ARRET N.
RG N : 14/ 00082
AFFAIRE :
Mme Delphine X...
C/
M. Jean Pierre Y...
AA-iB
réparation de dommages causés par activité médicale
Grosse délivrée à Maître CLERC, avocat
COUR D'APPEL DE LIMOGES CHAMBRE CIVILE--- = = oOo = =--- ARRET DU 04 MARS 2015--- = = = oOo = = =---
Le QUATRE MARS DEUX MILLE QUINZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :
ENTRE :
Madame Delphine X...de nationalité Française née le 07 Avril 1979 à LOMME (59160) Profession : Sans profession, demeurant ...
représentée par Me Philippe CLERC, avocat au barreau de LIMOGES, Me Antoine DOUET, avocat au barreau de MONTLUCON
APPELANTE d'un jugement rendu le 06 NOVEMBRE 2009 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTLUCON
ET :
Monsieur Jean Pierre Y...de nationalité Française né le 07 Décembre 1962 à montluçon Profession : Chirurgien-dentiste, demeurant ...
représenté par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de LIMOGES et Me BRUSTER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME
Sur renvoi de cassation : jugement du tribunal de grande instance de Montluçon en date du 06 novembre 2009- arrêt de la cour d'appel de RIOM en date du 17novembre 2010- arrêt de la cour de Cassation en date du 22 mars 2012
L'affaire a été fixée à l'audience du 19 Novembre 2014, après ordonnance de clôture rendue le 8 octobre 2014, la Cour étant composée de Madame Annie ANTOINE, Première Présidente, de Monsieur Patrick VERNUDACHI, Président de chambre et de Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, assistés de Madame Elysabeth AZEVEDO, Greffier. A cette audience, Madame la Première Présidente a été entendue en son rapport oral, les avocats des parties sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Madame Annie ANTOINE, Première Présidente, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 7 janvier 2015 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi. A cette date le délibéré a été prorogé au 4 février 2015 puis au 4 mars 2015, les parties en ayant été régulièrement avisées.
LA COUR
FAITS ET PROCÉDURE
De septembre 1990 à juillet 1992, Madame Delphine X..., alors mineure a suivi un traitement orthodontique réalisé par Monsieur Jean-Pierre Y..., chirurgien dentiste. Après une amélioration, la pathologie de la malocclusion a récidivé suite à l'arrêt du traitement.
Un premier examen clinique et radiologique était effectué le 5 juillet 2002 par le docteur A...à la demande de Madame X...suivi, le 23 avril 2003, d'une expertise amiable réalisée par le docteur B...dans le cadre d'une assurance juridique, à laquelle était associé le médecin missionné par l'assureur du Docteur Y....
Ces expertises amiables mettaient en évidence que l'absence de contention après la dépose des bagues devait être considérée comme fautive et de nature à avoir favorisé la récidive de la pathologie.
Le 29 mars 2006, Madame X...a obtenu la désignation d'un expert judiciaire par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Montluçon statuant en référé.
Sur la base du rapport d'expertise judiciaire déposé le 3 mars 2007 par le docteur C..., Madame X...a fait assigner Monsieur Jean-Pierre Y...devant le tribunal de grande instance de Montluçon aux fins de voir engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1147 du code civil et obtenir réparation du préjudice subi.
Le 6 novembre 2009, le tribunal de grande instance de Montluçon a retenu l'existence d'une faute dans le traitement orthodontique appliqué à Madame X..., mais l'a déboutée de ses demandes en l'absence de lien de causalité suffisamment certain entre la faute commise par le docteur Y...et le dommage qu'elle présente.
Sur appel de Madame X..., la cour d'appel de Riom a, dans un arrêt du 17 novembre 2010 confirmé le jugement de débouté du tribunal de grande instance de Montluçon, en considérant que l'absence de contention après retrait des bagues constituait un manque de précaution fautif imputable au docteur Y...mais que cette faute n'était pas en lien direct avec la récidive de pathologie, dès lors que la récidive aurait pu se produire, avec une probabilité non négligeable, même s'il y avait eu contention.
Madame X...a formé un pourvoi et, par arrêt du 22 mars 2012, la première chambre civile a cassé et annulé l'arrêt en reprochant à la cour d'appel de ne pas avoir retenu que le caractère fautif de l'absence de contention après le traitement orthodontique impliquait nécessairement que la contention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur la pathologie de la patiente ; qu'ainsi la cour qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article 1147 du code civil aurait du statuer sur la perte de chance d'une influence favorable sur l'évolution de la pathologie.
Les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Limoges.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
Madame Delphine X...conclut à la responsabilité du docteur Y...dans le traitement qu'elle a subi l'obligeant sur le fondement de l'article 1147 du code civil à réparer ses préjudices. Elle réclame à ce titre la prise en charge du traitement orthodontique évalué à la somme de 5. 413, 27 euros selon devis établi par le docteur D..., chirurgien dentiste. Estimant que l'ensemble de ses préjudices ne pourra être chiffrer qu'une fois ce traitement terminé, ce qu'elle demande à la cour de juger, elle sollicite dans l'attente, à titre provisionnel, la condamnation du docteur Y...à lui verser la somme de 302, 92 euros au titre des frais médicaux et pharmaceutiques restés à sa charge, la somme de 1. 400 euros au titre des frais de transport, la somme de 3. 000 euros au titre du préjudice lié à la douleur et celle de 5. 000 euros au titre de son préjudice moral. Elle demande en outre une indemnité de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
De son côté, Monsieur Y...conclut à la confirmation du jugement du tribunal de grande instance de Montluçon en date du 6 novembre 2009 en ce qu'il a débouté Madame X...de toutes ses demandes. Il entend voir dire que l'absence de contention n'a pas engendré une perte de chance de guérison totale pour Madame X...de sorte que sa responsabilité ne peut être retenue. Il sollicite en outre une indemnité de 5. 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. A titre subsidiaire, il demande de voir sa responsabilité limitée en raison du fort risque de récidive qui existe pour cette pathologie même en présence de contention et d'indemniser en conséquence partiellement la perte de chance subie par Madame X.... Il propose en conséquence une indemnisation de moitié et le rejet des autres demandes.
