ARRET N.
RG N : 11/ 01366
AFFAIRE :
SELARL CABINET PRISSETTE et ASSOCIES
C/
Me Stéphen B..., SELARL ACCENSE AVOCATS
PLP-iB
concurrence
Grosse délivrée à Maître DESFARGES, avocat
COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE--- = = oOo = =--- ARRET DU 19 MARS 2014--- = = = oOo = = =---
Le DIX NEUF MARS DEUX MILLE QUATORZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
SELARL CABINET PRISSETTE et ASSOCIES 38 Rue de la Barrière-19000 TULLE
représentée par Me Solange DANCIE, avocat au barreau de LIMOGES
Demanderesse
ET :
Maître Stéphen B... de nationalité Française profession : Avocat, demeurant ...
représenté par Me Pierre DESFARGES, avocat au barreau de LIMOGES
SELARL ACCENSE AVOCATS ...
représentés par Me Pierre DESFARGES, avocat au barreau de LIMOGES
Défendeurs
--- = = oO § Oo = =---
Communication a été faite au Ministère Public le 24 juillet 2012 et Visa de celui-ci a été donné le 7 janvier 2014.
Selon avis de fixation du Conseiller de la Mise en Etat, l'affaire a été fixée à l'audience du 22 Janvier 2014 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 19 Février 2014. L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 décembre 2013.
A l'audience de plaidoirie du 22 Janvier 2014, la Cour étant composée de Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, de Monsieur Pierre-Louis PUGNET et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers assistés de Madame Elysabeth AZEVEDO, Greffier, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Conseiller a été entendu en son rapport, Maîtres DANCIE et DESFARGES, avocats, sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 19 Mars 2014 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
--- = = oO § Oo = =--- LA COUR--- = = oO § Oo = =---
Faits, procédure :
Par requête reçue au greffe le 20 octobre 2011 la SELARL PRISSETTE § Associés, Société d'Avocats, a saisi la Cour d'appel de Limoges d'un litige l'opposant à Maître Stéphen B..., Avocat au Barreau de la Corrèze, compte tenu de l'absence de décision prise par Madame le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de la Corrèze dans le délai imparti par l'article 179-5 du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 qui lui imposait de rendre une décision dans le délai de 4 mois à compter de sa saisine qui résultait d'une lettre datée du 27 janvier 2011.
La SELARL PRISSETTE § Associés demande, principalement, à la Cour, de prononcer la nullité des procédures initiées à la suite des saisines du Bâtonnier de Tulle du 28 octobre 2010 et du Bâtonnier de la Corrèze du 27 janvier 2011, de prononcer la nullité ou de constater l'inexistence de la décision du Bâtonnier de la Corrèze du 27 octobre 2011, et vu l'effet dévolutif du recours, les circonstances de la cause faisant peser sur Maître Stéphen B... de larges présomptions de culpabilité, tant de détournement de clientèle, constitutives de concurrence déloyale que d'irrespect des valeurs et des principes régissant la profession d'avocat, de procéder à une instruction contradictoire de l'ensemble des éléments du litige avant dire droit si mieux n'aime la Cour, condamner la société d'avocats ACCENSE et Maître Stéphen B..., solidairement au paiement des sommes de 130 700 euros à titre d'indemnisation de leur préjudice pour perte de clientèle et à celle de 30 000 euros au titre du préjudice moral et financier.
La SELARL PRISSETTE § Associés expose qu'elle employait depuis le 1er janvier 2000 dans son bureau de Tulle un clerc, devenu par la suite juriste, Sylvie X..., qui exerçait des fonctions essentiellement en matière fiscale en gérant un portefeuille important de clients du cabinet de Brive et qu'elle lui a fait part de sa démission le 28 septembre 2009 prenant effet le 31 décembre 2009, sans fournir d'explications.
C'est sur interrogation de Me PRISSETTE qu'elle a indiqué qu'elle souhaitait rejoindre le groupe HMA MIDI AUTO à Brive, société holding regroupant de nombreuses autres sociétés de concessionnaires automobiles, client principal à Brive du cabinet PRISSETTE.
La SELARL PRISSETTE § ASSOCIES précise que dès le 5 janvier 2010 Mme X... était officiellement embauchée par le cabinet d'un confrère récemment installé sur Brive, Stephen B... et elle relève que, dans un laps de temps de l'ordre de 6 mois, de septembre 2009 à mai 2010, un nombre important de clients de son cabinet de Brive avec lesquels Mme X... avaient travaillé pendant de nombreuses années, ont cessé de lui renouveler leur confiance et l'ont investie, pour la plupart, dans le cabinet de Me Stephen B... qu'elle accuse d'avoir utilisé ses dossiers de clients auxquels Mme X... avait accès.
