21 III 2002 Société Schindler / Union syndicats FO CGT RG 2000/4151 Dans le cadre des négociations annuelles sur l'organisation du temps de travail la société Schindler, en son agence régionale de Lyon, a conclu le 3 juin 1999 avec le syndicat Force Ouvrière un accord auquel la section syndicale CGT Schindler a fait opposition en application de l'article L.132-26 du code du travail. Le 22 mars 2000 l'Union locale des syndicats CGT et l'Union départementale des syndicats confédérés du Rhône CGT ont fait assigner la société Schindler et l'Union des syndicats Force Ouvrière de la métallurgie du Rhône pour faire annuler cet accord.. Le 27 juin 2000, le tribunal de grande instance de Lyon a rendu la décision suivante : - Déclare irrégulière l'opposition formée le 8 juin 1999 par la section CGT Schindler de Villeurbanne à l'encontre de l'accord d'entreprise signé le 3 juin 1999 ; - Mais dit que cette irrégularité est couverte par l'intervention des organisations syndicales demanderesses ; - Constate la nullité des clauses de l'accord d'entreprise ayant pour effet de placer les salariés en situation d'astreinte pendant la durée de leur repos minimal quotidien et hebdomadaire ; - Condamne la société Schindler à verser à chacune des demanderesses la somme de 4.000 francs en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Appelante de cette décision, la société Schindler soutient que l'accord contesté est pleinement conforme à l'ensemble des dispositions légales et ne peut être considéré comme dérogatoire dès lors qu'il se borne à régir l'astreinte, et non le temps de travail, que l'astreinte est une nécessité dans son secteur d'activité et qu'elle n'est pas incompatible avec le repos légal journalier ou hebdomadaire, seule l'intervention effective du salariée constituant un temps de travail. Elle fait en outre valoir que l'action engagée par le syndicat CGT est tardive et que l'opposition est irrégulière et non conforme aux obligations légales.
Elle demande donc à la cour de débouter les intimées de leurs demandes et de les condamner à lui payer une indemnité en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. L'Union locale des syndicats CGT et l'Union départementale des syndicats confédérés du Rhône CGT concluent au rejet de l'appel principal. Elle forment appel incident pour faire juger que l'accord du 3 juin 1999 méconnaît les dispositions des articles L.220-1, L.221-1, L.221-4 et L.221-5 du code du travail et est nul et de nul effet, faire interdire à la société Schindler de mettre en oeuvre les dispositions de cet accord et de faire exécuter des astreintes pendant les temps de repos prévus par les articles L.220-1, L.221-4 et L.221-5 dudit code, faire juger que la société Schindler est tenue de respecter le repos quotidien d'une durée minimum de 11 heures consécutives, le repos hebdomadaire du dimanche et par voie de conséquence une période de repos de 35 heures consécutives chaque fin de semaine, ainsi que l'amplitude de la journée de travail qui ne peut excéder 13 heures, et faire condamner la société Schindler à verser aux intimées une indemnité en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Les intimées soutiennent que le syndicat CGT, qui avait obtenu plus de la moitié des voix des inscrits lors des dernières élections professionnelles du 10 juin 1998, était recevable à faire opposition à l'accord et que c'est par suite d'une erreur matérielle que l'opposition signée par le délégué syndical CGT Thierry X..., qui représente l'Union locale des syndicats CGT qui l'a mandaté à cet effet, a été faite sous couvert de la section syndicale CGT Schindler ; qu'en outre l'intervention à l'instance des organisations syndicales a eu pour effet de régulariser l'éventuelle irrégularité de l'opposition. Sur le fond elles affirment que le régime d'astreinte que la société Schindler veut mettre en place doit lui servir à assurer un service de dépannage et de maintenance disponible
en permanence qui n'a pas pour vocation de répondre seulement à des situations d'urgence ; elles font valoir que sauf cas exceptionnel et d'urgence il ne peut pas être dérogé au principe du repos quotidien d'au moins onze heures consécutives ; que dès lors qu'aucun travail ne peut être exigé d'un salarié pendant les périodes de repos légal il ne peut lui être imposé d'être d'astreinte pendant ces mêmes périodes ; que le principe du droit à l'intimité de la vie privée du salarié s'oppose à ce que l'employeur puisse lui imposer d'être joignable en permanence. Sur la régularité de l'opposition Attendu qu'aux termes de l'article L.132-26 du code du travail dans un délai de huit jours à compter de la signature d'une convention ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement comportant des clauses qui dérogent soit à des dispositions législatives ou réglementaires, lorsque lesdites dispositions l'autorisent, la ou les organisations syndicales qui n'ont pas signé l'un des textes en question peuvent s'opposer à son entrée en vigueur à condition d'avoir recueilli les voix de plus de la moitié des électeurs inscrits lors des dernières élections au comité d'entreprise ; Attendu que la lettre d'opposition datée du 8 juin 1999 porte l'en-tête de la "section syndicale Schindler CGT, ..."; qu'elle est signée, "pour la section syndicale CGT Schindler", par "le délégué Syndical Thierry X...", la signature étant accompagnée du cachet de la même section ; qu'elle est ainsi rédigée : "Conformément aux dispositions de l'article L.132-26, nous, Section Syndicale CGT Schindler de Villeurbanne, faisons opposition ..."; Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments concordants que l'opposition a bien été formée par la section syndicale ; Attendu qu'une section syndicale n'a pas qualité pour former opposition puisqu'elle est dépourvue de la personnalité morale ; Que les appelantes ne rapportent la preuve ni que c'est par suite d'une erreur matérielle que l'opposition a été formée au nom de
