans disposer d'une carte bancaire, de façon à faire des retraits pour ses parents en cas de besoin ;

- Mme [U] indique avoir procuration sur le compte [13] de son grand-père, utilise sa carte bancaire pour faire des courses et s'occupe des comptes et des papiers, précisant que [M] [G] note tout sur un cahier, sait très bien ce qu'il a sur ses comptes, ses grands parents sachant ce qu'ils gagnent et ce qu'ils dépensent par mois.

Mmes [I] et [U] sont ainsi mandataires des époux [G].

Concernant l'exécution de leur mandat, les déclarations de Mme [U] sont confirmées par la production de deux cahiers, l'un relatif au compte [14] pour les années 2003-2011, l'autre, concernant le compte [13], (1992 -2017) où sont retranscrits de façon très précise les écritures des comptes.

Par ailleurs, dans une lettre adressée à leur conseil de l'époque, concernant la demande de leur placement sous tutelle, non datée mais postérieure à juillet 2013, les époux [G] écrivent : 'nous désirons que [C] gère encore nos comptes, nous sommes toujours présents, je signe les chèques, nous n'avons jamais eu de problème, jamais d'abus, manipulation, de la part de mes enfants et de [C] et [L]'.

Ainsi, les époux [G] ont donné leur accord sur la totalité des débits opérés sur leurs comptes bancaires.

Du reste, s'ils rencontraient certes des problèmes de santé, [M] [G] avaient des difficultés de vision et d'audition tandis que son épouse avait dû être hospitalisée en mai 2016 suite à une chute, ils ne connaissaient pas pour autant de troubles cognitifs, comme le mentionnent les certificats médicaux produits :

- le docteur [F] certifie le 20/12/2013 que les deux époux n'ont aucun antécédent type de démence ou de troubles cognitifs ;

- le docteur [S] de l'hôpital de [Localité 16] atteste le 07/07/2016 que [Y] [O] [G] présente une conscience et vigilance normales, sans troubles cognitifs ni désorientation, sinon quelques troubles mnésiques ;

- le docteur [P] a rempli le 27/01/2015 un questionnaire [11] pour [O] [G], constatant la capacité de celle-ci pour la cohérence, l'orientation et la communication à distance ;

- le médecin gériatre [E], dans son compte-rendu de sortie du 17/05/2016, fait état d'une absence de désorientation temporo-spatiale, de troubles du comportement productif, de syndrome extra-pyramidal, cérébelleux et vestibulaire, notant en revanche un syndrome anxio-dépressif ;

- ce n'est qu'en juillet 2016 qu'a été constatée une dégradation de la santé mentale de [Y] [T], moment auquel elle a intégré un Ephad, avec proposition d'orientation en unité Alzheimer à compter de septembre 2016 ;

- ce diagnostic a été confirmé par un scanner cérébral pratiqué le 01/09/2016.

Ces constatations confortent l'avis du gendarme ayant auditionné les époux en août 2014, qui indique dans son procès-verbal de synthèse que 'l'audition a été réalisée au domicile de M. et Mme [G] en leur seule présence. Le couple nous semble capable de s'assumer. Ils s'expriment sans problème et sont capables d'analyser une situation'.

Les époux [G] ont donc été en mesure de surveiller la gestion de leurs comptes bancaires jusqu'à cette époque.

Enfin,si la somme totale de 101.900 euros a été retirée des comptes bancaires des défunts de 2008 à 2017, sans que soit précisée exactement la destination des dépenses, il ressort du tableau établi par Mme [V] dans ses conclusions qu'il s'agit pour la plupart de retraits de l'ordre de 300 à 600 euros par mois, ce qui correspond aux besoins en espèces d'un couple.

Dès lors, aucun manquement dans l'exercice de leur mandat ne peut être relevé à l'encontre de Mmes [I] et [U], puisque leurs parents et grands-parents ont toujours été à même de gérer leurs biens et de surveiller la façon dont leur fille et petite-fille usaient des procurations données, le premier juge ayant exactement considéré que la preuve de manoeuvres dolosives n'était pas rapportée.

Mme [V] sera déboutée de sa demande de rapport de la somme de 101.900 euros et de recel successoral de cette somme, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

Sur le rapport des libéralités

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a considéré que les sommes retirées des comptes des défunts pour être reversées sur les contrats d'assurance-vie (50.100 €, 21.126 € et 15.238 €) ne peuvent donner non plus lieu à rapport, l'article L.132-13 du code des assurances disposant que 'le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés'.

Ces libéralités ne sont pas constitutives d'un recel, faute de démonstration d'une volonté de la donataire de les dissimuler pour porter atteinte aux droits des autres héritiers.

Le jugement déféré sera confirmé, étant observé comme dit dans la décision de première instance que [C] [U], non successible, n'est pas soumise au rapport des libéralités, (don manuel d'un véhicule Citroën C4 Picasso d'une valeur de 10.500 euros du 14/06/2012) .

En revanche, l'existence des versements à [X] [I] en avril 1994 de 100.000 francs et en juillet 1996 de 10.000 francs, soit 16.768 euros, n'est pas démontrée. En effet, si elle a bien reçu cette somme, c'est en réalité le 22/08/2018 en sa qualité de bénéficiaire du contrat d'assurance vie Prédissime 9 IV (pièce appelant n° 46), suite au décès de [Y] [G].

Il n'est pas démontré qu'elle avait reçu une somme de ce montant, antérieurement, de son père. Le jugement déféré sera réformé de ce chef.

Sur les assurances-vie

Au moment de la signature des avenants litigieux, Mme [T] ne connaissait pas encore de troubles cognitifs et la preuve d'un vice du consentement n'est ainsi pas rapportée. Il n'y a donc pas lieu à annulation des contrats et avenants d'assurances-vie, le jugement attaqué étant confirmé de ce chef.

