ARRÊT N.
RG N : 10/ 00766
AFFAIRE :
Mme Marie Jeanne X... veuve Y...
C/
Mme Anne Y... épouse Z..., Mme Isabelle Y..., M. Henri Y...
ST/ PS
succession
Grosse délivrée à
SCP CHABAUD DURAND-MARQUET et Me GARNERIE, avoués
COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 22 SEPTEMBRE 2011
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Le VINGT DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE ONZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Madame Marie Jeanne X... veuve Y..., de nationalité Française, née le 23 Juin 1942 à ARCHIGNAC (24)
Retraitée, demeurant...-19100 BRIVE LA GAILLARDE
représentée par la SCP CHABAUD DURAND MARQUET, avoués à la Cour
assistée de Me Vincent ROUDIE, avocat au barreau de CORREZE
APPELANTE d'un jugement rendu le 26 FÉVRIER 2010 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BRIVE
ET :
Madame Anne Y... épouse Z..., de nationalité Française, née le 26 Juillet 1957 à ESTIVALS (19600), Professeur, demeurant...-19600 ESTIVALS
représentée par Me Jean-Pierre GARNERIE, avoué à la Cour
assistée de Me Antoine LAMAGAT, avocat au barreau de CORREZE
Madame Isabelle Y..., de nationalité Française
née le 11 Octobre 1954 à ESTIVALS (19600), Déléguée Médicale, demeurant...-19100 BRIVE LA GAILLARDE
représentée par Me Jean-Pierre GARNERIE, avoué à la Cour
assistée de Me Antoine LAMAGAT, avocat au barreau de CORREZE
Monsieur Henri Y..., de nationalité Française
né le 28 Juillet 1960 à ESTIVALS (19600), Travailleur handicapé, demeurant...-19100 BRIVE LA GAILLARDE
représenté par Me Jean-Pierre GARNERIE, avoué à la Cour
assisté de Me Antoine LAMAGAT, avocat au barreau de CORREZE
INTIMES
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Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 08 Juin 2011 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 7 Septembre 2011. L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2011.
A l'audience de plaidoirie du 08 Juin 2011, la Cour étant composée de Madame Martine JEAN, Président de chambre, de Monsieur Didier BALUZE et de Monsieur Serge TRASSOUDAINE, Conseillers, assistés de Madame Pascale SEGUELA, Greffier, Monsieur Serge TRASSOUDAINE, conseiller a été entendu en son rapport oral, Me ROUDIE et Me LAMAGAT, avocats en leur plaidoirie.
Puis Madame Martine JEAN, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 22 Septembre 2011 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
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LA COUR
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Exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties :
Louis Y..., qui exerçait autrefois la profession de médecin, est décédé le 21 juin 2006, à l'âge de 80 ans, laissant comme successibles potentiels ses trois enfants issus d'un premier lit, Anne, épouse Z..., Isabelle et Henri Y... (les consorts Y...), ainsi que sa veuve, née Marie-Jeanne X..., avec laquelle, à la suite de son divorce d'avec sa première épouse, il s'était marié en seconde noces le 3 septembre 1992 sous le régime de la séparation de biens.
Louis Y... a successivement établi : le 18 novembre 1992, une donation au dernier vivant au profit de son épouse ; le 7 décembre 1999, un testament olographe abrogeant cette donation et l'usufruit de Mme X... ; le 14 décembre 1999, un autre testament olographe révoquant toutes dispositions antérieures et privant son épouse de tous droits dans sa succession ; le 3 juin 2003, un testament authentique privant Mme X... de tous droits dans sa succession, en pleine propriété ou en usufruit, ainsi que des droits d'habitation et d'usage édictés par l'article 764 du code civil (à l'exception du droit d'usage temporaire prévu par l'article 763 de ce code) ; et enfin, le 6 décembre 2005, à sa sortie d'hospitalisation, un testament olographe révoquant toutes dispositions antérieures et lui léguant le quart de ses biens et droits sans exceptions ni réserves.