la section syndicale ni qu'elles avaient donné à Thierry X... mandat de faire en leur nom opposition ; Que, contrairement à ce qu'elles soutiennent, l'irrégularité de l'opposition ne pouvait être couverte par leur "intervention" dans la présente procédure alors que le délai prévu par l'article L.132-26 du code du travail était depuis longtemps expiré ; Qu'en conséquence l'opposition est irrégulière, cette irrégularité n'ayant pu être couverte par l'action engagée par les deux Unions plus de neuf mois plus tard ; Mais attendu que l'action en nullité de l'accord d'établissement peut être exercée par les Unions demanderesses indépendamment de l'opposition ; Sur la nécessité de l'organisation d'un système d'astreinte Attendu qu'il ne peut pas sérieusement être contesté que l'activité exercée par la société Schindler implique de répondre à des situations d'urgence (désincarcération de personnes bloquées dans des ascenseurs ...) pouvant se présenter à toute heure et tous les jours; Qu'il apparaît donc nécessaire que la société Schindler organise son service de manière à pouvoir répondre à ces situations d'urgence à tout moment, même de nuit et les dimanches et jours fériés ; Attendu que les Unions font vainement valoir que la société Schindler est liée à ses clients par des contrats de maintenance et de dépannage lui imposant de pouvoir intervenir 24 h/ 24 h alors que l'accord, dont l'objet essentiel quant à l'astreinte est de l'organiser et fixer son mode de rémunération, se borne à indiquer qu'elle doit permettre "d'intervenir en dépannage et désincarcération" sans plus de précision sur les types d'interventions que les salariés pourront être amenés à effectuer au cours de ces périodes d'astreinte ; que les notions de "dépannage et désincarcération" peuvent correspondre à des interventions tendant à mettre fin à des situations de danger soit nées soit imminentes soit potentielles et donc constitutives de l'urgence ; Qu'il ne peut être présumé que la société Schindler fera
un usage abusif de l'astreinte en faisant intervenir sans urgence ses salariés en astreinte ; Attendu qu'il importe peu qu'il soit fait uniquement référence aux "interventions de dépannage concernant les astreintes dans le projet d'accord de réduction du temps de travail qui a été négocié au niveau national postérieurement à l'accord discuté" dès lors que l'objet de ces accords est différent ; Sur le respect des temps légaux de repos journalier et hebdomadaires et sur l'amplitude maximum de la journée de travail Attendu que c'est à tort que le premier juge a énoncé que le temps d'astreinte n'est ni un temps de travail ni un temps de repos et constitue un "temps du troisième type" à l'issue duquel le salarié à droit au temps de repos minimal alors que tout temps qui n'est pas affecté à un travail effectif ou qui lui est assimilé constitue du temps de repos ; Que donc le temps d'astreinte, sans intervention effective, n'est pas incompatible avec le temps de repos, même si la période d'astreinte doit recouvrir intégralement le temps de repos ; Qu'il ne peut être pris en compte pour le calcul de la durée de travail journalier ni de l'amplitude de la journée de travail ; Attendu que dans l'accord contesté (article 7.2 A) il est fait rappel de la législation dur la durée minimum du repos journalier et il est prévu que "les plannings de travail seront établis en respectant cette règle (horaires décalés, permanences, etc)"; que cet accord doit permettre le respect des dispositions légales sur le repos journalier que les partenaires sociaux ont expressément prises en compte ; Que l'accord n'apparaît pas être contraire aux dispositions légales régissant le temps de repos hebdomadaire, étant observé que la période d'astreinte telle qu'elle est définie par cet accord ne recouvre pas la journée du samedi pour laquelle est organisé un système de permanence qui ne fait pas l'objet de contestation ; Attendu, par ailleurs, que les interventions, constituant du travail effectif, que le salarié
réalise pendant une période d'astreinte ne doivent pas entraîner l'inobservation des dispositions légales sur le temps de repos dès lors que l'accord prévoit expressément (article 7.1) que "toute sortie d'un salarié en situation d'astreinte de nuit, entre 23 heures et 4 heures le lendemain matin, sera assortie d'une récupération équivalente à la reprise du poste du matin", ce qui doit suffire à lui assurer le bénéfice effectif du temps légal de repos ; Attendu, enfin, que le principe du droit du salarié à l'intimé de sa vie privée, ne fait obstacle à l'organisation d'un système d'astreinte auquel le salarié est soumis pendant les périodes de repos journalier ou hebdomadaire ; Qu'il ne peut être préjugé de la manière dont la société Schindler mettra en oeuvre ce système d'astreinte prévu par l'accord ; que rien ne permet d'affirmer que si elle contrevient aux dispositions légales et conventionnelles régissant les astreintes, cela sera nécessairement dû à l'accord ; Attendu puisqu'il n'est pas démontré que les dispositions de l'accord d'établissement du 3 juin 1999 sont contraires aux dispositions légales la demande d'annulation est injustifiée ; Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la société Schindler la charge de tous les frais exposés par elle à l'occasion de cette procédure et non compris dans les dépens ; Confirme la disposition du jugement déclarant irrégulière l'opposition formée le 8 juin 1999 par la section syndicale CGT Schindler de Villeurbanne à l'accord d'établissement du 3 juin 1999 ; Infirme les autres dispositions du jugement ; Déboute l'Union locale des syndicats CGT et l'Union départementale des syndicats confédérés du Rhône CGT de toutes leurs demandes ; Les condamne à payer à la société Schindler la somme de mille cinq cents euros (1.500 euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Les condamne aux dépens de première instance et d'appel et autorise l'avoué de leur adversaire à recouvrer directement contre elles les
dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.