Le chiffre d'affaires perdu est évalué à la somme de 140 000 euros.
Des dernières pièces qu'elle produit la SELARL PRISSETTE § ASSOCIES estime qu'elle démontre que Me B..., dès le 4 mars 2010, était déjà constitué devant les tribunaux administratifs de Limoges, Bordeaux, Toulouse et Lyon dans les 10 contentieux fiscaux du client NOUGEIN alors que ces procédures avaient été initiées par le cabinet PRISETTE.
S'agissant de la procédure, après avoir échangé diverses correspondances avec Me B..., le 28 septembre 2010 la SELARL PRISSETTE § ASSOCIES a saisi le Bâtonnier de Tulle lequel, compte tenu de la fermeture du tribunal de grande instance de Tulle, a saisi celui de Brive qui lui a répondu le 6 octobre 2010 qu'il n'y avait pas lieu à arbitrage des bâtonniers ni à intervenir auprès de Me B....
Après l'échec de cette phase préalable de tentative de règlement amiable, le 27 janvier 2011 la SELARL PRISSETTE § ASSOCIES a saisi à nouveau le Bâtonnier de la Corrèze lequel, après prorogation de son délibéré de quatre mois et malgré son obligation de rendre sa décision dans un délai de 4 mois (article 179-5 alinéa 2 du même décret), a rendu une décision de rejet de sa réclamation mais le 27 octobre 2011, soit un mois après l'expiration du délai fixé et quelques jours après la saisine de la présente juridiction.
La SELARL ACCENSE CONSEILS et Maître Stephen B... font conclure au rejet de ces demandes.
Si elle ne méconnaît pas le caractère tardif et donc non avenu de la réponse du Bâtonnier de la Corrèze elle fait valoir que la tentative de conciliation a bien eu lieu le 30 juin 2011 après que les parties eurent échangé leurs pièces et que c'est après de très sérieuses investigations et une parfaite connaissance des usages de la profession que le Bâtonnier a rendu sa décision, ce qui rend sans justification la demande de mise en ¿ uvre d'une mesure d'instruction.
Elle reproche à la SELARL PRISSETTE § Associés d'avoir dissimulé au Bâtonnier qu'elle avait obtenu, illégalement, en utilisant le code informatique qui lui avait été communiqué lorsqu'elle était la représentante de la SA IMMOBILIERE NOUGEIN, des documents sur l'état de ses anciens dossiers, postérieurement à la résiliation de son mandat.
Elle souligne par ailleurs que la résiliation de son mandat par la SA HOLDING AUTO est antérieure à la démission de Mme X... laquelle avait, deux ans auparavant, entrepris des démarches pour quitter la SELARL PRISSETTE § Associés et n'était liée par aucune clause de non-concurrence lors de son départ.
Elle considère d'autre part que la SELARL PRISSETTE § Associés ne rapporte pas la preuve d'un quelconque détournement de clientèle lequel ne peut se déduire du départ de plusieurs clients en l'absence de tout acte l'ayant favorisé et imputable à Mme X... où à la SELARL ACCENSE CONSEILS.
Discussion :
Attendu que le Bâtonnier de la Corrèze a rendu le 27 octobre 2011 une décision dans le cadre d'une procédure initiée le 27 janvier 2011 par la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES à l'encontre de Maître B..., relative à un différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel sur le fondement de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi no 2009-526 du 12 mai 2009 et des décrets no 91-1197 du 27 novembre 1991 et no 2009-1544 du 11 décembre 2009 ;
Attendu que cette décision a été rendue postérieurement à la saisine de la présente juridiction et un mois après l'expiration du délai prorogé de quatre mois dont disposait le Bâtonnier pour statuer (art 179-5), ce qui la rend dépourvue de toute valeur juridique et justifie qu'elle soit annulée ;
Qu'il est dès lors sans intérêt d'apprécier la régularité de la procédure ayant donné lieu à cette décision irrégulière ;
Attendu, sur le fond, que la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES prétend que Maître B..., s'est rendu coupable, avec la complicité de Sylvie X..., son ancienne collaboratrice, d'un détournement de clientèle ;
Attendu qu'il sera en premier lieu constaté que Mme X... n'était liée par aucune clause de non-concurrence et que dès l'année 2007, soit deux années avant la résiliation de son contrat intervenue le 28 septembre 2009 avec effet au 31 décembre 2009, elle avait entrepris des démarches pour quitter la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES comme l'atteste l'expert-comptable, commissaire aux comptes, Gilles Y... lequel avait reçu Mme X... dans son bureau le 5 octobre 2007 afin de l'informer des démarches à effectuer pour un changement d'employeur ;
Attendu que c'est dès lors en toute licéité que Maître B... a embauché Mme X... qui était libre de tout engagement à l'égard de son précédent employeur ;