Par un jugement du 12 mai 2006, le tribunal de grande instance de Brive, statuant sur le recours formé par Louis Y..., ainsi que par son épouse, a confirmé l'ordonnance du 28 février 2006 du juge des tutelles de cette ville le plaçant sous le régime de la sauvegarde de justice avec désignation d'un mandataire spécial.
Le 7 août 2008, ses enfants, Mme Anne Y..., épouse Z..., Mme Isabelle Y... et M. Henri Y... ont fait assigner sa veuve, Mme Marie-Jeanne X..., aux fins notamment de voir déclarer nul le dernier testament olographe du 6 décembre 2005, déclarer seul valable et exécutoire le précédent testament notarié du 3 juin 2003, et, en conséquence, de voir juger que Mme X... serait privée de tous droits dans la succession de son défunt mari.
Par un jugement du 26 février 2010, dont Mme X... a interjeté appel le 28 mai 2010, le tribunal de grande instance de Brive, saisi le 7 août 2008 par les consorts Y..., a déclaré nul, pour insanité d'esprit lors de sa rédaction, le testament olographe du 6 décembre 2005, dit que la donation entre époux du 18 novembre 1992 avait été révoquée par le testament authentique du 3 juin 2003, jugé que Mme X... est privée de tout droit dans la succession de Louis Y... qui revient entièrement à ses enfants, autorisé Mme X... à vendre le véhicule de marque Renault immatriculé 5614 SD 19 au prix minimum de 6 000 € à charge pour elle de verser à la succession 8, 11 % du prix de cette vente, et condamné celle-ci à payer aux consorts Y... une indemnité de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières écritures d'appel (no 2) déposées le 28 avril 2011, auxquelles la Cour renvoie pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme X..., qui, sauf en ce qui concerne l'autorisation de vente du véhicule et le rapport à la succession de 8, 11 % de son prix, conclut à la réformation de cette décision, demande :
- de débouter les consorts Y... de leur prétention tendant à l'annulation du testament du 6 décembre 2005 ;
- de juger que, sous le bénéfice du cumul de ses droits de conjointe survivante et de légataire fixé par la loi du 3 décembre 2001, elle doit recevoir le quart, en pleine propriété, de la succession de son défunt mari au titre de l'article 757 du code civil, ainsi que le quart, également en pleine propriété pour laquelle elle opte, au titre du legs successoral établi par le testament du 6 décembre 2005, ses droits n'excédant pas la quotité disponible fixée à l'article 1094-1 du code civil ; subsidiairement, de juger qu'il y aura confusion entre les droits qu'elle tient de la loi en tant que conjointe survivante et ceux qu'elle tient de la donation entre époux ;
- de condamner in solidum les consorts Y... à lui verser, à titre de dommages-intérêts, la somme de 2 000 € en réparation de son préjudice moral, ainsi que celles de 6 250 € pour la période allant du 1er août au 31 décembre 2008 et de 250 € par mois pour la période postérieure jusqu'à complet désintéressement, en réparation de son préjudice matériel découlant de l'immobilisation, par suite d'une saisie conservatoire pratiquée entre les mains du notaire, et de la privation de jouissance du montant de la vente des biens du défunt intervenue le 24 juin 2008 ;
- de dire que les consorts Y... devront, sous astreinte, lui remettre le capital lui revenant, égal à la moitié de l'actif net de la succession, dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- de préciser que le prix minimal de vente du véhicule Renault sera celui de l'Argus ® au jour de la vente ;
- et, enfin, de condamner les consorts Y... à lui verser une indemnité de 6 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme X..., qui fait essentiellement porter sa critique sur le jugement déféré et les pièces médicales invoquées par les consorts Y..., et entend notamment produire le témoignage des deux notaires ayant reçu le testateur, ainsi que l'avis d'un praticien hospitalier, expert honoraire près la Cour de cassation, estime qu'aucune preuve d'insanité d'esprit, de trouble mental ou d'incapacité n'est apportée contre l'auteur du testament du 6 décembre 2005 dont il doit, en conséquence, être fait application.
