RG N : 05/01028
AFFAIRE :
ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, venant aux droits et obligations du Centre de Transfusion Sanguine de la HAUTE VIENNE
C/
AXA FRANCE IARD, nouvelle dénomination d'AXA ASSURANCES
BL/iB
réparation dommages causés par activité médicale
grosse délivrée à maître JUPILE-BOISVERD, avoué
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE PREMIERE SECTION
ARRET DU 07 JUILLET 2006
Le SEPT JUILLET DEUX MILLE SIX, la CHAMBRE CIVILE PREMIERE SECTION DE LA COUR D'APPEL DE LIMOGES a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à disposition au greffe.
ENTRE :
ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, venant aux droits et obligations du Centre de Transfusion Sanguine de la HAUTE VIENNE
100 Avenue de Suffren - 75015 PARIS
représenté par Me Jean-Pierre GARNERIE, avoué à la Cour
assisté de Me Michel BOUFFARD, avocat au barreau de BORDEAUX
APPELANTE d'un jugement rendu le 26 MAI 2005 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LIMOGES
ET :
AXA FRANCE IARD, nouvelle dénomination d'AXA ASSURANCES
26, rue Drouot - 75009 PARIS
représentée par Me Erick JUPILE-BOISVERD, avoué à la Cour
assistée de Me LABI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Communication a été faite au Ministère Public le 5 avril 2006 et Visa de celui-ci a été donné le 7 avril 2006.
L'affaire a été fixée à l'audience publique du 07 Juin 2006, après ordonnance de clôture rendue le 10 mai 2006 la Cour étant composée de Monsieur Bertrand LOUVEL, Premier Président, de Monsieur Pierre-Louis PUGNET et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers, en présence de Mademoiselle Valérie LACAM et de Monsieur Luis GAMEIRO, Auditeurs de justice ayant siégé en surnombre et participé au délibéré avec voix consultative, assistés de Madame Régine GAUCHER, Greffier. Maîtres BOUFFARD et LABI, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie.
Puis Monsieur le Premier Président a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 7 Juillet 2006 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
LA COUR
Madame B... ayant contracté une hépatite C, au cours d'une transfusion sanguine subie en 1985, elle a assigné en référé-expertise le Centre de Transfusion Sanguine (CTS) de la Haute-Vienne le 22 janvier 1998. Le rapport a été déposé en septembre 1998 et Madame B... a assigné au fond le CTS aux fins de condamnation le 3 janvier 2000. Un jugement du tribunal de grande instance de LIMOGES du 21 novembre 2002 a condamné l'Etablissement Français du Sang (EFS) venant aux droits du CTS à payer une indemnité de 31.469 euros à Madame B... et 21.097 euros à la CPAM.
Puis, le 27 décembre 2002, l'EFS a assigné à son tour l'assureur du CTS, la compagnie AXA, afin qu'il le rembourse des sommes ainsi payées.
Un jugement du 26 mai 2005 du tribunal de grande instance de Limoges a jugé cette demande irrecevable sur le fondement de l'article L.114-1 du Code des assurances au motif qu'elle a été introduite plus de deux ans après l'événement qui a donné naissance à l'action contre l'assureur, à savoir la propre action exercée par la victime Madame B... contre le CTS assuré.
Le tribunal visait à la fois dans son jugement la date de l'assignation en référé-expertise du 22 janvier 1998 délivrée par Madame B... au CTS et l'assignation au fond du 3 janvier 2000. Que l'on considère l'une ou l'autre de ces actions, ce n'est que le 27 décembre 2002 que l'EFS a assigné à son tour l'assureur, soit plus de deux ans en toute hypothèse après le recours du tiers.
L'EFS a relevé appel de ce jugement et, devant la cour, il concentre son argumentation sur l'impossibilité où il s'est trouvé d'agir jusqu'au 29 décembre 2000, de sorte que la prescription s'est trouvée suspendue jusqu'à cette date en application de l'article 2251 du Code civil, et que l'action qu'il a introduite le 27 décembre 2002, soit moins de deux ans après que la prescription a pu commencer à courir, n'est pas prescrite.
Le raisonnement de l'EFS est le suivant.
Un arrêté du 27 juin 1980 réglementait l'assurance que devaient souscrire les centres de transfusion sanguine en limitant la garantie aux réclamations présentées moins de cinq ans après l'expiration du contrat d'assurance. Il n'est pas discuté qu'en l'espèce, la garantie de l'assureur n'était plus due en vertu de cette limitation de garantie dans le temps.