En revanche, selon l'article L.132-13 du code des assurances, si le capital d'une assurance-vie ne donne en principe pas lieu à rapport, ce principe souffre une exception, lorsque les primes sont manifestement exagérées eu égard aux facultés de l'assuré.

[Y] [T] a procédé aux opérations suivantes :

- versement de 50.100 euros le 21/08/2015 sur le contrat Livonvie Vert Equateur 2 ;

- versement de 36.584,82 euros le 24/09/2015 sur le même contrat ;

- souscription le 06/11/2015 de 4 contrats Predissime n° 9 avec versements de 10.000 euros (bénéficiaire : [C] [U]), de deux fois 32.500 euros (bénéficiaires : Mmes [N] et [I]) et de 10.000 euros (bénéficiaire : [A] [I]) ;

- changements de clause bénéficiaire dans les contrats Lionvie Vert Equateur 2, Lionvie Liberté et Prédige, les 29/04, 20/05/2014 (Mme [V] n'étant plus bénéficiaire), 23/12/2015 et 12/02/2016.

Concernant le montant des primes, [Y] [T] disposait avant son décès de disponibilités d'environ 89.000 euros et de retraites de plus de 2.300 euros par mois. Par ailleurs, le montant placé de plus de 171.000 euros après le décès de son mari, représentait les deux tiers de son patrimoine. Toutefois, l'assurée allait entrer en Ehpad et en cas de besoins financiers, elle pouvait procéder à des retraits, quitte à ce qu'ils soient assortis de pénalités et de frais. Le caractère exagéré des primes n'est donc pas démontré.

Toutefois, elles doivent être réintégrées à l'actif successoral, si elles constituent des donations indirectes, c'est à dire lorsque la preuve est rapportée par celui qui invoque cette libéralité , d'une part du dépouillement irrévocable du prétendu donateur et d'autre part de son intention libérale.

En l'espèce :

- le versement d'une somme globale de 171.684,82 euros par [Y] [T] sur divers contrats, après le décès de son mari, ainsi que le changement de clause bénéficiaire, l'ont été peu de temps avant qu'elle connaisse de très sérieux problèmes de santé, comme le montre le scanner cérébral pratiqué le 01/09/2016, qui fait apparaître une dégradation de son état mental;

- c'est ainsi qu'elle a été admise à l'automne 2016 en Ehpad et qu'une orientation dans un service Alzheimer était préconisée ;

- cette somme représente les deux tiers de son patrimoine ;

- dès lors, l'existence d'un aléa, caractérisant le contrat d'assurance, fait défaut, puisqu'il était acquis au moment de la souscription que le capital assuré sera délivré au tiers bénéficiaire, l'assurée n'ayant aucune chance de pouvoir percevoir le capital placé à l'issue du contrat et que l'exercice de sa faculté de retrait des fonds placés était illusoire, [Y] [T] n'étant rapidement plus à même de prendre une telle décision.

[Y] [T] s'est ainsi dépouillée irrévocablement au profit des bénéficiaires.

Par ailleurs, il résulte des conclusions des consorts [G] (pages 21, 22 et 23) que la modification des bénéficiaires des contrats s'inscrit dans un contexte particulier, les liens affectifs entre eux et Mme [V] étant complètement rompus, à la suite du dépôt de plainte pour abus de faiblesse fait par Mme [V] et de sa volonté de voir placer ses grands-parents sous tutelle.

[Y] [T] a ainsi voulu avantager les consorts [G], ce qui manifeste son intention libérale à leur égard, d'autant que les placements effectués en 2015 ainsi que le changement des clauses bénéficiaires n'ont pu être effectués que de concert avec Mmes [I] et [U], celle-ci gérant les comptes de sa grand-mère et ayant inscrit les mouvements de fonds dans les cahiers de compte.

Concernant le versement de 50.100 euros, c'est la date de celui-ci, intervenu en 2015, à prendre en considération, et non celle de la souscription initiale du contrat, étant observé que le premier juge n'a pas rejeté ce chef de demande dans son jugement du 06/10/2022 (RG 30/354).

Dès lors, c'est exactement que le premier juge a ordonné la réintégration à l'actif successoral de la somme de 171.684,82 euros et qu'il a rejeté la demande de sanction du recel successoral, en raison de l'absence de dissimulation, les contrats d'assurance vie litigieux ayant été mentionnés dans la déclaration de succession.

Le jugement déféré sera là encore confirmé.

Sur les autres demandes

Mme [V] ayant vu certaines de ses demandes aboutir devant le premier juge, elle n'a en conséquence commis aucun abus procédural. La demande des consorts [G] de dommages-intérêts sera ainsi rejetée, le jugement attaqué étant confirmé sur ce point.

Mme [V] succombant en ses demandes, il sera fait une application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera condamnée au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Par ailleurs, c'est exactement que le premier juge a débouté Mme [V] de sa demande en paiement de la somme de 6.699,57 euros au titre de frais financiers, faute de caractérisation d'une faute des consorts [G] à l'origine de ces frais.

Enfin, concernant les dépens, ils seront employés en frais privilégiés de partage.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme les jugements déférés hormis le rapport par Mme [X] [I] d'une somme de 16.768 euros ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à rapport aux successions réunies de ses parents la somme de 16.768 euros par [X] [I] ;

Condamne Mme [V] à payer à Mmes [I] et [N] la somme globale de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de partage ;

PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile .

SIGNÉ par la présidente, Anne Barruol, et par la greffière, M.C. Ollierou, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Grenoble
Formation : Chbre des aff. familiales
Numéro d'arrêt : 22/04147
Date de la décision : 17/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-17;22.04147 ?
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