Par leurs écritures d'appel du 21 février 2011, auxquelles se réfère également la Cour, Mme Anne Y..., épouse Z..., Mme Isabelle Y... et M. Henri Y... sollicitent la confirmation du jugement entrepris, sauf à dire que le véhicule Renault-qui, comme l'a énoncé le premier juge, constitue un bien indivis-devra revenir, en valeur, pour moitié à la succession. A titre subsidiaire, ils concluent à la limitation, au quart de la succession, de la part successorale de Mme X.... Ils demandent, en outre, de condamner cette dernière à leur payer une indemnité de 4 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts Y... soutiennent que le testament du 6 décembre 2005 est nul, tant par défaut de désignation du bénéficiaire, qu'au regard de l'article 901 du code civil pour insanité d'esprit de son auteur. Ils mettent plus spécialement en avant le caractère précipité de cet acte fait par Louis Y... à sa sortie d'hôpital, le placement subséquent de celui-ci sous protection judiciaire après le dépôt d'un rapport d'enquête sociale démontrant l'emprise de Mme X... sur son mari, l'attitude très prudente des notaires consultés qui n'ont pas rédigés eux-mêmes le testament litigieux. Les consorts Y... rappellent que l'annulation du testament du 5 décembre 2005 opère renvoi au testament authentique du 3 juin 2003 révoquant, en des termes clairs et dénués de toute ambiguïté, la donation entre époux.
Motifs de la décision :
L'acte manuscrit daté du 6 décembre 2005 et signé du Dr Y..., dont la rédaction dépourvue de toute ambiguïté ne peut donner lieu à interprétation, constitue, comme l'a, par de justes motifs, exactement décidé le premier juge, un testament dont les consorts Y... ne sauraient arguer de la nullité aux motifs qu'il ne comporterait pas de désignation expresse du bénéficiaire, pas plus qu'il n'indiquerait explicitement qu'il s'agit d'un testament.
C'est également par des motifs exacts en fait et pertinents en droit, que la Cour adopte et que ne remettent pas en cause les moyens actuellement développés et les pièces versées en appel, que le tribunal de grande instance de Brive, après avoir à bon escient estimé, au vu des documents contradictoirement versés aux débats, que Louis Y... était atteint d'insanité d'esprit lors de la rédaction du testament olographe du 5 décembre 2005, de sorte que cet acte était nul, et après avoir constaté que la donation entre époux du 18 novembre 1992 avait été clairement révoquée par le testament authentique du 3 juin 2003, en a exactement déduit que Mme X..., conjoint survivant non réservataire, était privée de tout droit dans la succession de Louis Y..., laquelle revient, en conséquence, entièrement à ses trois enfants issus d'un premier lit.
C'est ainsi que, de façon judicieuse, le jugement déféré relève non seulement la totale contrariété du contenu du testament olographe du 6 décembre 2005 avec les volontés antérieurement exprimées de manière claire et réitérée par Louis Y... dans deux testaments olographes des 7 et 14 décembre 1999, puis de nouveau dans un testament authentique du 3 juin 2003, mais aussi le caractère particulièrement précis et circonstancié, et surtout extrêmement rapproché-tant avant qu'après-de la date du testament litigieux, des documents à finalité strictement médicale produits par les consorts Y..., à savoir deux lettres établies par le Dr Yves A..., le 5 décembre 2005, jour de la sortie d'hospitalisation de Louis Y... dans son service, ainsi qu'un certificat du Dr Frédéric B..., neurologue, du 7 décembre 2005, diagnostiquant indiscutablement une démence de type Alzheimer avec une atrophie corticale et une perturbation du test mini-mental, et concluant, chacun, de manière concordante, à la nécessité d'une mesure de protection juridique des biens, mesure qui, comme l'a relevé une décision du conseil régional de l'Ordre des médecins de Midi-Pyrénées du 20 janvier 2007, a effectivement, après confortation du diagnostic d'altérations psychiques de Louis Y... par plusieurs autres certificats médicaux, été par la suite judiciairement ordonnée.