Attendu qu'il sera rappelé que le client est libre du choix de son conseil et qu'il appartient à la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES, qui allègue avoir été victime d'un détournement de clientèle de la part de Me B... qu'il qualifie de véritable pillage, de rapporter la preuve de l'existence de démarches effectuées à cette fin de la part de ce dernier ou de Mme X... agissant pour son compte ;
Attendu que la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES invoque le départ au profit de Me B..., du Groupe HMA MIDI AUTO, société HOLDING regroupant une douzaine de sociétés concessionnaires automobiles, dont le responsable est M. Z..., et qui faisait partie du portefeuille géré par Mme X... ;
Mais attendu qu'antérieurement à cette résiliation la société HMA MIDI AUTO avait pu apprécier les compétences professionnelles de Me B... lequel avait succédé à Me CARRE et gérait ses dossiers commerciaux et il n'est pas démontré, en l'absence de tout autre élément, que c'est le départ de Mme X... qui a conduit cette société à confier à Me B... ses dossiers fiscaux ;
Attendu que les affirmations de M. Z... dans la lettre de résiliation du 21 septembre 2009 selon lesquelles c'est au regard de l'évolution du groupe MIDI AUTO, de ses besoins et de ses contraintes qu'ils ont engagé une réflexion sur leur future organisation ayant amené le groupe à cesser au 31 décembre 2009 sa collaboration avec le cabinet PRISSETTE, n'apparaît pas suspecte ni résulter d'un détournement de clientèle ;
Attendu que dans ses dernières conclusions la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES ne sollicite plus la restitution de dossiers en présence d'un membre du Conseil de l'Ordre ;
Attendu que la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES reproche également à Me B... d'avoir détourné à son profit son client, le groupe NOUGEIN, mais ne fournit aucun élément précis susceptible de démontrer que Me B... a effectué des démarches à cette fin alors qu'elle a elle-même attendu le mois de septembre 2010 pour restituer les dossiers qui lui avaient été demandés par ce client dès le 29 janvier 2010 selon la lettre produite ;
Qu'il doit être par ailleurs relevé, que la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES, postérieurement à ce dessaisissement officiel, a utilisé le code confidentiel dont elle n'était plus attributaire, pour se renseigner à l'insu de la société NOUGEIN, auprès du greffe du Tribunal administratif, sur l'état des dossiers de son ancienne cliente et obtenir ces renseignements le 4 mars 2010 ;
Qu'elle n'a d'ailleurs pas produit dans la procédure ordinale les renseignements qu'elle avait ainsi obtenus irrégulièrement, et ne l'a fait que le 18 juin 2012, soit quarante-huit heures avant la première audience fixée devant la présente juridiction ;
Qu'un tel comportement, loin de démontrer l'existence d'éléments constitutifs d'un détournement de clientèle de la part de Me B..., dont l'intervention dans ce dossier, n'apparaît pas antérieurement à sa saisine officielle, est constitutif, pour le moins, d'une atteinte au secret professionnel et d'un manque de loyauté de la part de la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES ;
Attendu, s'agissant du client Jean-Pierre A..., que ce dernier a résilié différents contrats d'abonnements peu après la démission de Mme X... mais n'a pas choisi Me B... pour succéder au cabinet PRISSETTE comme il l'a personnellement attesté, ce qui n'étaye en rien l'allégation de détournement de clientèle ;
Attendu enfin que si d'autres clients de la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES ont décidé de la quitter au début ou au cours de l'année 2010, aucun d'entre eux n'indique avoir sollicité les services de Me B... et il n'est produit aucun commencement de preuve susceptible d'établir que ces décisions ont été prises en raison d'un démarchage de cette clientèle de la part de ce dernier ;
Attendu qu'en définitive, eu égard à l'ensemble de ces éléments il n'est pas démontré que Me B... a détourné la clientèle de la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES et a recruté de manière irrégulière Mme X... ;
Qu'il y a donc lieu de débouter la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES de toutes ses demandes d'indemnisation, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des investigations complémentaires ;
PAR CES MOTIFS
STATUANT en dernier ressort par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
ANNULE la décision rendue le 27 octobre 2011 par le Bâtonnier de la Corrèze dans le cadre de la procédure initiée le 27 janvier 2011 par la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES ;
DEBOUTE la SELARL CABINET PRISSETTE § ASSOCIES de l'ensemble de ses demandes ;
LA CONDAMNE aux entiers dépens ;
LE GREFFIER, LE PREMIER PRÉSIDENT,
Elysabeth AZEVEDO. Alain MOMBEL.