Certes, ce texte a été déclaré illégal par un arrêt du 29 décembre 2000 du Conseil d'Etat, qui a jugé que la garantie subséquente n'était pas limitée dans le temps, mais tant que cet arrêt n'était pas intervenu, l'EFS était, selon lui, dans l'impossibilité d'agir contre l'assureur AXA, par suite d'un empêchement résultant de la loi et de la convention qui en faisait application entre les parties.
Le délai de la prescription biennale n'a donc commencé à courir qu'à compter du 29 décembre 2000 et il n'était pas expiré le 27 décembre 2002, date de l'assignation de l'assureur.
L'EFS invoque à l'appui de son argumentation des décisions de tribunaux ayant statué en ce sens en 2005. Il conclut en conséquence à l'infirmation du jugement et à la condamnation d'AXA à lui payer avec intérêts le montant des condamnations qu'il a dû verser, outre 2.000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
AXA s'oppose à ce raisonnement en faisant valoir que l'arrêté du 27 juin 1980 n'empêchait pas les réclamations contraires à ses dispositions au bénéfice de l'article 1131 du Code civil selon lequel toute obligation doit être causée, de sorte que l'engagement de l'assuré de payer des primes se trouve privé de cause si l'assureur ne doit pas en contrepartie sa garantie pour tout sinistre ayant son origine dans la période couverte par les primes. C'est ce raisonnement qu'a suivi le Conseil d'Etat pour annuler la limitation dans le temps de la garantie subséquente, et cette solution n'a été obtenue que par suite de la résistance de certains justiciables et de certaines juridictions à la solution découlant de l'arrêté.
Il n'existait donc pas d'impossibilité pour le CTS ou l'EFS d'agir contre AXA, ne serait-ce que pour préserver ses droits dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat dont la saisine sur la question était bien connue des professionnels.
Au lieu de cela, poursuit AXA, le CTS s'est contenté de déclarer le sinistre à l'assureur le 23 janvier 1998, ce qui ne suffit pas à interrompre la prescription faute d'une réclamation au moins par lettre recommandée, laquelle n'a jamais été adressée en l'occurrence.
Enfin, AXA fait valoir des décisions de juridictions du fond qui ont statué en 2005 en sens contraire de celles invoquées par l'EFS, en jugeant que la clause limitant la garantie subséquente ne créait pas une impossibilité d'agir de nature à suspendre le délai de prescription.
AXA conclut donc à la confirmation du jugement et réclame 3.500 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
La cour de LIMOGES doit donc se prononcer à son tour dans cette nouvelle controverse née de l'arrêté de 1980.
La question qui lui est posée, dans les termes du débat actuel des parties, consiste donc à rechercher si l'existence de la clause limitant la garantie subséquente de l'assureur à 5 ans à la fois dans l'arrêté de 1980 et dans la convention des parties, a constitué une impossibilité absolue pour l'assuré d'agir contre l'assureur tant que l'arrêté n'a pas été annulé par le Conseil d'Etat, ou bien si cette circonstance n'empêchait pas au contraire l'assuré d'agir contre l'assureur pour faire écarter l'application de cette clause comme d'autres assurés l'ont tenté et ont finalement obtenu gain de cause, fût-ce seulement en adressant à l'assureur une lettre recommandée interruptive de la prescription biennale et, renouvelable jusqu'à ce que le débat ait trouvé sa solution.
SUR CE :
Attendu que l'existence d'un débat en jurisprudence sur la validité de l'arrêté de 1980 et des clauses prises pour son application, était antérieure à l'arrêt du Conseil d'Etat rendu en 2000 qui a clos ce débat ;
Que les CTS et l'EFS n'ignoraient évidemment pas ce débat qui les concernait directement, et il leur appartenait donc au moins d'assurer la conservation de leurs droits en attendant qu'il fût tranché, notamment en usant de la formalité simple de la réclamation par lettre recommandée à l'assureur, interruptive de la prescription biennale, et renouvelable dans l'attente du règlement de la question ;
Que, dès lors, l'existence de la disposition litigieuse dans l'arrêté et la convention des parties n'a pas constitué une impossibilité absolue d'agir ayant eu pour effet de suspendre la prescription ;
Que le jugement sera donc confirmé ;
Qu'il sera alloué 1.500 euros à AXA en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de LIMOGES du 26 mai 2005 sauf à ce qu'il soit précisé que l'EFS est irrecevable en sa demande et non pas débouté de sa demande,
Condamne l'EFS aux dépens de l'appel, distraits en faveur de l'avoué de la société AXA, et à payer à cette dernière 1.500 euros pour les autres frais.