C'est, dès lors, à juste titre, qu'au regard de leur imprécision et du caractère trop éloigné de leurs dates, le premier juge a décidé de ne pas retenir, comme manquant de pertinence, les certificats médicaux postérieurement établis les 14 mars, 11, 12 et 13 avril 2006, pour les seuls besoins de la cause, par les Drs C..., D..., E... et F..., ces documents produits par Mme X... étant effectivement impropres à combattre la preuve sérieusement et complètement rapportée par les consorts Y... de l'insanité d'esprit du testateur lors de l'acte, ou du moins dans un temps très proche de celui-ci. Et ne peuvent que suivre le même sort les nouveaux documents, au contenu également insuffisamment détaillé et probant, qui sont communiqués en cause d'appel par Mme X... pour justifier de la volonté du de cujus ainsi que de la conservation de ses capacités intellectuelles et de ses fonctions cognitives, tels notamment que le certificat du Dr G..., médecin phlébologue, daté du 4 juin 2010, le rapport du Dr H..., praticien hospitalier en cardiologie, rédigé le 9 septembre 2010 à la demande de Me I..., conseil de l'appelante, la lettre du 11 mai 2010 adressée à cet avocat, sur sa demande, par Me J..., notaire, ou encore les attestations établies le 5 octobre 2010 par Me K..., notaire, le 4 avril 2006 par M. L..., masseur-kinésithérapeute, et le 14 septembre 2010 par M. M..., retraité de la fonction publique.
Par ailleurs, s'il y a bien lieu de confirmer l'autorisation de vente-sur laquelle les parties s'accordent-, de l'automobile Renault Mégane immatriculée 5614 SD 19, il convient à présent, pour tenir compte de la dévalorisation subie pendant la procédure d'appel, d'en réduire la mise à prix minimum à la valeur de la cote Argus ®.
De plus, alors qu'il est de principe qu'un bien appartient à celui des époux mariés sous le régime de la séparation de biens dont le titre établit la propriété sans égard à son financement, et alors qu'en application des dispositions de l'article 1538, alinéa second, du Code civil et des stipulations conformes de l'article 3 du contrat de mariage passé le 1er septembre 1992 entre Louis Y... et Mme X..., les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété exclusive seront réputés leur appartenir indivisément à chacun pour moitié, la Cour estime qu'en l'espèce, la facture du garage Beauregard du 18 mars 2004 établie au seul nom de Louis Y... est insuffisante à prouver le droit de propriété exclusive de celui-ci sur ce véhicule Renault qui était en réalité affecté à l'usage commun des époux et avait, du reste, été inscrit sur le certificat d'immatriculation au nom de " M. ou Mme " Y.... Il s'ensuit que le prix de vente du véhicule-ou, à défaut, sa valeur-devra, comme le demandent les consorts Y..., revenir à hauteur de moitié à la succession de Louis Y....
Le jugement déféré sera, en conséquence, réformé sur ces deux derniers points.
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PAR CES MOTIFS
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LA COUR
Statuant par décision contradictoire, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives au prix minimum de vente du véhicule Renault Mégane et à la quote-part du prix devant être reversée à la succession de Louis Y... ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que Mme Marie-Jeanne X... est autorisée à mettre en vente l'automobile Renault Mégane immatriculée 5614 SD 19 moyennant un prix minimal correspondant à la cote Argus ® de ce véhicule au jour de son aliénation ;
Dit que le produit net de cette vente, et à défaut la valeur de ce bien indivis, reviendra pour moitié à la succession de Louis Y... ;
Condamne Mme Marie-Jeanne X... aux dépens d'appel, et accorde à Me GARNERIE, avoué, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute Mme Marie-Jeanne X... de sa demande au titre des frais irrépétibles et la condamne à payer de ce chef une indemnité de 2 000 € en sus de celle du même montant déjà allouée en première instance.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Pascale SEGUELA. Martine JEAN.