La Cour renvoie pour le surplus aux dernières écritures des parties sur leurs moyens respectifs déposées les 13 mai et 21 août 2014.
MOTIFS
Attendu que la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable.
Attendu qu'il ressort des conclusions de l'expert judiciaire que le docteur Y...a posé un diagnostic de la pathologie dont souffrait Madame X...de façon correcte, que le traitement proposé et réalisé était adapté à la pathologie de la patiente, et que seule l'absence de contention à l'issue du traitement orthodontique actif peut être reproché au praticien.
Attendu que le docteur Y...ne conteste pas ce manque de précaution fautif.
Attendu que l'absence de certitude relevé par les premiers juges d'un lien de causalité entre la faute reprochée au docteur Y...et les préjudices invoqués par Madame X..., à savoir la récidive de pathologie l'obligeant à la mise en place d'un nouveau traitement et lui ayant fait subir divers préjudices, ne saurait écarter l'examen d'une perte de chance subie par Madame X...de voir son état de santé s'améliorer si la contention avait été posée.
Attendu que le fait d'avoir été privée de cette chance constitue un préjudice qui doit être réparé.
Attendu qu'en décidant de ne pas mettre en place une contention à l'issue du traitement orthodontique subi par Madame X...pendant deux ans, le docteur Y..., qui le reconnaît a commis une faute ; qu'il a, par ce manquement, fait disparaître de façon directe et certaine, une éventualité favorable d'amélioration de l'état de Madame X...puisque selon les conclusions de l'expert, sans ce manque de précaution fautif, il existe une probabilité que la contention aurait eu une influence favorable sur l'évolution de la pathologie de la patiente.
Attendu cependant, que la réparation du préjudice résultant d'une perte de cette chance ne peut être fixée à la valeur de l'avantage espéré et qui n'a pas été obtenu ; qu'elle est appréciée en considération de la seule chance perdue, considérée comme ayant une valeur en soi.
Attendu en conséquence, que la réparation du préjudice subi par Madame X...ne portera que sur la perte de chance au regard de la probabilité d'une influence favorable sur sa pathologie, perdue en raison du manquement du Docteur Y...à l'issue du traitement orthodontique.
Et attendu, que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue ; qu'en l'espèce, la chance perdue, certaine et sérieuse est celle de l'influence favorable que la mise en oeuvre de la contention aurait pu avoir sur l'évolution de la pathologie ; que, selon l'expert judiciaire, rien ne permet de dire que la pathologie présentée par Madame X..., préoccupante et très récidivante, n'aurait pas récidivé après une contention de plus de six mois, cas relativement fréquent dans ce type de pathologie.
Attendu donc, que la réparation de la perte de chance subie par Madame X...sera fixée en tenant compte de cette forte probabilité de récidive ce qui conduit à limiter l'indemnisation à la moitié du devis de traitement orthodontique et des coûts des frais pharmaceutiques et s'agissant de la réparation du préjudice moral et des souffrances endurées à la même proportion.
Attendu en revanche, qu'en l'absence de justificatifs sur les frais de déplacement, la demande de ce chef sera rejetée.
Attendu en conséquence, que le jugement du tribunal de grande instance de Montluçon en date du 6 novembre 2009 sera infirmé et qu'il convient de condamner le Docteur Y...à payer à Madame X...la somme totale de 6. 358, 10 euros se décomposant comme suit :-2. 706, 64 euros au titre du traitement orthodontique à mettre en place selon devis du docteur D...;-151, 46 euros au titre des frais médicaux et pharmaceutiques restés à la charge de Madame X...;-1. 500 euros au titre des souffrances endurées ;-2. 000 euros au titre du préjudice moral.
Attendu que Madame X...sera déboutée de ses autres demandes, l'indemnisation de la perte de chance étant définitive ;
Attendu que l'équité commande d'allouer à Madame X...la somme de 1. 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que, le docteur Y...qui succombe, sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe, et en dernier ressort ;
Vu l'arrêt rendu le 22 mars 2012 par la première chambre civile de la Cour de cassation ;
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Montluçon en date du 6 novembre 2009 ;
Dit Monsieur Jean-Pierre Y...responsable de la perte de chance d'une influence favorable sur l'évolution de la pathologie de Madame Delphine X...;
En conséquence, condamne Monsieur Jean-Pierre Y...à payer à Madame Delphine X...la somme de 6. 358, 10 euros se décomposant comme suit :-2. 706, 64 euros au titre du traitement orthodontique selon devis du docteur D...;-151, 46 euros au titre des frais médicaux et pharmaceutiques restés à la charge de Madame X...;-1. 500 euros au titre des souffrances endurées ;-2. 000 euros au titre du préjudice moral ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne Monsieur Jean-Pierre Y...à payer à Madame Delphine X...une indemnité1. 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur Jean-Pierre Y...en tous les dépens d'instance et d'appel.
Le greffierLa première présidente
Elysabeth AZEVEDO. Annie ANTOINE.